Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Reste-t-il un espoir? sinon le réalisme d’un nouveau rapport des forces ? Par Sasha BERGHEIM

Cet article de Sacha BERGHEIM en fait correspond à un débat israélien (faut-il rester à l’écart de ce conflit ou s’y impliquer derrière l’OTAN, le paradoxe est que ce faisant il se situe également d’un point de vue Européen à qui il rappelle que “la troisième guerre mondiale” a commencé en Europe au Kosovo. Sasha B est visiblement de la première opinion et déplore qu’Israël ne se soit que trop impliqué). Personnellement j’ajouterai à sa démonstration ce que nous présentons par ailleurs l’élargissement du front à à peu près tous les continents en particulier avec la Chine et l’Amérique latine. En ce qui concerne en outre l’aide américaine (l’aide européenne également) voici une remarque très pertinente lue sur le net : “L’Ukraine est le Graal de la corruption internationale. Ces 40 milliards de dollars ne peuvent changer la donne que pour deux catégories de personnes : D’abord, le complexe militaro-industriel américain, et ensuite une bande d’oligarques ukrainiens et d’ONG de tendance néocon, qui s’accapareront le marché noir des armes et de l’aide humanitaire, puis en blanchiront les profits dans les îles Caïmans.

Un coup d’œil rapide aux 40 milliards de dollars révèle que 8,7 milliards de dollars serviront à reconstituer le stock d’armes américain (qui ne sera donc pas du tout destiné à l’Ukraine) ; 3,9 milliards de dollars vont à l’USEUCOM (le « bureau » qui dicte ses tactiques militaires à Kiev) ; 5 milliards de dollars vont à une fumeuse et non spécifiée « chaîne d’approvisionnement alimentaire mondiale » ; 6 milliards de dollars vont aux armes réelles et à l’ « entraînement » des forces armées de l’Ukraine ; 9 milliards de dollars iront à l’ « assistance économique » (et disparaîtront dans des poches sélectionnées) ; et 0,9 milliard de dollars vont aux réfugiés.

Ce contexte étant posé par l’ensemble des articles que nous présentons voici donc l’analyse de Sasha Bergheim et elle fait écho à celle de Kissinger, du NEW YORK TIMES,etc… (1)

ILLUSTRATION : Le 7 mai 1999, durant le bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN (opération Force alliée), cinq bombes JDAM américaines frappent l’ambassade de République populaire de Chine à Belgrade dans le district de Novi Beograd, tuant trois journalistes chinois et outrageant l’opinion chinoise qui n’a jamais oublié cette affaire même si les Français pour qui un clou chasse l’autre et un événement n’a aucune profondeur historique ne se souvient même plus de ses hystéries successives contre un méchant tyran …

danielleBleitrach pour histoire et societe)

Militairement, le problème d’avoir choisi une confrontation directe avec la Russie est que c’est un pays qui malgré les délires médiatiques (comme les annonces fumeuses sur son manque supposé de munitions) dispose d’une armée avec des armes conventionnelles avancées qui vont de missiles hypersoniques aux mesures de guerre électronique mais surtout dispose de capacités de destruction avancée des capacités ennemies (destruction laser de satellites dont les premiers projets datent des années 1960 jusqu’aux capacités à couper les cables sous-marins par lesquels quasiment tout le trafic internet / financier mondial, mais surtout intercontinental entre Europe et USA). Autrement dit, aussi mauvais que l’on juge le pouvoir en Russie, aussi néfaste, mafieux, brutal qu’on puisse l’évaluer, il demeure un acteur sur lequel on doit compter car il dispose de capacités offensives qui compensent stratégiquement ses faiblesses conventionnelles tactiques.

De leur côté, les occidentaux utilisent de plus en plus des moyens non ouverts (principe appelés low signature and deniability: pas de trace identifiable et négation possible d’engagement), ce qui en même temps ne trompe personne car ces acteurs privés du conflit qu’on retrouve par dizaine demeurent des sociétés occidentales engageant des contractuels issus des forces armées et services spéciaux. Cela ne masque pas le fait que les Occidentaux disposent d’une expérience de combat limitée à des engagements face à des forces largement inférieures en qualité opérationnelle. Nous n’agissons qu’en situation de suprématie absolue (aérienne / conventionnelle) contre des adversaires faibles. Et lorsque ces adversaires disposent d’un engagement militaire fort (idéologique notamment) au sein de tactiques éprouvées, nous préférons engager des acteurs secondaires pour la partie la plus difficile (exemple de Raqqa où l’opération au sol la plus meurtrière est menée par les Kurdes des SDF, avec appui aérien occidental qui en assure la victoire). La puissance économique et militaire cumulée de l’occident n’a jamais été confrontée à un ennemi capable d’infliger des dommages décisifs au système sur lequel repose le fameux spectre de domination.

C’est là où reprendre les modèles auto-centrées où nous représentons le parangon de la moralité et nous sommes assurés d’une victoire certaine, et où nous transformons des opérations illégales d’ingérence en actions faites de noblesse et de valeurs, sont bien sûr obsolètes.

Comme l’a signalé récemment la commission juridique du Bundestag, vendre des armes relève d’une relation commerciale, entraîner sur son propre sol ou un tiers les forces armées qui achètent ces armes relève d’une co-belligérance. Autrement dit, si nous ne sommes pas formellement en guerre, nous sommes déjà largement engagés au point, où, au niveau stratégique, les chancelleries occidentales ne savent plus comment sortir de l’alternative impossible: une défaite militaire russe ou rien. Politiquement, aucun leader russe – que Poutine soit renversé par une révolution de palais ou se maintienne au pouvoir – ne peut tirer de légitimité d’une défaite. Donc si l’option militaire d’un renversement complet et d’une victoire ukrainienne (reprise entière du Donbass et de la Crimée) se concrétisait, il est assuré que le pouvoir russe n’hésiterait pas à recourir au nucléaire tactique et à accroître ses menaces stratégiques pour ne pas perdre ses acquis. Est-ce que l’occident est prêt à une confrontation ultime?

Un état des lieux permet de nuancer profondément cette approche parfaitement irréaliste – sauf à accepter que l’escalade militaire et l’option nucléaire (donc de destruction mutuelle assurée) soit finalement à considérer – et de restaurer, paradoxalement la primauté du droit.

Cela signifie que nous acceptons en tant qu’Européens de tirer des leçons de l’usage de la force armée pour des objectifs douteux ou illégaux sans que cela ne représente notre intérêt collectif. Comment peut-on de manière crédible invoquer l’intangibilité des frontières ukrainiennes ou les droits d’un pays souverain quand nous avons précisément procédé à un bombardement et un dépeçage d’un pays, en envoyant une force militaire sur le terrain pour forcer une sécession?

La guerre du Kosovo s’est faite sur la base d’une demande inacceptable pour un pays:

Annexe 3 du document remis au représentant serbe à Rambouillet en 1999 qui exige le droit pour l’OTAN d’accès sans restriction à tout le territoire et l’espace aérien serbe. La question “humanitaire” (prévenir un génocide) a été aussi cyniquement avancée que Poutine en 2022 qui parle d’éléments qui “préparent à” un génocide des Russes en Ukraine.

Que dire de nos condamnations des destructions par les forces armées russes en Ukraine quand nous avons bombardé la Serbie, des infrastructures civiles par centaine (ponts, hôpitaux, écoles, résidences, industries non militaires…) jusqu’à l’ambassade de Chine à Belgrade.

Précisément, c’est l’oubli de la primauté du droit que l’intervention militaire tout aussi illégale de la Russie nous rappelle. Entre la prolongation du conflit dans l’espoir d’une défaite russe (irréaliste avec risque d’escalade militaire) et le risque de voir une expansion russe plus importante (Kharkov? Odessa? conquêtes qui font sens du point de vue uniquement géostratégique), ne devrions nous pas mettre en avant d’abord le droit et le respect de la vie humaine? Car ceux qui souffrent en premier lieu sont les otages de ce conflit entre impérialismes, les Ukrainiens, certains russophones d’autres non, mais sans doute difficilement réconciliables après ce conflit dont nous avons nourri les irrédentistes.

Nous avons donc aujourd’hui le choix entre le fait d’accepter qu’il y a bien une scission au sein de l’Ukraine que nous avons alimentée et que la Russie de Poutine a exploitée, et qu’elle se manifeste bien par une séparation politique, soit nous maintenons le principe de frontières intangibles quand ça nous arrange, mais au final, l’engagement miliaire est déjà un point de non retour qui ne peut que s’aggraver. Il y a bien sûr ceux qui se prennent pour des résistants derrière leur écran, des jusqu’au-boutiste qui brocardent les “défaitistes”, les “collabos” qui “cèdent au Kremlin”. Ils n’ont aucune expérience de la souffrance d’une guerre pour avoir ces positions qui ne les engagent pas concrètement et cela relève plus du narcissisme.

Au plus fort de la puissance soviétique, on n’aurait pas imaginer que l’Ukraine soit indépendante. Rien ne nous dit que le rapport de force immédiat va perdurer, mais ce qui est certain, c’est que croire à des objectifs irréalistes conduira certainement à les rendre caducs plus tôt que le va-t’en-guerre du clavier ne le pensent.

(1) je renvoie le lecteur au texte qui a consommé ma rupture avec le parti communiste français publié dans la Pensée et qui annonçait plus ou moins ce que le viol de la légalité en Yougoslavie sous la pression des USA et de l’Allemagne portait comme avenir. J’ai alors été mise au ban du parti par le secteur international dirigé alors par jacques Fath et qui depuis a poursuivi sa logique pro-OTAN .

La troisième guerre mondiale a-t-elle commencé au Kosovo, par Danielle Bleitrach* et Jacques Jedwab** | Histoire et société (histoireetsociete.com)

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 150

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.