Quelques réflexions suscitées par un article de Stephen Bryen dont la traduction est publiée dans Histoire&Société. Bien sur l’accent est mis sur l’essentiel à savoir la Chine. J’ai toujours tenu à recréer la profondeur du champ qui existe entre la Chine et la Russie, et que l’on perçoit mieux quand on introduit le cas de la Corée du nord. C’est une profondeur historique qui date du grand jeu et qui concerne en particulier toute l’Asie centrale et même la Turquie et qui a son espace et son temps que nous maitrisons mal pourtant nous aurions intérêt en ce moment à récupérer ce qui conditionne notre propre histoire. Des peuples d’Europe centrale comme les Hongrois (peut-être parce qu’ils imaginent descendre des Huns et venir de l’Altaï sont en plein là dedans. Trump n’a pas la moindre idée de ce jeu là quant à l’Europe ils ont bien mérité d’être les dindons de la farce… (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Tank Ukrainien dans la région de Donetsk © Crédit photo : AFP
Stephen Bryen, comme à son habitude, semble fasciné par le duo Trump/Poutine, ce qui n’est pas étonnant au vu de son parcours.
Les récentes prises de position de Trump et son appel téléphonique unilatéral au ‘maître du Kremlin’ ont au minimum un avantage : il est maintenant acquis dans la sphère politico-médiatique occidentale que la guerre déclenchée en février 2022, loin d’être une ‘guerre non provoquée’, est bien le résultat d’une action concertée de l’empire états-unien, « qui n’aurait pas eu lieu si j’avais été président ».
Donc, nous parlons de mettre fin à l’agression impérialiste de l’OTAN. Une affaire à régler, selon Stephen Bryen, entre les deux protagonistes, Trump et Poutine. Simple.
Simple ? Sauf que, comme beaucoup d’autres commentateurs, il évite soigneusement de mentionner l’éléphant dans la pièce, qui a pourtant trompe et ivoire dans le conflit en cours en Ukraine : la Chine. Allez, on dézoome…
L’auteur part du postulat que Trump voudrait arrêter la guerre en Ukraine. Mais ne nous explique pas pourquoi. Serait-ce parce qu’il est soudain frappé par la grâce du Monde Multipolaire et du plan de paix en 12 points de la direction chinoise? Ou pour pouvoir enfin concrétiser son vieux rêve d’avoir sa tour à côté du Kremlin? Ou bien seulement pour s’amuser de la tête que feront Dick Cheney et Zelinsky?
Avant de parler des détails et des embûches sur la route de la ‘paix’, il serait utile de se poser la question des mobiles, sinon de la paix, du moins de la guerre.
Le mobile de la guerre pour la Fédération de Russie ? Il est clair depuis plus d’une décennie : la volonté de sa classe dirigeante de garder son indépendance par rapport à un capitalisme impérial occidental confronté au déclin de son hégémonie et devenant en conséquence de plus en plus agressif.
Du point de vue de l’empire, il existe au minimum 2 raisons de cibler une Russie qui n’est pourtant pas la principale menace pour son hégémonie. Une raison économique : le business de la guerre, et l’accaparation des ressources; et une raison stratégique : l’impossibilité de ‘contenir’ le concurrent principal chinois tant qu’il bénéficie de l’immense arrière-cour que lui offre la Russie et, si l’on devait recourir au militaire, tant qu’il existe une possibilité que la Russie lui offre la protection de sa dissuasion nucléaire.
Car la question géopolitique essentielle aujourd’hui, personne ici n’en disconviendra, j’en suis sûr, est la remise en cause de l’hégémonie états-unienne par le formidable développement de la Chine. Et la conséquence inéluctable si rien n’est fait pour l’arrêter : la perte de contrôle du système financier mondial par l’empire, synonyme d’effondrement pour le capitalisme occidental.
La tactique des néocons recyclés derrière Biden pour répondre à cet impératif stratégique de dissociation de la Chine et de la Russie, on la connait : prise de contrôle effectif de l’Ukraine, provocations jusqu’à la réponse militaire russe, tout cela dans l’espoir d’engluer la Russie dans un conflit qui la paralyserait et l’affaiblirait, voire même pourrait créer les conditions d’un changement de régime et d’un démantèlement de la Fédération pour mieux le phagocyter.
Trump, bien sûr, ne représente aucunement des intérêts divergents de ceux que défendait l’équipe Biden. Il ne peut avancer une réponse stratégique différente. Son gambit d’aujourd’hui est d’ordre tactique. Comme il le dit, « on peut régler ça par la force ou en signant un papier. Je préfère le papier ». Son objectif présent, dès lors, est de tenter de parvenir à un accord avec la Russie, contre la Chine. Un genre de cooptation, comme cela avait été envisagé dans les années 90, lorsqu’on fantasmait même sur l’adhésion de la F.R. à l’OTAN!
‘Rompre’ avec la Chine pour se rapprocher de l’Occident reste une possibilité pour la classe capitaliste russe, emmenée par son commandant-en-chef Vladimir Poutine.
Il ne faut pas sous-estimer les contradictions qui existent dans le rapprochement économique, diplomatique et militaire réel entre la Russie et la Chine. La classe capitaliste russe aspire à un rôle à la hauteur de ce que lui laissait espérer la place de deuxième puissance (voire première ?) acquise par l’Union Soviétique. Ce n’est pas forcément le souhait de la Chine, encore sous contrôle d’un ‘parti ouvrier’, de voir une classe capitaliste libérée de toute contrainte régner sur une Russie aussi essentielle à ses intérêts nationaux. Cela porterait en soi, sur sa principale frontière terrestre, le germe d’une alliance hostile.
A l’époque, ce sont les néocons au sein du parti républicain qui avaient enterré cette idée d’une cooptation (en position vassalisée, comme ses voisins européens) de la FR au sein de l’empire. Ce sont les mêmes qui, recyclés chez les démocrates, ont continué ensuite studieusement à pousser l’option militaire contre un allié potentiel de la Chine, considéré comme une proie facile pour l’empire.
Mais ce qui pourrait enterrer l’idée aujourd’hui, c’est tout simplement l’état de décomposition avancée de l’empire. Un empire qui a perdu sa crédibilité à travers les dénonciations de traités de désarmement essentiel à l’équilibre de la dissuasion, les mensonges sans fin, les trahisons pures et simples de la parole donnée à Minsk ou ailleurs.
Même si le capitalisme russe pourrait, théoriquement, balayer l’acquis des BRICS et de l’OCS, pour faire des affaires avec un capitalisme occidental ainsi remis en selle aux dépens d’une Chine qui se retrouverait isolée (quelqu’un ici a lu 1984 ?), il est douteux qu’il s’engage dans une voie aussi risquée. Du moins tant que les USA ne présentent pas de garanties de stabilité suffisantes, bien au-delà du cycle électoral de 4 ans.
Lorsqu’il aura fini de tonitruer et d’amuser la galerie, Trump risque donc bien de rester sur sa faim et de ne pas obtenir la dissociation russo-chinoise qu’il appelle de ses vœux. Quelle flèche lui restera-t-il alors dans son carquois ?
Une seule, la flèche émoussée de la continuation d’une guerre subie, conduite faute d’une autre solution et qui sera donc amenée tout naturellement à s’étendre. Faute d’autres perspectives.
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Note substack
Il y a un couple d’année, peu après que les négociations Russo-Ukrainiennes d’Istanbul aient été sabordées par la diplomatie occidentale, j’avais traduit un article qui nous parlait du massacre de Markale en Bosnie
et repris un commentaire entendu à Sarajevo bien des années après le massacre : “la seule différence entre les accords de Lisbonne et ceux de Dayton c’est une centaine de milliers de morts”.
Le parallèle entre la guerre de Bosnie et la situation d’avril 2022 s’imposait alors.
Il s’impose sûrement moins aujourd’hui. Bien de l’eau a coulé dans le Dniepr depuis et il est douteux que l’on en revienne aux accords d’Istanbul. Mais il n’en reste pas moins qu’un accord entre les deux protagonistes qui ferait taire les canons serait des plus souhaitables pour les populations directement impliquées et les autres.
Oui mais. Existe-t-il une possibilité d’accord à ce stade du conflit par proxy? Du côté Russe, cela a souvent été affirmé, avec des propositions claires concernant la neutralité de l’Ukraine dans le respect de sa souveraineté et la protection des populations russophones de l’ancienne république soviétique.
Mais du côté Etats-Unien? Faut-il tabler sur les velléités de Trump?
Car pour danser le tango….
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Michel BEYER
Loin de moi l’idée de nier le « grand jeu ». Loin de moi l’idée de non- part de manoeuvres chez Trump. Mais ce que je retiens c’est que pour la première fois depuis les discussions d’Istambul, c’est qu’ils ( Trump et Poutine) se parlent, c’est qu’ils se sont parlé. La porte s’entrouve, pour moi c’est l’essentiel.
Pour en finir avec cette guerre, il n’y a pas beaucoup de solutions. J’en vois deux: le dialogue ou la reddition de l’Ukraine. Pour le moment le dialogue est amorcé. Je pense que la Chine doit être satisfaite de ces premiers contacts. Lors de sa visite à Moscou au début 2024, le constat avait été fait d’une profonde entente durable . La réflexion de Xi Jipping avant sa montée dans l’avion avait été qu’il « y en avait pour 100 ans ».
Que Trump et la partie américaine cherchent à glisser des coins entre Moscou et Pekin, c’est le contraire qui serait étonnant.
jean-luc
@Michel Beyer
il ne s’agit pas seulement de ‘glisser des coins’. Il s’agit d’un changement radical dans la politique des Etats-Unis pour maintenir leur domination hégémonique. La cible aujourd’hui c’est les BRICS et Trump cherche à enrôler la FR dans la mise à bas de cette organe.
Dans l’extrait ci-dessous, Trump ne cache pas l’intention : ne pas laisser les BRICS saper le Dollar. Selon lui, les BRICS sont déjà du passé depuis qu’il a décrété que les pays qui participeraient à la mise en place d’une monnaie alternative seraient frappés immédiatement de droits de douane de 100%. On notera l’esbroufe supplémentaire, lorsqu’il prétend ne pas savoir que le C de BRICS est l’initiale de la Chine.
https://www.youtube.com/watch?v=n2wFXKlTESE
c’est bien sûr une partie de poker menteur, mais les piles de jetons sur la table sont tout de même à hauteur de 6000 ogives nucléaires.
Pour ma part, je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant, que Trump arrive à son but ou qu’il n’y arrive pas. Les gamins du type de ce Donald, lorsqu’ils ne sont pas contents de leur jouet, le brisent dans un accès de colère.
jean-luc
@ Michel
j’en rajoute une couche
https://www.rt.com/russia/612741-russia-g8-us-trump
Trump a proposé à la Russie d’adhérer au G7 (retour du G8 ). La Chine en est bien sûr toujours exclue : elle est en fait la cible du G7 et la raison pour laquelle Trump a proposé à la Russie de les rejoindre.
Heureuse réponse de la direction russe : « le G7 a perdu sa pertinence. Il ne représente plus les économies qui tirent la croissance de l’économie mondiales ».
Espérons que la FR se tienne sur cette position ferme. Pour une fois que nos espoirs ont une bonne chance de se réaliser!
La stratégie de Trump vise la Chine… – Histoire et société
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