Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“La Grande Muraille” de Zhang Yimou, le cinéma et “la communauté de destin”?

Zhang Yimou, un des plus grands cinéastes chinois a-t-il déçu l’occident qui finit par reprocher à la Chine d’être hollywoodienne, méditations sur “la communauté de destin”, les défis à affronter ensemble… un film passé ce lundi à la télévision… en plein confinement…

C’est une expérience du confinement, que nous avons tous vécue, et qui doit être encore amplifiée quand on est seul. Quelques symptômes et l’on s’interroge : ça y est me voila atteint! Dans ce weekend et ce début de semaine de mai, ce fut mon tour, les symptômes étaient là, j’ai cru avoir le coronavirus et ce fut une expérience que je ne regrette pas. Je n’ai pas cru une seconde que j’allais en mourir… Il ne restait qu’à dormir en attendant la suite. Pour éprouver si peu d’effroi,  j’ai eu deux alliés en dehors de ma confiance totale en mes capacités – maintes fois éprouvées sur divers continents, en mes défenses immunitaires. Le premier, j’y reviendrais ça a été la poursuite de la lecture de la manière dont Duby décrit l’univers intellectuel et artistique de l’an mil… J’ai déjà écrit là-dessus mais j’y reviendrai… parce que cette lecture m’incitait à traquer dans notre propre monde “les poussées juvéniles” d’une civilisation en train de naître dans l’an mil. La création artistique, l’esthétique reproduit jusqu’à ce que jaillisse autre chose des formes que l’on croit les plus épuisées… Un lien avec l’éternité vanté déjà par Lucrèce – le grand poète matérialiste – comme consolation devant votre propre finitude… et ça marche… Ne vous intéresse plus que cette manière dont l’espèce se confond avec l’univers…

Mais dans la même logique, il y a eu le visionnage d’un film à la télé… lundi soir, il y a eu sur TMC un film d’un des plus grands auteurs chinois que j’avais raté lors de sa sortie en salle: “La grande muraille”…

C’est la seule chose qui, avec le livre de Duby, m’a tenue en éveil, il y a sans doute quelque paradoxe à faire de ce film l’incarnation de la Chine de Xi Jinping parce que je suis convaincue que le cinéaste a dû se faire reprocher de laisser le rôle de sauveur de l’humanité à un héros de western hollywoodien… mais pourtant…

La Grande Muraille

LA CHINE EST-ELLE EN MESURE D’INFLUENCER LA PRODUCTION CINEMATOGRAPHIQUE MONDIALE ?

La Grande Muraille a été tout de suite sacrée comme le summum de la “mondialisation” et puisque la Chine y était mêlée on découvrait à quel point, il était désormais tenté des œuvres “sang-mêlées ” le mot a été prononcé. Comment s’emparer d’une légende et de la “remâcher” pour tout public? On découvrait ce qui a été depuis les origines le rôle d’Hollywood… Mais je le répète, c’était la présence de la Chine dans la production de l’industrie cinématographique qui rendait l’affaire suspecte.

Les critiques occidentales – les moins sévères – pour une fois se sont intéressées à ce que Georges Sadoul pourtant leur recommandait: analyser les conditions de production. Et ils ont noté l’influence grandissante de la Chine sur certaines productions à grand budget. Par exemple alibaba finançant Jean-Jacques Annaud pour Le Dernier Loup. C’était une nouveauté que de noter qu’un film à cause de ses producteurs pouvait être un moyen de propagande pur et simple. La Grande Muraille, fruit d’une coproduction sino-américaine (30 % – 70 %) à 150 millions de dollars, 30% China Film production le producteur et le principal diffuseur, c’est-à-dire la principale société de production des films chinois et de leur diffusion ainsi que de la diffusion des films étrangers en Chine. Voilà déjà de quoi étonner, et plus encore de savoir qu’il a été intégralement tourné entre la Mer Jaune et le désert de Gobi, avec, derrière la caméra, le plus célèbre des réalisateurs chinois et une équipe locale. Pourtant les rôles principaux furent donnés à une superstar hollywoodienne (Matt Damon), et pour faire bonne mesure, son acolyte un américano-chilien Pedro Pascal. La rencontre improbable entre un yankee, un enfant de l’exil du coup d’Etat contre Allende, s’alliant avec une jolie chinoise pour vaincre le coronavirus? Le contexte imposait l’interprétation, trois ans après sa sortie en salle.

Le film est d’abord sorti en Chine (décembre 2016) et ensuite en Europe, puis aux Etats-Unis en 2017, mais il n’a pas été l’objet de la même publicité et diffusion que les autres films de Zhang Yimou… donc il a fallu le confinement et TMC pour que je le découvre.

LE FILM ETAIT-IL UN NAVET ?

Non il était plutôt comme ces films récents qui interrogent la série B américaine, ses superhéros pour leur donner une autre dimension, on a vu ça à plusieurs reprises par exemple cette même année 2017, la forme de l’eau de Guillermo del Toro et avec le dernier Joker, mais encore empreint d’optimisme, alors que Joker était sans le moindre échappatoire.

Il y eut quelques critiques à l’époque pour crier au navet mais c’était surtout pour dénoncer “l’idiotie” du propos, nul n’a réellement remis en cause la qualité de la mise en scène… A été notée la splendeur d’une fresque épique dirigée par un Zhang Yimou qui nous apportait ce que déjà Victor Hugo définissait comme l’essence de la Chine (détruite avec le palais d’hiver par les barbares occidentaux), l’arabesque, les enlacements, avec des armures balayées de vols de drapés de soie qui font de la guerre le plus fantastique des ballets alors que, dit la critique occidentale, celle de Télérama, de Paris première nous serions devant une série B, grand public.

C’est vrai que pour qui connaît l’œuvre de Zhang Yimou, on attend de lui que se débride son inventivité, mais qui peut dire que ce film est seulement hollywoodien ? Ce serait faux non seulement dans sa forme, mais celle-ci ose un contenu: sa mondialisation nous interpelle sur nos valeurs, sur nos défis communs. Elle nous impose ses fantômes à la manière de la nouvelle puissance montante issue du tiers monde et pourtant la plus ancienne civilisation continue de l’histoire de l’humanité, et prétend séduire un public adolescent gorgé de jeux vidéo.

N’est-ce pas cela qui est insupportable à notre critique? Nul ne s’ennuie devant un tel film… le héros est un occidental Matt Damon avec son complice et ami Pedro Pascal, tous deux aventuriers, sans foi ni loi, venus chercher en Chine la poudre noire, l’explosif qui fera d’eux espèrent-ils des hommes riches. Là se borne leur horizon. Matt Damon, le voleur, l’enfant trouvé et le mercenaire qui combat pour vivre et qui n’a pas d’autre drapeau que sa propre survie, rencontre une autre civilisation. Celle-ci est d’un raffinement inouï, mais aussi le rempart devant un péril qui menace l’humanité. Il s’agit de monstres, de véritables hordes qui tous les soixante ans reviennent plus forts, ayant muté pour devenir irrésistibles, là le savoir-faire est hollywoodien imaginez du reptilien, du loup-garou et pour la denture les dents de la mer matinée d’alien… Sous la direction d’une reine qui ne cesse de les enfanter, ils dévorent, détruisent parce qu’ils sont le symbole de l’avidité, de la rapacité… leurs assaut contre la grande muraille et la riposte de l’armée chinoise forment un contraste entre cette masse verdâtre et une palette de couleurs qui est celle de hero et poignards volants, une mise en mouvements chorégraphique des arts martiaux, de la brume, le fantastique est légende… les lanternes transparentes qui portent la poudre à canon et brûlent et une bataille finale en apothéose aérienne. Il est bien injuste, comme l’ont prétendu certains critiques occidentaux de ne pas voir que l’ensemble du film soutient le rythme initial.

La Grande muraille est là pour les empêcher de dévaster l’empire chinois et au-delà. Nos deux brigands américains ne sont qu’individualisme, ils sont brutaux mais plus efficaces que n’importe quelle armée… la Chine est là avec ses valeurs, ses rites, ses parades et son art de la guerre pour faire de son corps le rempart. Voilà résumée la base de la coopération.

Cela se passe sous la dynastie Song (960-1270) qui effectivement a repoussé les Mongols et a inventé la poudre à canon et le film rapporte de vieilles légendes chinoises sur les exploits autour de cette gigantesque construction dans laquelle se mêlent le fantastique et l’histoire de la Chine. La Chine est incarnée par ce gigantesque ouvrage, son esthétique mais aussi le merveilleux visage de Jing Tian, porcelaine aérienne et généralissime qui porte elle le drapeau de la “confiance” que l’on doit donner pour espérer la recevoir… Pour qui connaît un peu l’histoire de la Chine, les Song ont fini par être renversés et les Mongols l’ont emporté en 1259, Kubilai Khan est proclamé empereur de Chine, la grande muraille n’a plus été un rempart mais c’est pour mieux absorber le Tibet et s’étendre de 1271 à 1368 jusqu’en Inde, développer la route de la soie. Cela ne vous rappelle rien?

Mais la légende est ré-interprétée face à ces brutes américaines qui sentent le putois, pour les faire participer au grand combat éternel de la Chine et qui ne cesse de la fonder d’aléa dynastique en aléa dynastique.

C’est peut-être parce que je suis gorgée de cette histoire chinoise et dernièrement de la lecture du livre de Xi Jinping que je ne peux partager la déception des critiques occidentaux face à cette dernière œuvre d’un des plus grands cinéastes chinois. Peut-être l’idée d’être initié à la culture de l’œuvre et de l’auteur devient-il contradictoire avec ce que l’on définit en Europe comme le cinéma? Cela me semble pourtant nécessaire.

Zhang Yimou, de la “dissidence” à l’art “officiel”, pas si simple.

Mais je crois qu’il faut le présenter au lecteur qui ignorerait de qui il s’agit, je me suis appuyée pour le faire à la fois sur ma fréquentation de ses films et sur la présentation de sa carrière dans Wikipédia.

Zhang Yimou (chinois simplifié : 张艺谋 ; chinois traditionnel : 張藝謀 ; pinyin : Zhāng Yìmóu) est un réalisateur chinois né le 14 novembre 1951 à Xi’an, en Chine. Il est né dans une famille du Kuomintang, des parents qui ont combattu les communistes avec Tchang Kaï-chek. À partir de la Révolution culturelle en 1966, Zhang Yimou, contraint d’arrêter ses études, part travailler trois ans dans une ferme puis sept ans dans un atelier de tissage. Durant cette période, il poursuit une activité de peintre et de photographe amateur.

À la réouverture de l’Université de cinéma de Pékin en 1978, il tente, à 27 ans, de s’inscrire dans la filière « réalisation » mais il dépasse l’âge limite d’admission. Devant son opiniâtreté, le bureau du Ministère culturel accepte de l’admettre dans la section « prise de vue ». Il sort diplômé de la faculté en 1982, comme Chen Kaige et Tian Zhuangzhuang (eux en « réalisation »). Tous trois sont considérés comme les chefs de file de la « cinquième génération », groupe de cinéastes chinois ayant étudié le cinéma après la Révolution culturelle et qui ont été influencés par la Nouvelle Vague française mettant en cause l’héritage maoïste.
Il a un incontestable talent, mais il est également très vite repéré pour ses possibilités de “dissidence”.

En 1987, il réalise son premier long métrage Le Sorgho rouge (adaptation du Clan du sorgho de Mo Yan) qui remporte l’Ours d’or au Festival de Berlin en 1988. L’actrice Gong Li, avec qui il a une liaison jusqu’en 1995, joue dans ses sept premiers longs métrages et tourne à nouveau sous sa direction dans la shakesperienne Cité interdite en 2006.

épouses et concubines

Zhang Yimou réalise de nombreux films importants, pour la plupart des fresques marquées par la grande beauté des images et par la critique sous-jacente des modèles historiques chinois (la féodalité impériale, la Révolution culturelle, la République de Deng Xiaoping…). Judou, Épouses et concubines (adaptation d’un roman de Su Tong), Qiu Ju, une femme chinoise (adaptation d’une nouvelle de Chen Yuanbin) et Vivre ! (adaptation d’un roman de Yu Hua) le font connaître en Occident et lui permettent de gagner de nombreux prix dans les festivals internationaux, même s’il rencontre fréquemment des ennuis avec la censure. Il a une esthétique qui fascine légitimement le spectateur occidental tant elle est exotique et magnificente mais peu à peu les mêmes critiques vont lui reprocher de justifier le “totalitarisme” chinois au nom de la stabilité du monde chinois. C’est à partir de “Hero” que ces critiques vont s’accentuer surtout qu’influencé par le cinéma de Hong Kong il délaisse l’influence occidentale pour donner dans les films à grand spectacle avec des effets. Puis il y aura dans la même veine le secret des poignards volants et la cité interdite.

Zhang Yimou est nommément accusé de délaisser le cinéma contestataire pour devenir le réalisateur officiel de la RPC.

Il est choisi pour concevoir le spectacle de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’été de 2008 à Pékin. Il succède à Steven Spielberg à ce poste, après le retrait de ce dernier (pour protester contre le non-respect des droits de l’homme dans ce pays).

En décembre 2013, celui qui est redevenu le cinéaste quasi officiel est l’objet du scandale, puisqu’on découvre qu’il a eu trois enfants avec sa femme et qu’il a violé donc la loi de 1980. En 2013, c’est l’arrivée de Xi Jinping et une visée internationale qui va s’ouvrir sur la possibilité d’un deuxième enfant. La loi n’autorisait qu’un enfant unique depuis les années 1980 et commençait à s’ouvrir à un deuxième enfant. C’est un scandale comparable à Me too à Hollywood, Il condamné à une lourde amende. Son film Coming Home, pressenti pour représenter la Chine aux Oscars, est finalement retiré. Son film One Second est retiré de la compétition pour l’Ours d’or lors du 69e Festival de Berlin, quelques jours seulement avant sa présentation. Donc les critiques espèrent peut-être que ce désaveu va le faire retourner à une inspiration moins en accord avec ce qu’ils estiment “le totalitarisme chinois”

De ce point de vue, la Grande Muraille va à l’encontre de leurs espérances même s’il plaide pour une entente avec les Etats-Unis que la situation actuelle de guerre froide et les accusations liées à l’épidémie rendent bien illusoires. Mais la Chine ne renonce pas à poursuivre son histoire immémorielle et Xi Jinping table aussi là-dessus: “faire confiance pour que vous soit rendue la confiance”.

On peut dire que la Grande Muraille va traduire chez les critiques cette déception, Télérama le qualifiera : d’aussi spectaculaire qu’idiot, c’est la tonalité générale de la critique… 2013, ce n’est pas un hasard, c’est l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

Étrange de voir cette coopération au moment où la guerre fait rage entre Etats-Unis et Chine… y compris sur la responsabilité de l’épidémie. On peut lire ce film dans le contexte inquiétant qui est le nôtre comme l’illustration à la fois de la Chine dans la lutte contre le coronavirus et comme illustration du livre de Xi Jinping “construisons une communauté de destin pour l’humanité”. L’incongruité vient du héros, un américain qui reste individualiste et très “cow boy solitaire”, mais devient le sauveur de l’humanité auquel il aspire être non sans avoir en bonne logique laissé derrière lui l’amour de l’héroïne chinoise qui lui a appris la confiance.

Mais peut-être est-ce qu’il reste réellement à comprendre le propos de Zhang Yimou: à l’inverse des Etats-Unis, les Chinois n’acceptent d’accomplir des actes héroïques, de céder à la théâtralité de l’histoire que malgré eux, parce qu’ils le doivent aux autres. L’extrême sensibilité chinoise est celle de la femme généralissime qui se tait en regardant partir celui qu’elle aime, alors que le héros occidental tel celui du western fanfaronne.

La Grande Muraille

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1 Commentaire

  • José Azparrent
    José Azparrent

    Ça reflète l’histoire d’une chine culturellement millénaire

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