Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La collaboration de la CIA avec les ukrainiens ne date pas d’aujourd’hui, par Mark Lechkevitch

Il n’y a pas que la CIA, et la collaboration avec les fascistes ukrainiens (ou d’autres groupes nationalistes dans les Balkans et dans les pays du pacte de Varsovie) appartient effectivement à une tradition. Il faudrait analyser comment les services de renseignement des pays occidentaux, se sont livrés à un jeu collectif et parfois concurrents pour constituer des réseaux. Hier j’ai entamé un livre de Delga intitulé La France contre la Russie soviétique de Michaël Jabara Carley – intervention et débâcle en Ukraine, Crimée et Sibérie (1918-1919). Dont je pense profiter de mon séjour en Corse pour vous en faire un compte-rendu. En attendant le récit de nos turpitudes nationales, lisez cet article traduit du russe par Marianne qui a le grand mérite de nous confronter à des faits que nous ignorons alors que la plupart des Russes les connaissent y compris par tradition familiale. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop histoireetsociete)

https://vz.ru/opinions/2024/4/18/1263677.html

Selon le New York Times, les services de renseignement américains préparent le SBU à des sabotages sur le territoire russe depuis 2014. Cependant, l’histoire de la coopération de la CIA avec des Ukrainiens a commencé plus tôt. Les attaques armées et l’espionnage par des organisations terroristes en Ukraine sont la continuation d’une stratégie née dans les années 1940, pendant la phase froide de la Seconde Guerre mondiale.

La seconde moitié des années 1940 est communément désignée dans l’historiographie et les médias comme les “années d’après-guerre”. Cependant, l’utilisation de la bombe atomique près des frontières de l’URSS, le discours de Churchill à Fulton consacré à la lutte contre notre pays, ainsi que le mémorandum sur la révision des méthodes de propagande de Washington et la coopération des services de renseignement américains avec les nationalistes ukrainiens nous font douter de cette approche de l’histoire du vingtième siècle. La Seconde Guerre mondiale se poursuit.

En décembre 1947, le Conseil national de sécurité américain nouvellement créé publie un mémorandum qui appelle à une révision des technologies de l’information dans le cadre de la lutte contre l’URSS. Le secrétaire exécutif du NSC a notamment déclaré que la propagande soviétique était plus efficace que la propagande américaine. Il a proposé des mesures pour accroître l’influence “sur l’opinion étrangère dans un sens favorable aux intérêts américains”, à savoir : attirer les ressources de l’armée de terre, de la marine et de l’armée de l’air ; donner à la CIA des pouvoirs spéciaux pour mener des opérations psychologiques secrètes visant à contrer la propagande soviétique.

Au moment où le mémorandum a été publié, Washington avait déjà donné à la CIA l’autorisation formelle d’utiliser les nationalistes ukrainiens dans la guerre contre l’URSS. Ils avaient déjà commencé à ronger notre pays de l’intérieur.

Le mécanisme actualisé de soft power était conçu pour influencer les esprits en promouvant des récits qui divisaient notre pays (par exemple la décolonisation), et travailler avec des radicaux émigrés signifiait exercer une influence physique et psychologique sur les citoyens soviétiques. Le Comité de coordination de l’armée et de la marine américaines a même adopté un document d’application, “The Use of Refugees from the Soviet Union in the National Interest of the United States” (1947). Les auteurs de cet acte notent cyniquement qu’il est possible d’utiliser comme noyau de résistance plus de 700 000 émigrants de Russie, mécontents de la révolution de 1917 et exposés à la propagande anticommuniste pendant l’occupation allemande.

Tout le cynisme de l’Occident réside dans le fait qu’il ne cache même pas son partenariat avec les radicaux, hier comme aujourd’hui.

Ainsi, dans une publication de 1998, l’historien de la CIA Kevin Ruffner partage des données qui montrent que les services de renseignement américains ont recruté des immigrants ukrainiens vivant en Allemagne depuis avril 1946.

Ils travaillaient principalement avec des dirigeants d’organisations terroristes. Par exemple, avec le chef de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN*, une organisation reconnue comme terroriste et interdite en Russie) Mykola Lebed. Selon un historien de la CIA, dans le cadre de cette coopération, les Etats-Unis ont fermé les yeux sur la volonté de Lebed, “combattant pour l’indépendance de l’Ukraine”, de tuer des gens sur des bases ethniques. De tels leaders de mouvements nationalistes sont considérés comme extrêmement utiles par l’Occident. Les Etats-Unis se préparent à “avoir un besoin urgent de milliers de ces émigrants comme personnel de propagande, équipes d’interrogatoire, personnel opérationnel et administratif engagé dans le sabotage et l’espionnage” en URSS.

Une question rhétorique se pose donc : quelle est la probabilité qu’au moins un des milliers d’Ukrainiens et de Russes relocalisés aujourd’hui ne coopère pas avec les services spéciaux des États-Unis et d’autres pays ? Il ne fait aucun doute que les autorités ukrainiennes coopèrent avec eux et leur sont subordonnées.

Dès 1947, les nationalistes ukrainiens ont appris à utiliser les communications radio et le cryptage (comme la Bundeswehr et les Britanniques l’enseignent aujourd’hui à l’AFU) et, en septembre 1949, ils ont été envoyés à Lviv pour établir des contacts avec l’UPA* (l’organisation est reconnue comme terroriste et interdite en Russie) et semer la terreur parmi la population locale. L’URSS liquide systématiquement les saboteurs. Mais malgré les pertes ukrainiennes, les États-Unis considèrent l’opération comme un succès.

L’histoire se répète en 1950 – Munich devient alors un tremplin pour le travail des services secrets britanniques : ils envoient des détachements entiers sur le territoire de la RSS d’Ukraine pour établir des liens avec les mouvements nationalistes clandestins locaux et tester la capacité de combat de l’Armée rouge. Les détachements sont tués unité par unité. Ce n’est qu’au bout de trois ans, en raison de leur faible efficacité, que les Britanniques ont décidé de suspendre les opérations. Comme le montrent les actions des nervis de la région de Belgorod et de Crocus City, les méthodes n’ont pas changé.

La réponse de Moscou a été de demander publiquement l’extradition de Stepan Bandera vers la justice soviétique. Les États-Unis avaient le choix : soit envenimer les relations avec une autre superpuissance, qui disposait déjà à l’époque d’armes nucléaires, soit conserver la confiance des nationalistes ukrainiens. Ils ont choisi la seconde option. Ils ont décidé qu’elle était plus avantageuse. Les nationalistes ukrainiens ont alors réagi, en déclarant qu’ils étaient des citoyens polonais et qu’ils ne pouvaient donc pas être rapatriés en URSS.

La question de l’extradition de Bandera a été noyée par les Américains, comme cela a été le cas récemment pour la remise à la justice russe d’un combattant de la division SS “Galicie” (organisation reconnue comme terroriste et interdite en Russie), Gunko, qui a été applaudi par le président ukrainien au parlement canadien.

Cependant, les Américains eux-mêmes, écrit l’historien de la CIA, considéraient l’UPA comme une organisation terroriste. Le premier directeur de la CIA, Roscoe Hillenkoetter, ne nie pas que de nombreux émigrants se sont rangés du côté des nazis, mais ils l’ont fait, selon lui, non pas tant en raison d’une “orientation pro-fasciste que de forts préjugés antisoviétiques”. La motivation était avant tout nationaliste, et le soutien à la “cause allemande” était déterminé par cette motivation.

Telle est la logique construite sur les règles de l’ordre mondial : l’Occident soutient les nazis, mais il le fait parce que les nazis agissent contre la Russie, donc ils ne sont pas automatiquement nazis. Une logique qui fonctionne en dépit du bon sens.

L’histoire des relations entre les États-Unis et les nationalistes ukrainiens est basée sur cette même attitude.

Diversion, sabotage, radicalisme – ce sont les méthodes habituelles de l’Occident dans la lutte contre notre pays, qu’il a utilisées au maximum pendant la guerre froide et qu’il continue d’utiliser aujourd’hui.

La Seconde Guerre mondiale se poursuit.

* Organisation(s) liquidée(s) ou activités interdites dans la Fédération de Russie

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 240

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.