Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Andropov peut-il remplacer Dzerjinski ?

par Piotr Akopov, chroniqueur de RIA Novosti

Moscou comme Saint Petesbourg ne sont pas des villes où le parti communiste est fort comme il peut l’être dans certaines zones de la Russie, c’est un peu la ville des bobos, et pourtant comme le dit l’auteur de l’article, une majorité de moscovites se prononce pour la restauration de la statue de Dzerjinski, le chef de la Tcheka, la police politique d’un État considéré comme ferme face aux ennemis et juste face aux gens ordinaires, l’État soviétique. Son seul rival est le chef du KGB, Andropov, lui aussi considéré de la même manière. Alors que l’unanimité considère comme le plus calamiteux de tous Gorbatchev. Si Dzerjinski en tant que héros de la guerre civile peut diviser Andropov lui fait l’unanimité, il aurait pu sauver l’URSS. Encore une manière de voir ce que nos médias refusent d’admettre (note de Danielle Bleitrach, traduction Marianne Dunlop)

            19 février 2021

illustration:photo d’Andropov Photo: Eduard Pesov / Chronique photo TASS

https://vz.ru/opinions/2021/2/19/1085497.html

La décision de restituer la statue de Dzerjinski sur la Loubianka devra être prise par les Moscovites, qui devront choisir entre plusieurs options de monuments proposées. Ou plus précisément, de personnages historiques qui devraient être immortalisés sur cette place de la capitale. La Chambre civique de Moscou recommande de faire un sondage, et le président de la Douma de la ville de Moscou  parle  même d’un référendum.

L’idée d’un référendum n’est pas nouvelle, la Douma de la ville a même accepté d’en faire un il y a six ans, mais finalement il n’a jamais eu lieu. Aujourd’hui, à la veille du trentième anniversaire de l’effondrement de l’URSS, dont un des symboles a été le déboulonnage de la statue,œuvre du sculpteur Voutchetitch en août 1991, les disputes autour de Dzerjinski ont repris avec une vigueur renouvelée. Tout le monde comprend que le point n’est pas dans la statue (en tout cas exceptionnelle), mais dans ce qu’elle symbolise.

Et elle symbolise différentes choses pour différentes parties de la société. Et par conséquent, personne ne veut prendre de décision, assumer sa responsabilité. D’un point de vue purement formel, il s’agit d’une affaire à l’échelle urbaine, cependant le retour de Felix de Fer sur la Loubianka sera inévitablement perçu par tous comme une action symbolique qui plaît à certains et effraie les autres.

Par conséquent, contrairement à 2015, on penche désormais vers l’idée d’un référendum ou d’un sondage non pas sur Dzerjinski seul, mais sur qui devrait être immortalisé sur la Loubianka. Remettre le chef de la Tcheka ou honorer Ivan III? Alexandre Nevski? Youri Andropov?

Les propositions sont nombreuses, les meilleures seront choisies, on établira une liste et, éventuellement, invitera les Moscovites à voter sur le portail des services de l’État ou même dans le cadre d’un référendum à l’échelle de la ville. La deuxième option semble beaucoup moins probable – d’une part, elle est coûteuse et, d’autre part, le résultat est prévisible. Dzerjinski gagnera, même les sondages vieux de six ans le disent. Parmi les lecteurs du journal économique VZGLYAD, 60% sont partisans du retour de Dzerjinski. De plus, la plupart des autres monuments ne sont même à l’état de projet : des idées abstraites et un monument concret et artistiquement fort seront donc en compétition.

Dzerjinski est respecté par certains, d’autres non, mais encore plus de gens le perçoivent non comme une personne, mais comme le symbole d’un État dur envers les ennemis et juste pour les gens ordinaires (peu importe ce qu’il en était en réalité). Il sera donc presque impossible de gagner contre Dzerjinski, à moins de lui opposer un personnage similaire.

Non, il ne s’agit pas de Maliouta Skouratov, le chef opritchnik d’Ivan le Terrible, ni même du tsar lui-même. Ne peut non plus rivaliser avec Dzerjinski Ivan III, le Grand-Duc, le créateur de la Moscovie.

Photo: Eduard Pesov / Chronique photo TASS

Il n’est donc pas surprenant que la candidature de Youri Andropov, l’héritier de Félix de Fer et notre seul contemporain parmi les candidats aux monuments de Loubianka, soit apparue. Le chef du KGB a été proposé auparavant, mais maintenant il a l’appui de l’ancien ministre de la Culture Mikhaïl Chvydkoï.

 Les arguments de Chvydkoï selon lesquels le monument sur la Loubianka devrait «contribuer à la consolidation de la société» et non provoquer «des conflits et des querelles», par conséquent «nous devons nous mettre d’accord sur une figure qui conviendra à l’État et en même temps sera compréhensible et rassembleuse pour l’ensemble de la société » sont justes mais ne conviennent pas trop pour une campagne en faveur d’Andropov. Contrairement à son autre argument selon lequel « Andropov a joué un plus grand rôle dans la vie de cet endroit que Dzerjinski »,ce qui est parfaitement exact.

En effet, Youri Vladimirovitch a dirigé le KGB pendant 15 ans, plus longtemps que tout autre chef de ce département (seul l’actuel chef du FSB, Bortnikov, a une chance de battre ce record). Andropov est considéré comme le leader le plus puissant de l’histoire des services spéciaux soviétiques,même s’il n’est devenu célèbre que comme le chef de l’État, l’homme qui a dirigé le pays après Brejnev. Hélas, pas pour longtemps, pendant 14 mois – mais la fin rapide du règne d’Andropov est désormais considérée comme une tragédie, l’échec de la tentative de réforme de l’URSS, une chance manquée de la sauver. En fait, la dernière chance – parce que la réforme entreprise par Gorbatchev s’est avérée mal préparée, irréfléchie, et en raison de la faiblesse particulière du Secrétaire général lui-même, elle a également abouti à l’effondrement du pays.

Andropov dans la conscience de masse moderne est celui qui voulait et pouvait réformer, et donc sauver l’URSS, mais n’en avait pas eu le temps. Honnête, intelligent, dur, qui ne désarme pas devant l’ennemi, mais ne conserve pas non plus les mécanismes inefficaces, un féroce combattant contre la corruption, l’arbitraire bureaucratique, les ennemis de l’État. Peu importe à quel point cela correspond au vrai Andropov – l’essentiel est que c’est cette image-là qui s’est formée dans la société.

Andropov n’était ni un génie ni un démon – au départ, il était un important apparatchik soviétique qui, par la volonté du destin, s’est retrouvé dans le KGB (immédiatement à la tête du comité) et y a révélé ses talents. En tant que chef des services secrets, il était sans aucun doute fort, et principalement en raison de ses excellentes capacités d’analyse et de sa capacité à sélectionner le personnel. Le renseignement et le contre-espionnage soviétiques atteignirent leurs sommets sous lui –même si, dans le travail du KGB à l’intérieur du pays, il n’était à bien des égards qu’un exécuteur, plus précisément, l’un des co-auteurs du cours général du travail des organes. Qui était déterminé par Brejnev et une direction collective sous la forme du Politburo du Comité central.

Sous Andropov, le KGB n’était plus, comme autrefois, «l’épée vengeresse du parti», mais il restait toujours son instrument – cependant, le parti lui-même avait déjà complètement fusionné avec l’État à ce moment-là. En tant que membre du Politburo, Andropov, au cours des dix dernières années de sa vie, a pris part aux décisions les plus importantes – et depuis la fin des années 70, il était l’un des associés les plus proches du Brejnev sur le déclin. Arrivé au pouvoir, Andropov n’a même pas eu le temps de vraiment commencer à réformer le pays – mais, bien sûr, même dans son pire cauchemar, il ne pouvait pas imaginer comment Gorbatchev, qui était proche de lui au sommet du pouvoir, allait mener ses réformes.

Mais sur la Loubianka, le monument à Andropov symbolisera, tout d’abord, son hypostase du KGB – il restera là non pas en tant que secrétaire général, mais en tant que président du KGB. Et ce sera toujours un monument à l’URSS. Et le peuple verra en lui une main forte, un combattant contre la corruption, la protection de l’État contre les activités subversives de l’étranger et le succès du renseignement et du contre-espionnage. Car les idéaux de justice, qui sont maintenant les plus exigés de l’héritage soviétique, ont également été défendus par le KGB sous Andropov, de sorte que Youri Vladimirovitch convient comme une alternative à Dzerjinski. Et il n’a pas participé à la guerre civile, et n’a rien à voir avec la Terreur rouge – seulement des avantages.

Mais où trouver un nouveau Voutchetitch?

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