Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Massacre des emplois dans les grandes entreprises américaines à l’approche des fêtes

Il est étrange que le phénomène qui a toute chance d’être le plus caractéristique de la situation actuelle au niveau mondial, à savoir l’offensive du capital contre le travail soit celui le moins médiatisé, le moins sujet de discussion dans les réseaux sociaux. Pourtant si l’on analyse l’influence de la nouvelle phase d’accumulation du capital que constitue le passage à l’IA et son lot habituel d’invalides, plus la pseudo lutte contre l’inflation et vraie asphyxie de l’économie productive, les guerres, tout cela conduit à une lutte féroce pour tenter de faire pression sur les salaires par des réductions d’effectifs et creuser encore plus les monstrueuses inégalités à l’échelle mondiale. Massacre à la tronçonneuse justifiés et légalisés par des votes où la haine, le discours sécuritaire, tous les “divertissements” ont pris le pas sur ce dont il ne doit pas être question et qui pourtant fond sur nous comme une tempête. Nos trotskistes favoris de WSWS ont raison d’insister sur ce fait et ils ont également raison de noter que sans perspective politique tout ce qui nait à savoir une combativité des travailleurs et une conscience anti-impérialiste de la jeunesse a toute chance de ne pas tenir le choc dans le monde occidental entré dans un déclin irréversible : l’Europe étant “l’homme malade” (avec le Japon) de cet attelage impérialiste. Une fois de plus Roussel a raison de s’indigner sur la nature du débat politique en France, mais l’essentiel réside dans la capacité qu’aura le PCF à constituer une véritable force politique au-delà des débats médiatiques. (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société)
Tom Hallil y a 20 heures

Alors que les Américains se préparent aux fêtes de fin d’année, les entreprises américaines célèbrent cette période par une vague de licenciements qui s’inscrit dans le cadre d’une offensive continue de la classe dirigeante capitaliste contre la classe ouvrière.

Des milliers d’emplois sont supprimés dans la seule industrie automobile, dont 3.600 licenciements chez Stellantis et des centaines de travailleurs chez Ford qui réduit la production de camionnettes électriques. General Motors a récemment annoncé plus de 1.300 suppressions d’emplois dans ses usines de Lake Orion et de Lansing Grand River, et 900 suppressions supplémentaires chez GM Cruise, une filiale spécialisée dans les «robotaxis» autonomes. Il est probable que les réductions d’effectifs chez les trois grands se répercutent en cascade sur les usines des équipementiers automobiles.

Ces licenciements massifs interviennent quelques semaines seulement après que l’UAW a fait adopter à toute vapeur de nouveaux contrats chez les trois constructeurs, que la bureaucratie syndicale a qualifiés d’«historiques» et de «transformateurs». Ces affirmations ont été démasquées comme étant de la poudre aux yeux. La bureaucratie savait que ces licenciements allaient avoir lieu et n’a rien dit aux travailleurs à ce sujet afin de garantir l’adoption d’accords de capitulation pro-patronaux.

Des milliers d’emplois supplémentaires sont supprimés dans le secteur du commerce de détail, alors que les familles ouvrières doivent restreindre leurs dépenses en raison de la hausse des prix et de la stagnation des salaires. Dans les chemins de fer, des années de licenciements historiques se poursuivent sans relâche, un an après l’interdiction par le Congrès d’une grève nationale des chemins de fer. L’Union Pacific a annoncé 1.300 cas de «chômage technique», qui seront probablement permanents, réduisant ainsi de près de moitié ses effectifs chargés de l’entretien des voies par rapport à il y a quelques années seulement.

Il s’agit là d’un phénomène mondial. Des licenciements sont également en cours en Allemagne, en particulier dans le secteur automobile, où le fabricant allemand de pneus Continental prévoit des milliers de suppressions de postes. Le fournisseur de pièces détachées Bosch a récemment annoncé qu’il allait supprimer 1.500 emplois dans le sud de l’Allemagne.

Cette dernière série de licenciements vient couronner une année marquée par un massacre des emplois. Jusqu’en novembre, les entreprises américaines ont supprimé près de 700.000 emplois, soit plus du double du taux de l’année dernière et le taux le plus élevé depuis la première année de la pandémie. L’industrie technologique a été l’une des principales concernées, avec près de 260.000 emplois supprimés, contre 165.000 l’année dernière, selon le site layoffs.fyi.

Il en résulte une baisse rapide du niveau de vie. De nouvelles données de recensement, rapportées par CBS News, montrent que la pauvreté des enfants a doublé entre 2021 et 2022, tandis que la pauvreté globale a atteint son niveau le plus élevé depuis un demi-siècle. Dans le même temps, le revenu médian des ménages a diminué de 2,3 pour cent pour s’établir à 74.580 dollars.

Ce n’est pas le résultat de «forces du marché» abstraites. C’est le résultat de politiques délibérées visant à utiliser le chômage pour faire reculer la modeste croissance des salaires, qui avait atteint l’année dernière un peu plus de 4 %. Bien que les augmentations salariales aient été bien inférieures au taux d’inflation de 9 % atteint l’été dernier, un record depuis des décennies, la classe capitaliste a considéré que même de légères augmentations étaient intolérables, tandis que les commentateurs ont mis en garde contre les attentes «irréalistes» des travailleurs, qui souhaitent que leurs salaires suivent le rythme de l’inflation. L’érosion du niveau de vie est l’un des principaux moteurs de la montée des grèves et du mécontentement social au sein de la classe ouvrière.

Le fer de lance de la politique de la classe dirigeante a été la décision d’augmenter continuellement les taux d’intérêt, depuis le début de l’année dernière, pour les faire passer de près de zéro à 5,33 % aujourd’hui, soit le taux le plus élevé en près d’un quart de siècle. Cette politique a été délibérément calquée sur le «choc Volcker» des années 1980, qui a fait disparaître des millions d’emplois, en particulier dans l’industrie manufacturière, en réponse au militantisme ouvrier des années 1970, qui avaient connu la plus grande vague de grèves depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La seule préoccupation de la Fed était que cette politique ait un «atterrissage en douceur» pour les marchés financiers – qui sont devenus totalement dépendants de l’argent gratuit depuis la récession de 2008-2009 – et non pour les travailleurs. Les attaques contre l’emploi ont été si efficaces que la Fed a récemment prévu trois baisses de taux au cours de l’année à venir, ce qui a provoqué une flambée des marchés boursiers, les spéculateurs salivant à la perspective d’une baisse des coûts d’emprunt.

Mais les pertes d’emplois ne font que commencer. Une vaste restructuration de la main-d’œuvre est en cours, utilisant les progrès de l’automatisation, de la robotique et d’autres technologies telles que l’intelligence artificielle, pour remplacer des pans entiers de la main-d’œuvre. Le passage aux véhicules électriques par l’industrie automobile entraînera probablement la perte de dizaines de milliers d’emplois dans les années à venir, car les VE nécessitent 40 % de main-d’œuvre en moins que les véhicules à essence traditionnels. Des dizaines de milliers d’employés des entrepôts d’UPS, d’Amazon, de la poste et d’ailleurs seront remplacés par des installations presque entièrement automatisées.

L’attaque contre les emplois et les conditions de travail déclenche une opposition massive de la classe ouvrière, comme le World Socialist Web Site l’avait prédit au début de l’année. Les douze derniers mois ont commencé par une grève nationale lancée par 120.000 cheminots, une série continue de luttes des travailleurs de la santé et des éducateurs, des grèves importantes des acteurs et des scénaristes de l’industrie cinématographique et télévisuelle, et des luttes contractuelles menées par 340.000 travailleurs d’UPS et 150.000 travailleurs de l’automobile.

La lutte des classes, telle qu’elle est mesurée par les activités de grève, se développe rapidement. Pour le seul mois d’octobre, 4,5 millions de journées de travail ont été perdues pour cause de grève, selon les chiffres du gouvernement. Ce chiffre est plus de trois fois supérieur à celui de l’année 2022 au complet, qui était lui-même l’un des plus élevés depuis des décennies. L’émergence de la classe ouvrière en tant que force sociale active et puissante réfute les affirmations des radicaux démoralisés de la classe moyenne selon lesquelles la classe ouvrière, en particulier aux États-Unis, était si désespérément arriérée qu’elle était incapable de résister, ou qu’elle n’existait même plus.

Quelles sont les conclusions que les travailleurs doivent tirer de l’expérience de l’année écoulée?

Tout d’abord, ils se trouvent face à la question cruciale du développement de leurs propres organisations et initiatives indépendantes, libérées du contrôle de l’appareil syndical. C’est un fait objectif que les grèves auraient été beaucoup plus nombreuses en 2023 si la bureaucratie syndicale n’avait pas joué un rôle dans l’isolement, la limitation et le sabotage des grèves et dans l’adoption forcée de contrats au rabais.

L’appareil syndical et le gouvernement répondent à la croissance de la lutte des classes en se rapprochant de plus en plus dans une alliance corporatiste. L’administration Biden a été intimement impliquée dans pratiquement toutes les grandes négociations contractuelles depuis son entrée en fonction, en particulier dans les secteurs critiques pour les chaînes d’approvisionnement de l’armée américaine, tels que les docks, les chemins de fer, les raffineries de pétrole et l’industrie automobile (où le contrôle de la technologie des véhicules électriques et des matières premières est un élément central du conflit qui oppose les États-Unis à la Chine).

L’opposition organisée à ces attaques s’est considérablement développée au cours de l’année 2023 grâce à la formation de comités de base. Dans l’industrie automobile, chez UPS et à la poste, et dans d’autres secteurs stratégiques de la classe ouvrière, les travailleurs ont formé ces comités pour lutter contre les trahisons et fournir de nouvelles structures pour transférer la direction à la base.

Ces comités se développent dans le monde entier grâce à l’Alliance ouvrière internationale des comités de base, qui a fourni un forum pour la collaboration et les actions conjointes des travailleurs dans différents pays. La campagne de Will Lehman, ouvrier chez Mack Trucks et candidat socialiste à la présidence de l’UAW, est également apparue comme un puissant pôle d’attraction parmi les ouvriers de l’automobile et la classe ouvrière en général.

En réponse à la menace croissante d’une rébellion, la bureaucratie a mis en avant diverses personnalités «réformatrices», telles que le président des Teamsters, Sean O’Brien, et le président de l’UAW, Shawn Fain. Les Socialistes démocrates d’Amérique et d’autres organisations de la pseudo-gauche ont joué un rôle clé pour blanchir le bilan réel de ces fonctionnaires carriéristes et les présenter comme la preuve de la soi-disant auto-réforme de l’appareil syndical corporatiste et pro-capitaliste. Cependant, les actions des bureaucraties syndicales ne sont pas déterminées par les phrases malhonnêtes qu’elles utilisent occasionnellement pour tenter de donner aux travailleurs un faux sentiment de sécurité, mais plutôt par les besoins du système capitaliste et du Parti démocrate, qu’elles défendent impitoyablement.

Deuxièmement, les luttes des travailleurs doivent être guidées par une perspective politique. Bien plus que la plupart des travailleurs n’en sont conscients, ils sont engagés dans des luttes aux implications politiques profondes. La société est dans une impasse. La croissance du militantisme de la classe ouvrière s’inscrit dans le contexte d’une guerre mondiale en expansion, du danger croissant du fascisme aux États-Unis et dans d’autres pays du monde, et du refus persistant des élites dirigeantes de prendre des mesures pour stopper la propagation du COVID-19 ou les changements climatiques qui s’aggravent.

Tout cela est une réaction, sous une forme ou une autre, au défi lancé par la classe ouvrière à une classe dirigeante qui pourrit sur pied, incapable de trouver une solution progressiste à tout problème social.

Au cours des derniers mois de l’année, une opposition de masse a éclaté face au génocide en cours dans la bande de Gaza. Cela a révélé un vaste gouffre entre les travailleurs et les jeunes, d’une part, et l’establishment politique capitaliste qui non seulement apporte son aide à ces crimes, mais qui est également impliqué. L’impérialisme américain considère Gaza comme une partie d’un conflit mondial plus large – qui comprend la guerre par procuration en Ukraine et une future guerre contre la Chine – pour la domination de l’Europe et de l’Asie et l’élimination de ses principaux rivaux stratégiques.

Ici aussi, la bureaucratie syndicale joue un rôle essentiel, soit en soutenant ouvertement la guerre et l’impérialisme américain, soit en offrant une fausse «opposition» afin de capturer et de démobiliser le mouvement anti-guerre en plein essor.

La classe ouvrière fait face à la nécessité d’une lutte politique, non pas dans le sens de l’élection d’individus au Congrès, mais d’une lutte pour que la classe ouvrière prenne le pouvoir. La demande d’une grève générale politique pour bloquer l’envoi d’armes à Israël et imposer la fin de la guerre reçoit un large soutien; une déclaration vidéo de Will Lehman appelant à une telle action a été visionnée plus d’un million de fois.

Le développement de la lutte des classes doit être guidé par une stratégie internationale, fondée sur l’unité des intérêts des travailleurs du monde entier et sur le rejet des divisions nationales, raciales ou religieuses utilisées pour les diviser et les affaiblir. L’IWA-RFC est un instrument puissant pour réaliser l’unité internationale des travailleurs engagés dans les luttes à travers le monde, dont la construction doit se poursuivre l’année prochaine.

Mais la plus haute expression de l’unité internationale de la classe ouvrière est un programme socialiste révolutionnaire et internationaliste visant à amener la classe ouvrière au pouvoir. Ce n’est que sur cette base que les travailleurs pourront mettre fin à la pauvreté, à la guerre et aux autres maux sociaux générés par le système de profit. La construction d’une direction à la hauteur de cette tâche est ce pour quoi se battent le Comité international de la Quatrième Internationale et les partis de l’égalité socialiste dans chaque pays.

La défense de l’emploi passe par le rejet du «droit» de la classe capitaliste aux profits. Elle exige l’expropriation des banques et des grandes entreprises et leur transformation en tant que services publics, dirigés démocratiquement par la classe ouvrière. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible d’utiliser de manière rationnelle et progressiste les gains d’efficacité rendus possibles par la technologie au bénéfice de l’humanité, en réduisant la durée de la journée de travail et en augmentant les salaires, tout en garantissant l’emploi pour tous.

(Article paru en anglais le 15 décembre 2023)

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