Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“Rose d’acier”. Un article de la Pravda dédié au 150e anniversaire de Rosa Luxemburg

Une conférence sur la Révolution qui proclame la duperie de l’UE et un article qui inaugure la collaboration d’histoire et société et de la Pravda grâce à Andrei Dultsev et Marianne Dunlop.

Les 5 et 6 mars, à Vienne, à l’initiative du journal Unzere Zeitung, proche du Parti communiste autrichien, s’est tenue une conférence dédiée au 150e anniversaire de la naissance de Rosa Luxemburg, figure marquante du mouvement communiste international et l’un des fondateurs du Parti communiste allemand (DKP). La conférence en ligne, à laquelle ont participé plus d’un millier de personnes, s’est tenue sous le slogan «J’étais, je suis et je serai!». Andrey DULTSEV.12/03/2021- traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société.

L’Autriche et l’Allemagne ont célébré le 150e anniversaire de la naissance de la figure marquante du mouvement communiste international Rosa Luxemburg

https://kprf.ru/history/party/201089.html

DANS LE MONDE ALLEMAND, le nom de “la Rose rouge”, comme l’appelaient les contemporains de Luxemburg, est devenu synonyme du mot “révolution”. En 1919, avant que Rosa Luxemburg ne soit tuée –à l’instigation du ministre allemand de l’Intérieur, le social-démocrate Noske – par des soldats du groupe paramilitaire Freikorps (corps francs), qui pour la première fois dans l’histoire portaient une croix gammée sur leurs casques, elle a écrit comme une espèce de testament son article L’ordre règne à Berlin ! : « Vous, stupides bourreaux! Votre ordre est construit sur du sable. Demain, la révolution, dans le cliquetis des armes, se relèvera et, à votre horreur, au son de la trompette de guerre annoncera: j’étais, je suis et je serai! “

Dans le communiqué, les organisateurs de la conférence ont noté la contribution de Rosa Luxemburg au mouvement ouvrier et féminin international, au développement de la théorie marxiste, sa participation à la révolution de Novembre en Allemagne en 1918-1919, à la création des Soviets et du Parti communiste allemand. Dans le cadre de la conférence, soutenue par plus de vingt organisations amies, neuf séminaires ont été organisés. Une mention à part pour la présentation remarquable du livre de Hannes Hofbauer Europe. Nécrologie consacré au développement économique sans issue de l’Union européenne et au caractère totalitaire de cette organisation, qui exclut toute critique et alternative, et veut faire passer ce projet impérialiste néolibéral comme une société incontestée de”valeurs démocratiques”.

Rosa Luxemburg est née le 5 mars 1871 à Zamoć, dans le royaume de Pologne, qui faisait alors partie de l’Empire russe. Depuis son enfance, elle parlait couramment le polonais, l’allemand et le russe, elle a brillamment étudié à l’école. Dès ses années de lycée, Rosa a été emportée par les activités révolutionnaires et la théorie marxiste. Se cachant de la police pour avoir participé au “Prolétariat”, une organisation clandestine révolutionnaire polonaise, elle a été forcée de partir en Suisse en 1889. A l’Université de Zurich, le jeune révolutionnaire a étudié l’économie politique, la jurisprudence et la philosophie; mené des activités d’agitation et de propagande parmi les étudiants, participé aux travaux d’un cercle d’émigrants politiques polonais, qui a jeté les bases de la social-démocratie révolutionnaire de la Pologne. En 1893, Rosa, avec Jan Tyszka et Julian Markhlevsky, participa à la fondation du Parti social-démocrate du Royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPL), dont l’une des figures de proue fut plus tard Felix Dzerjinski, et devint la tête de son organe de presse Sprawa Robotnicza.

En 1897, Rosa Luxemburg a soutenu sa thèse sur le thème “Le développement industriel de la Pologne”, obtenant un doctorat en droit public, après quoi elle est partie en 1898 pour l’Allemagne. Dès le début de son travail actif à Berlin, elle est devenue une figure éminente de l’aile gauche du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), a fait ses preuves en tant que journaliste et oratrice. Elle a communiqué et mené des polémiques avec G.V. Plekhanov, August Bebel, V.I. Lénine, Jean Jaurès.

Rosa Luxemburg, demeurant un partisan inébranlable de la discipline de parti et un opposant au schismatisme et au déviationnisme, a sévèrement critiqué l’opportunisme et les lacunes tactiques de la social-démocratie. Par ailleurs, il convient de souligner ses premiers travaux «La crise du socialisme en France», dans lequel elle a constamment analysé les erreurs de Jean Jaurès et des socialistes français du début du XXe siècle, lorsque le socialiste Millerand est devenu membre du gouvernement de coalition. Avec une précision et une impartialité léninistes, Rosa Luxemburg a analysé dialectiquement l’impuissance de Jaurès, son éclectisme idéologique et ses tactiques confuses, qui ont conduit à l’adoption d’une législation du travail contradictoire, à des positions conciliantes et à la perte de confiance de la classe ouvrière. Luxemburg souligne dans son travail que les ouvriers sont en état de guerre de classe avec les exploiteurs,rejetant ainsi fondamentalement la coopération avec la bourgeoisie.

Clara Zetkin, rappelant le rôle de Rosa Luxemburg et appréciant hautement sa critique des opportunistes allemands Bernstein et Kautsky, a noté «l’esprit éduqué, profond, curieux et indépendant de la théoricienne, la passion intrépide et ardente de la combattante révolutionnaire, la richesse intérieure et la faculté brillante à généraliser d’une personne en combat permanent et la capacité de percevoir de manière artistique. Toutes les belles qualités dont la nature l’a pourvue en abondance se manifestaient dans son écriture (…) mais ne faisait-elle qu’écrire? Non, elle vivait tout cela au plus profond de son âme. Tant dans la critique ravageuse de la trahison social-démocrate que dans la perspective inspirante de l’émancipation et de l’assaut de la révolution prolétarienne, dans le style ciselé, dans la tension vers le but, dans les constructions de pensée englobantes et cerclées de fer, dans le sarcasme spirituel, dans l’éclat de l’image, dans le noble,pur pathos – en tout on peut sentir que tout cela est baigné par le sang du cœur ardent de Rosa Luxemburg, que cela est dit par la volonté d’acier de Rosa Luxemburg, que c’est tout son être ».

Les mérites théoriques de Rosa Luxemburg ont été vivement appréciés par Vladimir Ilitch Lénine. Dans son article de 1920 «Sur l’histoire de la dictature», il a appelé Luxemburg «un aigle, une grande communiste, un représentant du marxisme révolutionnaire non falsifié», soulignant que ses œuvres «seront une leçon utile pour l’éducation de nombreuses générations de communistes autour de par le monde. »

Avec son associée et amie Clara Zetkin, Rosa Luxemburg fut à l’origine de la Journée internationale de la femme. En 1910, lors de la 2e Conférence internationale des femmes socialistes, tenue à Copenhague le 27 août dans le cadre du huitième Congrès de la IIe Internationale, la socialiste révolutionnaire allemande Clara Zetkin proposa l’instauration d’une journée internationale de la femme, où les femmes pourraient organiser des rassemblements et des défilés , attirant l’attention du public sur les problèmes d’égalité et les conditions de travail des femmes. L’idée de célébrer la Journée internationale de la femme a été exprimée par Clara Zetkin, mais c’est sa compagne de combat, Rosa Luxemburg, qui l’a soutenue.

Rosa Luxemburg a toujours eu des opinions antimilitaristes et s’est fermement opposée en 1914 à la Première Guerre mondiale. Ainsi, elle est entrée en conflit ouvert avec la majorité de la faction parlementaire du SPD qui a voté les crédits de guerre et soutenu l’aventure militaire de l’empereur allemand Guillaume II. À la veille de la guerre, Luxemburg a commencé une agitation révolutionnaire contre un possible conflit, à la tête du groupe “Internationale”, ce pour quoi elle a dû passer environ quatre ans dans les prisons allemandes et polonaises. C’est là qu’elle a écrit la plupart de ses travaux politiques, qu’elle transmettait à la presse par l’intermédiaire de ses amis.

Rosa Luxemburg n’a pas pu participer à la conférence internationale de Zimmerwald de 1915, organisée à l’initiative de Lénine pour s’opposer à la Première Guerre mondiale déclenchée par les impérialistes ainsi qu’au social-chauvinisme. Le groupe d’internationalistes socialistes créé par Lénine – la gauche de Zimmerwald, qui comprenait, en plus des représentants de la Russie, des délégués des partis sociaux-démocrates français, suisses, allemands, polonais, italiens et autres, fut le prototype de la Troisième Internationale (communiste), créée en 1919. Les participants à la conférence ont adopté la “Résolution de sympathie pour les victimes de la guerre et les persécutés”, exprimant une sympathie fraternelle pour les députés de la Douma bolchevique exilés en Sibérie, ainsi que pour Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Klara Zetkin « et tous les camarades qui sont persécutés et arrêtés pour le fait qu’ils se battent contre la guerre. »

En 1917, Rosa Luxemburg accueille chaleureusement la Révolution d’octobre en Russie. «Nous appelons les ouvriers allemands à porter le message de la révolution et de la paix d’est en ouest», a-t-elle écrit: «… nous ne devons jamais manquer une chance lorsque nous entendons des calomnies contre les bolcheviks russes, pour répondre à cela: où avez-vous appris le l’alphabet de votre révolution actuelle? Vous l’avez pris des Russes, des Soviets ouvriers et soldats! (…) Et ces nains politiques qui, se trouvant maintenant à la tête du soi-disant gouvernement socialiste allemand, considèrent qu’il est de leur devoir,main dans la main avec les impérialistes britanniques,de frapper perfidement, de poignarder dans le dos les bolcheviks russes (…). Nous pouvons affirmer avec certitude – et cela découle de toute la situation: dans n’importe quel pays après l’Allemagne où la révolution prolétarienne aura lieu, sa première étape sera la formation de soviets ouvriers et soldats ».

La Ligue spartakiste créée par Rosa Luxemburg avec son camarade de parti Karl Liebknecht en réponse à la politique perfide des social-chauvins du SPD, a uni l’aile gauche du parti autour d’eux. Elle s’est opposée à la politique de “paix civile” soutenue par le SPD et mise en avant par le gouvernement impérial et a appelé à la solidarité internationale des travailleurs dans la lutte contre la guerre.

Après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, les sentiments anti-Kaiser ont régné dans le pays. En janvier 1919, la Ligue spartakiste se révolte à Berlin et appelle à une grève générale, en mettant en avant le slogan “Tout le pouvoir aux Soviets!” Rosa Luxemburg a préconisé l’établissement de la dictature du prolétariat en Allemagne et l’établissement d’une république soviétique sur le modèle de la Russie soviétique. La Ligue spartakiste a appelé au désarmement des troupes et à la nationalisation des industries. A la veille de 1919, la Ligue spartakiste fut le fondateur du Parti communiste allemand en tant que section du Komintern.

En janvier 1919, les communistes allemands ont déclaré la grève générale et déclenché le soulèvement, mais au cours d’affrontements avec l’armée du Kaiser et les détachements formés à partir de celle-ci – les soi-disant Corps francs, subordonnés au gouvernement provisoire de la droite sociale-démocrate Friedrich Ebert, ils ont été réprimés, et de nombreux spartakistes ont été fusillés.

Le 15 janvier 1919, sur ordre du social-démocrate de droite Gustav Noske, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont arrêtés et brutalement tués par leur escorte alors qu’ils se rendent en prison. Leurs corps ont été jetés dans un canal du quartier Tiergarten de Berlin. Les historiens ont noté qu’avec l’assassinat de Luxemburg, l’Allemagne impériale a célébré son dernier et l’Allemagne nazie son premier triomphe. Les assassins de Liebknecht et de Luxemburg n’ont pas été punis. De plus, l’officier Waldemar Pabst, qui a participé à l’assassinat, a pu faire une brillante carrière pendant la République de Weimar, le Troisième Reich et dans l’Allemagne d’après-guerre. Il est mort en homme riche en 1970 à Düsseldorf.

Si le gouvernement soviétique, peu après la révolution, a immortalisé le nom de Rosa Luxemburg dans les noms des rues et des places de chaque ville du Pays des Soviets, dans la République de Weimar au contraire son nom a été oublié par les autorités officielles, et au cours des années de l’Allemagne nazie, lire ses livres et la mentionner était catégoriquement interdit. Les nazis avaient même peur de Rosa Luxemburg morte.

Une campagne de propagande anticommuniste contre Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht a été lancée dans l’Allemagne d’après-guerre. En 1962, le journal allemand die Zeit a publié un article sur le meurtre des dirigeants de la révolution allemande sous le titre « Était-ce un meurtre ou un acte patriotique? »

Dans la RDA d’après-guerre, Rosa Luxemburg a été à juste titre reconnue avec Karl Liebknecht comme un symbole de la révolution de novembre 1918, de l’internationalisme prolétarien et d’une autre Allemagne pacifique et socialiste, non infectée par le bacille du fascisme, et la marche annuelle en mémoire des révolutionnaires le jour de leur assassinat a été pendant des décennies la principale manifestation de l’année en RDA.

Dans la Pologne moderne, le nom de Rosa Luxemburg est maintenant soigneusement étouffé, mais en Allemagne, il est porté en étendard par les mouvements d’opposition de gauche. Depuis 1996, le journal “Junge Welt” organise à Berlin la Conférence internationale Rosa Luxemburg, consacrée aux problèmes actuels du mouvement communiste et ouvrier, et à l’occasion du 150e anniversaire de la “Rose Rouge”,la maison d’édition Diez à Berlin a terminé la publication de ses œuvres. L’initiative de préserver la mémoire de la révolutionnaire allemande a également été reprise hors d’Allemagne: en France, pour l’anniversaire de Rosa Luxemburg, les maisons d’édition Collectif Smolny et Agon ont préparé la sortie de ses œuvres et lettres complètes en français.

Pour ses contemporains, Rosa Luxemburg était une personnalité hors du commun, et pour la postérité elle restera à jamais une femme qui est entrée dans l’histoire du mouvement ouvrier en tant que théoricienne et polémiste, héroïne révolutionnaire et martyre… sa tombe au cimetière des socialistes dans le quartier Berlin-Friedrichsfelde est toujours ornée de fleurs.

Andreï Doultsev, correspondant de la Pravda pour l’Europe de l’ouest

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