Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les sept piliers de la conscience des militants par Gilles Questiaux

Quelques conseils aux actuels et futurs militants ouvriers, communistes, socialistes, démocrates, anti-impérialistes et révolutionnaires (qui sont gens à qui personne n’en donne de bons d’habitude). Les communistes sont en train de voter et Gilles et moi respectons leur vote, nous nous contenterons de leur préciser quelques attitudes sans lesquelles l’utilité d’un parti communiste est problématique, avec toute la sympathie et l’ironie (bolchevique) qui s’impose (note de Danielle Bleitrach)

S’il ne faut pas se plier à des principes décidés par la morale du vieux monde, il faut s’en donner à soi-même pour s’orienter dans une époque dominée par une oligarchie sans scrupule, qui devient hostile dès qu’elle cesse d’être indifférente, et pour y agir efficacement. En voici donc sept.

Premier principe :

Le socialisme est bon, et il est nécessaire de l’affirmer et de le montrer.

Le socialisme ne bénéficie pas d’une campagne de publicité permanente et d’un marketing profondément réfléchi, comme c’est le cas de la société bourgeoise libérale et faussement démocratique dont toute la culture ambiante vante les mérites 24/7. C’est donc à nous de faire la pub du socialisme, de le « déringardiser ».

La sécurité du lendemain, l’assurance de la satisfaction des besoins de base, le droit au travail, le droit à la santé, au logement, à l’éducation, à fonder une famille, à la culture et aux loisirs, la fraternité des travailleurs, ce sont de valeurs infiniment plus élevées que le chaos concurrentiel individualiste de masse et la course des rats qui sont proposés comme passion et comme aventure et qui sont servis comme idéal dans le western sans fin de la culture populaire du capitalisme, et dans une version décalée dans le Quartier Latin de la culture savante et dans les universités.

A la lecture du grand romancier classique russe Léon Tolstoï on verra que dès le XIXème siècle, le simple paysan russe illettré a cent fois plus de valeur humaine que le militaire arrogant qui le persécute, son maître « intelligent » de culture européenne. On y verra que Napoléon Premier est cent fois inférieur au simple moujik.

Deuxième principe :

Se mettre au service du peuple.

Lui être concrètement utile. Ou au minimum, si ce n’est pas possible, se mettre à son écoute et lui tenir un langage intelligible. Cela signifie qu’on doit se défaire de ses préjugés et considérer sans hostilité les opinions des masses même si elles paraissent réactionnaires ou dépassées, et sans feindre de les partager accepter d’en discuter d’égal à égal. Le militant doit construire une relation de confiance avec le peuple des gens ordinaires, il doit en fait en faire partie intégrante, et débarrasser ce terme, « ordinaire, » de la connotation péjorative que lui colle la culture dominante.

Être disponible, accessible, et susciter la sympathie. Il doit participer aux luttes matérielles et il doit être engagé sur son lieu de vie, de travail, connu dans le quartier, entretenir des relations courtoises et cordiales avec collègues, voisins, figures locales, y compris les adversaires politiques quand c’est possible, et s’abstenir d’arborer une attitude ou une tenue vestimentaire trop originale, de m’as-tu vu comme on aurait dit autrefois (mais il ne doit pas non plus donner l’impression de revêtir un uniforme démodé, ou d’avoir une attitude rigide et dépourvue d’humour).

Troisième principe :

Étudier la théorie révolutionnaire

Ses références culturelles principales sont les grands auteurs de la tradition révolutionnaire, qui sont presque toujours aussi des leaders politiques de grande envergure, dont la vie et l’œuvre sont à étudier avec le plus grand soin et avec opiniâtreté, sans forcément d’ailleurs le crier sur les toits : le but est d’acquérir la science et non une sorte de prestige culturel. Ces maîtres doivent être choisis parmi ceux qui ont réussi à tenir le plus longtemps et à avancer le plus loin dans la guerre contre la bourgeoisie : Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao, Gramsci, Fidel, etc. Seule la victoire est belle. Et sans ces dirigeants, sans ces théoriciens, aucune victoire n’aurait jamais eu lieu.

Il faut les étudier, et étudier avec soin la théorie politique de la dictature du prolétariat et les théories économiques de la valeur-travail et de l’exploitation de Karl Marx qui sont le socle scientifique sur lequel repose toute la cause du prolétariat, et dont l’oubli est à l’origine des dérives loin de la classe ouvrière et des trahisons de sa cause.

Quatrième principe :

Défendre le bilan historique du socialisme.

Sans esprit de provocation, mais avec fermeté, défendre le socialisme réel. Tout, absolument tout, sauf preuve du contraire, est faux dans le discours bourgeois, scolaire médiatique, universitaire, sur le passé des expériences socialistes : URSS, Europe de l’Est, Chine, etc. , qu’il s’agisse de leurs performances économiques ou sociales, ou de l’ampleur de la répression politique qui s’y est exercée. Les faits sont falsifiés ou carrément inventés, les analyses sont erronées, les commentaires sont hostiles et malveillants. Et parfois les argumentaires défensifs en réhabilitation de tout ou partie de ces expériences en concèdent bien trop, sur les faits comme sur leur interprétation.

Si on en doute, il suffit de voir les élucubrations actuelles des médias et des intellectuels bourgeois sur un pays comme le Venezuela. S’ils mentent à tel point sur un pays qui ne représente aucun danger pour eux, leurs mensonges empilés sur l’URSS ou sur la Chine de Mao du temps où leurs puissances les terrorisaient ont du dépasser la hauteur de la chaîne de l’Himalaya.

Presque tout est faux, et de toute manière, même si c’était vrai, ça ne changerait rien à la justesse de la cause : le socialisme est un objectif millénaire qui exprime la souveraineté populaire sur les siècles des siècles et non un projet politique de changement arbitraire, anecdotique et provisoire soumis au jugement partial d’intellectuels professionnels et de journalistes qui ont été nourris, élevés et formés pour le combattre.

Un militant doit être au clair sur le passé du mouvement communiste, non pour y revenir perpétuellement ou se complaire en commémorations entre soi mais pour avancer sans se laisser intimider moralement.

Cinquième principe :

Être discipliné et cohérent.

Il faut aux militants une direction respectée, et respectée au-delà de rangs de l’organisation (comme pouvaient l’être, malgré leurs erreurs politiques, Georges Marchais ou Enrico Berlinguer). Le parti prolétarien n’est pas une municipalité ou une petite république avec des sous-partis à l’intérieur. C’est un organisme qui applique une stratégie qui en dernière analyse est toujours une stratégie de prise du pouvoir politique, et dont les militants doivent comprendre la nécessité et devenir les participants intelligents. Lesquels doivent avoir dynamisme et initiative, mais dans l’exécution. Si on veut participer à l’élaboration de cette stratégie, il faut s’en montrer concrètement capable et se faire coopter à la direction.

Il n’y a en général qu’un seul parti représentant légitimement le prolétariat dans un pays donné à une époque donnée et quand il existe ce parti est clairement désigné par l’intensité de l’hostilité qu’il provoque dans la bourgeoisie.

Sixième principe :

Se faire le défenseur irréductible de la paix, contre l’impérialisme.

ce qui implique non d’adopter une philosophie pacifiste mais de rejoindre le camp des peuples agressés. Défendre les pays socialistes actuels, ou qui le restent à des degrés divers malgré les critiques qu’ils peuvent encourir, et les pays capitalistes attaqués par l’impérialisme. C’est l’hostilité manifestée par l’adversaire qui désigne les alliés sur lesquels on peut compter. Pour bien appliquer ce principe, il faut distinguer les vrais ennemis de l’impérialisme qui revendique de plus en plus ouvertement l’hégémonie mondiale (qui sont la Chine, la Russie, etc) des épouvantails d’échelle mondiale (le terrorisme islamique, Donald Trump) ou domestique (le RN) qui peuvent perpétrer des méfaits mais qui ne représentent aucune menace pour l’ordre économique et social, qui n’en développent aucune contradiction dont puisse provenir une situation révolutionnaire.

Contrairement à ce qu’il en était en 1914, il n’y a dans le monde du XXIème siècle qu’un seul impérialisme, l’occidental-américain. Cela conduit à la nécessité de manifester de la solidarité active envers les pays socialistes réellement existants, et sert de critère déterminant pour trier les alliés politiques.

Septième principe :

Ne pas s’égarer dans la “post-modernité”.

Un militant communiste n’est pas dressé a priori contre le consensus moral actuel, bien qu’il se dégrade souvent en plat conformisme.

C’est à dire qu’il est favorable en principe, pèle-mêle, à la démocratie électorale, la liberté de circulation transfrontalière, l’écologie, le féminisme, la liberté sexuelle, l’égalité entre les individus de toute origine ou de toute croyance, etc.. Mais ceci étant, il n’y est ni plus ni moins favorable que peuvent l’être de bonnes personnes bien intentionnées et bien disposées envers leur prochain, relevant de quasi toutes les idéologies politiques ou religieuses, et il ne peut donc pas fonder là-dessus son programme politique. Le programme des droits civiques, antiraciste, féministe, libertaire, a été récupéré et dénaturé par le capitalisme dans son “Nouvel Âge” qui remonte aux révolutions colorées des années 1970.

Un militant convaincu ne peut pas non plus au nom de principes libéraux (au sens moral) se couper des masses.

Je crois qu’un communiste des États-Unis a parfaitement raison de réprouver la peine de mort, mais si j’étais à sa place je n’en mettrais pas l’abolition à mon programme, si je voulais être plus présent dans les usines que dans les universités.

Pour choisir un exemple plus anodin, je peux être pour ou contre « l’orthographe inclusive », ça ne me positionnera nulle part dans la lutte des classes.

Il n’y a aucune « intersectionnalité des luttes ». Quand des luttes petites-bourgeoises sont mises sur le même rang que la lutte prolétarienne, c’est celle-ci qui passe à l’as, car ce sont les premières qui seront mises en valeur dans les médias, et leurs militants qui phagocyteront l’organisation. Quand elles sont mises en avant par un parti, le prolétariat s’en détourne d’instinct, y compris les prolétaires « genrés » ou « racisés » que l’on voudrait flatter et défendre à part spécifiquement.

Une observation philosophique pour finir :

En politique, « la fin justifie les moyens », selon le principe de Machiavel, que Jean Jacques Rousseau a justement défini comme le grand conseiller secret des peuples. Cela signifie que cette maxime est celle de tous les pouvoirs, même les plus hypocritement libéraux. Cela ne signifie pas que si on a de bonnes intentions on peut se permettre toutes sortes de vilenie, loin de là ; cela signifie en réalité que les moyens employés dans la lutte politique sont toujours à mesurer et à juger par rapport au résultat obtenu. C’est le cas pour toute action politique qui s’est manifestée dans l’histoire et la politique du socialisme ne diffère pas sur ce plan des autres, féodales, impériales, capitalistes, etc., qui l’ont précédée. Pour prendre un seul exemple, le traité de non agression entre l’URSS et le IIIème Reich, le dit « pacte germano-soviétique », signé le 23 août 1939, auquel on ne peut pas repenser sans amertume, a été historiquement justifié par la victoire finale du premier contre le denier, auquel il a contribué.

Le socialisme est le seul projet politique conforme au droit naturel et aux exigences de la morale élémentaire que partagent tous les peuples, et s’il existe un devoir moral universel, c’est bien de réaliser ce projet et de l’étendre à toute l’humanité.

GQ, Premier Mai 2021

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