Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Amour par Karl MARX : lisez donc la Sainte famille…

Je découvre avec stupéfaction à quel point l’inculture avec la désertion du “livre” est devenu un phénomène de masse, mais il y a aussi des conditions plus générales parfaitement réactionnaires, un art d’instiller la propagande dans la recherche et l’éducation dont il faudra bien un jour parler… Et cette tendance n’a pas épargné le marxisme quand le PCF a renoncé à être une avant-garde… A été perdue non seulement la connaissance des textes, “les classiques” mais la manière de les contextualiser en les datant à la fois sur le plan chronologique de l’histoire humaine, mais par rapport aux thèmes et débats d’une époque. Le contraire de ces extraits en trois lignes coupés de leur contexte qui deviennent des oracles d’almanach dans les réseaux sociaux et l’unique lecture y compris chez “les diplômés”. Ce qui peut avoir du charme pour rythmer les travaux des champs mais relève en général d’une soumission à “l’autorité” pire que tous les jdanovismes. Alors qu’en se méfiant de l’analogie, on peut néanmoins considérer qu’en notant tout ce qui différencie, ce qui s’est transformé, il y a une manière d’aborder le traitement théorique d’une question à différentes étapes de l’évolution de la société capitaliste des “conservations et abolitions”… Avoir renoncé à se nourrir de cet incroyable mémoire de l’émancipation humaine est un drame qui va au-delà des désastres de certains partis de l’eurocommunisme… sur un plan “cognitif” avec une théorie pratique, pour qui le sujet de la connaissance est celui qui agit, qui fait…

Marx et jenny en 1860 près de vingt après

La Sainte Famille (en allemand : Die heilige Familie), à l’origine intitulé Critique de la critique critique (allemand : Kritik der kritischen Kritik)1, est le premier ouvrage écrit conjointement par Karl Marx et Friedrich Engels (avec les manuscrits de 1844). Écrit en 1844, il a été publié pour la première fois en février 1845 alors qu’ils ont l’un et l’autre une vingtaine d’années. En fait, Karl Marx a rédigé l’essentiel de l’œuvre. Ce livre, publié dans un petit format sous forme de brochure, n’eut pas l’obligation de se soumettre à la censure. Il s’agit principalement d’une critique des thèses des trois frères Bauer (Bruno, Edgar et Egbert), de « jeunes hégéliens ». Il se présente donc sous la forme d’un pamphlet (que viendra compléter ultérieurement L’Idéologie allemande). C’est un ouvrage dans lequel Marx et Engels découvrent la lutte des classes en France et Marx tente d’initier (en vain) Proudhon à la dialectique. On retrouve des thèmes qui n’ont rien perdu de leur actualité : l’égalité homme-femme, l’amour comme ici, la question juive… Alors que contre les jeunes Hegeliens enfermés dans la spéculation Marx prend partie pour Proudhon, iqu’il identifie à la France cartésienne, celle dont la “clarté gauloise” s’oppose à l’idéalisme allemand et à ses lubies : dans lequel l’être, a besoin d’accomplir constamment le procès sophistiqué qui consiste à transformer d’abord le monde extérieur à lui en une apparence, en une simple lubie de son cerveau, et de déclarer après coup que cette fiction est ce qu’elle est vraiment : une pure imagination, afin de pouvoir, en fin de compte, proclamer son existence unique, exclusive, que rien ne gêne plus, même pas l’apparence d’un monde extérieur.Marx va rapidement découvrir l’aspect réactionnaire de Proudhon qui culmine dans la misogynie et dans l’antisémitisme, comme dans le refus de l’industrialisation… Et à partir de là il va le dénoncer impitoyablement et pas seulement dans Misère de la philosophie… Face à ce spontanéisme réactionnaire et sans perspective politique qui caractérise souvent certains types français à direction bourgeoise, il va (suivi par Lénine) ne jamais renoncer à l’apport d’Hegel et même à ses immenses connaissances dans le droit ou l’histoire du droit pour ne pas lier la propriété à un simple économisme utilitariste à la mode des Anglais tout en ne renonçant jamais au dépassement de la philosophie . La Sainte famille peut ouvrir des perspectives de dialogue avec la psychanalyse… C’est un recueil passionnant dont je vais vous offrir quelques morceaux, voici L’amour, qui récuse la théologie, avec l’ exigence de la matérialité des individus concrets dans leur corps comme dans leur relations sociales pour construire ce que dans un autre texte il définit comme le rapport générique de l’être humain à lui-même et le refus de la prostitution généralisée qui accompagne l’idéalisation” capitaliste.

Dans la foulée Marx et Engels adhèrent à la Fédération des Justes en 1846, et dans leur sillage le groupe des travailleurs allemands qui les suit, finis les discours spéculatifs. Un congrès a lieu à l’été 1847 au cours duquel la Fédération des Justes devient Fédération communiste et prend Londres comme siège de son comité central. Elle s’organise désormais autour de communes, cercles, comité central et congrès et prend le nom de Ligue des communistes. “Le but de la Ligue, c’est le renversement de la bourgeoisie, le règne du prolétariat, la suppression de la vieille société bourgeoise fondée sur les antagonismes de classes et la fondation d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée…” avec la phrase finale : “Prolétaires de tous les pays unissez-vous!’ Du manifeste on ne connait généralement que la première partie et on ignore là encore à quel point l’accusation portée contre les communistes de vouloir la propriété collective des femmes est un thème récurrent auquel dans ce même texte les deux hommes vont répondre : la prostitution c’est vous… et cette question va être pour eux un fil rouge qui aboutira à l’œuvre exemplaire qu’à l’article de la mort Marx demande à Engels d’écrire sur l’origine de la famille, de la propriété et de l’État. L’œuvre de l’anthropologue Morgan étant pour Marx et Engels l’équivalent pour le matérialisme historique de ce qu’est Darwin pour le matérialisme dialectique. Les Thèses d’Engels dans cet ouvrage d’une immense érudition sont confirmées sur bien des points en particulier sur la question des femmes et de la propriété, par des recherches contemporaines.

L’amour par Karl Marx, une vingtaine d’années, amoureux fou de sa Jenny et qui se donne aux luttes prolétariennes…

Pour atteindre au parfait « Calme de la connaissance », il faut que la Critique essaye avant tout de se débarrasser de l’amour. L’amour est une passion, et rien n’est plus dangereux pour le Calme de la connaissance que la passion. À l’occasion des romans de Mme von Paalzow [2], qu’il nous assure « avoir étudiés à fond », M. Edgar cède donc à « cet enfantillage qu’on appelle l’amour ». Quelle horreur, quelle abomination ! Voilà de quoi exciter la rage de la Critique critique, lui faire tourner la bile et même perdre la tête.

« L’amour… est un dieu cruel qui, semblable à toutes les divinités, veut posséder l’homme tout entier et n’a de cesse que l’homme lui ait sacrifié non seulement son âme, mais encore son MOI physique. Le culte de l’amour, c’est la souffrance, et l’apogée de ce culte, c’est le sacrifice de soi-même, le suicide. »

Pour pouvoir métamorphoser l’amour en un « Moloch », en un diable de chair et d’os, M. Edgar commence par en faire un dieu. Devenu dieu, c’est-à-dire objet de la théologie, il relève naturellement de la Critique de la théologie, et tout le monde sait d’ailleurs qu’il n’y a pas loin de dieu au diable. M. Edgar fait de l’amour un « dieu », et qui plus est un « dieu cruel », en substituant à l’homme aimant, à l’amour de l’homme, l’homme de l’amour, en détachant de l’homme l’ « Amour » dont il fait un être particulier et en lui conférant une existence indépendante. Par ce simple processus, par cette métamorphose de l’attribut en sujet, on peut critiquement transformer toutes les déterminations essentielles et toutes les manifestations essentielles de l’homme en monstres et aliénations de l’être. C’est ainsi, par exemple, que la Critique critique fait de la critique, attribut et activité de l’homme, un sujet particulier, la Critique appliquée à elle-même, en un mot la Critique critique : « Moloch », dont le culte est le sacrifice de soi-même, le suicide de l’homme, à savoir de l’humaine faculté de penser.

« Objet, s’écrie le Calme de la connaissance, objet ! voilà bien le terme exact; car l’aimé n’importe à l’amant  (le féminin est absent)  qu’autant qu’il est cet objet extérieur de son affectivité, l’objet dans lequel il veut trouver la satisfaction de son sentiment égoïste. »

Objet ! Quelle horreur ! Rien de plus condamnable, de plus profane, de plus affligé du caractère de masse qu’un objet – à bas l’objet ! Comment la subjectivité absolue, l’actus purus, la critique «pure », ne verrait-elle pas dans l’amour sa bête noire, Satan en chair et en os, dans cet amour qui plus que toute autre chose apprend à l’homme à croire au monde objectif en dehors de lui, et fait non seulement de l’homme un objet, mais même de l’objet un homme ?

L’amour, continue, hors de lui, le Calme de la connaissance, l’amour ne se contente même pas de métamorphoser l’homme en la catégorie : « objet » pour un autre homme, il va jusqu’à faire de l’homme un objet déterminé, réel, le Ceci (Voir HEGEL : Phénoménologie [3], sur le Ceci et le Cela, où on polémique aussi contre le détestable « Ceci ») l’objet individuel-détestable, extérieur, non pas seulement intérieur, confiné dans le cerveau, mais manifeste aux sens.

« L’amour ne vit pas seulement emmuré dans le cerveau. »

Non, la bien-aimée est un objet sensible; et la Critique critique exige pour le moins, quand elle condescend à admettre un objet, que cet objet soit non sensuel. Mais l’amour est un matérialiste non critique et non chrétien.

Enfin, l’amour va jusqu’à faire d’un être humain « cet objet extérieur de l’affectivité » d’un autre être humain, l’objet où trouve sa satisfaction le sentiment égoïste de l’autre, égoïste, parce que c’est sa propre essence que chacun quête chez l’autre. Mais cela est inadmissible ! La Critique critique est tellement affranchie de tout égoïsme qu’elle découvre toute l’étendue de l’essence humaine pleinement réalisée dans son propre Moi.

Bien entendu, M. Edgar ne nous dit pas par quoi l’aimée se distingue de tous les autres « objets extérieurs de l’affectivité, en quoi se satisfont les sentiments égoïstes des hommes ». Au Calme de la connaissance, l’objet de l’amour, si plein d’esprit, si riche de sens, si expressif, ne suggère que ce schéma exprimant une catégorie : « cet objet extérieur de l’affectivité », tout comme une comète, par exemple, n’est pour le philosophe de la nature, qui s’en tient à la spéculation, que la « négativité ». En faisant d’un autre être humain l’objet extérieur de son affectivité, l’homme — c’est la Critique critique qui le reconnaît elle-même – lui confère de « l’importance », mais une importance pour ainsi dire objective, tandis que l’importance que la Critique confère aux objets n’est que l’importance qu’elle se confère à elle-même, et qui s’affirme par conséquent non pas dans le « détestable être extérieur », mais dans le « néant » de l’objet important du point de vue critique.

Si, dans l’homme réel, le Calme de la connaissance ne possède pas d’objet, en revanche dans l’humanité il possède une chose. L’amour critique « prend garde surtout d’éviter que la personne lui fasse oublier la chose, chose qui n’est rien d’autre que la chose même de l’humanité ». L’amour non critique ne sépare pas l’humanité de l’homme individuel, personnel.

« L’amour lui-même, passion abstraite qui vient on ne sait d’où et va on ne sait où, ne peut prétendre à un développement intérieur intéressant. »

Aux yeux du Calme de la connaissance, l’amour est une passion abstraite, selon le vocabulaire spéculatif qui appelle abstrait le concret et concret l’abstrait.

Le poète a dit :

« La belle jeune fille était venue d’ailleurs.
Et nul ne savait le nom de son village.
Aussi, dès qu’elle eut quitté ces parages,
On l’oublia : loin des yeux, loin du cœur [4]. »

Pour l’abstraction, l’amour est semblable à cette « jeune étrangère »; sans passeport dialectique, il se voit expulsé par la police critique.

La passion de l’amour ne peut prétendre à un développement intérieur intéressant, parce qu’elle ne peut être construite a priori, parce que son développement est un développement réel qui s’opère dans le monde sensible et entre individus réels. Or l’intérêt principal de la construction spéculative réside dans les questions : « d’où vient cela » ? « où va-t-il » ? La question d’où est précisément la « nécessité d’un concept, sa preuve et sa déduction » (Hegel). La question où est la détermination « grâce à laquelle chaque chaînon singulier du cycle spéculatif, en tant qu’élément animé de la méthode, est en même temps le début d’un nouveau chaînon» (Hegel). L’amour ne mériterait donc l’ « intérêt » de la Critique spéculative que si l’on pouvait construire a priori son origine et son but.

Ce que la Critique critique combat ici, ce n’est pas seulement l’amour, c’est toute donnée vivante, tout immédiat, toute expérience sensible, plus généralement toute expérience réelle, dont on ne peut jamais savoir à l’avance -ni d’où elle vient ni où elle va.

Par sa victoire sur l’amour, M. Edgar s’est parfaitement posé en « Calme de la connaissance », et peut aussitôt faire la preuve sur Proudhon de la rare virtuosité d’une connaissance pour laquelle l’objet a cessé d’être « cet objet extérieur »; il apporte aussi la preuve d’un manque d’amour encore plus grand pour la langue française.


Notes

[1] Edgar Bauer, frère de Bruno Bauer.

[2] PAALZOW Henriette von (1788-1847) : romancière allemande.

[3] HEGEL : Phénoménologie de l’Esprit, cf. trad. française de la Phénoménologie, Paris, 1939, tome I, p. 81 et suiv. La Certitude sensible, ou le Ceci et ma visée du Ceci. Pour son travail sur la Sainte Famille, Marx utilisa le tome Il de la 2e éd. des œuvres de Hegel (Berlin, 1841).

[4] SCHILLER : La jeune Étrangère, deuxième strophe.

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2 Commentaires

  • Falakia
    Falakia

    Illusion politique Saint Simonienne assez proche de celle de Marx dans la Sainte famille

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  • Falakia
    Falakia

    Fructueuse lecture .
    Sur l’inculture et sur les manques de moyens financiers pour l’école en particulier pour la formation des jeunes enseignants .
    Sur l’amour du couple Marx et son épouse jenny qui se donnent aux luttes prolétariennes.
    Du marxisme et du Parti communiste.
    Certains Intellectuels disent que le Marxisme fût la matrice de Mitterrand en 1970 et en 1980 comme le courant Saint Simonisme une matrice pour Macron .
    Pour le créateur du mouvement En Marche avec ses Initiales E . M ( Emmanuel Macron ) n’a rien de commun avec les idées , le courant Saint Simonienne .
    Saint Simon prõne de mettre l’ensemble de l’industrie au service de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre .
    Alors que Macron a le dédain et exclu les classes populaires et moyennes . Les Gilets Jaunes .

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