Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Guennadi Ziouganov : les alliés et partenaires de Russie Unie – les Américains et les Européens – nous crachent ouvertement à la figure.

Ce texte, comme tous ceux de Ziouganov, le président des communistes russes, présente un grand intérêt, mais en particulier il aborde quelques points essentiels d’une manière novatrice. Le premier souligne, comme nous l’avons fait nous-mêmes à l’occasion de cette rencontre entre Poutine et un dirigeant vietnamien, la manière dont l’URSS demeure le fondement de toute politique souveraine de la Russie face à un occident qui n’a pas désarmé, la réussite des pays qui ont poursuivi dans le socialisme. Mais ce qu’on lit en filigrane dans cette appréciation c’est aussi la nécessité de recréer une gauche qui œuvre pour le socialisme, sinon ce seront les forces conservatrices, voire fascistes qui s’empareront des exigences des masses et les dévoieront. Le rôle des communistes n’est pas de renoncer à rassembler la gauche internationale mais de la reconstruire sur des bases de véritable progrès humain qui a besoin du socialisme. (note de Danielle Bleitrach après discussion avec Marianne Dunlop qui a assuré la traduction)

Le 2 décembre, le chef du Parti communiste russe, Guennadi Ziouganov, a rencontré à Moscou le président vietnamien Nguyen Xuan Phuc, qui était en visite officielle en Russie. Auparavant, le dirigeant vietnamien s’était entretenu avec son homologue russe Vladimir Poutine.

https://kprf.ru/party-live/cknews/207115.html

“Free Press” Andrei Polunin

6 décembre 2021

Les relations étroites entre le Parti communiste de la Fédération de Russie et le Parti communiste du Vietnam (PCV) au pouvoir revêtent une grande importance. Le Vietnam est l’un des cinq États du monde qui appliquent aujourd’hui les idées du marxisme – avec la Chine, la Corée du Nord, le Laos et Cuba. Dans le même temps, le Vietnam, grâce à ses réformes économiques, affiche des résultats impressionnants.

Le Vietnam Institute of Economics (VIE) estime que la croissance du PIB du pays devrait atteindre 6,9 % en 2021, soit 0,4 % de plus que prévu. Le VIE prévoit que la croissance annuelle du PIB atteindra la barre des 7 % au cours des dix prochaines années – et ce ne sont pas des chiffres exagérés.

L’un des objectifs fixés par le 13e congrès du PCV est de transformer le Viêt Nam d’ici 2030 – date du 100e anniversaire du Parti communiste du Viêt Nam – en un pays au développement dynamique, doté d’une industrie moderne et d’un revenu supérieur à la moyenne mondiale. Et il n’y a aucun doute – l’objectif sera atteint.

Quels enseignements la Russie peut-elle tirer de l’expérience vietnamienne ?

– Le destin m’a lié au Vietnam quand j’étais jeune, – dit le leader du KPRF Guennadi Ziouganov. – Notre organisation Komsomol, comme beaucoup d’autres, a apporté une aide fraternelle au Vietnam. À cette époque, les États-Unis occupaient le Viêt Nam dans le but de maintenir leur domination coloniale et d’empêcher le renforcement du socialisme dans la région Asie-Pacifique. Néanmoins, le peuple vietnamien, divisé en deux pays, aspirait à s’unir et à faire tout pour vaincre la rapace puissance américaine.

L’URSS a apporté un soutien maximal au Viêt Nam : elle a formé des scientifiques, des spécialistes et des commandants. J’y ai pris une part active. En outre, j’ai étudié à l’Académie des sciences sociales du Comité central du PCUS avec Nguyen Phu Trong, qui est aujourd’hui le secrétaire général du Parti communiste du Vietnam.

Nous avons communiqué avec lui à plusieurs reprises, joué au volley-ball dans la même salle et soutenu nos thèses en même temps. Ensuite, à chaque fois qu’il est venu en Russie, nous avons suivi un protocole établi : les dirigeants politiques du Viêt Nam et notre Parti se sont rencontrés, ont négocié, fait des plans, défini des perspectives d’avenir.

D’ailleurs, Nguyen Phu Trong parle très bien le russe. En 2020, il a reçu le prix Lénine du Comité central du Parti communiste de la Fédération de Russie.

Je croyais et je crois toujours que, d’un point de vue géopolitique, le renforcement de la position de la Russie dans tous les pays que nous avons aidés est une tâche d’une importance exceptionnelle.

Ainsi, lorsque le président Nguyen Xuan Phuc de la République socialiste du Viêt Nam s’est rendu en visite officielle à Moscou, il a rencontré Vladimir Poutine et les chefs de la Douma d’État et du Conseil de la Fédération. Et la visite s’est traditionnellement terminée par une rencontre de la délégation vietnamienne avec la direction duKPRF. Nous avons signé un accord avec le parti communiste du Vietnam et un mémorandum de coopération étroite, d’information et de soutien avec le parti communiste de Chine.

Depuis l’effondrement de l’URSS, nos anciens liens d’amitié se sont affaiblis. Le Kremlin comprend-il qu’il faut les restaurer ?

– Lorsque la camarilla Eltsine, avec Gorbatchev, a trahi tous les alliés de l’URSS, ce fut une tragédie tant pour notre pays que pour le mouvement communiste et ouvrier international. Les saboteurs ont porté un coup terrible à nos obligations. Permettez-moi de vous rappeler que l’équipe Kozyrev, ainsi que Eltsine, Burbulis et Shakhrai étaient tous embarqués au service de l’Oncle Sam. Ils ont exécuté toutes les directives et tous les ordres de Washington et étaient prêts à rompre toutes les relations avec nos alliés traditionnels.

Nous avons ensuite maintenu les liens au niveau des partis et insisté pour rétablir les anciens liens entre les nations et les États dans leur intégralité. Cela était, avant tout, conforme aux intérêts nationaux de la Russie et aux objectifs de renforcement de notre sécurité nationale.

Lors d’une réunion avec Poutine, quand il est arrivé au pouvoir, j’ai dit : La Russie est une puissance eurasienne, et il est très important pour nous de développer des relations sur tous les fronts. Je tiens à souligner que nous entretenons des liens étroits avec les pays européens et que notre équipe – moi-même, Melnikov, Kharitonov, Novikov et Kalashnikov – est représentée dans toutes les grandes structures intergouvernementales européennes. Avec Melnikov, j’ai travaillé pendant 20 ans au Conseil de l’Europe – nous avons étudié l’expérience des pays européens, défendu les intérêts russes, défendu la Serbie, la Yougoslavie, la Syrie, lutté pour la dignité et l’indépendance du Bélarus, combattu les nazis baltes et ukrainiens. C’était une bonne école, et en même temps une plateforme pour transmettre notre position sur les grandes questions internationales et nationales.

Mais nous accordons une attention particulière à l’interaction avec les partis communistes et ouvriers fraternels. En préparation du 100e anniversaire d’Octobre, nous avons invité toutes ces parties aux célébrations – et 132 délégations de différents pays sont venues à Moscou. Nous nous sommes réunis, nous avons adopté des résolutions communes, nous avons coordonné nos efforts – c’était un travail de la plus haute importance.

Dès mes premières rencontres avec Poutine, j’ai insisté : nous devions tout simplement signer des traités avec la Chine et le Viêt Nam – le grand héritage que nous avons reçu du pays soviétique devait être renforcé.

Je vous rappelle que l’URSS a formé plus de 600 000 spécialistes étrangers. J’ai visité 80 pays. Partout où vous allez, vous rencontrez quelqu’un qui a étudié en URSS, et cette personne s’approche de vous en vous serrant la main : je suis votre grand ami, je me souviens avec gratitude de mes années d’études, et vous pouvez compter sur nous.

Il s’agit d’un potentiel énorme en matière de politique étrangère – et il faut le renforcer !

Et comment Poutine a-t-il réagi ?

Je dois mettre ça à son crédit – il a écouté. Et quand il était sur le point de négocier au Vietnam, il m’a appelé et m’a invité à bord de son avion présidentiel. En conséquence, nous nous sommes rendus ensemble au Vietnam et avons signé un ensemble d’accords importants.

Il faut comprendre que le pays soviétique a aidé le Vietnam à construire toute son infrastructure. Toute ! De la construction de centrales électriques à l’équipement de chemins de fer en passant par l’organisation de compagnies aériennes. Un souvenir aimable et reconnaissant subsiste pour nous là-bas.

Je me souviens que, lorsque nous sommes arrivés là-bas, j’ai dit à Poutine : selon le protocole, l’ensemble des dirigeants vietnamiens vous accueilleront. Remarquez bien : sur 20 ministres, 17 parleront russe. Il a été impressionné.

Je le répète : c’est notre grand atout. Mais si nous ne commençons pas dès maintenant à renforcer ces liens stratégiquement vitaux, il n’en restera plus grand-chose dans plusieurs années.

Et qu’en est-il des liens économiques ? À l’époque soviétique, nous avons créé une coentreprise unique avec le Vietnam pour produire du pétrole offshore – Vietsovpetro. Aujourd’hui, elle rapporte deux millions de dollars par jour au trésor russe.

Lorsque Eltsine a trahi tout le monde et tout le monde, Tchoubaïs a décidé de vendre cette entreprise aux enchères également. Les fonctionnaires vietnamiens m’ont appelé : comment est-ce possible ? Je me suis rendu sur le site minier pour examiner la situation. Il s’est avéré que l’entreprise fonctionnait parfaitement, elle était tout simplement exemplaire. À mon retour, j’ai persuadé le gouvernement russe de le garder comme propriété de l’État.

Aujourd’hui, la société s’est agrandie et a créé une filiale commune, Rusvietpetro, qui s’occupe de la prospection et de la production de pétrole et fait preuve d’une très grande efficacité.

Quelles autres leçons le Vietnam offre-t-il ?

– Notre presse libérale fait beaucoup de bruit à propos du covid, des inoculations, des masques, des amendes, du harcèlement des citoyens. Et ils ne font pas beaucoup de bruit à ce sujet au Vietnam – mais ce pays a l’un des taux de mortalité par covid les plus bas. Et le Vietnam a l’un des taux de développement économique les plus élevés au monde.

Il fut un temps où la ration quotidienne des Vietnamiens consistait en une poignée de riz et quelques feuilles de chou. Aujourd’hui, le pays a atteint un stade de développement infiniment plus élevé. Les gens sont bien nourris, l’économie est en plein essor et l’industrie a réussi à maîtriser les dernières technologies. Aujourd’hui, le Vietnam –difficile à imaginer ! -, vend chaque année pour plus de 40 milliards de dollars de produits agricoles dans le monde. C’est deux fois plus que la Russie !

Et il y a aussi un littoral magnifique – de belles plages avec des baies découpées ! Les Vietnamiens produisent un excellent riz, un excellent café et un excellent thé et ont mené avec succès des réformes agraires et industrielles dans l’intérêt national, et non pour l’enrichissement d’une poignée de nouveaux riches. Ils sont prêts à signer des accords avec nous, à développer activement la coopération !

Et nous, notre équipe, sommes prêts pour ça. Nous considérons que la principale perspective stratégique pour notre pays réside précisément dans le renforcement des liens internationaux sur la voie de la gauche patriotique. Les alliés patriotiques de gauche ont toujours traité le pays soviétique, la Fédération de Russie, avec un amour énorme. Lorsque nous avons réuni 132 organisations politiques de la planète pour célébrer le 100e anniversaire de la révolution d’Octobre, toutes, sans exception, ont soutenu à la fois l’annexion de la Crimée à la Russie et le peuple de Donbass.

Et je veux rappeler une fois de plus à nos autorités : aujourd’hui, les alliés et partenaires de Russie Unie – les Américains et les Européens – nous crachent carrément à la figure. Ils nous ont imposé des sanctions, menacent d’une invasion de l’OTAN, participent à des exercices militaires sans fin dans les pays baltes, dans la mer Noire. Alors que l’opposition patriotique de gauche – les 56 organisations russes qui ont signé l’appel du KPRF aux citoyens russes – coopère activement à l’étranger avec ceux qui soutiennent réellement notre pays : la gauche en Europe, en Chine, en Inde, en Afrique du Sud.

C’est dans cette direction que nous devons construire et développer les relations entre alliés – et ainsi renforcer la sécurité et la dignité de la Fédération de Russie.

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3 Commentaires

  • Jeanne Labaigt
    Jeanne Labaigt

    Bonjour,
    C’est vraiment un article intéressant, je trouve que Ziouganov parle comme un responsable politique de premier plan de stature internationale, pas comme un toutou, ni comme un moribond s’excusant de son passé, mais comme un communiste ayant en vue un avenir socialiste pour son pays et pour l’humanité.

    Quelque chose d’une reconquête en marche est dans le ton de cet article, les bases d’un nouvel internationalisme, non hégémonique sont posées à mon avis.

    J’aimerais savoir à quoi fait-il allusion quand il dit :” les 56 organisations russes qui ont signé l’appel du KPRF aux citoyens russes “, en prolongeant par une référence aux alliés de gauche: ” la gauche en Europe, en Chine, en Inde, en Afrique du Sud” .

    Je sais que F. Roussel a rendu visite au Viet-Nam qu’il connait bien est-ce que c’est cela l’allusion? Quels sont les autres partis Communistes qui se sont manifestés? Qui sont aussi à l’intérieur de la Russie les autres organisations de gauche (56)qui se sont rapprochées du KPRF sur cette question de la position en politique étrangère?
    Marianne le sait-elle ?

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    • Marianne
      Marianne

      Il s’agit, je pense, de ce que l’on appelait des “organisations de masse”. Je cite : “56 associations publiques de jeunes, de femmes, d’anciens combattants, professionnelles et scientifiques, comités de rédaction de publications patriotiques, sociétés créatives et sportives.”

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      • marsal
        marsal

        Ce genre de réseau, d’organisations de masses politiquement engagées, qui fût une des forces du PCF nous manque cruellement aujourd’hui. Or, c’est un enjeu très important. L’existence d’un large réseau associatif populaire est un atout essentiel pour contrebalancer les mensonges et desinformations diffusées en permanence par les médias et relais de la bourgeoisie, à condition que ces organisations et associations puissent trouver un cadre leur permettant de s’engager sur des problèmatiques sociales. Les militants communistes sont très engagés dans de multiples syndicats et associations. Mais aujourd’hui, il y a comme une chape de plomb qui interdit à ces associations de prendre position. Si on s’engage, si on prend position (hors des sentiers battus de l’idéologie dominante) ne va-t-on pas être stigmatisé ? Ne risquons nous pas de perdre des adhérents ? Des subventions ? Donc, même les milliers de militants communistes investis au quotidien dans des associations diverses sont souvent contraints de s’auto-censurer.
        Nous assistons à beaucoup de battage médiatique aujourd’hui en faveur d’un accord au sommet entre partis, fut-ce sur une primaire (une grosse ficelle, au moment où la candidature de Fabien Roussel suscite un intérêt croissant).
        Or, un tel rassemblement de façade ne marche pas. On l’a vu avec la primaire socialiste de 2017, remportée par Benoît Hamon mais que les autres participants à la primaire n’ont absolument pas soutenu ensuite. On l’a vu aux régionales, notamment en Hauts de France, où, les manoeuvres de la FI ont abouti à privilégier une tête de liste verte au détriment de la proposition initiale d’une liste conduite par Fabien Roussel. Résultat : les partis ont certes conclu un accord électoral, mais il n’y a quasiment pas eu de campagne.
        Surtout ce type de rassemblement artificiel, d’accord de façade occulte fondamentalement la nécessité d’un véritable rassemblement populaire, un rassemblement des masses pour l’action commune et non un rassemblement de têtes d’affiches pour une élection. C’est cela notre enjeu majeur, et Fabien Roussel l’a rappelé souvent dans ses discours. Notre projet de changement social ne peut être porté simplement par notre parti. Il doit irriguer en profondeur toutes les couches de la société.
        La campagne de Fabien s’organise d’ailleurs autour de rencontres, visites et échanges avec les réseaux associatifs et syndicaux pour partager leurs préoccupations et les propositions qui les concernent. Là est le véritable travail de rassemblement du peuple.
        Pour passer de la discussion à l’engagement collectif dans un projet commun, dans un large et véritable rassemblement populaire, il faudra développer ces discussions au plus près du terrain et trouver le moyen de faire sauter le verrou qui freine voire empêche aujourd’hui les militants associatifs de s’engager plus ouvertement dans un projet social et politique. Beaucoup de travail devant nous, mais je crois que nous sommes sur la bonne voie.

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