Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le déclin stupéfiant des pays du Nord

☰6 MARS 2024

Le moment où la planète y compris leurs propres citoyens a découvert le vide stupéfiant des dirigeants du Nord. Il est vrai que ce que décrit cet intellectuel indien renvoie à un temps, celui du basculement où on cherche les raisons d’en trouver un moins pire que l’autre avec en toile de fond une capacité de nuisance supposée accrue de l’autre. (note et traduction de Danielle Bleitrach)

PAR VIJAY PRASHAD

Source de la photographie : Commission européenne (Dati Bendo)

Le déclin remarquable du leadership des pays du Nord

Un groupe de jeunes à Paris prend un verre dans un café par une soirée exceptionnellement chaude. La conversation dérive vers la politique, mais, comme le dit une jeune femme, « ne parlons pas de la France ». Les autres acquiescent d’un signe de tête. Ils se concentrent sur l’élection présidentielle américaine, il y a un peu d’arrogance gauloise dans la manière dont ils ironisent sur la quasi-certitude que les principaux candidats seront le président Joe Biden et l’ancien président Donald Trump. Biden a 81 ans et Trump en a 77. Un conseiller spécial aux États-Unis a qualifié Biden de « vieil homme à la mémoire défaillante », ce qui n’est pas à proprement parler les termes adéquats pour inspirer confiance dans le président. En essayant de se défendre, Biden a fait le genre de gaffe qui alimente les suspicions et a confirmé le rapport qu’il essayait de contester : il a qualifié le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi de « président du Mexique ». Mais aucune nouvelle preuve n’est nécessaire, en attendant, pour se moquer de la candidature de Trump. « Est-ce que c’est ce que les États-Unis peuvent offrir de mieux ? », s’interroge Claudine, jeune étudiante dans un prestigieux collège parisien.

Ces jeunes sont suffisamment conscients que cette situation ridicule de l’autre côté de l’Atlantique – l’élection présidentielle américaine – existe tout autant, bien que d’une manière moins dangereuse en Europe. Quand je leur demande ce qu’ils pensent des principaux dirigeants européens – l’Allemand Olaf Scholz et le Français Emmanuel Macron – ils haussent les épaules, et les mots « imbécile » et « non-existant » entrent dans la discussion. Près des Halles, ces jeunes viennent de participer à une manifestation pour mettre fin aux bombardements israéliens sur la région de Rafah à Gaza. « Rafah a la taille de l’aéroport d’Heathrow », explique un jeune étudiant anglais qui passe l’année 2024 en France. Le fait qu’aucun des dirigeants européens n’ait parlé clairement de la mort et de la destruction à Gaza les trouble, et ils disent qu’ils ne sont pas les seuls à avoir ces sentiments. Beaucoup de leurs camarades de classe ressentent la même chose.

Les taux d’approbation d’Olaf Scholz et d’Emmanuel Macron diminuent de semaine en semaine. Ni l’opinion publique allemande ni la population française ne croient que de tels individus puissent inverser le déclin économique ou arrêter les guerres à Gaza ou en Ukraine. Claudine est contrariée par le fait que les gouvernements du Nord ont décidé de couper leur financement de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), bien qu’un autre jeune, Oumar, intervienne en disant que le président brésilien Lula a déclaré que son pays donnerait de l’argent à l’UNRWA. Tout le monde acquiesce.

Une semaine plus tard, on apprend qu’un jeune soldat de l’armée de l’air américaine, Aaron Bushnell, a décidé de se suicider, affirmant qu’il ne sera plus complice du génocide contre les Palestiniens. Interrogée sur la mort de Bushnell, l’attachée de presse de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, a déclaré que le président était « au courant » et qu’il s’agissait d’une « horrible tragédie ». Mais il n’y a eu aucune déclaration sur les raisons pour lesquelles le jeune homme s’est suicidé, et rien pour apaiser un public tendu sur les implications de cet acte.

En mangeant une glace à New York, le président américain Joe Biden a déclaré qu’il espérait qu’il y aurait un cessez-le-feu « d’ici le début du week-end », mais l’a ensuite déplacé à « d’ici lundi prochain ». Les déclarations sinueuses, la promesse d’un cessez-le-feu parallèlement aux tergiversations et les livraisons d’armes ne renforcent la confiance de personne en Biden ou en ses pairs en Europe.

Avec l’émir du Qatar à ses côtés, le président français Emmanuel Macron a appelé à un « cessez-le-feu durable ». Ces expressions – « cessez-le-feu durable » et « cessez-le-feu humanitaire » – ont été utilisées avec ces adjectifs (durable, humanitaire) conçus pour diluer l’engagement en faveur d’un cessez-le-feu et prétendre qu’ils sont en fait en faveur de la fin de la guerre alors qu’ils continuent à être derrière les bombardements d’Israël.

À Londres, le Parlement britannique s’est effondré de manière comique face à une résolution du Parti national écossais (SNP) en faveur d’un cessez-le-feu. Plutôt que de permettre un vote pour montrer les opinions réelles de leurs membres, le Parti travailliste et le Parti conservateur se sont mis en vrille et le président du Parlement a enfreint les règles pour s’assurer que les élus n’aient pas à s’opposer publiquement à un cessez-le-feu. Brendan O’Hara, du SNP, a clairement soumis la question au Parlement avant qu’il ne s’exprime et que la résolution du SNP ne soit mise de côté : « Certains devront dire qu’ils ont choisi de s’engager dans un débat sur la sémantique plutôt que sur des pauses « durables » ou « humanitaires », tandis que d’autres diront qu’ils ont choisi de donner à Netanyahu à la fois les armes et la couverture politique dont il avait besoin pour poursuivre sa guerre implacable. »

Le désir mondial d’un arrêt immédiat des bombardements israéliens est maintenant à son plus haut niveau. Pour la troisième fois, les États-Unis ont opposé leur veto à une résolution de l’ONU au Conseil de sécurité visant à contraindre les Israéliens à cesser les bombardements. Le fait que les États-Unis et leurs alliés européens continuent de soutenir Israël malgré le dégoût généralisé pour cette guerre – illustré par la mort d’Aaron Bushnell – augmente la frustration à l’égard des dirigeants du Nord.

Ce qui est particulièrement déconcertant, c’est qu’une grande partie de la population des pays du Nord souhaite un cessez-le-feu immédiat et que ses dirigeants ne tiennent pas compte de leurs opinions. Un sondage montre que les deux tiers des électeurs aux États-Unis – y compris la majorité des démocrates (77 %), des indépendants (69 %) et des républicains (56 %) – sont en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza. Il est intéressant de noter que 59 % des électeurs américains disent que les Palestiniens doivent se voir garantir le droit de retourner chez eux à Gaza, tandis que 52 % ont déclaré que des pourparlers de paix doivent avoir lieu pour une solution à deux États. Autant de positions qui sont ignorées par la principale classe politique des deux côtés de l’océan Atlantique. Les qualificatifs de « durable » et de « humanitaire » ne font qu’accroître le cynisme des populations qui voient leurs dirigeants politiques ignorer leur insistance sur un cessez-le-feu immédiat.

La clarté n’est pas à chercher à la Maison-Blanche, au 10 Downing Street ou à l’Élysée. On la retrouve dans les paroles de gens ordinaires de ces pays qui ont le cœur brisé par la violence. Les manifestations semblent s’intensifier à mesure que le nombre de morts augmente. Quelle est la réaction à ces manifestations ? Au Royaume-Uni, des membres du parlement se sont plaints que ces manifestations mettaient la police sous une « pression soutenue ». C’est peut-être le but des manifestations.

Cet article a été produit par Globetrotter.

Le livre le plus récent de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) s’intitule The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).

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