Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Si l’on empêche la solution à deux Etats, que reste-t-il?

Israël veut soit un État d’apartheid, soit un processus de nettoyage ethnique, c’est à dire deux crimes de droit international. Si le gouvernement israélien d’extrême-droite a favorisé le Hamas et peut-être comme cela se dessine laissé faire le 7 octobre c’était parce que cela permettait d’installer comme “droit à se défendre” ce crime. Les Etats-Unis le savent également et tout en prétendant défendre les deux Etats, ils appuient l’extrême-droite israélienne. Le tout est du pain béni pour tous les partisans de l’apocalypse y compris nucléaire. Ce choix de la mort est la véritable fascisation, ici comme partout sur la planète (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

La classe politique israélienne semble utiliser le conflit qui a débuté le 7 octobre comme prétexte pour effacer les Palestiniens de Palestine31 octobre 2023 par Vijay Prashad

Crédit photo : Times of Gaza/X

Le 30 octobre 2023, les autorités israéliennes ont déclaré avoir tué des « dizaines » de combattants du Hamas dans les premiers jours de leur invasion terrestre. Pendant ce temps, le ministère de la Santé de Gaza a eu du mal à maintenir son site Web en ligne en raison du manque d’électricité, d’Internet et des attaques. Néanmoins, à midi le 29 octobre, le ministère de la Santé a déclaré que le nombre de morts à Gaza s’élevait désormais à 8 005 (dont 67 % de femmes et d’enfants). Pour ceux qui doutent des chiffres, le ministère de la Santé a publié des listes de morts avec leurs numéros d’identification israéliens (c’est un signe de l’occupation des Palestiniens de Gaza que lorsqu’ils naissent, ils doivent être enregistrés non pas par l’Autorité palestinienne mais par Israël). Save the Children affirme que plus d’enfants (3 195) ont été tués par les bombardements israéliens au cours de ces trois semaines que le nombre total d’enfants tués dans toutes les zones de conflit depuis 2019.

L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a déclaré qu’au dimanche 29 octobre, 1,4 million de Palestiniens sur 2,3 millions étaient déplacés à l’intérieur du pays, dont 671 000 ont trouvé refuge dans 150 installations de l’UNRWA. La plupart des victimes des bombes et des obus de chars israéliens sont des civils. Le ratio de morts entre les combattants (peu nombreux) et les civils (nombreux) est surprenant, bien au-delà de ce qui se passe dans une guerre (en revanche, sur les 1 400 Israéliens tués le 7 octobre par le Hamas et d’autres factions, 48,4 % étaient des soldats). En disant qu’ils ont tué des « dizaines » de militants du Hamas – la cible présumée – et qu’ils ont en même temps tué des milliers de Palestiniens, les autorités israéliennes ont admis au monde que leur guerre avait fait beaucoup plus de morts parmi les civils que parmi les combattants.

Pendant ce temps, l’armée israélienne a envoyé ses bulldozers détruire des maisons et des entreprises dans le nord de Gaza ainsi que dans la ville de Jénine, en Cisjordanie. Peu de choses dans cette manœuvre ressemblent à une opération militaire puisque ces maisons et ces entreprises ne sont pas des institutions militaires. Compte tenu de l’histoire du rasage au bulldozer des logements en Cisjordanie pour créer des colonies et le « mur d’apartheid », ce bulldozer à Gaza et à Jénine apparaît comme une campagne civilisationnelle massive de nettoyage ethnique pour créer ce que la classe politique israélienne appelle le Grand Israël (Eretz Yisrael Hashlema). La classe politique israélienne est célèbre pour avoir dit qu’elle voulait changer les « faits sur le terrain » afin que toute négociation avec les Palestiniens occupés soit basée sur ces « faits » et non sur des « revendications ». C’est ce que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu fait depuis des décennies à travers les colonies illégales en Cisjordanie : effacer le fait des revendications palestiniennes sur leurs terres et établir le droit des Israéliens à l’ensemble de la masse continentale du Jourdain à la mer Méditerranée. En effet, la classe politique israélienne semble utiliser le conflit qui a commencé le 7 octobre comme prétexte pour faire ce qu’elle avait prévu de faire depuis des décennies, à savoir effacer les Palestiniens de la Palestine historique et effacer la nation palestinienne en tant qu’entité.

Deux États, un État, trois États

Lorsque les forces politiques palestiniennes ont accepté un « processus de paix » qui a abouti à l’Accord intérimaire du Caire (1994) et aux Accords d’Oslo (1994), elles ont adopté ce qu’on a appelé la « solution à deux États » à l’occupation israélienne de la Palestine. Les grandes lignes des accords d’Oslo étaient qu’une Autorité palestinienne (AP) gouvernerait le territoire saisi par Israël en 1967 (Jérusalem-Est, Gaza et Cisjordanie). Les accords d’Oslo, a soutenu le professeur Haider Eid, basé à Gaza, ont créé un « bantoustan » (comme les « patries africaines » créées par l’Afrique du Sud de l’apartheid). L’implication de la création de l’Autorité palestinienne était qu’elle neutraliserait les revendications palestiniennes réelles sur la terre (y compris le droit au retour des réfugiés palestiniens, établi par la résolution 194 de l’ONU en 1948), et – en même temps – elle permettrait à l’État israélien de changer les « faits sur le terrain » par la création de plus en plus de colonies illégales. De plus, après la deuxième Intifada (2000-2005), Israël a mis fin à l’exigence de « passage sûr » d’Oslo qui permettait aux Palestiniens de Jérusalem-Est, de Gaza et de Cisjordanie de traverser ces zones. En 2005, Israël avait annulé les accords d’Oslo, bien que la classe politique palestinienne soit restée liée par eux comme la seule lueur d’espoir pour la création de l’État de Palestine (même s’il s’agirait d’un petit fragment de la Palestine historique).

La réalité de la « solution à deux États » a disparu à mesure que les colonies augmentaient en Cisjordanie, que le contrôle palestinien sur Jérusalem-Est était de plus en plus absorbé par Israël, que le droit au retour était mis de côté et que Gaza était bombardée presque chaque année. Dans ce contexte, plusieurs intellectuels palestiniens importants ont commencé à soulever la question de la « solution à un seul État », avec un État israélo-palestinien basé sur une idée non ethnique, laïque et démocratique de la citoyenneté. En 2021, une majorité d’universitaires de la région ont déclaré que les faits réels montraient qu’Israël était « une réalité à un État semblable à l’apartheid ». L’idée qu’Israël est un État d’apartheid est maintenant bien établie dans les documents des Nations Unies et les rapports sur les droits de l’homme. Cette évaluation démontre deux choses : premièrement, qu’Israël et le territoire palestinien occupé sont déjà « un seul État » et deuxièmement, qu’il s’agit d’un État d’apartheid avec les Palestiniens dans une catégorie de seconde classe. Les partisans de la « solution à un seul État » soutiennent que la réalité d’un État unique exige désormais une citoyenneté égale pour tous ceux qui vivent en Israël/Palestine. La classe politique israélienne actuelle refuse d’accepter l’idée d’un État unique démocratique et laïc, parce qu’elle est attachée à un projet ethno-nationaliste d’un « État juif » qui efface la possibilité d’une citoyenneté à part entière pour les chrétiens et les musulmans palestiniens.

Si la « solution à deux États » n’est plus pratique et si la « solution à un État » est bloquée par la classe politique israélienne, alors tout ce qui reste à Netanyahou et aux autres est la « solution à trois États ». C’est la solution qui cherche à retirer une grande partie de la population palestinienne de Jérusalem-Est, de Gaza, de Cisjordanie et peut-être même de l’intérieur des lignes israéliennes de 1948 et à les envoyer dans les trois États d’Égypte, de Jordanie et du Liban. Les bulldozers qui arrivent derrière les chars à Gaza tentent de pousser les réfugiés palestiniens (70% d’entre eux sont des descendants de ceux qui ont été envoyés à Gaza lors de la Nakba ou de la catastrophe de 1948) à travers le passage de Rafah dans la péninsule égyptienne du Sinaï. Cette « solution à trois États » est précisément un nettoyage ethnique, un crime au regard du droit international. Pendant des décennies, la classe politique israélienne a été disposée à mener des politiques génocidaires – y compris ce bombardement de Gaza – pour faciliter son projet d’État ethno-national d’apartheid qui exige l’effacement des Palestiniens et de la Palestine.

En 2014, à la suite de l’opération israélienne Bordure protectrice, le Bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur la situation en Palestine. Cette enquête n’a pas donné grand-chose. Au cours de l’attaque actuelle contre Gaza, le procureur Karim A. A. Khan s’est rendu au point de passage de Rafah et a déclaré que le blocus de l’aide humanitaire par Israël à Gaza pourrait être un crime relevant de la compétence de la CPI. En effet, le fait de l’apartheid est déjà un crime en vertu du Statut de Rome de 2002 qui a créé la CPI. La « réalité d’un seul État semblable à l’apartheid » et la « solution à trois États » du nettoyage ethnique sont des crimes graves qui nécessitent une enquête. Khan demandera-t-il aux juges de la CPI d’élaborer des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et ses collègues ?

Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur en chef et correspondant en chef de Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur de Tricontinental : Institute for Social Research. Il a écrit plus de 20 livres, dont The Darker Nations et The Poorer Nations. Ses derniers livres sont Struggle Makes Us Human : Learning from Movements for Socialism et (avec Noam Chomsky) The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan, and the Fragility of U.S. Power.

Cet article a été produit par Globetrotter.

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1 Commentaire

  • koursk
    koursk

    Si les multimilliardaires qui règnent sur l’otaneurozone perdent du terrain en Afrique, Asie, Amérique latine, ils contrôlent encore, et solidement, Israel et la Palestine *** Les Etats russe et chinois ne veulent pas s’y engager militairement, au risque d’une troisième guerre mondiale *** Les deux grands pays sont pourtant les plus éthiquement qualifiés pour amener la paix sur ce petit territoire, avec la solution à deux états *** Sûr qu’en plaçant le Hadash au pouvoir en Israel et la front populaire de libération en Palestine, la paix est assurée *** Mais les magnats otaniens veulent la guerre pour imposer le grand Israel *** Des organisations comme le hamas, les frères musulmans (renforcées par l’otanie), le likoud, shas, al qaïda, isis… sont téléguidées par la jetset qui règne sur l’otanie *** Face à la colonisation de la Palestine par les forces réactionnaires israeliennes, c’est précisément celles-ci que doit combattre la résistance palestinienne totalement justifiée *** Mais le hamas (tout comme les paramilitaires d’al qaïda et isis et leurs attentats de masse sur des civils) est programmé pour frapper des civils et non les forces réactionnaires *** Du pain béni pour une intervention militaire israelienne commandée par l’otan et ses multimilliardaires pour intégrer définitivement la Cisjordanie et Gaza dans un grand Israel *** l’Egypte et la Jordanie, l’Arabie saoudite, qui ont de moins en moins des liens avec l’otan (sans être signataires) feraient bien de se méfier, car la grosse mafia qui règne sur l’otaneuro zone a prévu d’adjoindre à ce grand Israel la rive droite du Nil, et d’étendre aussi le grand Israel jusqu’à l’Euphrate *** En Syrie, au Liban et en Irak, on en est déjà bien conscient.

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