Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le socialisme et “la chambre des travailleurs” par Baran

Retour à une initiative de Jaurès dans l’esprit de Clouscard et de Laurent Brun en réponse à Delaunay, face à cette masse de travailleurs qualifiés dans le numérique en particulier dont Baran nous affirme : “Être ou ne pas être socialiste, telle est devenue la question du moment… La nécessité d’organiser le travail, en connaissance de cause, donc en opposition au principe de commande politique, extérieur aux exigences de la praxis est un discours qui se formule maintenant spontanément par des acteurs qui n’ont pourtant aucun rapport avec le socialisme. Ils portent son exigence politique comme monsieur Jourdain, sans le savoir. Ce sont juste des professionnels qualifiés qui expriment la logique de la production, en ne supportant plus les additions étrangères, a priori, d’un encadrement d’énarquoïdes, de benchmarkers, de communicants du capital, qui ne savent rien, sinon parler de chiffres, ou de parler de ce que font les autres, à défaut d’avoir un savoir-faire quelconque.” (note d’histoire et société)

Dans une période de crise aigüe et de mort cérébrale à gauche, un énième cycle électoral approche. Je profite du tir longue distance lancé par Jean-Claude Delaunay, pour prendre sa balle au rebond et amener la discussion sur le socialisme français vers une proposition théorique peu connue de Jaurès : la fondation d’une chambre du travail. Cette réflexion se développe à la faveur d’une crise institutionnelle que traverse la France dans les années 1880.

Les instances politiques de la France sont plus que jamais fragilisées par des courants réactionnaires tels que le boulangisme. C’est dans ce cadre historique que Jaurès pense une série de réformes institutionnelles, avec un premier article paru le 6 mai 1888 dans la Dépêche[1], dans lequel il y reflète la posture du républicain moyen. Jaurès ne se distingue de ses pairs, traditionnellement monocaméralistes, que par la clarté de ses raisonnements.

Le contexte d’instabilité institutionnelle les incite à revoir leur hostilité contre le Sénat à la baisse.Cette contradiction, qui tiraille la conscience du républicain moyen, forcé au compromis, Jaurès semble vouloir la dépasser en cherchant une plus grande intégration de la démocratie procédurale au monde productif et associatif. Pour sortir du grand enfermement de la représentation politique, il propose d’intégrer dans l’œuvre législative, un audit codifié des forces sociales et sociétales, limité aux lois organiques.

Dans l’esprit de Jaurès, il fallait trouver une issue théorique aux tensions réactionnaires, en lui et dans son camp. En 1889, l’homme des lumières socialistes n’hésite pas à changer de focale, et passe de la posture défensive à la contre-offensive idéologique, en rédigeant une série d’articles proposant d’instaurer une « chambre du travail » par le suffrage universel.

Avec cette proposition théorique, il sort du cadre monocaméral (du républicain tradi) tout en jetant aux orties la concession qu’il avait faite à la légitimité du Sénat un an auparavant, comme organe de contrôle et de temporisation face « aux entraînements législatifs » de l’opinion. C’est sur cette base qu’il a l’idée d’introduire dans le banquet politique bourgeois, l’appartement de la praxis :

 « Dans un pays de démocratie et de travail, la représentation démocratique du travail s’impose ; il faut que les besoins et les intérêts de l’agriculture, de l’industrie, du commerce puissent être toujours traduits avec compétence et défendus avec autorité.

Il faut en second lieu, que, dans chacune de ces grandes catégories du travail, les humbles, les petits, ceux qui portent le plus lourd fardeau de labeur et de misère, puissent faire entendre leurs justes revendications.

Ce qu’il faut, c’est donc une représentation du travail, à la fois professionnelle et sociale, qui exprime dans chaque catégorie du travail les intérêts généraux de la production et les droits des travailleurs obscurs. Or, il existe à peine quelques germes débiles, quelques éléments dispersés et incomplets à cette représentation ; il y a les chambres de commerce et les chambres consultatives de l’industrie. Ça et là, quelques syndicats ouvriers, comme les syndicats des ouvriers mineurs du bassin de la Loire, sont assez puissamment organisés pour avoir pu tenir de vastes congrès et transmettre au parlement, sur la loi des délégués mineurs, sur les caisses de secours et de retraite, le vœu précis des travailleurs. Mais, d’une façon générale, la représentation du travail est aujourd’hui illusoire. »

Soulignons deux points remarquables dans ce passage. Le premier est le caractère non-ouvriériste de la proposition, avec une conception large des professions incluses. Par ailleurs, l’ambition jauressienne est d’arracher à sa « débilité » économiciste, l’ordre de la production (agricole, industrielle, commerciale), en donnant un prédicat politique à une praxis, rendue invisible par le code des classes dominantes (la praxis fantôme de la superstructure).

Clouscard reprendra cette proposition de « chambre du travail » en l’intégrant aux nouvelles formes engendrées par le développement des forces productives. Là où Jaurès exprime les grandes lignes de son projet en découpant le monde du travail en trois grandes catégories (agricole, industriel, commercial), Clouscard appelle à la formation d’un suffrage professionnel en enrichissant le « parlement des travailleurs collectifs » avec les figures engendrées par le développement de la production de série et de la consommation de masse.

Sur le modèle de la révolution française, il regroupe le « Travailleur Collectif » en trois grands ordres : l’ouvrier, l’employé et les ITC (ingénieurs, techniciens, cadres), auxquels il propose d’ajouter les fonctions non-productives mais nécessaires. Il cite en exemple les routiers, retraités (de quoi satisfaire la bande à Friot), intermittents[2] et même les PDG car également salariés ! « La contrainte démocratique doit reconnaitre cet ordre. Le PDG correspond au grand seigneur de l’Ancien Régime. Un ordre de plus. En contrepartie l’ordre des retraités. Le procès de production ne peut oublier ceux qui ont produit ».[3]

Poursuivant son analogie, Clouscard propose comme accélérateur de conscience des « Etats-Généraux du Travailleur Collectif ». Parce qu’« il n’y a aucune représentation nationale des travailleurs en tant que tels et selon leur propre gestion », ils seraient le moyen de« transposer dans le politique » l’unité d’action entrevue en 95. Il ajoute : « Bien sûr, il y a les comités d’entreprise, le Comité Economique et Social, le Ministère du Travail, mais ce dernier est géré par l’Etat avec une administration qui lui est propre. Bien sûr, il y a les syndicats. Mais ceux-ci ont des pouvoirs limités depuis toujours et ne peuvent souvent que constater les dégâts et mesurer leur impuissance. Réintroduire le jeu syndical dans le Parlement du Travailleur Collectif serait reconduire leur éternel problème sans solution : l’unité d’action. De même que les associations ont pu concurrencer le développement des syndicats, ceux-ci pourraient entraver par leurs divisions, la réalisation parlementaire du Travailleur Collectif… Il n’y a qu’un ouvrier à l’Assemblée Nationale. Mais prenons la démocratie prétendue au mot : à chacun son Assemblée Nationale. On vous laisse cette Assemblée Nationale et même le Sénat. On n’a pas à intervenir sur les instances acquises de la Nation. On déclare ne pas remettre en cause l’exécutif et le législatif. Nous respectons votre jeu aussi. Pourquoi ne pas admettre un pouvoir autonome du Travailleur Collectif ? Les patrons ont bien le MEDEF… La population concernée serait celle de la société du salariat généralisé. Tout salarié serait concerné. Ce qui amène un préalable. Le vote serait obligatoire. Par civilité républicaine, solidarité des travailleurs, rappel de la dignité civique gagnée par le travail. »[4]

Comme le rappelle Delaunay, à la suite de Marx et de Sauvy, un nombre croissant d’activités indispensables sont entraînées progressivement vers le salariat généralisé par la socialisation de la production capitaliste, qui vient inexorablement grossir les rangs du Travailleur Collectif, réalité fonctionnelle, à laquelle il ne manque qu’une chambre politique pour Clouscard (et Jaurès).

Quel intérêt aujourd’hui théorique et politique de cette piste de recherche lancée par Jaurès, réactualisée par Clouscard ?Saluons de suite qu’elle représente sur le terrain de l’offre idéologique, une alternative au bric-à-brac du RIC et autres constructions à la mode new-age, croyant que projeter ses désirs sur la réalité permet de les obtenir.

Le champ d’investigation clouscardo-jauressien a l’avantage de positionner d’emblée l’intervention politique dans la logique de la production, sans pollution sociétaliste. Sur cette base fonctionnelle, il cible en puissance, l’attention du peuple du salariat généralisé, gavé par les stratégies politico-mondaines.

Ensuite, parce que l’émergence des Gilets jaunes et de la phase épidémique a achevé de montrer à l’ensemble des ménages, que le capitalisme est à bout de souffle dans les pays développés. Même la petite bourgeoisie des centres urbains a vu qu’il manquait du papier toilette à Monop’ : que faire ? Qui suis-je ? Où vais-je trouver du papier toilette ? De la farine ? Des œufs ? Des masques ? Des vaccins ? En plus de la compétition économique pour l’emploi, le supermarché s’est transformé en lieu de la guerre de tous contre tous.

Être ou ne pas être socialiste, telle est devenue la question du moment… La nécessité d’organiser le travail, en connaissance de cause, donc en opposition au principe de commande politique, extérieur aux exigences de la praxis est un discours qui se formule maintenant spontanément par des acteurs qui n’ont pourtant aucun rapport avec le socialisme. Ils portent son exigence politique comme monsieur Jourdain, sans le savoir. Ce sont juste des professionnels qualifiés qui expriment la logique de la production, en ne supportant plus les additions étrangères, a priori, d’un encadrement d’énarquoïdes, de benchmarkers, de communicants du capital, qui ne savent rien, sinon parler de chiffres, ou de parler de ce que font les autres, à défaut d’avoir un savoir-faire quelconque.

Vous croyez que j’en fais trop ? Écoutons le diagnostic de Tariq Krim, ingénieur informatique, ancien vice-président du Conseil National du Numérique, dépitée par la mainmise des monopoles sur les circuits de décision, qui invisibilisent les « faiseurs » (dont il fait partie) pour au final livrer les services collectifs à la logique du capitalisme monopoliste financier mondialisé :

« Le problème du gouvernement c’est qu’il ne croit plus au savoir-faire français dans le numérique. Pour eux, surtout pour ce gouvernement, c’est les Big tech qui savent faire parce qu’ils mettent de l’argent et que l’argent est aujourd’hui la seule valeur qu’on a. Lorsqu’on a Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du Numérique, qui explique devant la représentation nationale, qu’aujourd’hui nous les français, on est des nuls, avec pour seul argument, les 20 milliards que dépense Amazon, sans savoir rien de ce que font les acteurs français dans le domaine, parce qu’il ne les a tout simplement jamais vus. Si on ne lève pas des fonds on n’est absolument pas visible de ce gouvernement. L’idée de travailler dans des PME, dans des fondations, des universités, de travailler dans d’autres sphères que celles des ‘start-ups’ et des grands groupes français, ça n’existe pas pour eux. C’est de cette manière qu’ils passent à côté de tout ce que j’appelle l’âme numérique de la France, c’est-à-dire tous ces gens, développeurs, ingénieurs, tout un ensemble de gens géniaux dans leur domaine et qui font des choses ! Comme ils ont ces œillères, la relations qu’ils ont par rapport à toutes ces plateformes est avant tout un rapport de consommateur, à aucun moment ils ne se conçoivent comme acteur. Au mieux ils se disent parfois on va être un peu régulateur. On va leur dire « ne faites pas ça » mais dans l’ignorance fonctionnelle la plus totale. »[5]

Contre cette vision destructrice d’un Etat plateforme, que la grande, voire très grande bourgeoisie, promeut, des builders, ingénieurs, techniciens, cadres tels que Tariq Krim, se détachent car ils ne peuvent plus travailler dans le cadre d’une économie politique de décideurs-consommateurs.

« De la même manière que je ne veux pas de ce monde de GAFAM qui est de l’optimisation permanente, je n’ai pas envie de cette haute fonction publique qui veut cloudifier… Il faut quelque chose d’autre. Lorsque je suis arrivé au Conseil National du Numérique je me suis rendu compte que ma vision était extrêmement minoritaire. Mais la bonne nouvelle c’est qu’il y a beaucoup de gens qui commencent à se rendre compte que si on ne travaille qu’avec des acteurs américains, dans une vision « cloud », dans ce cas autant fermer les écoles d’ingénieurs. Car ça sert à quoi de former des gens si on ne leur donne pas de boulot dans 10 ans ? ».[6]

Face à la dénégation du référent travail, la logique de production regarde son avenir menacé par le code de classe de collectifs parasitaires, qui confisquent la programmation des outils en rapport aux besoins. L’ouvrier qualifié, Laurent Brun [7] rejoint la critique de l’ingénieur Tariq Krim sur la politique d’investissement réalisée dans le secteur du rail. Que ce soit dans les services informatiques ou ferroviaires, le point commun est l’irrationalité des décisions, quant à leur rapport coût, efficacité, qualité et durabilité.

Ce sont les effets d’additions étrangères à la praxis, qui invisibilise les « builders », au profit de profils dont l’intelligence est vassalisée, aux représentations des actionnaires. Bien entendu, la note finale est payée par la société :

« On a trois types de profils lorsqu’on fait des projets informatiques. 

1-Les builders dont j’espère faire partie. Tu m’amènes un problème, je réfléchis comment faire. Par exemple, on me pose la question comment faire « stop covid ». J’aurais fait les choses vraiment différemment et je me serais entouré de gens différents.

Y a ensuite ce qu’on appelle : 2-les consultants, eux sont dans le benchmarking. Typiquement, les gens qui se sont lancés dans le datahub c’est des benchmarkers. Ils ne savent rien faire. Ils se sont dit : voyons l’état du marché. Ah ! Il semble que Microsoft est meilleur, prenons Microsoft ! Ce sont des gens qui sont apatrides du point de vue des données et aussi du logiciel.

Puis vous avez : 3-les communicants, qui ne sont ni des builders, ni des benchmarkers mais qui parlent de ce que font les autres. Malheureusement, dans le monde politique, c’est la tendance la plus forte. Donc, les gens adorent parler de ce que font les autres ! On adore comparer avec ce qu’on fait les autres, mais des fois il suffit juste de savoir faire les choses… Mon expérience politique m’a montré que les gens qui font sont déconsidérés et que les gens qui parlent, qui sont à la posture sont récompensés ! »[8]

Clouscard, en étudiant les formes prises par la nouvelle société, a vu dans l’évènement Mai 68, un cheval de Troie de la stratégie néo-capitaliste, pour installer un monde réactionnaire, élitiste, anti-syndicaliste, méprisant les masses. Ces dernières étant déclarées vendues à une nouvelle « société de consommation » généralisée, par une jeunesse dorée de communicants. Leur portrait est conforme aux descriptions faites par Tariq Krim lorsqu’il parle des « non-builders », décisionnaires de la politique, comme si, à travers les générations, le génie génétique du pouvoir démocratique avait programmé un clonage de démineurs des conquêtes sociales !

A l’exclusion politique des forces productives, Jaurès et Clouscard proposent donc la concurrence institutionnelle du parlement des travailleurs. L’acte fondateur de cette transition vers le politique pouvant prendre la forme pour Clouscard des « Etats Généraux du Travailleur Collectif », une sorte de 14 juillet de la praxis, répondant au Mai 68 estudiantin, cheval de Troie des profiteurs libéral-libertaires. En poussant l’utopie socialiste, imaginons un instant, une carte nationale du Travailleur Collectif, venant récompenser les efforts du citoyen de la production.

Que pensez-vous de cette piste politique offerte par Jaurès et Clouscard pour un cheminement vers la conscience de classe ? Je pense personnellement qu’il faudrait lui accorder les honneurs d’une pensée collective. Leur proposition théorique est de très loin moins ridicule que le bric-à-brac ésotérique du RIC, qui pourtant a semble-t-il occupé beaucoup d’énergies à gauche…mais aussi à l’extrême droite ! Comme quoi le RIC est une auberge espagnole aux 365 fromages, contenant potentiellement toutes sortes de trouilles et de fantasmes, social, identitaire, complotiste, anti-reptiliens, anti-arabes, anti-homos, anti-Roms, anti-« communisses », anti-juifs, etc.

Ces sortes de régressions bavardes et irrationalistes, l’unité de la praxis, du devoir-faire en commun, n’autorise pas.

REF BIBLIO

Laurent BRUN, l’UE et la France ou le gavage des profiteurs, Histoire & Société, 6/4/21, https://histoireetsociete.com/2021/04/06/laurent-brun-lue-et-la-france-ou-le-gavage-des-profiteurs/

-Michel CLOUSCARD, Refondation progressiste, « Partie II, Que faire face au libéralisme-libertaire »L’Harmattan, 2003, p. 131-144

-Alain CHATRIOT, Jaurès face au Sénat, La Chambre haute : problème ou solution pour les socialistes et les républicains, Cahiers Jaurès, 2004/4, n° 174, p. 39-52

-Jean Claude DELAUNAY, Rompre avec le capitalisme, chap.6 et 7, Delga, 2020

-Jean JAURES, Constitution républicaine, La Dépêche, 6 mai 1888

-Jean JAURES, La Chambre du Travail, 13 janvier 1889

REF PODCAST

-Agnès CREPET, Tariq KRIM, Spécial Loi Société et Organisations,LCC 250, 3/21,https://lescastcodeurs.com/2021/03/03/lcc-250-special-loi-societe-et-organisations-avec-agnes-crepet-et-tariq-krim-2eme-partie/


[1] Jean JAURES, Constitution républicaine, La Dépêche, 6 mai 1888

[2] Pour l’anecdote, qu’il appelait aussi affectueusement « les incompétents ».

[3]Michel CLOUSCARD, Refondation progressiste, L’Harmattan, 2003, p. 140

[4] Ibid. p. 138-140

[5]Agnès Cre et Tariq Krim, LCC 250 – Spécial Loi Société et Organisations, Mars 2021

[6]Ibid

[7]Laurent BRUN, l’UE et la France ou le gavage des profiteurs, Histoire & Société, 6/4/21, https://histoireetsociete.com/2021/04/06/laurent-brun-lue-et-la-france-ou-le-gavage-des-profiteurs/

[8]Agnès CREPET, Tariq KRIM, Ibid.

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3 Commentaires

  • Xuan

    “Jaurès et Clouscard proposent donc la concurrence institutionnelle du parlement des travailleurs.”

    Les institutions de demain ne concurrencent pas celles de la bourgeoisie, elles

    sont d’une autre nature. N’en déplaise à Clousclard, qui ne voyait mai 68 que d’un œil, les comités de base, de grève ou d’action, nés dans ce mouvement de masse, avaient une fonction législative et exécutive à la fois. Il leur manquait une orientation socialiste en effet.

    Le sujet c’est la prise du pouvoir, c’est le socialisme. Et le socialisme n’a rien à faire des institutions bourgeoises il les supprime. Un parlement parallèle impuissant pourrait-il contribuer à cet objectif ?

     

    Quant à la conscience de classe, elle se définit d’après la position dans la lutte des classes et non d’après les catégories de l’INSEE ou selon un choix fondé sur le seul salariat. La lutte des classes montre que certains «salariés» sont plus proches de la bourgeoisie que des travailleurs «indépendants», a fortiori « auto-entrepreneurs ».

    En ce qui concerne le PDG et les cadres supérieurs, qu’ils soient salariés ne dit rien de leur position dans les rapports sociaux de production, sans parler de leurs revenus extra salariaux. Dans les grèves ils sont contre parce que c’est leur fonction.

    Les cadres subalternes et les techniciens sont dans une situation différente et peuvent s’allier à la classe ouvrière du moins ne pas l’entraver. Les ingénieurs peuvent se trouver parmi les cadres supérieurs ou bien parmi les producteurs.

    Inversement

    les routiers contribuent à la production de la plus-value, ce sont des prolétaires. Les salariés du commerce et de la finance n’en créent pas mais réalisent la plus-value. Comment évoluent leur situation et eux-mêmes ?

    Toutes ces catégories, et tant d’autres comme les paysans, agriculteurs intégrés, ouvriers agricoles, marins-pêcheurs, livreurs, professions libérales, etc. devraient être envisagées du point de vue qui sont les amis et qui sont les ennemis de la révolution ? Qui perd et qui gagne avec le socialisme ? C’est une analyse de classe.

    Mao, comme les grands dirigeants communistes, avait fondé la stratégie du PCC sur une analyse des classes de la société chinoise. Ainsi le PCC a pu unir toutes les forces révolutionnaires et remporter la victoire contre des ennemis extrêmement puissants.

     

    Nous devrions nous appuyer davantage sur une étude approfondie des classes, de leurs intérêts et de leurs actions dans notre pays, mais bien souvent la notion de « droite » et de « gauche » sert de vade-mecum, au point de passer à côté de certains mouvements populaires légitimes, voire de s’y opposer.

    Répondre
  • Jean-Claude Delaunay
    Jean-Claude Delaunay

    La discussion sur l’article de Baran est en train de prendre forme et c’est très bien. Il va falloir que je lise attentivement le commentaire de notre camarade Xuan avant de le prendre en compte. Pour l’instant, je vais me contenter de dire très brièvement que l’article de Baran m’avait semblé important pour des débats à venir.

    Certes, les communistes n’en sont pas là, dans leur grand nombre, et la discussion ayant cours actuellement parmi les membres du Parti communiste français, à savoir : “Faut-il, ou non, un candidat communiste aux prochaines élections présidentielles?” est à la fois très insuffisante et très nécessaire.

    Elle est très insuffisante car la présence d’un candidat communiste ne nous dit pas ce qu’il ou elle va défendre. Mais elle est très nécessaire, si nous voulons éviter que la personne censée nous représenter dans ce combat fasse partie de “l’Association des Amis de Titine Tintin”.

    Mais ici, sur ce site, nous ne sommes pas bridés par des échéances politiques immédiates, quand bien même celles-ci ne nous seraient pas indifférentes. Et la question des institutions dans le cadre du socialisme aux caractéristiques françaises est posée. L’article de Baran y contribue. Une dimension historique de la question peut être importante. La révolution ne consiste-t-elle pas à donner de l’avenir aux interrogations du passé?

    Répondre
  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    L’avenir des builders en France.
    Ancien “builder” pendant 20 ans en France j’ai eu l’occasion de travailler
    sur de nombreux projets informatiques dans des domaines aussi variés que la banque, l’assurance, le commerce, l’industrie et l’administration publique toujours en tant que sous-traitant.

    Les builders ou développeurs sont ceux qui conçoivent, produisent et testent les solutions informatiques qui vont répondre à des problèmes de traitement de l’information.

    Issu d’une promotion, d’une formation homogène, de 18 développeurs embauchés dans la même entreprise l’évolution de carrière était assez particulière, tous commencions par de la programmation, c’est à dire l’écriture du code que comprend la machine. Ce travail nécessite une grande rigueur pour que le code fonctionne, qu’il soit facilement lisible par les autres programmeurs afin de faciliter les modification, qu’il soit robuste, résistant aux pannes, qu’il soit performant, économe en ressources et rapide. Dans ce métier il n’y a pas d’à peu près, ça fonctionne ou pas.
    Pour arriver à un tel résultat il faut du temps, de la compétence et de l’expérience.
    C’est pour ça que les parties critiques ou complexes d’une application sont réservées à des développeurs avec un certain niveau de maîtrise. Cette maîtrise s’obtient pour la plupart par l’expérience et la curiosité, on y retrouve souvent des passionnés. Mais aussi certains issus des meilleures écoles d’ingénieurs ont ses compétences à l’issue des écoles.
    Par la suite au bout d’un certain temps s’opère une sélection dans cette promotion, selon l’habilité à communiquer, certains vont quitter la programmation pour faire de la conception et ne reprogrammeront plus jamais, la conception étant l’équivalent du plan de l’architecte pour construire un immeuble. Le plan n’est pas l’immeuble, la conception n’est pas le logiciel.
    Passé ce niveau d’abstraction les plus habiles vont se retrouver chefs de projet, dans cette population se trouvent deux catégories, les bons ingénieurs à la formation solide et ceux qui incompétents en programmation et en analyse, mais bons parleurs et capables suivre des indicateurs sur un tableur vont être responsables d’un projet et vont en assurer la gestion et la communication. Les incompétents sont dangereux dans la production, la gestion de projet accepte certaines erreurs.
    En cas de problèmes je vous laisse imaginer le résultat quand votre chef est incompétent et qu’il ne fait pas confiance au développeur.
    La hiérarchie de salaires suit celle des fonctions, programmeur, analyste concepteur, chef de projet.
    Ce genre de chefs se retrouve au sein des entreprises de sous traitance mais également chez les clients en charge de suivre les projets externalisés.
    Pour l’anecdote un client avait fait une demande de travaux estimée au doigt mouillé à 3 jours de travail pour un développeur, à la lecture de la demande et après analyse de celle-ci j’ai fait une proposition argumentée à mon chef incompétent pour obtenir 5 jours, le refus a été catégorique de sa part et de celle du chef client, résultat il a fallut 2 mois pour régler le problème en mobilisant en renfort les deux meilleurs développeurs de l’établissement j’avais 10 d’expérience comme développeur et support technique sur de nombreux projets. A l’issue lors de l’évaluation annuelle je me suis fait saquer pour non respect des délais, malgré l’appui de mes collègues, entretien mené par l’incompétent.

    Les développeurs sont les premiers à subir la concentration du capitalisme par divers mécanismes:
    1) La fusion des établissements et les acquisitions sont en premier temps une formidable opportunité pour les développeurs et les sous-traitants informatique, la moitié de ma carrière a consisté à fusionner des systèmes informatiques.
    – Lors des fusions d’établissements financiers au sein du même groupe.
    – Lors des acquisitions de chaînes de magasins dans la grande distribution.
    – Lors de la ruée vers l’Est de l’industrie suite à la libération des “dictatures du prolétariat”.

    2) Externalisation: ces projets temporaires (notez la notion de gestion par projet très importante), implique que les besoins sont très ponctuels et donc réévalués au cas par cas. Cette façon de procéder liées à “l’optimisation financière” rend la sous traitance intéressante: la gestion de la masse salariale incombe au sous traitant et la souplesse est grande, de plus les sous-traitants sont mis en concurrence régulièrement, soit pour des projets, sois également pour la gestion courante des applications informatiques, ce qui était appelé la régie où le client confie la gestion complète d’applications au jour le jour, pendant une période donnée, souvent 3 ans.
    Pour les développeurs cela signifie l’assignation aux sociétés de service sans espoir d’intégrer un jour un client, sauf rares exceptions, d’autant plus que l’optimisation fiscale encourage l’externalisation.
    Dans certains cas se sont les employés même de l’entreprise cliente qui ont été forcés à partir vers le sous-traitant lors de l’externalisation du service.
    Les effets sur les conditions de travail sont la précarité des projets, l’instabilité, le stress et la pression sur les salaires.

    3) Concurrence: pour emporter ces contrats externalisés, dans les années 2000, les sociétés de services en France qui sont devenues des multinationales grâce aux processus d’externalisation des clients et des réformes du commerce international ont développé des centres “off-shore” à Mumbai en Inde où un ingénieur est payé le prix d’un développeur débutant chez nous. La concurrence était effective au sein même du groupe entre développeurs et les chefs qui ne parlent pas anglais ont commencé à être mis de côté ou virés. Le support était externalisé vers les pays de l’Est, l’Irlande et l’Inde.
    L’internationalisation a donné naissance à des groupes informatiques indiens qui sont entrés en concurrence avec nos multinationales et avec les établissements indiens ouvrant le marché au Vietnam encore moins cher et au Maghreb qui malgré le même fuseau horaire et la langue française n’avaient pas au début de l’internationalisation les infrastructures pour accueillir les centres de développement, contrairement à Mumbai qui avait investi.
    Cette externalisation s’accompagnera de contrats commerciaux et par conséquence d’un accroissement du poids des normes et de la bureaucratie au détriment de la technique.

    4) Sous traitance en cascade: les principales sociétés de service ont acquis la gestion des projets et ont fini par sous-traiter elles même à d’autres sociétés de service de même catégorie ou plus petites. Les développeurs passant parfois de l’une à l’autre à la demande du client final pour conserver les compétences.
    Cette particularité abouti à une distorsion sur le marché de l’emploi dans l’informatique: lorsqu’un client a un besoin de compétences particulières pour un poste une offre d’emploi est publiée, puis est aussi tôt multipliée par les sous-traitants espérant remporter le contrat, ce qui aboutit à parfois 5 offres pour un seul poste réel.
    De plus pour faire face rapidement à un appel d’offre, les sociétés de service constituent des banques de CV: elles publient des offres permanentes, sélectionnent les candidats et les embauchent seulement si le contrat avec le client est signé.
    Il n’existe aucun moyen de contrôler le nombre réel d’offre d’emploi dans ce secteur.
    Ce qui fait dire à nos politiques incompétents et corrompus qu’il y une tension dans le marché du travail de l’informatique, où à l’âge 40 ans vous êtes en grand danger si vous perdez votre emploi.

    5) Les systèmes intégrés de gestion: certaines fonctions sont communes à plusieurs entreprises, paye, RH, relation client, logistique, comptabilité,etc… ce qui a favorisé l’essor d’éditeurs de logiciels leurs ventes étant favorisées par le tissus de sociétés de services déjà implantées. Ces logiciels nécessitent essentiellement du paramétrage et le développement des interfaces avec le système d’information existant.
    Les profils évoluent vers des métiers de consultants avec une plus faible part de compétences en programmation. Le déploiement de ces systèmes a été possible avec la baisse du coût des ordinateurs personnels et le développement de la technologie client serveurs et des réseaux informatiques.

    6) Déploiement d’Internet: favorise l’échange d’information entre les entreprises et le contact immédiat et permanent entre travailleurs et services dans le monde entier. L’anglais professionnel, globish, favorise la concurrence et le partage d’information.
    Partage d’information fait de manière gratuite dans les forums de développeurs passionnés. Aujourd’hui il est facile de trouver des “tutos” faits par des personnes compétentes, gratuitement. Ce travail gratuit fait la fortune des plateformes d’une part et sert également aux développeurs professionnels dans leur activité salariée au profit de leur employeur et client. Nous avons là une socialisation du travail qui dépasse le cadre de l’entreprise. De plus la complexification des outils de production logicielle rend cette entraide internationale quasiment indispensable.
    Avec le développement des sites web et des hébergeurs bon marché fourni par de grands groupes comme OVH, le statu d’auto entrepreneur a permis de précariser une profession un peu particulière les développeur web. En province pour espérer un revenu net de 2000€ par mois il faut facturer entre 400 et 450€ par jour. Certains auto entrepreneurs parfois autodidactes, parfois en complément d’activité facturent 200€ la journée, cette concurrence rend le métier non viable, de plus ce secteur est soumis à la concurrence internationale. Ceci sans garantie pour le client sur la qualité logicielle et le conseil.
    Les postes sur lesquels ont peut faire des économies sont les salaires et le temps passé sur les tests logiciels. Sur les tests on peut diminuer le temps passé au risque de les bâcler, où bien les automatiser comme cela est courant aujourd’hui. En 1995 j’avais développé des outils de tests automatiques pour un projet, ça n’existait pas dans le commerce à cette époque, il s’agissait du plus gros projet de migration informatique d’Europe, nous avions le budget et les ressources pour innover.
    Sans ces outils il aurait fallut 40% de ressources humaines supplémentaires, sur un projet qui a mobilisé plus de 500 personnes,la migration aurait été impossible en un week-end.

    7) La dernière étape est le nuage: le cloud permet, aux entreprises qui en fournissent les services, de stocker ou fournir les applications et de stocker les informations, un exemple gmail et toutes les applications google. Ces services concentrent encore plus les lieux de production pour les développeurs.
    Si avec l’externalisation les entreprises clientes ont perdu les compétences techniques de production de logiciel, avec le cloud elles perdent le contrôle sur l’infrastructure, les serveurs et leurs données. L’incendie d’OVH à Strasbourg a causé la perte de données pour de nombreux clients, cette perte de données n’est pas causée par la technologie mais par la longue histoire des services informatiques qui hier gérés par des ingénieurs compétents est passée à la gestion par des comptables incultes technologiques à qui le pouvoir de décision est confié. La sécurité informatique implique pour les données vitales d’une organisation de les sauvegarder régulièrement, et d’assurer la redondance des sauvegardes dans des lieux géographiques différents. Cette option était payante chez OVH et certains incompétents ne l’ont pas souscrite par ignorance ou pour économiser trois sous.
    Le cloud pose la question de la souveraineté nationale sur la capacité à assurer nos traitements et nos informations d’une part et sur la perte de compétences d’autre part.

    8) Le métier: Ce domaine très technique demandant des compétences sans cesse renouvelées n’attirera pas les jeunes étudiants s’il n’y a pas de débouchés et de bonnes conditions de travail sans parler de projets qui font rêver et d’un salaire convenable.
    En sous traitance c’est le stress systématique à chaque fin de projet ou vous pouvez vous retrouver en déplacement ou sur un domaine inconnu.
    Ce métier est déjà éprouvant par sa nature, traiter des problèmes complexes et les traduire pour une machine bornée qui pour une erreur vous répétera stupidement le même message. Parfois il faut résoudre ces problèmes en pleine nuit, réveillé en astreinte, pour une erreur non détectée, avec comme conséquence le blocage de 5 000 camions le lendemain dans les entrepôts avec un directeur informatique, inutile, sur votre dos encore plus stressé car impuissant face au problème.
    Et si vous êtes sur un sujet complexe il n’est pas rare d’avoir la solution en plein sommeil ou lors des moments de repos.
    Si vous travaillez sur un domaine qui vous plaît rien ne vous garanti de pouvoir y poursuivre et vous épanouir, à moins de pouvoir devenir indispensable au prix d’une auto formation là encore gratuite pour l’employeur. En fin de carrière le même type de fonction me prenait 4 heures au lieu de 2 jours, lié à l’évolution des outils de développement. Mais au prix d’une abstraction de la technologie.
    Certains ingénieurs n’ont plus qu’un rôle de supervision et n’appliquent plus leurs savoirs faire de production, j’ai rencontré les dernières années des jeunes diplômés d’université incapables de faire correctement une requête sur une base de données.
    Le plus effrayant est de rencontrer des recruteurs incompétents sur les technologies pour lesquelles ils recrutent, ne produisant pas eux-même.
    De plus la promotion à la lèche n’encourage pas la pratique de la production, contrairement aux USA ou par exemple le développeur du langage C++, Bjarne Strostrup, est directeur de son laboratoire, c’est un builder pur jus.
    Certes il y a des start-up avec des projets intéressants mais où les places sont rares qui finiront si elles sont intéressantes rachetées et pourquoi pas délocalisée, c’est la magie du logiciel qui se reproduit avec une grande facilité.
    Pour ces jeunes passionnés peut être plus encore que d’autres l’avenir rime avec incertitude, concurrence et violence. Ces forces productives qui ne pourront pas se développer.
    Une belle opportunité pour un socialisme du numérique.

    Les enjeux sont autant ceux d’une profession que ceux des nations et de l’Humanité si l’on pense que l’open source, ces millions de lignes de codes offertes gratuitement pourraient faire une base de production socialiste mondiale formidable. L’exemple le plus connu est le système d’exploitation Linux reconnu pour sa robustesse et son efficacité. Et l’entraide déjà existante entre développeurs est sincère et gratuite.
    Une puissance productive potentielle dans un nouveau système de rémunération libérant la créativité et la coopération. La technologie est déjà là, il manque le politique.

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