Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Godard for ever… L’image…

Maintenant que l’anniversaire du 8 mai a été consciencieusement bâclé pour laisser toutes ses chances à la nouvelle guerre froide des USA contre la Chine prendre toute son ampleur dans la conscience des futurs citoyens belligérants que nous sommes, on va parler de quoi? Du dé-confinement bien sûr mais sur le fond de quel spectacle historique tronqué? Deux hypothèses qui peuvent n’en faire plus qu’une, mai 68 et “ses chamailleries” d’arrivistes macroniens, sans le mouvement ouvrier comme il se doit, oui bien sûr. Mais il y a aussi le festival de Cannes où on reverra les mêmes… Alors voilà ce que j’écrivais le 13 mai 2018 pour saluer un enfant de la grande bourgeoisie genevoise qui prétendit donner des leçons de Révolution mais qui au moins sut en apporter de cinéma : Godard tel qu’en lui-même… Et au passage un diagnostic parodié de Marx sur le couple Laurent-Mélenchon qui commençait à sérieusement me taper sur le système tant ils avaient un côté double patte et patachon… (note de Danielle Bleitrach le 9 mai 2020)

13MAI 2018

Godard fait son cinéma en souvenir de mai 68, je n’y ai jamais cru mais il y a l’image et ça je ne peux m’y arracher! Mais quels temps épuisés, que ceux où des vieux comme Godard, comme certains d’entre nous, sommes plus jeunes et plus subversifs (même dans la frime) que ce que sont devenus tous ces clowns usés comme Cohn Bendit, leur OPA sur le mouvement ouvrier de ce temps là. Ils jouent à renverser le passé, ils se rangent derrière Macron, ils se vantent de leurs « conspirations » dans les locaux que leur prêtent les sociétés d’assurance, les banques, avec le vieux Collomb totalement gâteux qui leur assure la franc maçonnerie. Leur coup d’Etat derrière Macron est bien digne de ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être, des « petits bourgeois pris de rage », leurs  tremblements de terre finissant  toujours par renverser les poulaillers et, hier comme aujourd’hui, leur mai 68 n’a jamais abouti qu’à une chambre introuvable à qui l’on confie le soin de détruire tous les conquis ouvriers. Tous les miracles que nous annonçaient ces paillasses soixante-huitardes se résument alors au triomphe des marchands d’armes et des sociétés d’assurance, qui guettent la fin de la sécurité sociale imposée par le mouvement ouvrier et les héros de la résistance.

Oui mais en ce temps là, celui de mai 68,  il y eut le mouvement ouvrier, la grève massive, l’URSS existait encore même si son prestige était fortement remis en cause par les mêmes, ni le PCF, ni l’union soviétique n’étaient assez révolutionnaires. Y compris à Cannes, où les réalisateurs exigeaient que leurs films ne passent pas, incompréhensible aujourd’hui un tel refus, dans le temps des ego et des carrières fragiles parce que dépendant des mondanités et du capital, le peuple évacué des salles obscures. Godard lui au moins avait cette prescience. Il refusèrent de passer leurs films en soutien à cette force qui paraissait tout balayer, c’était un mouvement romantique, parce que l’imaginaire de 1917 était là. On ne peut pas reprocher aux artistes, aux intellectuels ce qu’ils sont devenus, la manière dont le mitterrandisme a fait d’eux des courtisans et pas le prolétariat qu’ils proclamaient être à Cannes. Nous en sommes tous ou presque là.

Aujourd’hui, à ce propos, alors que montent les colères, que l’amertume de l’injustice emplit les cœurs, que des travailleurs affirment la nécessité du combat, il est fascinant que ce que défend Marx, le communisme comme conscience politique du prolétariat, n’a à se mettre sous la dent que les pourris de la social démocratie et ces canada dry du communisme que sont Pierre Laurent et Mélenchon. Le dernier s’est donné comme mission d’en extirper jusqu’au souvenir, comme Mitterrand il ne veut plus qu’un spectre hante l’Europe, mais celui qui réalise son projet est le secrétaire du PCF, le troisième liquidateur de la série. Hier je lisais un texte de Marx qui m’a fait penser à eux: et que j’ai quelque peu parodié, étant bien entendu que les individus, les leaders ne sont que les porteurs momentanés mais bien encombrants de la faiblesse générale.

Ce ne sont pas des raisons personnelles qui les divisaient. Mais il serait tout aussi faux de parler d’un divergence de principes. Ces gens-là, qu’il s’agisse de Mélenchon ou de Pierre Laurent, n’ont jamais revendiqué l’honneur d’avoir des idées originales. Ce qui leur appartient en propre, c’est l’incompréhension particulière des idées d’autrui qu’ils érigent en acte de foi, du républicanisme à la sauce bolivarienne de l’un à un « communisme » débarrassé de toute théorie comme de toute perspective révolutionnaire à l’autre, ils croient se les être appropriés en les réduisant à des phrases. Il serait de ce fait inexact de leur attribuer la moindre action, subversive pour l’un, communiste pour l’autre, sauf à entendre par « action » une oisiveté dissimulée sous des tapages de cirque, des simulacres de conspiration et pour l’autre de futiles alliances qui ne servent qu’à transformer le parti en maison de retraite pour vieux fidèles cacochymes et jeune gauchistes égarés (1).

Voilà où nous en sommes, sans la moindre espérance d’une force collective, individualisés, mais je suis convaincue qu’il suffit d’attendre que surgisse d’autres temps, ils viendront, même si je me demande s’il me sera donné de les voir, ce que je sais est qu’il existe les prémices d’un bouleversement, qu’il est déjà entamé et qu’il faut être bien aveugle pour croire que nous en sommes toujours à la grande contre-révolution de 1991..

Godard n’a jamais été autre chose qu’un enfant de la grande bourgeoisie suisse, celle qui n’a jamais craint d’aller jusqu’au bout, jusqu’au meurtre, mais aussi des calvinistes… L’esprit du capitalisme et l’éthique protestante, mais il en reflète aussi le désespoir, la fin d’une classe sociale encore aristocrate, méritante,  une sorte de Guépard que la Nouvelle vague a laissé sur la grève,  et à ce titre, comme ses aieux, il ne supporte pas l’idée même de progrès, d’un au-delà de la fin de leur propre classe… L’avenir ne peut être que dans la régression. Mais il est aussi convaincu de la fin, au point d’envisager l’apocalypse, au point de se conduire comme une bombe cinématographique que l’on jette au milieu des marchands du temple, à Hollywood, comme à Cannes. Pour avoir un langage commun avec Godard, il faut parler cinéma, la politique chez lui parle ce langage, Fritz Lang et lui s’entendant et citant Brecht dans le mépris, pour dénoncer la marchandisation hollywoodienne, mais Fritz Lang l’accusant aussi de refuser l’Histoire, le scénario, d’être aussi orgueilleux que le « dieu des juifs », lui qu’on a considéré comme aussi antisémite que ses ancêtres protestants, ce que je ne crois pas, il faut être très bête pour être antisémite aujourd’hui et Godard ne l’est pas… Référence complexe à tout cela comme au communisme à partir d’Eisenstein et de la résistance russe aux chevaliers teutoniques dans Alexandre Newski, chaque phrase, chaque image est une citation, un maquis, une image dialectique..

Il pourrait reprendre de ce fait à son compte cette phrase de Marx (encore) : « vous ne direz pas que je surestime le présent, et si pourtant je ne désespère pas de lui, c’est uniquement parce que sa situation désespérée me remplit d’espoir. »  Simplement il n’y a plus de principe espérance pour cette classe qui est la sienne et qui a failli, et il aimerait bien un rédempteur qui en partage quelques valeurs.

La différence entre Marx et lui c’est que le premier quoiqu’il arrive est resté un révolutionnaire et Godard n’a jamais été qu’un saltimbanque qui nous donne de grands plaisirs des sens, un professionnel du cinéma qui prend au moins cela au sérieux ce qui est son privilège, son honnêteté. Par rapport à ces gens de « l’action » que sont les Macronistes, les minables qui s’y sont ralliés par haine toujours du « populaire », ou ces gens de l’inaction, de l’oisiveté dissimulée derrière des agitations stériles, que sont ceux qui refusent de faire ce qui ne se fait justement pas.

Il n’est qu’un fabriquant de films, qui ne s’intéresse qu’à ce qui se fait et ne se fait pas à travers la caméra. Il y a ce qui se fait la politique réelle que nous imposent encore les maîtres, ces descendants déshonorants d’un capitalisme éthique des banquiers genevois, il hait leur vulgarité à la Cohn Bendit, Glucksman, et autres BHL, son honneur c’est de ne se souvenir plus que de l’assassinat de Pierre Overney, de croire aux zadistes, le socialisme est-il un progrès ou un retour aux temps d’une pureté imaginaire? Il y a quelque chose en ce temps-là qui ne s’est pas fait, sans doute la Révolution ou à tout le moins une action qui ait un sens de changement, d’urgence, et tout cela aboutit à une catastrophe… A cause de ce qui se fait mais aussi à cause de ce que nous ne faisons pas. Dans le film, il s’agit du monde arabe qui paraît le lieu de tous les paroxysmes, mais il n’est que la caricature de nos apories, ce qu’il avait déjà montré dans Méditerranée et socialisme, laissez-les se débrouiller sans nous, dit-il, je crois qu’il a raison.

Danielle Bleitrach

(1) Révélations sur le procès des communistes. La Pléiade, écrits politiques. p.588

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