Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Toi DESNOS qui partit de Compiègne (1)


Par Olivier Barbarant, poète.

  · Le téléphone est alors chose rare. Il vient d’être installé au 19, rue Mazarine.

Il sonne fort tôt au matin de ce 22 février 1944, et une voix féminine put prévenir que la Gestapo sortait de la rédaction d’Aujourd’hui où elle pensait trouver Robert Desnos. Le poète contribue alors au journal depuis sa fondation, en septembre 1940, par Henri Jeanson, lequel a trouvé durant un bref automne le moyen d’y faire régner un esprit de liberté. Jeanson vite écarté, Desnos a fait le choix d’y rester, glissant dans des chroniques apparemment anodines sur le cinéma, la musique ou la chanson un air plus pur que celui de la propagande, et souvent parfumé d’allusions. Il publie, anime des émissions de radio, travaille pour le cinéma, trouvant ainsi les moyens de subvenir aux besoins de sa compagne, Youki, mais aussi d’Alain Brieux, que le couple cache comme réfractaire à la loi du service du travail obligatoire (STO).

Desnos, le résistant

Ce 22 février, Desnos lui ordonne de s’enfuir en lui confiant un paquet à jeter à l’égout. Brieux racontera plus tard qu’il croise dans l’escalier les trois agents en civil. Après la fouille mettant à sac une bibliothèque que Desnos a pris soin d’expurger en janvier, il est interrogé rue des Saussaies, puis expédié à la prison de Fresnes. Les motifs de l’arrestation ne manquent pas. Matricule P2 du réseau de résistance Agir, ajoutant des publications interdites sous pseudonyme aux contributions autorisées, hébergeant des clandestins, Desnos a parfois mêlé à l’action une certaine imprudence verbale. Une vieille polémique avec Céline dans Aujourd’hui en mars 1941, une plus violente querelle avec le secrétaire du collaborateur Alain Laubreaux avec lequel il en est venu aux mains au Harry’s Bar en 1942 ne sont que la part la plus parisienne d’autres audaces. Il semble par exemple que les fusils cachés dans la cour, rue Mazarine, n’aient pas été trouvés par la Gestapo. Mais la suractivité artistique, militante et combattante de ces mois brouille les cartes. On peine à savoir ce que savaient les Allemands. Il fallait l’aveuglement vitupérant des émules surréalistes de la Main à plume pour prétendre condamner en août 1943 « M. Desnos, collaborateur d’Aujourd’hui », quand le journal lui permettait d’accéder à des informations dont il glissait les transcriptions à son réseau… Malgré ses incartades furieuses, la discrétion de Desnos lui fait taire aussi sa participation à la destruction d’un train de munitions en gare de Maintenon le 18 février 1944, où son camarade André Verdet affirme qu’il se trouvait. C’est le résistant Desnos qui est arrêté, peu après son chef Michel Hollard, torturé début février sans avoir lâché le moindre nom.

Commence alors un terrible chemin de croix. Transféré le 20 mars à Compiègne où il composera l’admirable poème Sol de Compiègne, comme un oratorio en amont des autres camps (« Craie et silex et herbe et craie et silex/Et silex et poussière et craie et silex »…), Desnos aurait pu être maintenu à Royallieu. Cette faveur arrachée par Youki auprès du responsable du camp est annulée par Laubreaux, qui a appris la nouvelle le 1er avril chez Maxim’s : « Pas déporté ! Vous devriez le fusiller. C’est un homme dangereux, un terroriste, un communiste. »

L’assassin finira, lui, des jours tranquilles en 1968 dans l’Espagne de Franco…

Auschwitz et les marches de la mort

Arrivé le 30 avril à Auschwitz, réexpédié à Buchenwald le 12 mai, où l’on ajoute au tatouage d’identification le triangle rouge des politiques, transféré le 25 à Flossenbürg, Desnos trouve enfin le 2 juin sa destination dans la bureaucratie nazie tournant à plein régime : Flöha, où les détenus valides sont employés dans une usine d’armement. Par maladresse d’intellectuel ou sabotage (ils sont nombreux), Desnos est éloigné des machines et cantonné au balayage. Tous les survivants racontent comment le poète, à chacune de ces destinations, est pour ses compagnons de malheur un soleil. Chansons, improvisations poétiques, organisation des séances d’épouillage sont opposées à l’enfer, tant qu’il en eut la force, la voix « chaude et joyeuse et résolue » du Veilleur du Pont-au-Change. Mais c’est roué de coups, les lunettes brisées après un conflit avec le kapo cuisinier que Desnos, épuisé, sera jeté sur les routes de l’évacuation des camps devant l’avancée des troupes alliées, du 14 avril au 7 mai 1945.

À Terezín enfin rejoint, où il est identifié par deux étudiants en médecine tchèques qui l’accompagneront jusqu’à sa fin, Desnos figure sur une photographie datée du 8 mai 1945. Celui qui peut donc apprendre la victoire, crâne rasé, maigre à faire peur, offre pour tout sourire à l’objectif qu’il peine à discerner une douloureuse grimace. Le typhus aura raison de ce qui lui reste de forces le 8 juin, à 5 h 30 du matin. Le Bain avec Andromède, publié clandestinement en 1944, avait su prédire le dernier mot : « Plus loin le monstre fuit./ Le ciel est dépassé ».

(1) faut-il rappeler que Céline dénonça aux autorités d’occupation Desnos, dans un temps où l’on ne craint pas de célébrer le génie de l’auteur de Bagatelle pour un massacre en continuant à tenter d’ignorer Aragon et tous ceux qui résistèrent.

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3 Commentaires

  • DRON Jean Francois
    DRON Jean Francois

    J’ai fais mes classes au camp de Royallieux en 1964. Il y avait les baraquements ou étaient cases les gens en transit vers les camps de la mort. Mais ce qui m’a choqué et mis en colère c’est que le commandant du CI se faisait surnommé ” le Führer “.
    Une vraie honte.

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    • Bosteph
      Bosteph

      Déjà la nazisme commençait à revenir, tout doucement.

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    • Toni De Gennaro
      Toni De Gennaro

      Le camp de Royallieu à Compiègne est une ancienne caserne militaire de 1913.
      Il devient le principal camp de transit des déportés de répression avant leur transfert vers les camps de concentration.
      La collaboration pétainiste étant bien rodée, il a une particularité, il s’agit d’un camp allemand, le mot « particularité » peut surprendre et pourtant, la quasi-totalité des camps ouverts en France, occupés comme non occupés, étaient sous administration française.
      Ce camp allemand, en territoire français va servir de halte et d’antichambre à la politique de répression et de déportation nazi, 53 787 personnes y auront transité.
      L’ensemble du camp est divisé en 3 sous-camps: tous séparés par des clôtures de barbelés, aucun rapprochement entre détenu de chaque sous-camp n’est envisageable.
      – le A pour les détenus politiques, essentiellement les communistes,
      – le B pour les internés civils, notamment ceux des Amériques,
      – le C pour les juifs, le plus misérable (nommé ainsi jusqu’en 1942, il en gardera par la suite cette dénomination, avant que les Juifs ne soient dirigés vers Drancy et Sobibor, aucun n’en reviendra)
      Là y arrivèrent les 500 Marseillais en provenance de Fréjus, lors de la plus grande rafle de français (plus de 15 000), celle du 24 janvier 1943 du plus vieux quartier de la ville, le quartier St Jean.
      500 Marseillais, où se côtoient, Français, Grecs, Arméniens, Espagnols, Turcs et Italiens, très jeunes, allant servir d’esclaves bagnards pour les industriels nazis, dont certains sont encore en activités.
      D’ailleurs dans le Camp A, celui des internés politiques, à majorité communiste, ce sont eux qui se charge de l’organisation de la vie quotidienne de l’été 1941 à novembre 1943, l’oisiveté étant grande, tous peuvent y participer ; Leur doyen, le communiste Georges COGNIOT, agrégé de lettres et rédacteur au journal l’Humanité, met en place une véritable politique culturelle, déclarant :
      « Les détenus avaient transformés le camp en une université non seulement de culture générale sur la philosophie, les langues, la littérature française, la science de la nature, mais ils se pressaient en foule aux cours politiques que nous avions organisé, tels ; « Capital et Plus-value ou Démocratie et Fascisme. »
      Alors, voila un exemple, parmi tant d’autres, de lutte, de résilience, de liberté.
      Alors, si nous laissons faire, le pouvoir macronien aura toute légitimité à célébrer des résistants communistes immigrés alors même qu’il s’aligne sur les coordonnées de l’extrême droite en matière migratoire, qu’il s’agisse du détournement de l’héritage communiste opéré par les présidents successifs, de Sarkozy en 2007 avec Guy Môquet, jusqu’à Macron en 2024, avec l’épopée admirable des Manouchian. Qui sera le prochain ?
      Alors, le combat de classe ne se mène pas que contre la bourgeoisie, mais aussi à l’intérieur.
      Alors, dans ce Parti, il serait temps que nous osions le socialisme.
      Un fils de déporté à Mauthausen, raflé à Marseille.

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