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Xiong Shiyi : La vie légendaire du « Shakespeare chinois »

La Chine est en train de totalement ré-évaluer son espace dans le contexte des nouvelles routes de la soie et des BRICS, cela passe par une remise en cause des frontières mais aussi l’intégration de ceux qui ont tenté d’installer dans la culture occidentale autre chose que les “chinoiseries” et les exotismes. Et il y a une revalorisation des “passeurs” qui va avec le rôle des Chinois dans le refus de l’hostilité et de la fermeture des échanges entre l’Occident et l’Asie. La France, malgré elle, grâce à des gens en totale rupture avec la sinophobie et le crétinisme ambiant produisent des programmes culturels transfrontaliers. (note de Danielle Bleitrach dans histoireetscociete)

2024-01-08 11:44 China News Qiu Guangyu Dans la soirée du 15 septembre 1991 décédait un vieil homme petit et mince au troisième hôpital de l’Université de Pékin. Il était initialement retourné à Pékin pour rendre visite à des parents, mais il ne s’attendait pas à décéder ici.

Dans les années 1930, c’était l’écrivain chinois le plus célèbre à l’étranger, il s’appelait Xiong Shiyi, autrefois connu sous le nom de Lin Xiong aux côtés du célèbre écrivain Lin Yutang. En 1934, sa pièce anglaise Wang Baochuan est devenue un succès mondial et le New York Times l’a salué comme le « Shakespeare chinois ». Traduit dans de nombreuses langues, son roman Tianqiao est un best-seller en Europe et aux États-Unis.

Pour diverses raisons, ce « Shakespeare chinois » n’est pas très célèbre en Chine continentale. Ce n’est qu’en 2023 que la publication de sa biographie Xiong Shiyi : Le « Shakespeare chinois » disparu de Zheng Da, professeur honoraire à l’Université du Suffolk à Boston, a permis à davantage de lecteurs chinois de prendre de nouveau connaissance de son histoire. Il s’agit d’un écrivain important qui a été oublié dans les tréfonds de l’histoire, mais c’est également un nom indispensable dans l’histoire des échanges culturels chinois modernes.

Wang Baochuan : une révélation pour les Occidentaux

Le 30 octobre 1935, le paquebot transatlantique Berengaria quitte Londres en direction de New York. Parmi de nombreuses stars de cinéma, danseurs et réalisateurs célèbres qui se trouvent à bord, un couple de chinois vêtu de manière plutôt classique et élégante, à personnalité enjouée et parlant couramment l’anglais, impressionne encore plus les autres passagers.

Ce moment est un point clé de la vie de Xiong Shiyi, car deviendra bientôt le premier metteur en scène chinois à entrer à Broadway en y emmenant la pièce Wang Baochuan qu’il a lui-même écrite et mise en scène. Alors qu’il séjourne avec son groupe à New-York dans l’hôtel Edison, le plus célèbre du pays, les journaux font quotidiennement des reportages à leur sujet. La version américaine de la pièce Wang Baochuan est bien produite et mise en scène par le célèbre producteur américain Morris Guest. Les acteurs sont tous américains, Xiong Shiyi a sollicité Mei Lanfang pour faire confectionner à la main leurs magnifiques costumes par un tailleur de Suzhou.

Peut-être qu’à ce moment-là, Xiong Shiyi se remémorait les étapes l’ayant mené jusqu’ici. Trois ans plus tôt, en 1932, Xiong Shiyi, alors âgé de 30 ans, s’était rendu à l’Université de Londres-Est en Angleterre dans le but de préparer un doctorat. Rapidement il se lia d’amitié avec ses écrivains britanniques préférés tels que George Bernard Shaw et James Matthew Barrie. A cette époque, une brève vague d’engouement pour « style chinois » traversait le cercle culturel européen, et les gens étaient très curieux des œuvres teintées d’éléments chinois. George Bernard Shaw et Allardyce Nicoll, le mentor de Xiong Shiyi, lui ont alors suggéré d’écrire des drames traditionnels chinois en anglais. Allardyce Nicoll a rajouté que s’ils étaient bien réalisés, ces drames chinois authentiques ayant rarement été joués sur la scène britannique, ils pourraient peut-être acquérir à la fois célébrité et fortune.

Encouragé par son professeur, Xiong Shiyi écrivit le drame Wang Baochuan adapté de l’opéra traditionnel chinois L’étalon à crinière rouge. Il comprit que ce drame ne devait pas être une copie des opéras traditionnels, mais qu’il devait apporter des changements drastiques dans l’intrigue, la forme, etc. pour qu’il ait une meilleure réception du public occidental. Afin de lui donner un ton plus accrocheur, il a changé le nom original de la pièce pour lui donner celui de la protagoniste principale Wang Baochuan. Il a également transformé l’héroïne, à l’origine docile et soumise, en un personnage reflétant une image féminine pleine de beauté et d’esprit. Afin que le public britannique comprenne l’intrigue, il a également ajouté de nombreux textes explicatifs.

Les débuts de Wang Baochuan furent difficiles, aucun théâtre britannique n’était disposé à le mettre en scène. En effet, dans l’esprit du public étranger de cette époque, le « style chinois » ne se résumait qu’à des coutumes « exotiques », mais en fait, il ne comprenait pas vraiment la Chine. Cependant, Xiong Shiyi continuait à présenter ses œuvres aux troupes de théâtre et aux maisons d’édition avec enthousiasme.

En 1934, alors que le drame Wang Baochuan n’avait pas encore été joué, son scénario fut préalablement publié avec succès et largement salué par la critique. La même année, le réalisateur britannique Prius fut attiré par Wang Baochuan, après l’avoir répété il a rapidement réalisé des centaines de représentations. Presque tous les membres de la famille royale britannique ont vu la pièce, et la reine Mary l’a regardé jusqu’à huit fois. Après cela, Wang Baochuan est devenu populaire de Londres à Broadway. À partir du 27 janvier 1936, la pièce a été jouée sans interruption aux États-Unis pendant plus de trois mois avec 105 représentations. L’épouse du président américain Franklin Roosevelt l’a également vue et l’a qualifiée de « charmante, intéressante, subtile et révélatrice pour les Occidentaux ».

Nul n’est prophète en son pays

Le professeur à l’Université normale de Chine orientale Chen Zishan a signé la préface de Xiong Shiyi : Le « Shakespeare chinois » disparu, il a notamment écrit : « Nous avons ignoré Xiong Shiyi pendant trop longtemps et nous lui devons tellement ». Au moment de son décès en 1991, personne ne connaissait Xiong Shiyi, son nom ne figurait pas dans le Dictionnaire des écrivains chinois modernes cette année-là. Lorsqu’il s’agit d’écrivains chinois écrivant en anglais à l’étranger, les gens ne connaissent que Lin Yutang mais pas Xiong Shiyi. Il a fallu attendre une quinzaine d’années pour que ses œuvres majeures soient publiées en Chine continentale, et il reste encore de nombreuses lacunes à combler dans la recherche sur ses œuvres.

Une raison importante pour laquelle ses œuvres n’ont pas été diffusées en Chine continentale est qu’il a écrit en anglais pendant la majeure partie de la première moitié de sa vie, et c’est cette barrière de la langue qui a entraîné une mauvaise diffusion de ses œuvres. Zheng Da a analysé n’a publié presque aucun ouvrage en langue chinoise à partir du moment où il est allé étudier au Royaume-Uni dans les années 1930 et jusqu’au milieu des années 1950, lorsqu’il s’est rendu à Hong Kong en Chine.

En fait, la « disparition » de Xiong Shiyi dans le monde littéraire chinois n’était pas intentionnelle. Vers 1930, alors qu’il enseignait à Pékin, il apprit que Hu Shi avait l’opportunité de publier les œuvres du dramaturge britannique James Matthew Barrie. Il donna donc à Hu Shi les traductions de plus d’une douzaine de pièces de cet auteur, ainsi que Le dieu de la richesse, scénario qu’il avait lui-même écrit. Mais Hu Shi n’y prêta aucune attention ni ne l’apprécia, se contentant de le garder chez lui.

Ce n’est que lorsque l’écrivain et poète Xu Zhimo lu ces manuscrits chez l’écrivain Hu Shi que les choses changèrent. Il se prit d’une grande admiration pour Xiong Shiyi, et Chen Yuan, alors doyen de l’École des arts libéraux de l’Université de Wuhan, invita même ce dernier à enseigner le théâtre occidental à l’Université de Wuhan. Cependant, selon les règlements du ministère de l’Éducation de l’époque, étant donné que Xiong Shiyi n’avait aucune expérience d’études à l’étranger, il ne pouvait pas enseigner des matières connexes. Ainsi, il ne put devenir professeur à l’Université de Wuhan. Cette expérience lui donna cependant un grand élan, il décida de tout laisser tomber et de partir au Royaume-Uni pour préparer un doctorat, bien qu’à cette époque il était déjà père de cinq enfants, et sa femme Cai Daimei étudiait encore à l’université de Pékin.

L’épanouissement de Xiong Shiyi a commencé à l’étranger. Après que Wang Baochuan ait connu le succès, l’écrivain a alors suspendu ses études de doctorat et s’est concentré sur la représentation de cette pièce à travers le monde, mais des facteurs extérieurs ont également motivé son choix. En 1935, alors que Wang Baochuan était joué à Shanghai, le scénario a été critiqué par certains qui le qualifiaient de simple moyen de plaire aux étrangers. En 1937, la guerre de résistance contre le Japon éclatait, alors que Xiong Shiyi retournait à Nanchang pour rendre visite à des parents, il fut pris au piège. Finalement, il ramena sa femme et ses trois enfants en Angleterre pour s’y installer. Dès lors, le monde littéraire chinois auquel il aspirait autrefois était devenu une possibilité dans un univers parallèle qui lui échappait.

Article traduit du chinois, initialement publié sur Chinanews.com.cn.

Reprise & réecriture d’une chansons de l’opéra d’après l’histoire de “Wang Baochuan”, extrait de l’émission “Our Song” 2022 :

https://youtube.com/watch?v=IWkp9unt6A4%3Fsi%3DVxRtGl7Swm3ykeLr
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