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Antinomie entre Société Civile et Etat chez Hegel

Philosophie

Antinomie entre Société Civile et Etat dans « Les principes de la philosophie du droit » Extraits de la préface de son traducteur Jean Hyppolite

 

Antinomie entre Société Civile et Etat dans « Les principes de la philosophie du droit » Extraits de la préface de son traducteur Jean Hyppolite – Ecole populaire de philosophie et de sciences sociales (collectifnovembre.com)


C’est pourquoi la philosophie hégélienne du Droit est encore vivante, moins peut-être dans ce qu’elle a prétendu établir de définitif que dans les problèmes qu’elle a posés. Et puisque nous en sommes ici à réfléchir à la relation entre Etat et la société civile à l’ère du numérique peut-être que le questionnement de Hegel (inversé bien sur) n’est pas totalement inutile. Chacun prend leproblème là où celui-ci lui parait pouvoir être éclairé . (note de Danielle Bleitrach pour histoire et societe)

Ce texte soulève une partie des problèmes auxquels nous confronte la constitutionnalisation de « la société civile dans la constitution du 01 novembre 2020, en attendant l’élaboration d’un travail de fond sur la genèse et le devenir historique de la société civile, élevée au rang de concept par Hegel, et qui semble bien insaisissable aujourd’hui pour nos contemporains.

Les extraits ci-dessous  de la préface de Jean Hyppolite nous montre l’extrême actualité  des « Principes de la philosophie du droit » de Hegel malgré les deux siècles écoulés depuis leur publication

 » La philosophie hégélienne du  Droit est encore vivante, moins peut-être dans ce qu’elle a prétendu établir de définitif que dans les problèmes qu’elle a posés…

« Le troisième moment de la Philosophie du Droit, celui de la moralité objective ou de l’État dans le sens large du terme est de beaucoup le plus important. En lui le concept est réalisé, c’est-à-dire qu’au sens hégélien, nous avons en lui l’Idée, accord de la réalité empirique et du concept. »

D’une part, le droit abstrait est devenu la substance sociale, les mœurs, les institutions, la constitution et l’organisation de l’État ; d’autre part, cette substance n’est pas seulement en soi ; elle est encore l’œuvre des sujets qui la font et la réalisent. Selon les termes de la Phénoménologie,  » la substance est en même temps sujet « .

« La Société civile, nous dit Hegel, est l’État de la nécessité et de l’entendement ; elle correspond au moment de la subjectivité dans l’ensemble de la philosophie du Droit. En elle les individus croient réaliser leur liberté individuelle et subjective ; ils travaillent ; ils échangent, ils concluent des contrats, mais de telle façon qu’ils croient toujours travailler, produire, et échanger pour eux-mêmes, comme si la volonté individuelle était la volonté rationnelle en soi et pour soi. Tel est par exemple le monde de l’économie politique qui allait tellement frapper Hegel que dans les cours inédits, d’Iéna en 1806-7, il  décrivait le déchirement interne de ce monde du « laissez faire, laissez passer « , comme le grand drame de la société moderne. »

« La société est pour l’homme privé sa nature du mouvement élémentaire et aveugle de laquelle il dépend, qui le soutient ou le supprime spirituellement et matériellement » .

Les variations aveugles du marché vont condamner progressivement, « toute une classe à la pauvreté », tandis que par une concentration nécessaire des richesses, d’autres hommes privés accumulent des fortunes considérables.

« A celui qui a déjà, c’est à celui-là qu’on donne (…) Cette inégalité — remarque enfin Hegel toujours en 1806 — (…) de la richesse et de la pauvreté devient le plus grand déchirement de la volonté sociale, la révolte intérieure et la haine».

Chaque homme privé, en tant qu’homme privé, fait autre chose que ce qu’il croit faire; le Tout bien ainsi actualisé, mais sans la conscience directe de lui-même. L’homme privé n’est pas le citoyenC’est pourquoi la société civile exprime le moment de l’opposition et de la scission dans l’État. Dès 1807, dans la Phénoménologie, Hegel voyait dans l’Etat, « le destin de la Richesse et dans la Richesse le destin de l’état », si l’on en restait à la société civile on aurait exactement L’Etat que conçoit le libéralisme économique ou même le libéralisme tout court.

Nous n’insisterons pas sur la discrétion de cet État rationnel que Hegel présente d’après l’Etat de son temps. La monarchie administrative prussienne y joué comme on sait un rôle prédominant. Mais il serait injuste de le reprocher à Hegel. Il n’a pas voulu penser une utopie, mais seulement « ce qui est ».

De même que Platon pour lui n’a pas construit arbitrairement sa République, mais a exprimé en elle l’idéal de la cité antique, de même il [Hegel] a voulu penser l’essence de l’État de son temps.

Du reste, comme il l’écrit lui-même dans sa préface à la Philosophie du Droit

  » En ce qui concerne l’individu, chacun est le fils de son temps, de même aussi la philosophie, elle résume son temps dans la pensée . Il est aussi fou de s’imaginer qu’une philosophie quelconque dépassera le monde contemporain que de croire qu’un individu sautera au dessus de son temps, franchira le Rhodus »

Mais cet État, qui est en fait un produit de l’histoire, Hegel s’est efforcé de nous le présenter dans sa rationalité, comme s’il était en dehors de l’histoire. Il suffit pourtant de remonter de cette Philosophie du Droit de Berlin aux travaux antérieurs de Hegel pour comprendre l’effort de synthèse qu’il a tenté dans cette présentation. Il a voulu réconcilier la subjectivité chrétienne infinie (religions de la transcendance / monothéistes) avec l’idéal de la cité antique, selon lequel l’État est pour le citoyen, « le but final de son monde » .  Il à voulu maintenir au sein de l’État le libéralisme bourgeois tout en affirmant que l’État était au-dessus de la société civile ( c’est à dire au dessus des rapports de forces du marché. Ndl’E) et en constituait l’unité consciente de soi. Cette synthèse, qui serait la synthèse de la cité antique et du monde moderne, était elle possible, et l’État prussien de 1820 la réalisait-il vraiment pour Hegel lui-même ?

« Ce sont là des questions qu’on se pose nécessairement en lisant cette Philosophie du Droit.   Mais si nous doutons de la réalité de la synthèse qu’a voulu penser Hegel, nous ne pouvons pas ne pas être sensibles par contre aux oppositions qu’il s’est efforcé de concilier. Ces oppositions, celle du christianisme ( des religions monothéistes ) et de l’état terrestre, celle de l’homme privé et du citoyen , du monde économique et de l’Etat politique, sont encore nos oppositions.

C’est pourquoi la philosophie hégélienne du Droit est encore vivante, moins peut-être dans ce qu’elle a prétendu établir de définitif que dans les problèmes qu’elle a posés. »

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