Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Comment Erdogan et Poutine peuvent aider la Palestine, par Piotr Akopov

Voici encore une voix venue de Russie également d’origine arménienne et un de nos commentateurs favoris qui dit avec simplicité ce que nous cessons de tenter de faire comprendre aux amis de la Palestine en France. L’article a le mérite de prendre de la distance et de ne pas se limiter à un affrontement juifs et arabes mais à voir la dimension historique qui en fait l’épicentre de tensions internationales accumulées. C’est donc en fonction de leur propre histoire que Erdogan (successeur de l’empire Ottoman) et la Russie (successeur de l’empire chrétien d’orient mais aussi de l’URSS) doivent suivant Akopov intervenir pour aider les Palestiniens à avoir une patrie. L’article dit exactement ce que nous ne cessons d’affirmer. Israël joue une stratégie totalement suicidaire qui repose uniquement sur la force des États-Unis. Cette force est en train de s’affaiblir, l’empire est sur le déclin et il ne tiendra plus ses frontières mais le suicide sera un grand embrasement. Ici comme ailleurs sera-t-il possible d’imposer une solution de paix qui accompagnera la transition ou est-ce que ce sera le choix d’une apocalypse? Socialisme ou barbarie, est-ce que Poutine et Erdogan n’ont pas justement une vision impérialiste incapable elle-même d’aller vers une issue, même si Poutine revendique la filiation diplomatique de l’URSS comme le montre l’analyse optimiste d’Akopov (note de Danielle Bleitrach, histoireetsociete)

https://ria.ru/20210513/palestina-1732056926.html

Le président turc Recep Erdogan a proposé à Vladimir Poutine de travailler ensemble pour aider à mettre fin au conflit qui s’enflamme autour de Jérusalem. Et pas seulement pour solliciter l’intervention du Conseil de sécurité de l’ONU : le dirigeant turc a avancé l’idée “d’envoyer des forces de sécurité internationales dans la région pour protéger les civils palestiniens”, comme l’a indiqué la partie turque dans son rapport sur les pourparlers.

La Turquie est l’héritière de l’Empire ottoman, qui, il y a un siècle, régnait sur Jérusalem et toute la Palestine. Et la Russie est le successeur de l’Empire russe, qui a protégé les chrétiens en Terre Sainte, et de l’Union soviétique, qui a soutenu les Arabes dans leur lutte pour la création d’un État palestinien. Au cours des années qui ont suivi le lancement de notre opération en Syrie, la Russie et la Turquie, à force de coopération et de différends, d’opposition et de compromis, sont devenues les acteurs les plus actifs au Moyen-Orient – mais peuvent-elles gérer la question éternelle de Jérusalem ? Et la question du conflit israélo-palestinien en général, car elle est considéré comme insoluble en principe. Et avec qui doit-elle être résolue ? Qui sont réellement les parties au conflit ?

Les problèmes seraient moindres s’il ne s’agissait que d’une dispute entre Arabes et Juifs au sujet de la ville sainte de trois religions, mais la lutte pour Jérusalem elle-même est le centre, l’intersection de toutes les contradictions mondiales majeures, un symbole de la crise de l’ordre mondial. L’ordre mondial à l’apogée duquel l’État d’Israël a été créé et le conflit israélo-arabe a commencé à se développer.

En prenant la Palestine à l’Empire ottoman en déclin, les Britanniques ont encouragé l’immigration juive en Terre sainte – les Juifs voulaient retrouver la patrie qu’ils avaient perdue deux mille ans auparavant. Personne ne s’est soucié de savoir comment ils allaient s’entendre avec les Arabes sur place : on supposait qu’ils parviendraient à un accord après le départ des Britanniques. Après la catastrophe des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, la question de la création de deux États sur le territoire de la Palestine, Israël et la Palestine arabe, a fait consensus dans les deux camps opposés, l’URSS et l’Occident. Mais les guerres qui ont immédiatement éclaté entre les Arabes et les Juifs n’ont pas permis la création de la Palestine ; et après 1967, lorsqu’Israël a occupé Jérusalem-Est, qui comprenait la vieille ville, les choses ont très mal tourné. Alors qu’auparavant, selon les décisions de l’ONU, Jérusalem devait devenir une unité administrative spéciale sous administration internationale, commence maintenant l’expansion progressive d’Israël, qui décide de s’en emparer non seulement physiquement, mais aussi juridiquement.

L’annexion était censée clore la question de l’appartenance de la ville, mais jusqu’à récemment, quasiment personne dans le monde ne reconnaissait Jérusalem comme israélienne. Cependant, l’année dernière, les États-Unis l’ont reconnu – à condition qu’à l’avenir un État palestinien ait une espèce de capitale dans la banlieue est de Jérusalem. Le plan de Trump a été rejeté à la fois par les Palestiniens et par le monde islamique dans son ensemble : à la fois parce que les nouvelles frontières qu’il proposait pour la Palestine étaient une passoire divisée en deux (la bande de Gaza et la Cisjordanie, percée des nombreuses enclaves israéliennes de colonies illégales), et parce que les Arabes se voyaient refuser le droit à une capitale à Jérusalem. Le conflit actuel, par une coïncidence symbolique, a débuté la veille de la journée d’Al-Quds, c’est-à-dire la journée de Jérusalem, célébrée par tous les musulmans le 7 mai.

Dès le 4, des affrontements ont éclaté dans le quartier de Sheikh Jarrah, à l’est de Jérusalem, lorsque la police israélienne a tenté d’expulser plusieurs familles palestiniennes de leurs maisons pour les donner aux Juifs. Le lendemain, un Palestinien de 16 ans a été abattu en Cisjordanie, et le 7, des affrontements ont éclaté sur le mont du Temple et l’armée israélienne a pris d’assaut la mosquée al-Aqsa. Non seulement le jour d’Al-Quds, mais aussi à la fin du mois sacré du Ramadan – il n’est pas difficile de prévoir la réaction du monde islamique à ce qui se passait. Les images de Juifs dansant joyeusement sur le Mont du Temple devant le feu n’ont fait que convaincre le monde islamique qu’Israël voulait s’emparer et détruire leurs lieux saints et construire à leur place son fameux troisième temple. Le bombardement d’Israël depuis Gaza (cinq Israéliens tués à la suite de cette attaque) et les attaques de l’armée israélienne sur Gaza (plus de 50 personnes tuées), les émeutes et les affrontements dans les villes à population mixte en Israël même…tout se dirige vers une nouvelle intifada – un soulèvement général des Palestiniens.

Bien sûr, on pourrait chercher les raisons de l’aggravation actuelle dans divers sujets d’actualité : la crise politique intérieure en Israël (Netanyahou est conscient que l’approche des cinquièmes élections parlementaires en deux ans ne changera rien, et est prêt à une petite guerre victorieuse afin de renverser la situation dans la lutte pour le pouvoir) ou le désir de perturber le retour imminent des États-Unis à l’accord nucléaire avec l’Iran (en provoquant Téhéran à aider activement les Palestiniens). La cause fondamentale non résolue de l’effusion de sang actuelle – l’absence d’un État palestinien à part entière et la revendication par Israël du contrôle de la Jérusalem historique – est toutefois plus importante.

Si ces questions ne sont pas résolues, rien ne changera – de “petites guerres” éclateront constamment, dont l’une se terminera tôt ou tard par une très grande guerre, même à l’échelle plus que régionale. La banalité de l’affirmation selon laquelle Jérusalem est la poudrière de l’humanité ne signifie pas que nous ne pouvons rien faire et qu’il faille attendre que tout se refroidisse de soi-même. Le monde entier ne fait qu’aggraver la situation en tergiversant. Pourtant, sa résolution démontrerait la capacité du monde à s’entendre, ne serait-ce que pour éviter une catastrophe.

Le principal obstacle à un règlement est le fait que l’État d’Israël n’est, à bien des égards, qu’une simple succursale des États-Unis au Moyen-Orient – la partie mondialiste de l’élite américaine (qui ont pour origine des puritains et protestants se considérant comme le “Nouvel Israël”) considère la défense d’Israël comme une priorité absolue pour l’Amérique. D’où l’intransigeance totalement suicidaire (au sens stratégique) d’Israël sur la question palestinienne et sur Jérusalem – même les exhortations des Israéliens qui insistent sur le fait qu’un divorce pacifique avec les Palestiniens n’a pas d’alternative ne sont pas prises en compte. Israël propose aux Palestiniens un “État” incomplet et dépendant, ainsi que le renoncement à Jérusalem – sachant pertinemment que ni l’un ni l’autre ne sera jamais accepté par les Palestiniens, ni par le monde islamique dans son ensemble. Donc le seul espoir d’Israël est la force, pas même la sienne, mais celle de l’Amérique. Et les divorces sans fin, c’est-à-dire les tentatives de négociation avec les différents pays arabes, un par un, en vue d’une réconciliation.

Mais que se passera-t-il lorsque la puissance américaine s’affaiblira, non seulement au Moyen-Orient, mais à l’échelle mondiale (ce qui est inévitable à moyen terme) ? Que se passera-t-il lorsqu’il ne sera plus possible de maintenir les Palestiniens dans des réserves comme Gaza ? Que se passera-t-il lorsque le monde arabe aura surmonté la crise, le désarroi et la confusion, et se sera débarrassé de toute influence extérieure ?

Ce sont des questions auxquelles l’élite israélienne moderne ne veut pas répondre, pensant que le pouvoir sera toujours de son côté. Mais le monde change rapidement – et l’ordre mondial atlantique et anglo-saxon est en train de devenir une chose du passé. Si Israël veut continuer d’exister dans le futur, il devra se transformer d’un projet occidental en un État normal, divorcer pacifiquement des Palestiniens et se réconcilier avec les Arabes – il n’y a pas d’alternative à cela. Tout retard dans la résolution de la question palestinienne ne fait que rendre les futures tentatives militaires de résolution par les musulmans de plus en plus sanglantes, et il y en aura, c’est certain. Israël n’a pas de problèmes avec l’Iran, comme le prétend Tel Aviv, mais avec le monde islamique d’un milliard et demi de personnes qui ne renoncera jamais à Jérusalem. Et les catholiques et les orthodoxes aussi se soucient du sort de la ville sainte.

La solution pour sortir de cette impasse de plus en plus sanglante se trouve à l’endroit même où tout a commencé, à savoir la résolution n° 181 de l’Assemblée générale des Nations unies du 29 novembre 1947 sur la partition de la Palestine (c’est-à-dire la création de deux États). Elle stipulait explicitement que la communauté internationale prendrait le contrôle de Jérusalem – celle-ci devait devenir une entité distincte dotée d’un régime international spécial sous l’administration des Nations unies. Peut-être que la mise en œuvre de l’ancienne idée permettrait de briser le cycle de la violence et de la haine.

Après tout, il y va de l’intérêt non seulement de tous les habitants de Jérusalem, mais aussi de toutes les civilisations, tant chrétiennes que musulmanes. Et du monde entier – car un nouvel Armageddon touchera en même temps que les autres les bouddhistes et les athées. Sans compter que le fait de renoncer à l’annexion de Jérusalem sauvera stratégiquement Israël aussi, bien qu’il y ait tant de gens là-bas qui ne veulent pas encore comprendre ou reconnaître cela.

L’offre d’Erdogan à Poutine n’est pas réalisable pour le moment, mais à court terme, la communauté mondiale (avec la participation active de la Russie) doit s’attaquer au problème de Jérusalem. Avant qu’il ne soit trop tard.

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