Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“La République de Donetsk a été créée en tant que partie intégrante de la Russie”.

https://vz.ru/politics/2022/3/23/1149264.html

Ce texte passionnant sur le plan historique reprend plus ou moins la thèse de Poutine, ce qui se passe en Ukraine est la faute de Lénine et des Bolcheviques qui ont voulu de force associer le Donbass et plus généralement les zones industrielles russophones à des peuples ukrainiens prêts à pactiser avec n’importe qui pour conserver leurs privilèges tribaux voire mafieux. Ce à quoi les communistes répondent l’empire russe était colonisateur et proche de l’éclatement, la seule réponse possible était de constituer des Etats multiethniques, des républiques dans lesquelles chacun coexisterait sur des bases de classe et de paix, et pas par nationalisme. C’est ce qu’ont privilégié Lénine puis Staline, associer le Donbass, industriel, russe aux zones pauvres de l’ouest, subissant sans cesse les raids polonais et autres, était la seule manière de créer des conditions d’autodétermination pacifiques Ce qui est important également dans ce texte ce sont les contours du Donbass qui en fait sont beaucoup plus étendus que l’oblast et même la région. . Le débat se poursuit y compris par rapport au devenir de l’Europe. (notede danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

“La création de la République de Donetsk-Krivoy Rog était une réponse au projet séparatiste de l’Ukraine, engagée sur la voie de la sécession tout en essayant de récupérer des terres qui n’ont jamais fait partie de la Malorossia historique”, a déclaré l’historien et politologue Vladimir Kornilov au journal VZGLYAD. Il y a cent ans, le Donbass et Kharkov ont déclaré leur autodétermination pour la première fois. Pourquoi la république a-t-elle pu être “refilée” à l’Ukraine ?

Il y a exactement 104 ans, dans les derniers jours de mars 1918, le maréchal-général Hermann Eichhorn – commandant des troupes allemandes avançant en Ukraine à l’invitation du Conseil central de Kiev – a reçu un ultimatum du Donbass. Le camarade Artiom, chef du Sovnarkom de la République de Krivoy Rog, a mis en garde : La DKR n’a rien à voir avec l’Ukraine et le passage de la frontière de la république dans la province de Kharkov sera considéré comme une déclaration de guerre. La signature a été “sécurisée” par 15 000 baïonnettes de l’Armée rouge de Donetsk, la seule force pro-bolchévique encore prête au combat dans le sud de la Russie. Les interventionnistes germano-autrichiens et, plus tard, les gardes blancs et les “samostiyniki” [indépendantistes, NdT] ukrainiens ont été arrêtés par les mineurs de Krivoy Rog et de Yuzovka (aujourd’hui Donetsk) et les ouvriers de Kharkov et d’Ekaterinoslav (Dnepropetrovsk).

Mais pendant ce temps, un conflit couvait à l’arrière rouge qui déterminait le sort de la république. “Nous ne sommes pas les séparatistes, c’est vous !”. Cette réplique, que le camarade Artiom a lancée au chef des bolcheviks de Kiev, Mykola Skrypnyk, lors du congrès fondateur des Soviets en février 1918, a amorcé la confrontation entre les Ukrainiens rouges et les partisans du Donbass comme partie intégrante de la Russie.

Mais les dirigeants de Moscou ont soutenu les partisans du projet de l’Ukraine soviétique, de la Galicie à Lougansk. Et il y a 103 ans, le 19 mars 1919, la République de Donetsk-Krivoïrog a finalement été abolie et intégrée à la République socialiste soviétique d’Ukraine.


VZGLYAD s’est entretenu avec le politologue et historien de Donetsk, Vladimir Kornilov, auteur du livre “La Republique de Donetsk-Krivoy. A Dream Fought Out”.

Vladimir Kornilov. (Photo : Nina Zotina/RIA Novosti)


VZGLYAD : Vladimir Vladimirovitch, il existe une opinion parmi les historiens selon laquelle la République de Donetsk-Krivoïrog a été incorporée à l’Ukraine soviétique en 1919 uniquement pour des raisons politiques, ou plutôt de classe – “pour renforcer l’Ukraine paysanne avec des prolétaires conscients du Donbass”. Êtes-vous d’accord avec cette interprétation ?


Vladimir Kornilov : Les bolcheviks établissaient les républiques soviétiques sur la base de la nationalité, mais pour des raisons tactiques – de parti ou idéologiques – ils ont décidé d’intégrer le Donbass dans l’Ukraine. Ainsi, une région qui n’avait rien à voir avec l’Ukraine ni avec aucune formation nationale ukrainienne s’est retrouvée dans la RSS d’Ukraine. Elle a toujours été une région multinationale – depuis le tout début du développement de l’Empire russe sur l’ancien “Dikoe pole” [mot-à-mot “champ sauvage”, un territoire quasi désert n’appartenant à personne, NdT]. Le Donbass a été colonisé par des natifs des provinces centrales, des colons slaves venus des Balkans, des Grecs… Ils ont toujours parlé et parlent encore la langue russe, se sont toujours considérés comme faisant partie intégrante de l’État russe et ne se sont jamais considérés comme distincts de la Russie.
En effet, à une époque, les bolcheviks, à partir de 1919, ont activement poursuivi la voie de l’annexion de la région russophone au projet de la République socialiste soviétique d’Ukraine. Et l’explication était la suivante : diluer l’élément paysan petit-bourgeois de la Petite Russie – Ukraine avec un élément bolchevique prolétarien conscient, concentré dans le bassin houiller de Donetsk-Krivoy Rog, et à Kharkov – des régions industrielles.
Permettez-moi de vous rappeler que cette même circonstance a été soulignée par Vladimir Poutine dans son article fondateur sur l’unité des peuples russe et ukrainien.
En fait, c’est là que tout a commencé. Tous les différends et les problèmes qui pouvaient facilement être résolus à ce moment-là, en 1919, ont été rangés dans un long tiroir et comprimés comme un ressort. En fait, nous sommes maintenant engagés dans les mêmes arguments, avec les mêmes slogans, mais maintenant, comme nous pouvons le voir, avec des méthodes plus sanglantes.


VZGLYAD : Si nous revenons un peu en arrière, comment l’idée même d’une République indépendante de Donetsk-Krivoïrog est-elle née ? Qui en a été l’initiateur ?


V. K. : Le nom complet est République soviétique de Donetsk-Krivoy Rog, un détail qui n’en est pas un. Elle a été initiée par le POSDR(b), le parti bolchevique. À l’époque d’octobre 1917, le parti avait la majorité absolue, ce qui est tout à fait compréhensible : là où il y avait un prolétariat d’usine, les bolcheviks étaient forts. Dès septembre 1917, le chef du comité régional bolchevique de Kharkov, Fiodor Sergeyev, plus connu sous le nom d’Artiom, annonce le début de la mise en place d’autorités indépendantes du gouvernement provisoire.
En février 1918, lors du IVe congrès régional des Soviets des députés ouvriers de Donetsk et de Krivoy Rog, qui s’est tenu à l’hôtel Metropol de Kharkov, la république a été proclamée.
Mais il faut dire que le congrès était multipartite, et que différentes forces politiques de Russie ont pris part aux discussions. Au début, il n’y avait pas que des bolcheviks dans les autorités, mais aussi des sociaux-révolutionnaires, plusieurs sociaux-révolutionnaires de gauche ont été inclus dans le deuxième gouvernement de la République de Donetsk-Krivoy Rog, constitué cette fois non plus à Kharkov, mais à Lougansk.
Mais c’est Artiom qui était l'”âme” des bolcheviks de Kharkov, qui est aussi devenu le moteur, le principal idéologue de la création d’une DKR indépendante. Il s’est largement battu pour que cette formation soit reconnue à Moscou, ce qui a été fait. Dans un premier temps, les dirigeants de la Russie soviétique ont pris en considération la République de Donetsk-Krivoy Rog, maintenu des contacts avec elle et l’ont reconnue.
En fait, la création de la DKR était une réponse au projet séparatiste de l’Ukraine, qui s’est alors engagée dans une voie de sécession, tout en essayant de récupérer des terres qui n’ont jamais fait partie de la Malorossia historique.
Il est amusant de lire dans les manuels scolaires ukrainiens d’aujourd’hui qu’Artiom était un séparatiste et que le projet même de la République de Donetsk était un projet séparatiste. Au contraire – lors du IVe Congrès des Soviets de Kharkov en février 1918, il a déclaré que la République de Donetsk est établie comme faisant partie de la Russie. Il ne s’agissait pas d’une formation séparatiste – elle faisait partie de la République soviétique russe, ce qui était explicitement indiqué. Il s’agissait d’un projet par lequel ils essayaient de laisser les vastes terres du sud de la Russie comme faisant partie de l’État russe.


VZGLYAD : Vous avez mentionné Kharkov, qui était la première capitale de la DKR. Ainsi la république englobait un territoire plus vaste que le Donbass tel qu’il est compris actuellement ? Quelles étaient les frontières déclarées de la République de Donetsk-Krivoy Rog ?


В. K. : Ses frontières ont été clairement marquées par Artiom Sergeyev dans la note d’avril 1918, à la veille de l’occupation de Kharkov par les forces d’occupation allemandes. À cette époque, Artiom a présenté au monde entier une description détaillée. Il s’agit de Kharkov et de la vaste province de Kharkov, de l’ensemble du territoire de l’actuel Donbass, ainsi que d’Ekaterinoslav (appelée plus tard Dnepropetrovsk) et de la province d’Ekaterinoslav, y compris la ville de Krivoy Rog. La DKR comprenait également Aleksandrovsk, l’actuelle ville de Zaporozhye, et en général les territoires jusqu’à Kherson.


VZGLYAD : Il s’agit donc essentiellement de tous ces territoires qui, dans l’Empire russe, sont encore appelés Novorossia ?


В. K. : En fait, d’autres régions étaient appelées Novorossiya, du moins à la veille de la révolution. Il s’agit de la province d’Odessa, du nord de la province de Tauride, des provinces de Nikolayev et de Kherson. Le cœur du territoire de la DKR est le Donbass et la Slobojanshchina (c’est-à-dire Kharkov et ses banlieues). Initialement, au 18e siècle, lorsque les territoires n’étaient pas encore habités, ils étaient réunis par la province de Novorossiya, mais par la suite, le toponyme “Novorossiya” a été appliqué à la partie steppique de la région de la mer Noire, d’Odessa à Aleksandrovsk-Zaporozhye. Par rapport au Donbass, la Novorossia a été peuplée d’une manière différente, elle avait un mode de vie différent. Et pendant la guerre civile, il y avait leurs propres formations plutôt éphémères – par exemple, la République soviétique d’Odessa.


VZGLYAD : Odessa, Kherson et Nikolaiev ne devaient pas non plus faire partie de l’Ukraine soviétique à l’origine ?


В. K. : En ce qui concerne l’Ukraine et ses frontières… Les bolcheviks se sont disputés sur ce qu’il fallait en fait appeler l’Ukraine tout au long de l’année 1917, lorsque les organes du parti soviétique ont été formés dans le sud de la Russie. Un large débat a eu lieu. Les bolcheviks de Kiev, dirigés par Nikolai Skrypnyk et les frères Leonid et Georgy Pyatakov, préconisent d’inclure davantage de territoires dans l’Ukraine rouge. Mais de Petrograd, la réponse a été quelque chose comme ça :
“Nous autorisons les bolcheviks de Kiev à utiliser le nom ‘Ukraine’. Mais nous demandons que ce nom ne soit pas étendu aux territoires du Donbass, à Kharkov et Odessa, car la situation et les conditions y sont totalement différentes”.
Si je ne me trompe pas, c’est la réponse donnée par Yakov Sverdlov, président du Comité exécutif central panrusse, à la fin de 1917.


VZGLYAD : Dans votre livre, vous écrivez que Lénine a également soutenu au départ l’initiative d’Artiom et n’a pas soulevé d’objections fondamentales à la création de la DKR. Mais Staline, qui était à l’époque le commissaire du peuple pour les nationalités de la RSFSR, s’y est opposé. Existe-t-il des preuves en faveur de ce raisonnement ?


В. K. : Il n’y a pas beaucoup de documents officiels. Nous ne pouvons compter que sur les souvenirs, sur les sources que constituent les mémoires. Un certain nombre de mémoires suggèrent qu’Artiom a personnellement coordonné la formation de la République de Donetsk avec Lénine. La veuve d’Artiom Sergeyev, puis certains de ses associés, ont également écrit à ce sujet. En même temps, il existe des preuves que Staline parlait de la DKR comme d’une mauvaise idée, une sorte de caprice. Mais dans l’ensemble, il convient de noter que les bolcheviks ont fini par reconnaître la République de Donetsk.
Je discute souvent (ou plutôt, je discutais autrefois) avec des collègues ukrainiens parmi ceux qui donnent plus ou moins de sens à cette période. Dans l’historiographie soviétique il y a un tel point : prétendument en mars 1918 Artiom aurait reconnu la république de Donetsk comme une partie de l’Ukraine soviétique. Mais en fait, ce n’est pas le cas.
Nous devons prêter attention à un épisode très important. Après le traité de Brest et en même temps que l’accord signé par l’Allemagne avec la Rada centrale de Kiev, les Allemands développent leur attaque. En avril 1918, Skrypnyk a dissous le Comité exécutif central du Soviet d’Ukraine, qui se trouvait déjà à Taganrog à cette époque. À ce moment-là, l’armée rouge ukrainienne battait en retraite, voire fuyait, car elle n’était pas préparée à résister aux troupes du Kaiser en marche. Ainsi, lorsque le Comité Exécutif Central d’Ukraine a été dissout, les bolcheviks de Kharkov et de la République de Donetsk ont néanmoins continué a combattre les Allemands. Il existe une grande quantité de correspondance des bolcheviks de Moscou – dirigeants du PCR(b) avec les représentants de la République de Donetsk.
Cela, je le note, après la suspension du projet de l’Ukraine soviétique. Moscou a donc reconnu l’efficacité de la République de Donetsk. Et non seulement ça. En mai 1918, à Lougansk, en battant en retraite devant les Allemands, les bolcheviks ont formé l’armée de la république de Donetsk. Après cela, elle a rejoint les rangs de l’Armée rouge et est devenue connue sous le nom de 10e Armée commandée par Klim Voroshilov.


VZGLYAD : Mais finalement, malgré toute l’efficacité de la DKR et de ses troupes dans la résistance aux interventionnistes et à l’Armée blanche, il a été décidé d'”incorporer” la république à l’Ukraine. Et puis l’ukrainisation a été lancée dans le Donbass.


В. K. : Oui, au début des années 1920, la politique d’ ” enracinement ” – promotion des représentants des nations titres des républiques soviétiques à des postes de direction – a été proclamée. L’ukrainisation sauvage a commencé au même moment. Malgré le fait que les dirigeants de la République de Donetsk aient reçu la promesse solennelle que personne ne toucherait à la langue russe et que l’Ukraine ne serait pas formée selon des lignes ethniques, en tant que république nationale. Cependant, cela a été oublié presque instantanément, après quoi une politique vraiment terrible a commencé avec la fermeture des écoles et des journaux russes. Cette politique a connu son apogée à la fin des années 1920 et au début des années 1930.

VZGLYAD : La politique nationale a-t-elle été corrigée d’une manière ou d’une autre par la suite, ou l’ukrainisation des territoires ethniquement non ukrainiens – comme le Donbass – a-t-elle continué ?


В. K. : L’ukrainisation a atteint son apogée au début des années 30 – à cette époque, dans certaines villes du Donbass russophone, il n’y avait pas une seule école russe et pratiquement tous les journaux en langue russe étaient interdits. Cette politique a été corrigée par la suite, mais pas complètement abolie. La déformation des instructions de Staline en matière de politique nationale est alors condamnée. Un certain nombre de partisans actifs de l’ukrainisation se sont suicidés, comme Skrypnyk, ou ont été réprimés.
Mais je tiens à noter que les manuels d’histoire ukrainiens parlent de la fin de l’ukrainisation. Mais en fait, cette politique n’a jamais officiellement pris fin, même si les excès ont été condamnés. Un certain nombre de campagnes d’ukrainisation se sont poursuivies avant la guerre. Il existe des procès-verbaux des réunions du comité régional de Stalino (Donetsk) du parti communiste de toute l’Union concernant les taux d’ukrainisation, qui se poursuivent quasiment jusqu’à janvier 1941. Puis il y a eu la période de l’occupation hitlérienne en 1941-1943, lorsqu’ils ont essayé d’interdire tout ce qui était russe dans le Donbass, et d’imposer la langue ukrainienne à l’instigation des idéologues de l’OUN*.
Après la guerre, le centre a périodiquement rappelé la nécessité d’ukrainiser certains organes du pouvoir. Par exemple, ils ont condamné les responsables du parti qui n’avaient aucune connaissance de la langue ukrainienne.


VZGLYAD : Ainsi, les “bombes à retardement” dans les relations interethniques n’ont jamais été désamorcées.


В. K. : Au début des années 2010, alors que j’écrivais un livre sur la République de Donetsk, j’ai porté mon attention sur un détail caractéristique. Toutes ces querelles qui ont eu lieu il y a près de cent ans – à propos de la langue, de l’interdiction ou de l’autorisation de la langue russe dans l’enseignement et la presse, des relations avec la Russie – continuent de se reproduire aujourd’hui. Il suffit de masquer les noms et les dates et les discussions sur les années 1918-1919 rappellent beaucoup ce dont les médias ukrainiens ont rendu compte jusqu’à récemment.
Il ne fait donc aucun doute que l’ensemble du conflit, qui a finalement culminé dans le bain de sang de 2014, a bien été renouvelé avec les mêmes slogans, les mêmes différends non résolus, les mêmes thèmes. C’est juste que les bolcheviks en 1919 ont reporté ce conflit sans le résoudre. Alors qu’ils auraient pu le résoudre.

* Organisation(s) interdite(s) dans la Fédération de Russie.

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