Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

EL PROFESOR, un film, une comédie argentine discrète qui rêve de Révolution…

Un film, une comédie tendre et burlesque que je vous le recommande à la manière dont on donne une adresse d’une amie à celui qui part en voyage, parce que l’on sait que ces gens là se ressemblent… Parce qu’il s’est tissé une amitié dans le voyage… Le voyage du film nous conduit dans un Buenos Aires en crise, à la veille de l’élection du fasciste Melei… Le drame est déjà là… nous le vivons dans le regard dubitatif du héros qui espère la sucession de son mentor, mort d’une crise cardiaque en faisant du jogging.. sympathique, introverti, maladroit dont les echecs résonnent en vous dans ce temps de démission, entre sourire et résignation, et puis il y a ce moment de vérité de l’engagement politique, l’essentiel s’est enfin dégagé… Dans ces temps de confusion, d’emphase avec ses boursuflures de l’indignation, ce film nous parle de philosophie mais pas de celle d’une caste, vulgaire à force d’élitisme… Chère Amérique latine rebelle qui croit encore que la mission du philosophe est d’aller dans la rue et ouvrir le dialogue…

L’auteur du film Benjamin Naishtat était apparu comme typiquement argentin, avec deux drames Historia del miedo (2014) et Rojo (en 2018), engagé politiquement et avec violence, passion, alors que ce nouveau film est d’une comédie en nuance. Ce film a été réalisé avec sa compagne Maria Alché et le ton y gagne en intimité subtile, les femmes y sont surprenantes, à leur manière ce sont elles qui ont l’initiative.

C’est un film simple et c’est là un compliment pour nous. Simple comme le personnage principal El professor dont les critiques insistent sur l’aspect médiocre, ce qui est une erreur: Marcelo Pena (joué par Marcelo Subiotto) il y a en lui beaucoup de passion, d’engagement mais il est introverti, encombré de lui-même comme un Buster Keaton, professeur de philosophie.. Encombré, n’arrêtant pas de baffrer, pour combler le vide et pour faire quelque chose, lui si désadapté aux exigences de la réussite. Il a le don de se mettre dans la situation la plus inapte à témoigner de ses qualités, l’empêcher de se faire valoir alors que la mort inopiné de son mentor, maitre de la chaire, fait de lui le candidat logique au poste. Tout le contraire de celui qui va devenir son rival , Rafael Sujarchuk, revenu d’Allemagne où il est parti enseigner depuis vingt ans et qui revient auréolé de toute la gloire mondaine qui s’attache aux universités des Etats-Unis et européennes. Pour décrire cette rivalité, le film avance par touches impressionnistes, un humour très léger, burlesque e, un comique de situation dans lequel chaque universitaire, chaque enseignant, chaque membre d’un service public attaqué de toute part reconnaîtra aisément les petites mesquineries et les batailles rangées de couloir, la férocité bien éduqué de la lutte pour les postes quand est organisé la concurrence sur fond de fermeture de l’institution…

La comédie est toute en retenue alors que par moment on se dit qu’il y avait là matière à plus de délire, la cruauté est là…Oui mais justement les individus vallent mieux qu’il n’y parait…

l’intérêt du film est dans la manière dont à travers ce personnage qui occupe sans cesse l’écran nous avons une situation politique autour d’un quartier de Buenos Ayres avec son université en crise (d’abord financière mais cela va au-delà) et comme nous sommes à la veille de l’élection du fasciste Melei avec l’énorme déception du gouvernement de centre gauche : est-ce que les enseignants, les étudiants vont pouvoir résister à ce mélange de séduction, de répression, de faillite qui pousse à céder : oui et non…

L’épreuve de vérité intervient comme un choix libérateur celui où les discours cèdent devant l’action quand l’université condamnée enseignant et profs occupent la rue, chacun est confronté à ce qu’il est y compris ces policiers (fonctionnaires comme eux et contraints à la violence)… les rivaux redeviennent des compagnons, des camarades et le chef n’est pas celui qu’on croit.. Franchement allez voir ce film pour tenter de comprendre l’âme de l’Amérique latine, celle qui fait bloc aujourd’hui aux côtés de ceux qui résistent de la Bolivie, au venezuela… Il y a une dimension que l’on ignore et qui est une véritable révélation quand on découvre ce continent, l’extraordinaire familiarité entre les protagonistes, des chefs d’Etat aux combattants des services publics sacrifiés, cette vague de privatisation par laquelle l’empire s’invite dans la monde latin, caribéen.

Moment de crise dans un microcosme d’un département de philosophie mais jamais on ne fait de la philosophie l’occasion d’un film prétentieux pour initiés au contraire… Il est volontairement accessible et nous invite à partager les textes en contrepoint des jeux mesquins dans lequel la déliquescence de l’Université française s’y retrouvera aisément. Malheureusement, j’imagine mal l’université française actuelle capable de cette minute de vérité, il est vrai que l’Argentine est plus ruinée, les locaux et les enseignants délabrés et il ne leur reste plus qu’à choisir l’espérance, celle d’un continent puisque le professeur révélé à lui même va aller dans une obscure réunion en Bolivie dans les hauteurs de La paz et il ne perdra pas son temps, il leur chantera un tango poème sur le destin de “leur” Amérique…

Si vous avez envie modestement et pourtant avec le plaisir honnête d’une fréquentation honorable, allez voir ce film qui vous parlera de ce continent et de ses résistances, sa dignité…

J’ajouterai qu’il fut un temps celui où avec Bourdieu et tant d’autres la sociologie était un sport de combat, cette Amérique latine attendait beaucoup de l’université française…

danielle Bleitrach

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