Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’héritage empoisonné de François Mitterrand

C’est Chevènement et ses amis du CERES qui organisèrent un coup de force au sein de la vieille SFIO pour la donner au Congrès d’Epinal à un individu déconsidéré. L’alliance entre les socialistes et les communistes était en train d’être signée avec des gens nettement plus sérieux comme Savary, et les gens du CERES avec la droite socialiste imposèrent cet aventurier anticommuniste à l’union de la gauche. Ce que je tente d’analyser dans mes mémoires correspond à la trahison permanente de la gauche initiée par Mitterrand, le personnage est haïssable, mais la vraie question est pourquoi le PCF a-t-il fini par accepter un individu que tous les dirigeants communistes méprisaient? Je crois que cette question éclaire pour une part celle du choix ultérieur d’un Mélenchon et le refus du PCF de s’interroger sur de tels choix de la part de leur dirigeants et de l’acceptation de passer derrière eux n’est jamais posé. La colère contre Mitterrand et Mélenchon tenant lieu d’analyse. Alors qu’eux sont ce qu’ils sont, le problème est de s’être mis volontairement sous leur coupe, problème que l’on peut également poser au CERES à savoir pourquoi un tel choix? C’est tout le sens de mes mémoires et le fait que j’estime que tant qu’on n’aura pas le courage non seulement de dénoncer les conséquences mais de mettre à jour les raisons d’un tel choix rien n’avancera. J’ai mon hypothèse concernant le CERES et bien sûr concernant le PCF. (note de Danielle Bleitrach)

Vingt-cinq ans après sa mort, François Mitterrand continue de susciter des sentiments contrastés. À gauche, la nostalgie s’efface et sa mémoire n’inspire plus guère de ferveur, tant sa présidence a été marquée par les volte-face. Son ancien ministre Jean-Pierre Chevènement voit même en lui l’un des principaux architectes de l’Europe libérale.par Serge Halimi 

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Il y a un peu plus de quinze ans, M. Jean-Pierre Chevènement analysait déjà l’histoire de la gauche française et sa propre expérience au gouvernement dans les postes les plus divers : industrie, éducation, défense, intérieur (1). Depuis, il n’est pas redevenu ministre, ni candidat à l’élection présidentielle, mais son premier livre de Mémoires n’avait apparemment pas épuisé le sujet. L’ouvrage qui paraît aujourd’hui, un peu moins solennel et davantage rédigé sur le mode du récit, complète utilement le précédent (2).

Le personnage de François Mitterrand y occupe une place centrale. Cela se comprend : l’homme résida quatorze ans à l’Élysée et fut tout à la fois celui qui arracha les socialistes à leurs alliances avec le centre, leur permettant ainsi d’arriver au pouvoir, puis celui qui en fit les cousins des libéraux proeuropéens incarnés par Valéry Giscard d’Estaing, que Mitterrand avait empêché d’effectuer un second septennat. M. Chevènement analyse brillamment ce retournement. Parfois, il affecte de ne pas en avoir été surpris. Ébauchant dès 1967 l’alliance de sa petite bande d’amis et de Mitterrand, il signale le peu d’enthousiasme que celui-ci leur inspirait alors : «Il avait à nos yeux quelques lacunes : il ne connaissait pas grand-chose au socialisme (…). En matière de gauche, sa rhétorique en était restée à Lamartine. (…) Sa culture économique était malheureusement nulle.» M. Chevènement fit néanmoins le pari d’aider son nouvel allié «à combler ou à tout le moins dissimuler ses lacunes». Il admet aujourd’hui avoir péché par orgueil : «En politique, j’avais tout à apprendre, et j’ai beaucoup appris de François Mitterrand.»

Appris beaucoup, mais pour obtenir quels résultats, dès lors que le «superbe cadeau» de Mitterrand à son parti (l’alternance politique) s’est révélé «empoisonné»? M. Chevènement résume : «Le social-libéralisme fut le prix de cette longévité au pouvoir du Parti socialiste mais aussi la source profonde de son rejet final en 2017.» Deux ans avant d’entrer à l’Élysée, Mitterrand aurait d’ailleurs admis sa médiocre ambition collective : «Au fond, Jean-Pierre, je ne crois pas que la France, à notre époque, puisse faire autrement — hélas — que passer à travers les gouttes.»

La suite de démissions de M. Chevènement du gouvernement en raison de désaccords essentiels sur la politique économique (1983), sur la guerre du Golfe (1991), sur l’octroi d’un pouvoir législatif à la Corse (2000), oblige néanmoins à s’interroger sur le motif de ses éternels retours. Une fois engagé, en 1983, le «tournant de la rigueur», qui, comme l’auteur le démontre, va faciliter le «triomphe sur le continent européen du modèle néolibéral», une fois entériné, en 1985, l’Acte unique «à l’unanimité et sans débat» par un conseil des ministres (auquel il participe…), une fois qu’un autre conseil des ministres accepte trois ans plus tard une directive européenne «visant à la libération des mouvements de capitaux, avant toute harmonisation préalable de la fiscalité sur l’épargne» (M. Chevènement exprima alors son opposition, mais en restant ministre de la défense), comment a-t-il pu encore se persuader qu’il suffirait d’«avaler la couleuvre, dans l’espoir qu’il serait possible ensuite de s’en débarrasser»?

La guerre du Golfe fut l’un des serpents des plus indigestes. Et, dans cette affaire, la duplicité de Mitterrand tutoya les sommets. Jusqu’en janvier 1991, le président fait croire à son ministre de la défense qu’il recherche une solution négociée avec Saddam Hussein. Pourtant, dès août 1990, il a promis à son homologue américain George H. Bush d’engager militairement la France à ses côtés… «“Bien sûr, explique-t-il un jour à M. Chevènement, les gouvernements arabes criaillent aujourd’hui, mais soyez sûrs que demain ils seront tous là pour venir quêter des subsides, là, au creux de notre main.” Et il esquissa le geste…»

Deux étranges visiteurs Place Beauvau

L’auteur revient aussi sur ses démêlés avec Le Monde. Partisan comme Mitterrand de la guerre du Golfe, le quotidien aurait imputé avec malveillance les critiques de son ministre de la défense à un «“retour d’épices” de la part de Bagdad (3». Il s’oppose à lui plus frontalement encore lorsque celui-ci devient ministre de l’intérieur dans le gouvernement de M. Lionel Jospin. L’auteur raconte que, le 11 février 1999, Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel viennent le trouver Place Beauvau afin de lui signifier la ligne que le gouvernement doit suivre s’il compte sur l’appui éditorial de leur journal. Plenel aurait alors expliqué : «Lionel Jospin a mis l’accent sur l’État et sur la nation. Or Le Monde est europhile, eurosocial, europolitique, etc. Ses dirigeants estiment qu’il ne s’agit pas de mettre l’accent sur l’État-nation, mais sur les voies et moyens permettant à la France de remplir sa place dans le développement européen.» L’auteur soupçonne que Le Monde fit ensuite pression sur M. Jospin afin que celui-ci adopte, à propos de la Corse, une position qui contraindrait M. Chevènement à la démission. En échange, le premier ministre socialiste aurait obtenu le soutien du quotidien à sa future candidature présidentielle…

Qu’on ne s’attende pas à trouver l’analyse du résultat, désastreux pour lui, de cette élection dans le dernier livre de M. Jospin (4). Suite de généralités sur la politique française, la démocratie, les migrations, l’écologie, ce genre de copie eût peut-être décroché la moyenne à Sciences Po. Mais pas beaucoup plus, tant un correcteur sorti de sa torpeur aurait jugé que l’ancien premier ministre s’y montre exagérément indulgent envers lui-même.

Un peu comme M. Chevènement envers l’actuel président de la République? L’auteur confie en effet qu’un «a priori favorable» l’aurait presque poussé à voter pour M. Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection de 2017 s’il n’avait pas redouté alors de se retrouver «avec Daniel Cohn-Bendit, Alain Minc et Jacques Attali». Ce qui, admet-il, «aurait nui à la cohérence de mon positionnement idéologique et politique». On ne saurait mieux dire… Faut-il par conséquent accepter que, même dans les parcours des hommes d’État les plus cohérents, les souvenirs et les amitiés personnelles forment des méandres que la simple raison rend indéchiffrables? Ainsi, tout comme M. Jean-Luc Mélenchon ne manque jamais une occasion de proclamer sa fidélité à Mitterrand, architecte de l’Europe libérale qu’il combat, M. Chevènement dit ne pas comprendre le «rejet viscéral» que suscite l’actuel chef de l’État. Au point de souhaiter à «Emmanuel» un nouveau bail de cinq ans à l’Élysée?

Serge Halimi

(1) Jean-Pierre Chevènement, Défis républicains, Fayard, Paris, 2004. Lire «Quand la gauche de gouvernement raconte son histoire», Le Monde diplomatique, avril 2007.

(2) Jean-Pierre Chevènement, Qui veut risquer sa vie la sauvera. Mémoires, Robert Laffont, Paris, 2020.

(3) À l’époque, l’Irak était soupçonné de financer subrepticement plusieurs formations politiques françaises.

(4) Lionel Jospin, Un temps troublé, Seuil, Paris, 2020.

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