Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les élites communistes chinoises : de la politique factionnelle à l’institutionnalisation du leadership


Author(s): Alex Payette and Ting-sheng Lin
Source: Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique ,
March 2013 mars, Vol. 46, No. 1 (March 2013 mars), pp. 49-68

Le terme de factions est traditionnellement employé en Chine pour désigner les luttes au sein de l’administration impériale. La principale référence remonte à la dynastie des Tang, avec la faction Niu contre la faction Li. La première a été nommée ainsi d’après Niu Sengru, et elle est considérée comme étant une faction composée de fonctionnaires d’origine humble et qui ont passé les examens impériaux pour entrer dans le gouvernement. La seconde a été nommée d’après Li Deyu, et elle est considérée comme étant une faction de fonctionnaires d’origine aristocratique. Donc les factions sont marquées en général par des origines sociales et elles forment des groupes à forte idéologie autour d’un chef, mais ceux qui les étudient le font également en s’inspirant des organisations mafieuses. Si depuis pas mal de temps ceux qui alimentent de leurs analyses savantes le tout venant de la presse ont tenté des analyses de ce type du pouvoir communiste, cet article découvert par Baran, écrit en 2013, lors de la transition de Xi Jinping s’interroge sur la pertinence de ce modèle traditionnel. Voici d’ailleurs la réflexion tout à fait pertinente de Baran sur cette analyse:

Je viens de recevoir une étude qualitative de sinologues que je crois utile de partager avec vous. Elle discute la pertinence de l’analyse politique du PCC en utilisant comme axe la notion de faction et l’ethnologie mafieuse qu’elle suggère comme forme d’investigation. Après une revue critique de la littérature occidentale, les chercheurs concluent au mieux au caractère périmé de l’approche factionnelle faite par les politologues. Félicitons ces messieurs car ils arrivent à ce résultat sans matérialisme dialectique !

Marx+Weber ou le légal-rationnel à l’intérieur de la dictature du prolétariat

Je crois que cet article mérite lecture car ce qui est discuté dedans se diffuse quotidiennement chez nous, sous forme d’idéologie dominante, mais avec un contenu fortement dégradé par le téléphone arabe médiatique (“princes rouges”, “bande des quatre”, etc. deviennent des carcasses extraites d’un champs de référence lointain). Aussi, outre le recensement factionnel des commentateurs, on comprendra mieux ce qu’il y a derrière des signifiants tels que: “bande de Shanghai, les princes du Parti (Tàizídãng), la clique de Tsinghua (Qinghuábãng), les « rapatriés » (Hâiguî) et la faction du pétrole (Shíyóubãng)”.

L’approche factionnelle ne marchant pas mais alors qu’est ce qui marche ? Ces messieurs et leurs informateurs de Taiwan font le bilan d’une relative “rationalisation du monde” institutionnel chinois, avec un caractère de plus en plus “objectivé “des itinéraires d’accession politique dans les différents appareils politiques ou administrations. Tellement qu’on pourrait dire avec eux, “le PCC c’est Weber+Marx”, le légal rationnel soutenu par la dictature du prolétariat. Pour se renforcer politiquement, le parti comprend sur une base matérialiste, qu’il doit développer des pratiques socialement admises. La vérité des hommes c’est le temps et l’expérience, pas la lignée ou le clan. C’est un principe de bon sens, populaire, un jugement qui exprime une “philosophie de la praxis”, source de légitimité. On peut penser que c’est sur la base de ce capital intersubjectif qu’ami, fille ou fils de ont pu et même dû être tenus à l’écart.

C’est ainsi que selon les auteurs, les critères d’objectivation intersubjectif (âge + preuves sur le terrain à différents échelons) sont devenus prévalents pour être reconnus politiquement. Ces principes tendent ainsi à renforcer contre la logique des fiefs et seigneuries, le contrôle de l’arbitraire au sein des appareils et à donner à la dictature du prolétariat une expression légitime, légal-rationnelle. Autrement dit, seule la dictature du prolétariat institutionnalise le combat contre les intérêts privés. Ce n’est pas un truc de castes, de prince ou je ne sais pas quoi. (note de Baran et Danielle Bleitrach pour histoire et société)

La sélection des Élites communistes
chinoises : de la politique factionnelle à l’institutionnalisation du leadership
Alex Payette Université d’Ottawa
TiNG-SHENG Lin Université du Québec à Montréal
« S’ils persistent et ne corrigent pas leur façon de faire, leur capacité à contrôler le système s’en trouvera affaiblie et de fait, la société
chinoise pourrait sombrer dans un état de chaos prononcé. Bref
ce système pourrait prendre fin aux mains de leur génération »

  • Zhang Wei 1 Introduction
    Comment explique-t-on la sélection des élites et du leadership en Chine? Depuis les années soixante-dix, divers travaux (Nathan, 1973 ; Tsou, 1976 ; Bo, 2007, 2009)2 ont mis l’accent sur la politique de faction en Chine afin de comprendre les transitions entre les équipes dirigeantes ou encore la nomination des cadres et hauts fonctionnaires (gãogàn).3 Certains auteurs ont mené des études approfondies des luttes de factions à l’intérieur du Parti communiste chinois (PCC) fondées sur des analyses sociopolitiques de certains dirigeants (« background analysis ») conçues pour expliquer la transition du leadership et la nomination des élites (Doak et coll., 1995 : 3-24; Huang, 2000 : 55-107; Li, 2001 ; Unger, 2002 ; Dittmer et Liu, 2006 : 49-147; Lam, 2006: 3-34 ; Li, 2008: 60-98 ; Li, 2010 ; Miller, 2010 ; Nan, 2010). Cependant, ces analyses n’explorent bien souvent que les aspects de la politique informelle et rendent la catégorisation des acteurs et l’identification des factions ambiguës. Depuis le début du vingt-et-unième siècle, une nouvelle logique politique semble se dessiner au sein de l’État chinois ainsi qu’au cœur du PCC. Les changements de leadership au Centre4 ainsi que la nomination du personnel politique se sont progressivement institutionnalisés à partir du seizième Congrès (2002), si bien que certaines conditions encadrent désormais la dynamique de renouvellement des élites dirigeantes et réduisent le rôle des alliances factionnelles. Si, du onzième au quinzième Congrès, les factions ont pu apparaître comme variable explicative indépendante, nous soutenons ici qu’elles sont aujourd’hui en perte de vitesse. Les luttes de pouvoir qui se déroulent au Centre paraissent à présent répondre à des règles et à des procédures formelles, de telle sorte qu’il est maintenant difficile d’inscrire avec précision les nombreuses figures politiques qui y évoluent au sein de factions données.
    L’examen de ces règles et procédures s’impose afin de mieux comprendre le processus actuel de sélection des élites communistes chinoises.
    Les « couleurs » factionnelles (pàisè), ou encore les affiliations factionnelles (pàixi), n’ont plus l’importance de jadis : les nouvelles élites doivent satisfaire à une liste de plus en plus étoffée de critères précis. On ne cherche plus des leaders combatifs, mais bien des individus aptes à préserver le leadership collectif (jití lingdào) et à respecter les règles et procédures.5 En fait, les alliances factionnelles peuvent même au contraire jouer en défaveur des aspirants.6 On cherche des candidats « sans couleur » (sècài bù qîngxî),7 des « rouges experts » (yòuhóng-yòubó).*

La démarche que nous proposons cherche à réorienter les analyses qui utilisent l’approche factionnelle pour expliquer les changements de leadership et la nomination des élites, pour porter plutôt le regard sur les
règles qui, de plus en plus, conditionnent le changement de la garde au sommet de l’État chinois. A cette fin, nous procédons d’abord en soulignant certaines ambiguïtés et lacunes explicatives de l’approche factionnelle (les problèmes inhérents aux présentes catégorisations factionnelles et la notion de faction entre autres).9 Nous poursuivons ensuite en explorant les « nouvelles » règles et procédures qui encadrent de plus en plus les transitions de leadership et la nomination des élites, pour aborder enfin
l’importance de celles-ci pour les prochaines générations de dirigeants chinois.10 Le texte clôt avec une brève discussion sur l’avenir du factionnalisme en Chine au-delà du dix-huitième Congrès.

Il convient de préciser que notre analyse n’a pas pour but de mettre l’approche factionnelle au rancart. Cette interprétation n’est pas dénuée de mérite explicatif. Nous ne prétendons pas non plus être en mesure de
prédire la nomination des élites communistes lors des prochains Congrès. Nous cherchons simplement à faire la lumière sur ce qui nous apparaît comme une tendance lourde susceptible de marquer avec une intensité
croissante le processus de sélection des élites dirigeantes au sein de l’État
chinois.

Résumé. Cet article défend l’idée que pour être en mesure de bien saisir la sélection des élites communistes chinoises (cadres, fonctionnaires, leaders), il faille maintenant se détourner des approches utilisant la variable factionnelle comme élément explicatif pour ensuite mettre
l’accent sur les règles et les conditions formelles « nécessaires » à la nomination et à la sélection du personnel. Nous pensons que l’âge et l’expérience dans les instances du Parti et de l’État prennent progressivement le dessus sur le côté informel de la politique chinoise. Enfin, ce texte se veut une mise en garde aux chercheurs concernant l’utilisation de la notion de faction dans la politique chinoise, à ne pas accepter a priori l’existence des factions et encore moins leurs présumées influences.

Abstract. This article puts forward the idea that to be able to understand the selection of Chinese communist elites (cadres, officials, leaders), we must now turn away from approaches using the factional variable as an explanatory element to instead focus on rules and “necessary” formal requirements for the nomination and selection of personnel. We believe that age and experience in both the Party and State apparatus are gradually taking over the informal side of Chinese politics. Finally, this article wants to be understood as a warning to researchers regard-
ing the use of the notion of faction in Chinese politics. Neither the existence of factions nor, much less, their supposed influence, should be accepted a priori.

Ambiguïtés et lacunes de l’approche factionnelle


Malgré leur grande popularité, les explications de type factionnel souffrent de plusieurs déficiences, notamment au plan méthodologique (Kou,2010b : 2). Tout d’abord, la notion de faction n’est que rarement définie
dans la littérature employant cette approche. Les seules définitions que l’on peut trouver sont celles de Nathan (1973) et Tang Tsou (1976). On définit une faction comme un groupe d’individus, sous la direction d’un
chef, servant de réseaux de support et d’avancement pour les membres et le chef. Dans le cas du groupe factionnel, ce qui prime est avant tout l’affinité idéologique. En ce sens, la faction s’identifie au chef et le
groupe factionnel à une certaine idéologie ou des antécédents communs, par exemple d’anciens groupes d’étudiants (comme La Clique de Tsinghua11) (Tsou, 1988 : 98 ; Li, 1994 : 30). Nous reviendrons sur l’applicabilité de ces définitions. En plus, nous pensons que l’identification des factions et la catégorisation des membres à l’intérieur de ces groupes ne sont pas toujours aussi claires que les tenants de l’approche factionnelle pourraient nous le laisser croire.12

Il est possible de recenser dans la littérature cinq « factions » en Chine : la Ligue des Jeunesses Communistes (Gongqîngtuànpài), la bande de Shanghai (Shànghàibãng), les princes du Parti (Tàizídãng), la clique
de Tsinghua (Qinghuábãng), les « rapatriés » (Hâiguî) et la faction du pétrole (Shíyóubãng), aussi appelée « faction de l’énergie ». Cependant, nous remettons en cause l’existence de certains de ces groupes de même que leur qualification de « faction ». Nous avons choisi de présenter ces groupes en fonction de leur importance relative sur la scène politique chinoise.

52 Alex Pyette et Ting-Sheng Lin

Les Tuánpài


Le regroupement Tuánpài est actuellement l’un des plus notoires en Chine ainsi qu’à l’étranger. Il tire son origine des Jeunesses communistes, organisation « grassroots » qui sert à préparer les futurs membres et cadres du PCC. Les Tuánpài apparaissent comme force politique constituée vers la fin des années quatre-vingt et gagnent en importance jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. Sa fonction première était de créer un « véhicule de nomination » afin de contourner le népotisme personnel et factionnel au Centre. Le but des Tuánpài était de forcer les anciens leaders à se plier aux règles, en matière de retraite et de nomination, institutionnalisées depuis Deng Xiaoping, afin de permettre à de nouveaux cadres et fonctionnaires de prendre place dans l’appareil d’État. Dit plus simplement, les Tuánpài voulaient créer une fenêtre d’opportunité pour l’ascension des jeunes cadres du Parti. Les Tuánpài, contrairement aux Tàizídáng ou à la bande de Shanghai, proviennent de milieux plus modestes et surtout, sont des bureaucrates professionnels.

Dès l’arrivée au pouvoir de Hu Jintao, appuyé de son second Wen Jiabao, nous avons pu assister à une formalisation plus poussée de la politique, au détriment des aspects informels. Hu Jintao est même allé jusqu’à rendre publics des résumés de réunions du Politburo, diminuant ainsi la place des manœuvres extra-institutionnelles (Wang, 2006 : 115).

De fait, Hu fait suite à l’orientation des réformes de Deng Xiaoping : il s’agit de mettre l’accent sur les règles et institutions afin de gouverner. Cela vient quelque peu court-circuiter l’usage de relations ( Guãnxi ) dans le recrutement des élites (Zang, 2004 : 170). On met depuis davantage l’accent sur le parcours professionnel ainsi que le système de votes pour choisir les effectifs, tant pour l’administration que pour le Parti.13 Ce faisant, la fonction de la faction Tuánpài est remise en question : si les processus de sélection sont effectivement plus « justes » qu’ils ne l’étaient, pourquoi alors faire partie des Tuánpài ? A terme, la faction Tuánpài n’aura que peu d’utilité pour ses membres, car elle a déjà, en grande partie, atteint ses objectifs.

Effectivement les Tuánpài semblent correspondre aux deux définitions étayées au début de cette section en matière de faction. Néanmoins, nous ne sommes pas en mesure d’identifier le successeur à sa chefferie, ni encore de trouver une fonction de remplacement à sa mission originelle. Il existe également un problème quant à sa catégorisation. On comptait, en 2006, plus de 73 millions de membres (environ 7 millions de moins que le PCC) (Xinhua, 2007). Devons-nous penser que tous forment une faction unifiée? Ou encore que tous ceux qui ont sur leur curriculum vitae la mention « Communist Youth League of China (CYLC) » font nécessairement partie de la faction? Cela est très peu probable.14 Une réflexion similaire nous interpelle pour la bande de Shanghai.

La bande de Shanghai


D’abord, il faut savoir que la bande existait bien avant l’arrivée de Jiang Zemin à Shanghai. Elle tire son origine du système d’armée de terrain ( Yèzhànjûn ) et plus particulièrement de la fusion entre la troisième armée ( Sãnyè ), sous la direction de Chen Yi15 et Su Yu,16 et la nouvelle quatrième armée (XI hsijün) (Whitson et Huang, 1973 : 201). Zeng Shan, le père de Zeng Qinghong,17 faisait également partie de la troisième armée.
Cette dernière était connue, avant 1949, sous le nom de système de commandement régional de l’Est (Huádõng xìtong), couvrant le Zhejiang, le Fujian, Shanghai et le Jiangsu (Ryan et coll., 2003 : 169). Zeng Shan en
fut d’ailleurs vice-président durant les années cinquante.
La bande est donc basée sur d’anciens réseaux de loyauté spécifiques à certains individus (Huádõng yúanlão) qui ont partagé une expérience commune durant la période révolutionnaire (1927-1949). En ce sens, la logique inhérente à ce groupe, que semblent oublier la plupart des analystes comme Li Cheng et Willy Lam, est lignagère (xuètong) et non pas géographique, ni même « Jiang-centrique ».18 Les membres fondateurs, comme Zeng Shan, utilisèrent leur influence afin de faire la promotion de leurs enfants à Shanghai et au-delà (Gao, 2001 : 159).
Par conséquent, la bande originale répond à une logique princière et doit être considérée comme de type Tàizïdâng.
Malgré tout, Wang Zhengxu décrit la bande, telle qu’elle est définie dans la littérature récente portant sur les factions, « Jiang-centrique », comme étant basée sur des critères spécifiques. On retrouve, outre
l’appartenance à la ville de Shanghai, trois critères : d’abord, le fait d’avoir été associé à Jiang Zemin durant la décennie 1992-2002 ; ensuite, avoir été promu au Centre par ce dernier ; et enfin, lui être resté fidèle après son « retrait » de la vie politique en 2003 (Wang, 2006 : 125).
Cependant, si l’on tient compte de ces trois critères, il ne resterait maintenant plus que deux ou trois individus pouvant être associés à la bande, dont Wang Hüning.19

A priori, l’existence concrète de la bande « Jiang-centrique » est plus qu’incertaine. Compte tenu du fait que cette dernière dépendait presque uniquement de Jiang Zemin, il est concevable de dire que la bande de Shanghai, telle que médiatisée au cours des dernières années, a potentiellement cessé d’exister. Ceci dit, la plupart des membres associés à Jiang Zemin ont maintenant dépassé le cap des 70 ans et ne peuvent plus occuper de fonctions de premier plan (di-yî xiàn) dans l’administration ou encore dans le Parti. Il n’en demeure pas moins que ces derniers peu vent avoir des protégés se trouvant dans le Parti ou l’appareil d’État. Le critère associatif de « Shanghai » revient également souvent pour identifier les possibles membres de la bande. Cependant, comme nous fit remarquer un professeur en Science politique chinois,20 « si effectivement l’adhésion à la bande se fait de cette façon, alors tôt ou tard un grand nombre de résidents de Shanghai seront coupables par association ». Bref, ce n’est pas parce que l’on travaille dans la fonction publique ou le Parti de la ville de Shanghai que l’on est forcément membre de la bande. Ce serait, selon ce même professeur, « une grossière simplification ».
Le fait qu’il n’y ait plus de chef discernable pose problème pour la qualification de faction du groupe shanghaïen. Nous ne sommes, compte tenu des critères mis de l’avant (que ce soit la bande basée sur une
logique princière ou « Jiang-centrique ») pas non plus en mesure d’identifier clairement les membres de ce groupe. Le fait que l’on ne puisse non plus pas déceler une idéologie formant l’unité du groupe est
aussi problématique pour l’utilisation analytique de la catégorie de « bande de Shanghai ». Au mieux, nous lui accorderons, suivant la logique « Jiang-centrique », le qualificatif d’« inventaire relationnel » de Jiang Zemin ( Jiãngxi pándiãn).

Les Tàizídãng


Ensuite, en terme de « popularité », viennent les princes du Parti, connu en Chine sous le nom de Tàizídãng. On fait parfois aussi référence à ce « groupe » à l’aide de l’appellation « descendants lignagers des cadre seniors “rouges” » ( hóngsè gãogàn xuètong). Malgré leur impopularité auprès du peuple, ainsi que plusieurs membres du gouvernement, les Tàizídãng profitent de la confiance de membres retraités du Parti. Ils sont
perçus comme ayant de « droites racines rouges » ( gênzhèng-miáohóng ).

Leur origine remonte à l’époque de Mao (1949-1976), mais la question de leur existence ne fut remise à l’ avant-plan que sous Deng Xiaoping. Ce dernier voulait limiter, compte tenu de la crise de légitimité que tra-
versait le Parti, le nombre de Tàizídãng nommé à des postes importants afin d’éviter de renouer avec le mécontentement populaire de 1989. En fait, à cette époque, tout comme à l’époque actuelle, le fait d’être Tàiz-
ídãng était très mal vu par la population. Ce n’est que lorsque Jiang Zemin prit le contrôle qu’ils revinrent à l’ avant-scène, et ce, malgré le fait que Deng le lui avait fortement déconseillé (Lam, 2006: 28). En ce sens, ils effectuent un retour marqué sur la scène politique depuis le 16e Congrès [voir Graphique 1]. Il est d’ailleurs, depuis quelques années, possible de trouver des ouvrages entiers sur ce sujet (Nan, 2009).
Il est aussi bien important de comprendre que l’appellation Tàizídãng ne fait qu’indiquer la provenance – enfant du Parti – et non la présence d’un groupe organisé. En ce sens, en tant que formation factionnelle, ils ne répondent pas aux critères minimaux servant à qualifier une faction (par exemple, un leader ou une idéologie commune). Les Tàizídãng ne sont au mieux qu’une force politique disparate, mais non- négligeable, au sein du PCC : ils possèdent tous leurs propres réseaux

La sélection des Élites communistes chinoises 55
Graphique 1
Dynamiques Factionnelles 1993-2002/3
privés.

En plus, contrairement aux affiliations factionnelles des années 1970-1980, basées avant tout sur une idéologie commune (voir Graphique 2), les Tàizïdàng sont issues des groupes de lignages « rouges ».
En raison des rondes d’institutionnalisation du Parti et de l’appareil étatique, ces derniers ne peuvent pas que compter sur leur provenance.
Plusieurs d’entre eux ont prouvé leur valeur par le biais de leurs accomplissements dans de multiples sphères, notamment dans le développement économique. Ils ont su montrer qu’ils répondaient aux critères formels de nomination et étaient « dignes » des postes qu’ils occupent.
Nous pensons notamment ici à Wang Qishan et son rôle actif dans le dialogue économique entre les États-Unis et la Chine.
Somme toute, la « faction », en tant que groupe unifié, des princes du Parti est une construction médiatique qui a gagné en importance de par la mauvaise opinion qu’en a la population chinoise et grâce à l’attention que lui ont portée des chercheurs et médias étrangers.21

Les « rapatriés », la Clique de Tsinghua et la faction de l’énergie

Le terme de Hâiguî désigne toute personne (chinoise) ayant été éduquée à l’étranger pour une période d’au moins un an (Li, 2010 : 7), et qui ensuite revient en Chine afin d’y trouver un emploi. Ce critère arbitraire fait que même des étudiants qui font des séjours de recherche peuvent être considérés comme Hâiguî.
Il existe aussi une certaine méfiance envers les « rapatriés » : on remet en cause leur loyauté ainsi que leur appartenance au système poliT tique chinois (Li, 2006 : 22). Ce faisant, le gouvernement exerce une
logique de « réutilisation et de méfiance » (jì zhòngyòng yòu fángfàn ) à leur égard (Kou, 2007 ; Chen, Chen et Chen, 2012 : 26). Ces derniers sont alors nommés à des postes moins politiques (par exemple, en finance,
dans le Droit, en science, et ainsi de suite). Enfin, ce qu’il faut retenir, c’est que les « rapatriés » ne forment en aucun cas un groupe cohérent capable d’agir sur la scène politique chinoise.

La clique de Tsinghua pose le même type de problème que celui des Hâiguî. Le critère associatif est trop large : sont considérés comme faisant partie de la clique ceux qui ont étudié à Tsinghua. Dit autrement, c’est un réseau d’étudiants gradués de l’université Tsinghua. Considérant la disparité de ces diplômés (par exemple, Hu Jintao [Tuánpài], Xi Jin- ping [Tàizïdâng] et Huang Ju [bande de Shanghai]), ce groupe ne peut être que difficilement vu comme étant organisé, solidaire ou même cohérent. Pour avoir discuté de cette question avec un membre de la faculté des Sciences humaines et sociales dans le département de Science politique de l’Université de Tsinghua, « ces réseaux sont loin d’être aussi développés que ceux que l’on peut trouver aux États-Unis dans les grandes écoles comme Harvard ».22.

Enfin, nous considérons la faction de l’énergie, connue aussi sous le nom de « faction du pétrole », comme étant une des premières affiliations sectorielles que nous placerons sous la dénomination de « groupe
d’intérêt ». Tout dépendant de la période discutée, la « faction » de l’énergie a généralement été composée de cadres et fonctionnaires importants (Ma Kai,23 Ma Fucai,24 Zhou Yongkang,25 Zeng Qinghong et ainsi de suite). Cette alliance sectorielle sert de lobby afin de (souvent) faire avancer les intérêts du secteur pétrolier et de ceux qui en bénéficient (par exemple, les grandes compagnies pétrolières chinoises). Cependant,
il n’y ni chef ni idéologie commune à ce groupe. Au mieux, faute de pouvoir lui accorder l’étiquette de « faction », on pourra dire que ce groupe exerce des pressions sur le processus de prise de décision sans
toutefois prétendre au pouvoir politique.

Remarques et commentaires


L’approche factionnelle, de façon théorique et empirique semble, sans toutefois être surannée, être en perte de vitesse sur la scène politique chinoise pour plusieurs raisons. Premièrement, plusieurs de ces « factions » ne répondent pas aux définitions mises de l’avant par les créateurs de l’approche factionnelle. Deuxièmement, certaines ont existé pendant un temps, mais pour au moins deux d’entre elles (la bande de
Shanghai et les Tuánpài ), leur continuité est incertaine. Troisièmement, certaines factions sont le produit d’observateurs externes et n’existent pas, en tant que groupe, de façon empirique. Quatrièmement, selon des
observateurs expérimentés sur le terrain,26 il ne semble pas approprié de tirer des conclusions sur l’appartenance factionnelle de certains individus sous peine de généraliser trop facilement. Finalement, dans le cas de certaines études quantitatives,27 la définition et l’opérationnalisation de la variable « faction » sont hautement problématiques.28 Selon Shih, les cadres qui partagent des liens d’écoles, de naissance ou de travail sont plus susceptibles de faire partie d’une faction. En plus, les leaders de gouvernements provinciaux et les membres du comité permanent du Politburo qui partagent ces types de liens sont présumés comme faisant
forcément partie d’une même faction (2004 : 7-8). 29 Cette définition ainsi que l’usage de la notion de faction dans son étude rejoignent nos critiques en matière de généralisations (associations) faciles.30

L’institutionnalisation des changements de leadership et de nomination du personnel.

Dans cette partie, nous avons étayé cette « nouvelle » avenue explicative que forme notre hypothèse, soit l’institutionnalisation progressive du transfert de pouvoir et de la nomination et sélection du personnel en Chine.

Nous nous basons sur des documents officiels ainsi que sur des analyses en provenance de Taiwan et de Hong Kong.31
Les critères qui sont selon nous maintenant essentiels sont (1) l’âge des candidats et (2) l’expérience dans le Parti ou le gouvernement. Nous considérons ces derniers comme « nécessaires »32 à l’avancement.
« Ne pas dépasser les 70 ans » ou les règles de l ‘âge.
Depuis la fin du seizième Congrès, il est possible de discerner, outre un remaniement de grande envergure des effectifs dans les hautes instances du Parti, la présence de critères formels en matière de nomination. C’est
la limite d’âge qui semble être la plus importante lors des transitions du pouvoir à l’intérieur du Parti. Par exemple, le critère du « plafond de 70 ans » (qìshi sui huàxiàn litui), fut d’ailleurs le premier critère
formellement « institutionnalisé » (Kou, 2010a : 107). Selon Kou, l’année précédant le seizième Congrès, le Comité central du Parti ( Zhõngyãng Wěiyuánhui) s’était déjà entendu sur la question du « rajeunissement »
des cadres ( gànbù niànqînghuà) à l’intérieur des instances supérieures du Parti (2010a). Le plan étayé gravitait autour de plusieurs lignes directrices, dont le fait que les nouveaux membres du Comité central du
seizième Congrès devront être de cinq ans les cadets des membres du quinzième Congrès. Cela était pensé dans l’optique de maintenir la moyenne d’âge du Politburo autour ou en deçà de 60 ans, tout en conservant le plateau de 70 ans comme âge maximal (Kou, 2010a). Les membres du quinzième Congrès ayant atteint la barre symbolique70 ans doivent se retirer des fonctions de premier plan ( di-yî xiàn ) et ce, sans exception.33 Tous les membres du seizième Congrès, incluant le comité permanent du Politburo, l’entièreté des membres du Politburo ainsi que ceux de la commission militaire centrale (CMC), doivent avoir moins de 68 ans, exception faite de Jiang Zemin. Ce dernier quitta le poste de président à 70 ans et à 72, soit deux ans plus tard, le poste de président de la CMC.34
Tous ces points tendent à démontrer que le critère de l’âge gagne en importance depuis le quinzième Congrès. Ce dernier est devenu en quelque sorte la routine en matière de retraites et nominations du fait qu’il est appliqué à tous les niveaux hiérarchiques. Cette règle est imposée à la fois aux futurs cadres, mais aussi à ceux qui l’ont mis en application (Kou, 2010b : 13). Le seul poste qui semblait échapper à cette nouvelle
norme est celui de président de la CMC.35 Cependant, le retrait ultérieur de Jiang Zemin, soit deux ans après la nomination de Hu Jintao au poste de Président de la RPC, tend à prouver qu’en fait l’accession à ce poste
n’est pas non-standardisée. Cela indiquait plutôt un autre tournant dans l’institutionnalisation de la transition du leadership, soit un certain « seuil de deux ans ». Cependant, il n’en fut pas ainsi durant le dix-huitième Congrès. Hu Jintao s’est retiré de l’ensemble de ses fonctions, laissant à
Xi Jinping la présidence de la CMC.

En ce qui concerne les niveaux en dessous du leadership central :
(1) Sous aucun prétexte, l’âge des membres du Comité central, permanent ou suppléant, ne doit dépasser, lors de la nomination, les 64 ans ;
(2) Si des cadres de niveau ministériel ou provincial veulent être nommés membres du Comité central (permanent ou suppléants), ils doivent être au plus âgés de 62 ans ; et (3) Ceux de rangs vice-ministériels vou-
lant être sélectionnés au Comité central comme membres permanents ou suppléants, doivent être sous la barre de 57 ans (Kou, 2010a : 156-57).
Durant les élections pour l’attribution des postes au Comité central, les leaders du Parti sont également tenus de choisir parmi un bassin d’excellents cadres âgés de moins de 50 ans. Ces élections internes, quoique souvent tournées en dérision par les observateurs externes, sont malgré tout importantes et démontrent l’existence de la volonté indépendante des hautes instances du Parti.36

En matière de retraites, l’âge maximal semble lui aussi évoluer vers le bas. Nous entendons par là le fait que la limite d’âge continue de descendre. Selon Kou, elle devrait atteindre 68 ans pour les membres du Politburo et les hauts dirigeants de la CMC (2005 : 151-55). On sait d’ailleurs que les cadres de niveau vice-ministériel et ministériel doivent se retirer respectivement à 60 et 65 ans (Huang, 2009 : 167). Ceux de rang provincial quittent à 65 ans (Kou, 2001 : 1-16). Le département de l’organisation du Parti a, pour sa part, mis en place 1′ « exigence 2-5-8 »
{( èr-wú-bã niànling yãoqiú) (Kou, 2010a : 194). Cette dernière impose que les chefs de section, de division et de bureau quittent leur poste de premier plan ( di-yîxiàn ) à l’âge de 52, 55 et 58 ans (Zheng, 2003 : 1 75-
90). Malgré que nous n’avons pas tous les chiffres exacts, tous les cadres supérieurs du Parti et du gouvernement ( dãngzhèng lingdâo gànbù ) ont maintenant des restrictions quant à l’âge obligatoire pour la retraite (Huang, 2009 : 184). Ainsi, depuis le seizième Congrès, il n’y a plus de membre dépassant les 70 ans dans le Politburo. L’âge moyen se situe maintenant entre 60 et 67 ans (73,9 %) (Kou, 2010 : 12). Les nouveaux
entrés au Politburo sont également, en majorité, en dessous de la barre de 59 ans (75 %) et entre 60 et 63 ans (25 %) (Kou, 2010b : 14).
Enfin, l’âge est considéré comme un critère crucial dans la sélection des cadres, et plus particulièrement pour les nominations dans les hautes instances du PCC (Huang, 2010 : 22-23 ; Kou, 2010a). Selon Kou, l’âge des dirigeants du Parti doit refléter les caractéristiques de la population chinoise, d’où le programme de rajeunissement des cadres mis en place depuis le quinzième Congrès (2010b : 8). Ces nouvelles
instructions influencent le choix des futurs membres qui seront sélectionnés au Centre ainsi qu’aux échelons inférieurs, primant ainsi, de notre point de vue, de jure sur les affiliations factionnelles.

L’expérience professionnelle ou la mise en place des critères « nécessaires » de sélection

Suite au critère de l’âge vient celui de l’expérience professionnelle nécessaire. Ces points sont maintenant de plus en plus importants dans le processus de sélection et de nominations des cadres et leaders du Parti. Les cadres choisis au Centre doivent maintenant minimalement avoir un diplôme universitaire de premier cycle. Les diplômes de second et de troisième cycle semblent cependant devenir la nouvelle norme pour atteindre les hautes instances du Parti (Chen, Chen et Chen, 2012 : 5-6).

Selon d’autres comme Bo Zhiyue, les hauts postes de direction en provinces et dans les localités deviennent les endroits privilégiés pour former et recruter les futurs hauts fonctionnaires ou encore membres du Politburo (2003 : 66-117). Les cadres qui travaillent dans les grandes provinces riches du sud et de la côte est ont de plus grandes chances d’entrer dans les organes décisionnels centraux (Chen et Chen, 2007 : 57-85). Les cadres supérieurs qui veulent être promus au Centre (Politburo, comité permanent, et ainsi de suite) doivent avoir occupé des fonctions provinciales, ministérielles, en plus d’avoir passé un certain temps dans le Comité central. Les nominations directes – de membres du Comité central au comité permanent du Politburo – ne sont pas une norme et doivent maintenant être considérées comme des exceptions aux règles de nominations (par exemple, la montée en flèche de Hu Jintao37) (Kou, 2010b : 10). Les nominations de membres au niveau ministériel ( zhèngbùji ), depuis le seizième Congrès, requièrent plus de cinq ans d’expérience dans le Comité central. Seulement 12,5 pour cent des cadres ont été promus en moins de quatre (dix-septième Congrès) (Kou, 2010b : 11). Cependant, ces cinq ans d’attentes ne sont pas suffisants. Le candidat doit en plus répondre à d’autres critères : avoir travaillé en province, dans le Parti ainsi que dans le gouvernement. Ceux qui « quittent » les postes de premier plan (di-yî xiàn), ou encore ne réussissent pas à se faire promettre au Politburo, iront vers le Congrès national populaire (NPC) ou vers la Conférence consultative politique du peuple chinois (CPPCC) afin de « vieillir de façon active » ( fahuî yurè) (Kou,2010b : 12).

Ensuite, pour être élu au Politburo, il faut être membre du Comité central, respecter la limite de l’âge (voir ci-dessus) et avoir de l’expérience de niveau ministériel ou provincial (par exemple, ministre au Conseil
d’État [Guówùyuàn bùzhâng ], gouverneur de province [shëngzhâng] et secrétaire provincial du Parti [shěngwěi shüji]). En ce qui concerne le comité permanent du Politburo, les exigences sont plus élevées. Il faut
être membre du Politburo depuis au moins cinq ans (Chen, Chen et Chen 2012 : 3) et avoir occupé plusieurs au Centre, entre différents secteurs administratifs et dans plusieurs provinces (pauvres et riches). Si les individus n’ont pas d’expérience dans les grandes provinces ou encore dans le Conseil d’État sont classement et ses chances d’ascension, s’en ver ront affectées (Huang, 2010:12).

Enfin, nous souhaitons soulever un dernier point en matière d’expérience et de sélection du personnel. Nous avons traité indistinctement des postes gouvernementaux et de Parti. Cependant, nous tenons à préciser que les règles de sélections des élites sont légèrement différentes en fonction du type de poste voulu, que ce soit un poste administratif ( tiáo ) ou un poste géographique/politique ( kuài ). Il existe, au sein du Parti, une division du travail entre les postes politiques {kuài et les postes administratifs {tiáo). Cette dernière nous permet de partager les élites en deux groupes, soit ceux qui « prennent les décisions » et ceux qui « les mettent en application » (Payette et Mascotto,2011 : 147).
Cette division pousse les conditions nécessaires à l’obtention de postes vers deux logiques différentes. D’un côté, en vue de choisir un individu pour les hautes instances du Parti, on prendra principalement en considération son expérience (gouverneur, secrétaire du Parti) dans diverses provinces et localités (poste géographique). D’un autre côté, en ce qui concerne les fonctionnaires de l’État, on tiendra premièrement
compte de leurs expériences dans les multiples secteurs administratifs au Centre et dans les provinces/ localités (chef de bureau, de section). Il semble que pour accéder aux postes politiques {kuài), le fait d’avoir occuper plusieurs postes géographiques (gouverneur de province, secrétaire provincial) soit plus important que d’avoir occupés des postes dans plusieurs secteurs administratifs {tiáo) (chef de bureau, de section).38 Le facteur de l’âge semble également très important pour l’accession aux hautes instances du Parti (Huang, 2010: 24).
Ce système de différenciation fonctionnel {fënshûhuà) et la différenciation des règles influencent grandement le processus de sélection des cadres et des leaders du Parti (Huang, 2009 : 167). En ce sens, nous
considérons le côté formel, les règles et procédures, comme étant « nécessaires » à la compréhension de la sélection des élites.
L’importance des règles : le bouclier institutionnel et légitimant Selon Zang Xiaowei, malgré l’influence des factions dans la politique chinoise, le système de recrutement des élites – mis en place progressive-
ment depuis les années quatre-vingt – viendra remplacer les aspects non institutionnels (informels). La génération suivante, post-dix-septième Congrès, préférera ce système aux autres affiliations parce qu’il favorise la montée de personnel ayant de meilleures compétences. Ces capacités ne sont pas acquises par le biais d’une appartenance factionnelle (Zang,2005 : 208-10).

Contrairement à Mao Zedong et Deng Xiaoping, qui se prévalaient essentiellement de leur légitimité révolutionnaire, la légitimité des nouveaux dirigeants (sixième génération [2022-2032]) dépend grandement
du système formel de recrutement des élites poussé par Hu Jintao depuis 2003 (Chen, Chen et Chen, 2012 : 6). Ce dernier est un prolongement du système légal et vient suppléer la légitimité politique de l’État.

En plus, comme nous l’avons déjà mentionné, il est très difficile d’observer de façon directe les facteurs informels ou encore de rendre compte de leur influence (Kou, 2010b : 2). 39 II serait, selon Kou, méthodologiquement mieux de mettre l’accent sur les facteurs formels, tels que l’âge et l’expérience, afin de pouvoir comprendre la logique derrière la nomination des élites et la transition des équipes dirigeantes (2010b : 3). Certes, les affiliations factionnelles peuvent encore jouer un rôle pour les leaders de la cinquième génération (20 12-2022). 40 Cependant, on remarque que sur la liste des 165 membres suppléants du dix-septième
Congrès ( hòubu wěiyuán ), 119 sont considérés comme sans affiliations. On compte 41 Tuánpài et 5 Tàizïdàng (Chen, Chen et Chen, 2012 : 9). Il faut également se souvenir, et ce point fut soulevé par Nathan (1973),
que ces facteurs non-institutionnels ont une importance seulement dans le cadre du système formel (Kou, 2010b : 3). En ce sens, les nouveaux leaders ont tout intérêt à respecter les règles, car le futur du système politique en dépend : la création de règles et de processus formels vient les aider à pallier la crise de légitimité que le Parti traverse depuis 1989. Ce dernier, ne pouvant plus faire appel au marxisme, en perte de « résonance » chez les masses, s’appuie sur les performances économiques afin de bonifier sa légitimité. Ces règles deviennent alors pour le PCC un outil indispensable pour la gouvernance journalière. Enfin, ces règles et
procédures démontrent également la capacité d’adaptation et résilience du système chinois envers les pressions externes et internes (Shambaugh, 2008 : 33).

Conclusion

Dans cet article, nous avons œuvré à réorienter la façon d’appréhender la sélection des élites et la transition du leadership en Chine. Pour ce faire, nous avons proposé une série de critiques concernant l’approche
factionnelle, et ce, en mettant en examen les principales factions identifiées en Chine contemporaine. Nous avons souligné les problèmes relatifs à cette approche afin de pouvoir mettre de l’avant une « nouvelle »
avenue explicative. Cette dernière s’inspire de travaux et d’analyses récentes, d’entretiens avec des membres retraités du Parti et de professeurs chinois de Science politique. Tout cela dans le but de rediriger
l’analyse vers les règles et procédures qui semblent, selon nous, prendre le dessus progressivement sur l’aspect factionnel. Nous avons identifié deux conditions majeures en matière de sélection et de nomination des
élites et de transition du leadership en Chine, soit l’âge et l’expérience.
Nous qualifions ces conditions de « nécessaires ». Selon nous, elles deviendront de plus en plus strictes au fur et à mesure que le système politique chinois prendra de la maturité. Ceci dit, nous n’idéalisons pas l’état actuel de l’institutionnalisation du système de nomination des élites en Chine. Nous sommes conscients que ce dont nous traitons fait partie d’un processus plus grand d’institutionnalisation du politique en Chine contemporaine.
En ce sens, nous sommes également conscients du fait que les factions seront appelées à jouer un rôle pour encore un certain temps.41
Cependant, nous pensons qu’elles ne représentent au mieux qu’un phénomène transitoire et qu’à terme, elles sont vouées à se faire rem- placer par des groupes d’intérêts (sectoriel, provincial, et ainsi de suite)
plus institutionnalisés et formalisés dans l’État.
La politique de sélection des élites n’est plus une sorte de lutte de pouvoir invisible durant laquelle on veut éliminer les autres factions (Chen, Chen et Chen, 2012 : 3).42 Au contraire, les auteurs comme ceux que
nous avons cités ci-dessus s’accordent pour dire qu’en fait la sélection et la nomination des élites suivent maintenant des étapes qui progressive- ment s’institutionnalisent, surtout depuis la transition de la troisième à la quatrième génération (Chen, Chen et Chen, 2012 : 4 ; Huang, 2012 :
46).
Enfin, cet article se veut une sorte de « mise en garde » pour les chercheurs afin qu’ils puissent examiner les discours factionnels – sur la Chine – avec attention pour ensuite voir s’il existe d’autres explications
pouvant rendre compte du phénomène. Bref, nous invitons à la prudence quant aux explications factionnelles : elles ne doivent pas être acceptées comme évidence conceptuelle ou même empirique.

Notes
1 Le Dr. Zhang est professeur d’économie à la faculté d’études asiatiques et moyennes-orientales de l’Université de Cambridge (Angleterre).
2 Cette liste n’est en aucun cas exhaustive. Cependant, il serait impossible de nommer l’entièreté des articles traitant de ce sujet.
3 Selon certains professeurs de la faculté de Science politique de l’Université Océanographique de Chine, le terme de gâogàn devrait être considéré comme obsolète, car on retrouve maintenant de moins en moins ce type de haut fonctionnaire. On tend plutôt à séparer et répartir les fonctions, si bien que la différence de pouvoir entre ces derniers s’amoindrit (entretien à Qingdao, le 10 juillet 2012).
4 À noter, nous utiliserons le mot Centre avec une lettre majuscule pour parler du centre politique. Nous entendons par « Centre » les plus hautes instances du Parti et du gouvernement, soit le Conseil d’État, le Comité central, le Politburo ainsi que le comité permanent du Politburo.
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5 Ce point fait directement référence à la légitimité du système politique, de même qu’à sa stabilité.
6 Par exemple, l’image publique des princes du Parti est plus que mauvaise auprès de la population chinoise.
7 Par exemple, Sun Zhengcai est vue comme étant près de Wen Jiabao (Ren, 2010 : 94-98) sans toutefois avoir d’affiliation forte avec aucune des factions (Ren, 2010 : 94-99; Nan, 2010 : 315). Parmi les sans couleur, nous pouvons également nommer Zhao Lej i. Ce dernier, quoique considéré comme étant près de Xi Jinping, ne possède non plus pas d’affiliation factionnelle définitive et claire (Nan, 2010 : 537). Ces deux individus répondent à notre logique de nomination au Centre selon des critères
formels.
8 Ce terme est mis de l’avant par Bo Zhiyue (2012 : 23). Il n’entend pas ce terme comme étant associé aux princes du Parti. Voire la section « Tàizïdâng ».
9 Nous croyons que le mode explicatif factionnel est en fait vulnérable à deux arguments. Le premier étant d’ordre épistémologique (la question de la construction a postériori de certaines factions), et le second théorique (le fait que certaines factions ne répondent plus aux exigences catégorielles de la définition de faction.
10 En ce sens, notre idée vient rejoindre celle de Zang Xiaowei (2004).
11 Certains mots comme Tsinghua ( Qînghuà ) et noms propres comme Chiang Kai-Shek (Jiäng Jièshí) sont d’ordinaire acceptés et écrits suivant le système de romanisation Wade-Giles.
12 La majorité de nos participants n’étaient, sauf pour des noms clés (Hu Jintao, Xi Jinping et ainsi de suite) pas en accord avec les classifications factionnelles faites par Li Cheng, Victor Shih et Bo Zhiyue.
13 Et pour cause, plusieurs enfants du Parti n’ont jamais réussi à se faire élire au Comité central, et ce, malgré leur provenance. Par exemple, Chen Yuan, fils de Chen Yun (l’un des huit grands leaders proéminents), Deng Pufang (fils de Deng Xiaoping), Jiang Mianheng (fils de Jiang Zemin), pour ne nommer que ceux-ci (Li, 2004 : 66).
14 Un des cadres retraités du Parti que nous avons rencontré à Jinan, capitale provinciale du Shandong, nous fit cette remarque. Il ajouta qu’à l’époque, nombreux étaient ceux qui n’avaient pas le choix de s’y enrôler. D’autres y voyaient un moyen d’entrer plus rapidement dans le Parti pour ensuite bénéficier d’avantages (entretien à Jinan, le 17 mai 2012).
15 Chen Yi (1901-1972) était un haut dirigeant militaire communiste. Il fut le premier maire de Shanghai post-libération.
16 Su Yu (1907-1984), parfois comparé à Lin Biao, dirigea le système de l’Est ( Huà-dõng) durant la guerre civile chinoise.
17 Zeng Qinghong fut le vice-président de la Chine de 2003 à 2008. Nonobstant le fait qu’il fut le numéro deux de Jiang Zemin à Shanghai, les analystes le considèrent comme étant une des figures clés des Tàizïdâng (He et Gao, 1997 : 310 ; Nan, 2009, 2010 ; Kou, 2001 ; Wu, 2002).
18 Nous voulons dire qu’elle deviendra lignagère par la suite. Le terme « Jiang-centrique » veut dire basé sur Jiang Zemin ou centré autour de Jiang Zemin.
19 Wang est directeur du centre de recherche politique du PCC. Il a d’ailleurs été nommé au Politburo lors du dix-huitième Congrès.
20 Entretien à Beijing, le 23 mai 2012.
21 The New York Times est selon nous l’un des meilleurs exemples.
22 Entretien à Shanghai, le 30 mai 2012.
23 Ma Kai était le directeur de la Commission nationale de réforme et développement en 2003. Il fut nommé au Politburo en 2012.
24 Ma Fucai était le directeur exécutif de la CNPC et directeur général de PétroChina jusqu’à sa démission en 2004.
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25 Zhou Yongkang est présentement membre du comité permanent du Politburo. À noter, le père de ce dernier, Zhou Yiping, était membre de la nouvelle quatrième armée en 1941.
26 Nous faisons ici référence à nos entretiens en Chine durant l’été 2012.
27 Nous pensons ici notamment aux travaux de Victor Shih (2004 ; Shih et coll., 2012).
28 À ce titre, nous passons également outre le fait que Shih, comme Li Cheng (2010), base l’entièreté de leur analyse sur une prémisse datant de 1973 (pré-réformes).
29 Nous avons traduit librement et paraphrasé la définition qu’il offre de faction ainsi que la façon dont il l’opérationnalise pour en mesurer les effets. Ce dernier reprendra une définition très similaire dans son plus récent article en mentionnant (Shih et coll., 2012 : 182) qu’il est possible que la mesure des liens factionnels soit sujette à des erreurs, mais sans plus.
30 En termes juridiques, la logique derrière la construction des catégories de Shih est basée sur le principe de la culpabilité par association. De notre point de vue, nous ne pouvons pas faire ce type d’association directe sans preuve à l’appui. Bref, nous pensons que chez Shih, les catégories sont beaucoup trop arbitraires et mériteraient d’être révisées.
31 Les ouvrages en provenance de Taiwan et Hong Kong sont beaucoup plus avancés, en terme d’informations privilégiées et d’analyses, que celles que l’on peut trouver dans le monde occidental.
32 Nous plaçons ici les critères nécessaires pour indiquer leur prévalence ainsi que leur importance non-négligeable vis-à-vis les affiliations factionnelles.
33 Le critère de l’âge de démission est d’ailleurs devenu une règle formelle depuis 2002. Voir le chapitre 11, article 55 du guide sur la sélection et la nomination des cadres supérieurs. (PCC, 2002 : 20)
34 Kou mentionne cependant que malgré le fait que Jiang Zemin soit resté deux ans de plus, il ne jouissait plus du pouvoir de prise de décision (comme ce fut le cas avec Deng Xiaoping), les règles du Parti l’en empêchant (2010a: 199).
35 Ce geste va à contresens des efforts d’institutionnalisation des transitions du pouvoir. La simultanéité des deux leaders révèle une contradiction importante en matière d’institutionnalisation ainsi qu’envers l’idée de leadership unifié (Kou, 2010a :
200-201).
36 En ce sens, les mécanismes de nomination hiérarchique des cadres dépendent du résultat des élections intra-Parti. Si un candidat ne peut se faire élire, la nomination directe est alors très mal vue et peu probable.. Les cas de Bo Xilai et de Xi Jinping lors du quinzième et seizième Congrès sont, à ce sujet, très intéressants.
37 II semble cependant que Hu Jintao fit la même chose avec Xi Jinping, exception faite de son entrée tardive à la vice-présidence de la CMC..
38 Ceci n’est pas propre à la période communiste. On peut retrouver cette logique de sélection des cadres et fonctionnaires au plus tard dès le début de la dynastie des Song (960-1279) (Li, 2010b : 356-58).
39 Voir la section « remarques et commentaires ».
40 II est probable qu’à dossiers égaux, l’affiliation factionnelle puisse départager deux candidats pour un même poste. Cependant, nous tenons à dire que le critère factionnel et les critères formels de sélection ne possèdent pas la même pondération. Nous pensons également que l’élément factionnel demeure parfois instable dans la nomination et sélection des élites : c’est-à-dire que les résultats, voire même les con-
séquences, d’avoir une affiliation sont flous. Il n’y a pas de certitude quant à l’ascension dans le Parti. Le meilleur exemple demeure pour nous le cas de BoXilai.
41 En ce sens, nous ne considérons pas l’institutionnalisation et la continuité des fac-tions comme étant exclusives.
42 Les auteurs font ici directement référence à la thèse de Tsou Tang

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1 Commentaire

  • Xuan

    L’auteur reconnaît que la théorie des « factions » ne fonctionne pas mais il ne veut pas la « mettre au rancart », l’amender peut-être…toutes ces précisions sur les clans, factions, bandes sont intéressantes, mais :

    Il existe une autre théorie qui dit que dans une société de classes, la lutte des classes traverse toute la société, et que dans le parti communiste, cette lutte se manifeste aussi sous une forme plus ou moins violente ou atténuée selon les conditions.

    Selon cette théorie, cette lutte de ligne se traduit par des succès si la ligne générale est juste, conforme aux intérêts des masses et au marxisme-léninisme, ou bien par des échecs si elle est erronée, droitière ou gauchiste. Pour les matérialistes c’est une loi de la connaissance, qui veut que la vérité soit issue de l’expérience pratique.

    De quels succès et de quels échecs s’agit-il ? On parle de succès ou d’échec si cette ligne a fait progresser ou non la société chinoise dans la révolution socialiste, au fond.

    Les écrits de Mao Tsétoung tout au long de la guerre de libération sont émaillés d’exemples dans ce sens, où les erreurs politiques ont coûté des milliers de vies.

    Il est possible que les dérives de la révolution culturelle, accentuant la lutte politique au point de générer un double pouvoir – contraire aux principes mêmes du petit livre rouge- , et de freiner le socialisme, aient conduit à atténuer les débats sur ce sujet. De sorte que la lutte de lignes soit rarement évoquée publiquement. Elle n’en existe pas moins, entre une tendance libérale, une autre dite « maoïste » et une troisième plus au centre, pour parler simplement.

    Mais il est assez prodigieux que l’auteur, au terme d’une enquête aussi approfondie et d’une connaissance aussi détaillée du PCC n’en dise pas un mot, qu’il ait consacré autant d’énergie pour passer à côté de ce qui distingue le PCC du Parti Démocrate progressiste de Taïwan, des Démocrates américains, ou de LREM, des Insoumis, des écolos ou du PS…

    Visiblement selon lui le parti communiste est un parti comme tous les partis bourgeois, sa cause et son objectif final n’ont pas un sens singulier.

    Mais pourquoi Xi Jinping a-t-il répété si souvent la nécessité de conserver au cœur l’objectif final du communisme ?

    Pourquoi Lai Xiaomin a-t-il été condamné à mort ? Le Monde soupçonne que ce serait pour “écarter les personnalités opposées à la ligne du président Xi Jinping”. Mais si on lit l’article, il vient que s’opposer à la ligne du président Xi Jinping dans le cas de Lai Xiaomin, c’est pratiquer la polygamie et la corruption à grande échelle.

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