Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Hillary Clinton versus le complexe militaro-algorithmique :

Article de Baran mais je pense que chacun aura reconnu son style inimitable et ses préoccupations à savoir comment les forces productives, le numérique détermine une transformation de l’hégémonie et les USA qui pédalent derrière. (note de danielle Bleitrach pour histoire et sociéte)

la guerre cognitive ou l’idiocratie en question

UNITED SOCIALISTS OF AMERICA

Source vidéo :https://youtu.be/CHUdbhnvlR4?t=800

Dans un entretien du 6 mai 2021, avec William Hague, intitulé “the future of liberal démocracies”, au Royal Institute of International Affairs, Hillary Clinton fait une revue des troupes ennemies des régimes démocratiques. Sur la base du rapport Mueller, confirmant l’ingérence de la Russie dans les élections US de 2016, Hillary Clinton désigne l’état russe comme l’adversaire principal des États-Unis dans le concours olympique aux interférences démocratiques.

Dans une Amérique secouée par l’invasion du Capitole, la Chine, que l’on devine visée par le vocable de « force maligne », n’est que médaille d’argent de la discipline de déstabilisation politique identifiée par Clinton. Aussi, dans l’extrait que je vais traduire pour Histoire et Société, l’ancienne secrétaire d’État attire l’attention sur le piège des algorithmes déréglementés et la responsabilité de la Big tech dans la débandade politique du Capitole. Ce qu’elle appelle le « capitalisme de surveillance », fondé sur des algorithmes opaques mais libres de contrôle, exposerait les États-Unis à une déstabilisation endémique des forces trompeuses, par la mise à prix du cerveau des populations. En effet l’écosystème organisé autour de la data-marchandise, poussant les opérateurs technologiques à mettre aux enchères les données personnelles, permettrait de cibler à haute précision les individus des pays démocratiques sans se préoccuper de l’usage des opérations. On parle de « data-marchandise » mais c’est là une abstraction. C’est bien le corps démographique qui est la marchandise des opérations capitalistes et non-capitalistes. Les destinataires pouvant être tout aussi bien des annonceurs intéressés à la vente de produits que des acteurs dont l’objectif serait de favoriser « une idéologie, une religion, un candidat, un parti politique »[1]. Ainsi, les forces productives de la Silicon Valley autoriserait une pénétration malveillante des « sociétés ouvertes » d’après Clinton. Le point sur lequel elle attire l’attention est l’hyper-sociétalisation de la connerie (la bombe C), comme si quelque chose (des algorithmes de plus en plus intelligents) aliénait la raison du peuple.

L’ensemble politique qu’elle qualifie d’hostile à la démocratie libérale est constitué de tous les États voyous pourvus de moyens technologiques. Néanmoins, elle désigne principalement deux chefs de file dans les forces antidémocratiques:

  1. La Russie et ses apparatchiks, encore nostalgiques des forces du passé (les rouges frelatés du soviétisme).
  2. La République populaire de Chine et son idéal communiste (les rouges vifs” pour reprendre l’expression d’Alice Ekman).

Les deux rouges semblent complémentaires dans leur travail de sape démocratique. La Russie, économiquement asphyxiée sous l’ère soviétique, tiendrait sa vengeance en stimulant l’ascension du “conomètre” des démocraties libérales. Pendant que les losers moscovites s’évertueraient à développer un projet d’envergure consistant à inoculer cette nouvelle forme de napalm sociétal, la Chine, de son côté, continuerait à accroître ses avantages économiques en exploitant les contradictions du capitalisme monopoliste financier mondialisé.

Telle est l’actuelle division internationale du travail anti-démocratique, si l’on en croit le narratif d’Hillary Clinton. Le piège contre les démocraties serait donc double. Il se ferait par le ventre sous leadership chinois (poison économique) et par la tête sous leadership russe (poison algorithmique). Bien entendu, je simplifie le modèle de Clinton mais c’est un fil rouge que l’on peut retenir pour suivre son propos d’ensemble. Ainsi, d’un point de vue idéal-typique, les stratégies d’attaques à dominantes techno-cognitives[2]sont affectées à la case Russie (force du passé) et celles effectuées par des moyens économiques sont assignées à l’autre opposant, la Chine (force émergente).

Dans son bilan de la situation des démocraties, Hillary Clinton ne néglige aucun des deux dangers de la mondialisation contemporaine. Que ce soit avec le cas pratique Trump, considéré par les démocrates comme le plus célèbre des cons cybernétiques russe, déstabilisant jusqu’à l’appareil d’Etat, ou avec la délicate question de la dépendance aux semi-conducteurs asiatiques, elle y va franchement, sans qu’elle se risque toutefois à réfléchir à la genèse de la connerie de masse ou des raisons systémiques qui ont porté le capital d’origine occidental vers l’outsourcing industriel… Pour autant, les effets de l’idiocratie sont exprimés en synchronicité avec la perspective de perte de contrôle des Etats-Unis sur les moyens de production et d’échange. En ce sens, la cohérence de la vision globale d’Hillary Clinton est redoutable. L’ancienne secrétaire d’Etat fait calmement le retour d’expérience de l’Etat financier, en disant dans le fond (lecture en creux) : “qu’est-ce qu’on a été cons de laisser partir les moyens de production en Chine et de laisser pousser les monstres de la tech!” Son champ d’observation reflète le maximum de conscience possible de la classe politique occidentale actuelle.

Dans le premier morceau d’interview qui va suivre, elle détaille ce qui l’amène à penser la connerie comme une arme de destruction massive, la bombe C, dont il faut impérativement que les leaders américains régulent les flux. La guerre cognitive, par une série d’opérations de manipulation des algorithmes, serait devenue le moyen de fertiliser sur les terres de l’Etat libéral, des silos d’idiots utiles aux autocraties:

« Récemment, la Russie s’est montrée comme le principal adversaire lorsqu’il s’agit d’interférer dans les élections, ou plus généralement dans la démocratie, mais vous avez raison de mentionner l’Iran, j’ajouterais la Chine, la Corée du Nord. N’importe quel acteur ayant une capacité cybernétique et qui a vu le succès de l’ingérence russe dans notre élection de 2016, qui a été prouvée de manière irréfutable, mais aussi les efforts continus de la Russie pour influer sur la période ayant précédé les élections de 2020, en particulier sa préparation. Aussi, je pense qu’il y a implication, si ce n’est pas une influence de la Russie concernant le Brexit. Il y a beaucoup de preuves de corruption d’élus par la Russie dans toute l’UE, particulièrement en Europe de l’Est. La République tchèque vient tout juste d’expulser un vaste groupe d’agents de renseignement russes.

Il y a un effort de la part de la Russie pour soutenir les partis politiques et les candidats en Europe et partout ailleurs, où selon eux, ils favoriseraient leurs intérêts. C’est donc une histoire très particulière de ce qui s’est passé aux États-Unis et continue aujourd’hui. Donc, que pouvons-nous faire? Premièrement nous devons exiger des dirigeants, qu’ils soient conservateurs, libéraux, de droite ou de gauche, d’être prêts à s’opposer et à s’exprimer contre l’ingérence russe ou contre toute ingérence notable de puissance étrangère… Mais restons concentrés sur la Russie! Il doit y avoir une plus grande prise de conscience de la part des médias de ce que cela signifie. Vous savez nous vivons dans une ère d’informations instantanées et les histoires sont diffusées par ce qu’on appelle les media “mainstream”. Nous venons de faire face à un effort de renversement d’une élection dans notre pays le 6 janvier, un fait qui n’est pas si lointain et pourtant les médias n’en parlent presque plus! Les politiciens qui ont soutenu et encouragé cet effort, qui ont voté contre la légitimité de l’élection, apparaissent régulièrement dans nos médias et les intervieweurs leur posent rarement la question, si tant est qu’ils la posent: « comment pouvez-vous être ici alors que vous persistez à mentir sur les résultats de l’élection? ».  En fait, les efforts pour renverser l’élection afin de changer l’électorat continuent à un rythme soutenu. Les dirigeants doivent comprendre qu’aujourd’hui cela peut me concerner moi ou les démocrates, mais cela pourrait une autre fois être votre tour, celui des républicains ou n’importe quel autre leader et parti politique. Deuxièmement, les entreprises technologiques doivent rendre des comptes sur le rôle qu’elles jouent dans le processus de sape de l’écosystème de l’information qui est absolument essentiel au fonctionnement de toute démocratie. Si vous en arrivez à un point -et nous n’en sommes pas loin- où vous ne parvenez plus à vous mettre d’accord sur les faits, sur les preuves, sur la vérité, comment une démocratie peut-elle prendre des décisions? Ce que nous avons dans le monde de la technologie, sur les plateformes de médias sociaux, est un algorithme qui pousse vers un puits conspirationniste dans lequel les gens sont incités à descendre et en devenir dépendants. Car c’est comme regarder des accidents de voiture en continu: vous ne pouvez pas vous en détourner! Ayant été accusée de pratiquement tout ce qu’on peut imaginer (N.d.T. : rire), je sais combien c’est un outil puissant.  Je veux dire… les mensonges scandaleux alimentent un mouvement d’aliénation et pourtant l’algorithme des plateformes des médias sociaux, poussés par le profit publicitaire, se trouvent eux aussi pris dans une dynamique d’addiction difficile à briser et de fait ils ne font rien pour s’en écarter!

C’est donc aux gouvernements qu’il reviendra (j’espère même qu’il y aura des règles mondiales, mais commençons par les gouvernements) d’essayer de mettre un frein à la désinformation sur les plateformes des médias sociaux. La désinformation sert certainement les intérêts de la Russie, mais aussi ceux d’autres acteurs malveillants. Et enfin, William, je suis heureuse de voir la façon avec laquelle le président Biden tient tête à Poutine et aux russes. C’est, comme vous le savez, un acte d’équilibre politique très délicat car il y a des choses sur lesquelles nous devons travailler avec la Russie, comme avec tous les pays. Vous avez cité le changement climatique, évidemment que nous devons travailler sur ce sujet. Mais je pense qu’il est très clair qu’à moins d’envoyer des signaux forts et de tracer des lignes, quant à ce qui sera toléré dans le comportement de Poutine et de son élite oligarchique, nous ne parviendrons pas à maîtriser ce comportement. Il y a trop de récompenses relatives à la perturbation de la démocratie, à l’ébranlement de la foi de l’Occident en lui-même. C’est le rêve de Poutine et des anciens apparatchiks communistes (N.d.T : rire) qui rêvent encore de l’Union soviétique et des jours de gloire passés… Et si nous ne le faisons pas, c’est-à-dire si nous ne tenons pas comme responsables les oligarques de leur mauvais comportement dans chaque pays où ils se comportent mal, ne les empêchons pas d’influencer les élections, les politiciens et d’autres types d’organisations… (N.d.T : elle ne termine pas son raisonnement) car je ne pense pas qu’il y ait le moindre doute sur le fait que cela est effectué sciemment ou avec l’approbation du kremlin. »

La connerie-virus est russe (représentation Biden) et le coronavirus est chinois (représentation Trump). Dans son inventaire Hillary cherche à synthétiser les résultats de la recherche fondamentale issue des grandes familles politiques US.  Elle le dit ouvertement, il faut se réconcilier, s’accorder sur un minimum commun, sinon les barbes rouges vont manger les petits enfants américains. Elle sait que rien ne sera possible sans accord avec les conservateurs. Pour ceux qui maitrisent l’anglais vous pourrez constater, dans le contenu de cet entretien d’une heure, que j’en rajoute à peine. La lutte exemplaire des États-Unis contre l’URSS revient plusieurs fois sur la table de discussion.

Notons, en passant, une remarquable différence entre la configuration géopolitique de l’Europe et celle des Etats-Unis au niveau de l’expression de ses représentations politiques internes (à l’exception peut-être des PECO). Là où en Europe les investissements idéologiques tournent surtout autour de la Méditerranée et de la figure islamo-gauchiste, avec en France l’image du sarrazin ayant contourné Poitiers, il y a dans le modèle nord-américain une centralité de la zone pacifique, avec pour substrat idéologique les schémas néo-maccarthystes du “communisse” souhaitant renverser les prévisions de Fukuyama. Face à l’affaiblissement du modèle occidental dans la mondialisation contemporaine, c’est les invasions arabes pour les uns et l’hostilité “communisse”[3]pour les autres, qui sonnent le tocsin du grand remplacement de la démocratie libérale.

D’après les experts, la bombe C, serait constituée comme une bombe A classique, si l’on peut dire, mais chargée d’un noyau lourd de connerie, transportée dans une chemise algorithmique à hypersegmentation nucléaire. Les destructions causées par la chaleur et le souffle des plateformes seraient les mêmes que dans le cas d’une bombe A portant une charge équivalente et éclatant dans des conditions analogues.Mais la chemise métallique des circuits numériques serait gazéifiée par l’explosion, et les innombrables poltrons et têtes de cons que libèrent les réactions de fission rendraient radioactifs une large part des noyaux cérébraux.[4]

Or il est inacceptable pour la démocratie des lumières d’accepter de se laisser mourir d’une nébuleuse de connerie téléguidée par des puissances de calcul autocratiques. Que les ogives viennent des frustrés revanchards moscovites ou des pékinois (dont le complexe militaro-algorithmique ne semble pas encore spécialisé dans la propulsion d’idiots intercontinentaux) importe peu pour Hillary. L’important, d’après l’ancienne première dame, c’est qu’il faille administrer une dose autoritaire dans les algorithmes des plateformes afin de protéger l’opinion des attaques étrangères à la démocratie.

A l’échelle de la géopolitique interne, le business model des médias sociaux surexpose les États-Unis à des opérations de malversation cognitive (junkheads). Si la télévision occupe encore une place majoritaire du temps de cerveau disponible (en volume plus de deux fois celui du temps de travail), la multiplication du nombre de chaînes et le nouveau socle technique de services mondiaux bouleversent son rôle de lien social. Les audiences se dispersent, stagnent et déclinent à partir de 2017. Au contact des plateformes numériques, la sphère télévisuelle est obligée de numériser ses opérations. La transformation numérique permet au capitalisme intersubjectif de franchir un cap dans l’exploitation du cœur et des âmes. Il réalise la transition des formes d’exploitation propre au capitalisme monopoliste d’Etat à celles du capitalisme monopoliste financier mondialisé. Il n’en reste pas moins que le développement technique des forces de production intersubjectives accélère l’entrée en crise des appareils organisés du 20ème siècle. L’œuvre de Michel Clouscard permet de relativement bien comprendre la séquence de rétrogradation des macros-acteurs, éditeurs de valeurs (États, églises, partis, syndicats) au sein de la civilisation audiovisuelle post-plan Marshall (filière cinéma et centralité du couple télévision+radio)[5]. Dans un contexte d’hyper choix et d’usages de nouveaux outils de communication horizontale, les grands prescripteurs ou critiques traditionnels sont déclassées par l’accélération des modes d’expression. Si les grands évènements de la société civile ne se font pas sans les chaines de télévision, avec l’ère numérique, ces dernières perdent leur centralité d’antan. Facebook et Google vampirisent une large part des recettes publicitaires, les productions Youtube et Netflix concurrencent leurs grilles de programmes. En France et dans le monde ce n’est plus Canal+ ou les majors du cinéma mais Netflix, qui devient avec le svod la première référence en matière de films et de séries (premier producteur hollywoodien). Google pèse avec Youtube deux cents fois le groupe TF1 ! Le champ qui est en train de se créer par la rencontre de la Silicon Valley et de l’audiovisuel permet de réaliser ce que le plan Marshall ne pouvait même imaginer après-guerre : « un espace audiovisuel mondial américanisé, du haut en bas de la filière, d’Hollywood à nos salons. Car la plus grande faiblesse de l’industrie européenne de l’audiovisuel n’est sûrement pas dans son manque de créativité ou de talents, ni même dans son éparpillement en marchés nationaux. Elle est à chercher dans son faible soutien de la part de la finance européenne »[6].

En effet, le mouvement de fusion des plateformes et de l’audiovisuel torpille les cadres de souveraineté sous l’auspice des ressources offertes par les quatre plus grandes firmes de gestion d’actifs du monde (Vanguard, Blackrock, State Street, Fidelity). En moyenne, plus de 70% du capital des MAGNAF (Microsoft, Apple, Google, Netflix, Amazon, Facebook) est détenu par des fonds de pension américains, dont les quatre plus gros – cités plus haut – sont les premiers détenteurs de leurs actions. Ainsi, comme le disait Christian Riochet, penseur aux préoccupations injustement négligées par les communistes, « la rencontre des intérêts de classe est vertigineuse ».[7]L’échelle financière de ces zinzins pas comme les autres permet de regarder les conflits entre les multinationales du numérique et de l’audiovisuel comme des querelles intra-familiales, remplissant les lignes du bottin mondain, mais ne remettant pas en cause la stratégie long-terme d’une seule et même entreprise capitaliste. Idem pour ce qui concerne les querelles politiques ! Que le parti républicain soit un groupe de notables dirigé par des héritiers, façon Bush fils et Cheney fille[8], ou qu’il devienne un appareil animé par des clowns de réseaux sociaux n’importe pas vraiment les fonds de pension. Force est de constater que l’émergence de la bombe C ne pose pas de réels problèmes à cette haute finance. L’abrutissement généralisé peut même se considérer comme une extension culturelle de son modèle de déréglementation et de désintermédiation. Pour reprendre la formule d’Alain le Diberder, les algorithmes de Twitter devenant « l’AFP du pauvre » et Youtube la nouvelle éducation nationale, cela devient difficile de porter la parole politique avec les conventions traditionnelles d’Harvard et de Yale.  Hillary Clinton semble regretter l’âge d’or d’une connerie linéarisée, d’avant le triomphe des technologies « disruptives » qui par ses algorithmes de recommandation toujours plus spectaculaires et provocateurs entrainent l’opinion dans un multiplicateur de puissance.

Les moins-values intersubjectives rendues virales par la Big tech se seraient matérialisées dans l’opinion avec l’émergence tous azimuts de narratifs conspirationnistes, minant la foi dans les institutions. Son apothéose s’est réalisée avec l’insurrection massive des cons du Capitole. En réaction à la faille techno-politique, Hillary appelle les dirigeants du monde libre à resserrer le contrôle de la bombe C, laissée entre les mains des entreprises technologiques, incapables de réformer le caractère anarchiste et dangereux de ses médias sociaux[9]. Si la conométrie (aidée par des forces obscures) continue de grimper, la perte de repères communs conduira les démocraties à s’autodétruire d’après Clinton.

Je garde le meilleur pour la fin avec la réponse clintonienne à la menace économique chinoise. Ainsi, je passe sous silence les leitmotivs des droits de l’homme, du changement climatique, du contrôle de l’armement, du programme nucléaire chinois, car ce sont désormais des classiques de la politique étrangère US. Ce qui est relativement nouveau, c’est qu’après avoir lancé un appel à une meilleure socialisation des moyens de produire de l’information, pour endiguer la malveillance russe, Clinton fixe comme impératif économique, une socialisation des forces productives dans son ensemble ou du moins, elle préconise la fondation d’une Super Ligue des Démocraties (SLD) pour rapatrier les moyens de production nationaux afin de protéger l’état financier de sa dépendance à la Chine. Jugez par vous-même du plan clintonien d’une United Socialists of America, qui pourrait s’il en prenait connaissance, ravir Fabien Roussel :

« Vous savez qu’il y a une anxiété permanente à l’idée de contrarier les chinois et cela pour deux grandes raisons. L’une a été évoquée par Henry Kissinger, avec l’idée selon laquelle cela pourrait mener à une guerre tout court mais il y aussi le rôle de la question économique. Il est temps de reconnaitre que nous devons reconstruire nos propres chaînes d’approvisionnement même si cela nécessite un certain niveau de productivité industrielle subventionnée. Nous ne pouvons pas être dépendants du marché chinois, ce n’est pas seulement mauvais pour nos économies, c’est également mauvais pour nos intérêts géopolitiques stratégiques. Regardez ce qui s’est passé avec le manque d’équipements, de protections individuelles ou de certains adjuvants pharmaceutiques lorsque la pandémie a frappé. Nous étions à la merci de la Chine. Nous ne pouvons pas laisser cela continuer et nous devons travailler ensemble de part et d’autre de l’Atlantique pour trouver comment faire afin de relocaliser la production. Est-ce que cela aura un faible coût ? Bien sûr que non… Et comment établir nos systèmes fiscaux et d’autres arrangements afin d’inciter nos entreprises à revenir dans les démocraties occidentales pour produire des choses ? Aussi, je voudrais ajouter que de plus en plus d’entreprises voient, à moins qu’elles ne soient dans la production textile à bas prix (qui comme vous le savez ne sera probablement jamais relocalisée pour toutes les raisons évidentes que l’on connait…), mais s’ils produisent quelque chose de plus sophistiqué, le gouvernement chinois, par la coercition, par des réglementations injustes ou par des partenariats contraints ou des accords de redevances, vole lentement les droits de propriété intellectuelle ! Donc quoi qu’il arrive, je pense que nous devons être plus intelligents dans notre façon de gérer la menace économique et les gens qui disent « oh, vous savez que ça perturbe le marché ». La Chine a perturbé le marché ! La Chine n’est pas une économie de marché libérale. Ce n’est pas faute d’avoir essayé ! Nous les avons laissé entrer dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Nous avons installé nos entreprises là-bas. Nous avons conclu des accords commerciaux mais c’est une économie contrôlée du haut vers le bas ! Vous ne pourrez jamais rivaliser et gagner contre eux à moins de reprendre les moyens de production et il est grand temps que nous essayions de le faire et je sais, nous savons, que l’administration Biden est très désireuse de rétablir nos propres chaînes d’approvisionnement mais nous devrions le faire de concert. »

Ainsi, à travers les positions politiques tourmentées de Clinton on perçoit l’ampleur des difficultés de gestion des rapports sociaux en régime capitaliste. La civilisation bourgeoise doit gérer le « merdier intersubjectif »[10]et faire son « Marximum»[11] pour socialiser les forces productives (algorithmes compris) en s’épargnant tout passage au socialisme. C’est une poursuite de cette ambitieuse économie politique que réclame Hillary Clinton à la SLD face aux défis des États voyous. Nonobstant la Chine, la Russie ou la Silicon Valley, la théoricienne libérale a devant elle la réalité des fonds de pension.


[1]Chatham House, “The future of liberal democracies: In conversation with William Hague and Hillary Clinton”, https://youtu.be/CHUdbhnvlR4?t=1280

[2] On pourrait y ajouter aussi les cyberattaques sur les infrastructures, comme celle ayant paralysée Colonial Pipeline, un oléoduc alimentant 1/3 des USA. Même si on ne sait pas correctement identifier les donneurs d’ordre et leurs motifs réels, les gros titres tendent très souvent à voir derrières ces actes, les mains de la Russie.

[3] Fixation idéologique reprenant progressivement la place de la doctrine développée après l’attaque du World Trade Center.

[4] C.-G. BOSSIÈRE, La bombe C, Le Monde, https://www.lemonde.fr/archives/article/1953/09/10/la-bombe-c_1987747_1819218.html

[5] Pour rappel, Clouscard décèle dans le plan Marshall le programme impérialiste de transition d’une Europe des petits commerces locaux (faiblement connectés à Hollywood), à celle des grandes multinationales culturelles, avec de nouveaux codes de dressage anthropologique.

[6] Alain le Diberder, La nouvelle économie de l’audiovisuel, Repères, 2019, p.121

[7] Christian Riochet, Le Manifeste Communiste, extrait des chroniques « Là oui, je marche ! », 2012

[8] Signe des temps nouveaux, le clan trumpiste vient d’éjecter la fille de Dick Cheney de la direction du parti républicain.

[9] Un personnage comme Trump étant à l’appareil d’Etat US, ce qu’un Logan Paul ou Jake Paul est à aux fédérations professionnelles de boxe : un extra-terrestre algorithmique !

[10] Formule de Christian Riochet

[11] Idem.

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4 Commentaires

  • Jeanne Labaigt
    Jeanne Labaigt

    Formidable !
    Je me sens bête !
    Merci Danielle et Baran!
    Article à méditer et à assimiler .

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    • Baran
      Baran

      Merci Jeanne ça fait plaisir. Ne te laisse pas impressionner par le terrorisme intellectuel de l’article… si je savais écrire j’écrirais plus simplement… Y a rien de bien fou! 😉
      J’ai trouvé amusant de voir que les démocrates craignaient comme dans les films la destruction du monde par l’arrivée de cyborgs… qui auraient tendance à parler russe visiblement. Hihihi

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      • Jeanne Labaigt
        Jeanne Labaigt

        Non j’ai vraiment apprécié à la fois la façon de dire, caustique, ironique mais profonde de l’article.
        Quand je dis que je me sens bête c’est pour dire que je me sens un petit fragment de la bombe à fragmentation C : Si une telle connerie pouvait détruire “l’intelligence” service de l’Empire capitaliste Américain !
        Je vais relire et comme je le disais “méditer” l’article, car je suis restée encore très cartésienne dans la démarche: méditer c’est pas si mal pour les marxistes !
        Autre chose, hier soir je me suis endormie devant la télé et en me réveillant dans un demi sommeil je suis tombée sur un documentaire américain contre la Russie: Déformation des images Poutine tordu et grimaçant comme dans un tableau de Bosch mais Navalny grand,blond et fort comme Nemtsov, le contenu ahurissant de bêtise, la connerie à l’état pur, une histoire sans sens historique, linéaire et moralisatrice, pas d’analyse, pas de mise en avant de rapport de forces, une vision manipulatrice.
        L’article m’est revenu à l’esprit derrière cette propagande tellement ridicule et accablante de prétention et de sottise, j’ai vu le “plan” de Clinton: inverser les valeurs: non seulement politiques , morales, mais même de “vérité” : tout est travesti, l’idiot devient le génie; le stratège, le trouillard; le bon ,le méchant.
        tout ce fard, ce travestissement pour cacher le fond de l’Histoire: elle n’est jusqu’à nos jours QUE l’histoire de la lutte de classe. Clinton le sait, mais le cache.

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        • Baran
          Baran

          Clinton est loin d’être bête c’est vrai. Elle a compris le problème! Avec le développement numérique, le « capitalisme de surveillance » devient peut être un vrai concept. Je ne connais pas bien (pour être honnête disons même pas du tout) la pensée de gens comme Foucault, je sais simplement qu’au niveau sémantique les histoires de surveillance ont eu tendance à ramener vers son école. Là je pense que le développement des plateformes numériques ouvre d’autres perspectives à la recherche sur le contrôle de l’intersubjectivité des populations. En lisant ses épigones je me dis que Foucault tenait sans doute quelque chose mais que son anti-communisme l’a empêché de travailler… comme beaucoup d’autres !
          Le capitalisme de surveillance vise bien à accroitre une part autrefois non mesurable de ce que produisait l’activité du socius dans ses rapports marchands et non marchands mais les formes intersubjectives ne peuvent pas être séparées du mode de production. On sait bien que le développement capitaliste se nourrit du phénomène de mesure. Si les mesurables augmentent, on peut investir et espérer « optimiser » son champ capitaliste. C’est la base. Le capital global est bifide, à la fois objectif et intersubjectif. Je tiens ça de mon copain Riochet. Son objectivation permet la constitution du profit. L’amour, ce produit culturel, social, civilisationnel, dont le support est le développement du corps objectif et intersubjectif, une fois capital mesurable, devient le marché du désir et perd son caractère d’origine. La plateforme Tinder est un exemple possible de la mesure objective d’un rapport autrefois intersubjectif. Je te vends des services pour que tu sois mieux vu par l’amour qui ne t’attendait pas au coin de la rue, car regarde comment elle ou il te regarde sur la plateforme ! Je te connais mieux que toi-même. Et moi Tinder, je ne suis pas qu’une banque de l’amour, les informations que j’ai sur toi, que tu me donnes gratuitement, je les revends aux industries de restauration, du transport, du loisir, etc. D’où l’appétence des zinzins pour les MAGNAF de la data et leurs plateformes. Le modèle de concentration data+réseau est devenu le soviet du parasitisme numérique. On y exploite un volume important de travail fournit gracieusement. Chaque donnée est réintégrée, recyclée dans un algorithme qui va lui-même être regénéré et ce serait ça qui serait créateur de la valeur : l’enregistrement des usages ! On ne fournit même plus ses outils au travailleur intersubjectif, achetant lui-même son smartphone, son PC, son GPS, sa montre connectée, etc. La datafication multiplie le pain pour les riches ! Il ne manque plus qu’à plateformiser l’agriculture en puçant les vaches et les tracteurs ! On peut croire que je rigole…mais c’est en procès d’expérimentaton ! On aura alors peut être une réorganisation du secteur primaire… Les spécialistes se tordent en subterfuges idéologiques pour donner vie aux data : « la data crée », « la data réorganise » affirment-ils dans leur vulgate de pique-assiettes. On est en plein dans les représentations fétichistes que dénonçait Delaunay dans un article récent. Il critiquait dans le site de Danielle l’imprégnation non-consciente de la forme capitaliste des échanges dans les théories de certains communistes social-démocratisés… Et c’est vrai que pour tout un ensemble de spécialistes, la data est devenue le commencement et la fin. En tant que référent suprême des échanges, la data crée la data ! Mais le sujet de la production dans tout ça ? Non ! C’est là donné que je te dis ! Libérez la donnée ! Libérez la donnée ! On croirait presque à un sketch des inconnus…
          Le soviet des capitalistes peut tout aussi bien permettre de constituer une playlist de musique, qu’une liste d’individus à rencontrer, pour le bricolage, le sport, l’amour, les affaires, ou encore prendre d’assaut le capitole ! C’est là que les gens comme Hillary Clinton, habitués à ne pas faire partie des dégâts collatéraux de la pratique libérale, regardent autrement tout ce « merdier intersubjectif » et se disent « holy fuck » ! La pratique de l’auto-bombardement étant politiquement risquée, tout d’un coup reviennent des termes comme « mode de production » dans le vocabulaire politique. Biden parle de « grands travaux » ! Tout un ancien monde, celui d’avant « la nouvelle économie » refait surface ! C’est quand même intéressant tout ça… Ce que ça dit dans le fond c’est qu’ils ont tout à fait conscience que ce sont les rapports de production et échanges qui sont les sources du merdier. D’une certaine manière, ils valident les fondamentaux du marxisme.

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