Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Planomène ou le chemin du réel

Un peintre des Etats-Unis, Jay Nombalais, qui jouit déjà de notoriété dans le monde de l’art ne s’en contente pas et nous a adressé à Histoire et societe cette présentation de sa démarche “révolutionnaire”. C’est très fort, et pas seulement une voie inusitée puisqu’au contraire il y a toute une recherche “utopique” qui tente d’inventer les promesses de “l’époque”, lui est dans le réalisé. Aujourd’hui, dans ce blog, un communiste russe affirme que les êtres humains ont autant besoin de vérité que de pain, il faut que la vérité et le pain soient là dans le sens de leurs pensées et de leurs actes. Cela rejoint me dira-t-on l’eucharistie pourquoi pas ? Pour moi c’est le matérialisme tel que le socialisme, le communisme l’ont approché, le réel de plus et les artistes, les créateurs commencent confusément ou avec lucidité à entamer leur longue marche vers un autre monde possible. La parole se libère à l’ONU, même si le cadre est ce qu’il est encore, mais c’est bien ce cadre que la création, la recherche, la connaissance a dépassé. Être communiste c’est lutter contre l’exploitation, le pillage des plus démunis mais c’est tout autant retrouver ce qu’on leur doit, ce qui existe déjà en nous d’échange. C’est la démarche d’Aragon dans le fou d’Elsa, retrouver dans le monde arabe les racines de la poésie courtoise, ici cela passe aussi par l’assimilation d’autres approches créatives comme le temps et l’espace chinois, le peintre de rouleaux chinois Zhang Zeduan dont je vous avais déjà parlé à propos d’un film. Voilà Histoire et Société, grâce à la traduction et mise en page de Marianne, remercie Jay Nombalais de nous avoir offert ce chemin vers ce à quoi nous avançons. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Conformément à la pensée de Gramsci, de Mao et de Joseph Staline lui-même, on estime ici que la révolution doit être introduite dans tous les domaines de la vie bourgeoise, y compris la pratique artistique de la peinture. Pendant des siècles les artistes ont concentré leur regard – et le nôtre – sur les préoccupations étroites de leur classe (souvent bourgeoise) et le temps est venu d’élargir la portée de l’art en utilisant différemment le “locus” (ou centre thématique) de ses peintures. C’est-à-dire comme un moyen non seulement d’attirer notre égard mais aussi de propulser nos yeux et notre imagination au-delà des limites des frontières et des cadres vers d’autres images et d’autres idées. Dans cette ouverture de notre vision sur l’art de long date, ce qui devient important, aussi important qu’une image particulière en elle-même, c’est la façon dont cette image peut servir à d’autres images et, inversement, la façon dont ces autres images, pensées collectivement, peuvent enrichir l’expérience de l’une d’entre elles.

Dans mon propre travail, ce que j’espère montrer dans cet espace, c’est qu’en établissant une sorte de champ expérimental (normalement sur une simple surface murale), un assortiment provisoire d’images comme cette séquence ci-dessous peut commencer à interagir et à communiquer de différentes manières. (Peut-être un peu comme le fonctionnement de la langue elle-même.) À l’instar de Platon, j’appelle ce champ le “Planomène” (en latin, la “cause errante”).

Nous commençons par la gauche avec un petit portrait d’une paysanne du Yunnan, en Chine.

(Ce tableau fait partie d’une série de portraits de taille similaire (comme Kirov plus loin). La peinture est réalisée selon la méthode de l’encaustique, c’est-à-dire la manière d’introduire des pigments dans de la cire d’abeille fondue.

La peinture suivante m’a été inspirée par le peintre de rouleaux chinois Zhang Zeduan qui a vécu il y a près de mille ans. Il était peut-être plus célèbre pour ses “Scènes le long d’une rivière” auxquelles j’ai emprunté pour présenter une autre allégorie peut-être congruente. Je voudrais ajouter que je me suis également inspiré des œuvres de Xia Gui, qui, avec son style libre et limpide, a lui-même dépeint de merveilleuses scènes fluviales plusieurs siècles plus tard. Mais venons-en à l’œuvre qui nous concerne :

 Le geste du solitaire sur la péninsule, l’archer avec son arc et ses flèches au bord du tableau (en bas à gauche), le caractère chinois en haut à gauche qui représente à la fois le confucianisme et l’eau et l’étoile jaune au-dessus de la banderole écarlate, pour n’en citer que quelques-uns, sont autant d’indices. La peinture est réalisée à la peinture à l’huile et à l’encre laquée sur de fines lamelles de bois. Pour donner la taille relative des choses, elle mesure 64 x 40 cm. x 1 mm (Toutes les autres œuvres sont à l’échelle).

Sur la droite, un banc de poissons se rassemble (que sont les rivières sans poissons ?). Les caractères ci-dessous signifient “le bonheur des poissons” (et le retour une fois de plus de la parabole de Zhuangzi ?). Les poissons sont plaqués à la feuille d’argent, puis patinés (et dans la réalité ils sont éblouissants).

Quelques images plus loin, nous voyons des feux d’artifice au-dessus de la Neva à Saint-Pétersbourg commémorant ce jour historique où l’armée rouge et les citoyens de Leningrad (à l’époque) ont finalement repoussé une fois pour toutes les nazis des environs de la ville le 27 janvier 1944. Dans la nuit de ce jour, le ciel s’est embrasé de feux d’artifice en guise de célébration joyeuse. La peinture est réalisée à l’huile et à l’encaustique.

À droite, un extrait du conte pour enfants “Les voiles écarlates” de l’auteur russe Alexandre Grin. Il a été écrit en 1926 (une vingtaine d’années avant le siège nazi) et son histoire avec son symbolisme communiste est rejouée de nos jours avec un grand voilier aux voiles rouges et des feux d’artifice sur la Neva chaque année au mois de juin. Parce qu’il contribue à animer notre séquence de scènes fluviales je réimprime l’extrait ici de manière plus lisible :

“(…) essayant de ne pas perdre de vue le magnifique triangle de voiles qui dérivait si gracieusement, elle trébucha, tomba et se remit à courir. Jamais Assol ne s’était aventurée aussi loin dans la nature ; cependant, absorbée par son désir impatient de rattraper le jouet, elle ne prêtait guère attention à ce qui l’entourait et il y avait plus qu’assez d’obstacles le long de la berge pour la ralentir dans sa course. Troncs moussus d’arbres tombés, fosses, fougères dressées, rosiers sauvages, jasmins et noisetiers entravaient chacun de ses pas ; en les franchissant, elle se fatiguait peu à peu, s’arrêtant de plus en plus souvent pour reprendre son souffle ou retirer un brin de toiles d’araignée collé à son visage. Lorsque, dans les grandes étendues, apparurent des touffes d’herbes hautes et de roseaux, Assol faillit perdre de vue les voiles écarlates et étincelantes, mais au détour d’un virage, elle les revit, filant majestueusement et régulièrement au gré du vent. Une fois qu’elle s’est retournée, la masse imposante de la forêt, avec ses multiples nuances allant de colonnes brumeuses de lumière dans les branches à des lacérations sombres de ténèbres denses, l’a étonnée. Elle eut un instant peur, puis, apercevant à nouveau les voiles et poussant plusieurs “phews”, elle se remit à courir aussi vite qu’elle le pouvait”.

Dans notre propre version de l’histoire, le petit bateau d’Assol continue à naviguer à travers le temps, maintenant sous les feux d’artifice qui illuminent les eaux vives de la Neva, maintenant glissant sur les courants mélodieux de la Symphonie n° 1 en ré majeur de Prokofiev, et ainsi de suite jusqu’à la Baltique et l’Atlantique Nord (au mépris des puissances occidentales ?). Le petit bateau d’Assol est fait de bois et de tissu teinté d’un rouge profond.

A droite encore, cette fois la tour en spirale de Tatline (dont vous remarquerez l’écho symbolique sous le feu d’artifice) : “S’il est un symbole qui puisse exprimer les aspirations et la détermination d’un peuple, c’est bien celui-là”. Et pour nous, son treillis séduisant nous offre une vue d’ensemble :

Je parle de la blancheur “vidée” – mais en quelque sorte pleine – du mur (ou autre) qui retient et relie les images, les mots, les poèmes, (Tout) ensemble. Les philosophes y font toujours allusion, les peintres chinois en enveloppent leurs montagnes, Achab la poursuit à travers les vastes mers et bien qu’elle soit insaisissable je suis convaincu que nous pouvons parfois la capturer lorsque nous enlevons les cadres des choses et que nous la laissons naturellement venir à la surface. Encore une fois, je l’appelle le Planomène et je suppose qu’avec la promesse du communisme, c’est le sujet le plus profond et le plus vrai de ces œuvres.

Sergei Kirov, l’ami toujours loyal et toujours digne de confiance de J. Staline

Nous terminons notre excursion aquatique sur la Moskova, ce qui nous ramène à la fin des années 40 ou au début des années 50. Tout en m’inspirant de vieilles photos, j’ai pris quelques libertés en réarrangeant certains éléments de la scène pour le bien de la composition tout en conservant l’essence des choses (je l’espère). Récemment un bon ami m’a fait remarquer qu’il n’y avait pas de drapeaux tricolores russes à l’époque (et bien sûr il avait raison) mais je crois qu’il est important de reconnaître la Russie d’aujourd’hui, surtout en ces temps difficiles donc pour l’instant j’ai choisi de laisser voler les couleurs (tout en gardant l’étoile rouge bien sûr) ! Cette peinture est réalisée à l’huile.

Malheureusement, depuis que la guerre (ou SVO) a commencé et que cette propagande généralisée et cette phobie ont été ravivées à l’égard de l’Est “communiste”, il est devenu de plus en plus difficile d’exposer mon travail ici en Occident. C’est pourquoi j’ai décidé, à condition qu’ils l’acceptent, de céder le projet (qui consiste à ce stade en plusieurs centaines de peintures) à parts égales et sans rémunération ni restriction au K P R F de Russie et au P C C de Chine. J’espère qu’en répartissant le travail de manière égale entre les deux parties, la nature interactive du projet dans son ensemble deviendra utile pour stimuler l’interaction entre leurs artistes, poètes et jeunes prolétaires respectifs

 – et peut-être aussi pour d’autres personnes et parties intéressées au-delà.

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8 Commentaires

  • Stefco
    Stefco

    Artiste et penseur de valeur, Jay Nombalais gagne a être lu et connu. Son œuvre artistique est empreinte d’un grand humanisme et d’une analyse toujours fine et sensible de notre époque

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  • Frvelk
    Frvelk

    Travail et réflexions partant de l’art pour s’élargir à notre humanité. Bravo à l’artiste et à l’homme.

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  • MB
    MB

    Je pense que le travail artistique de Jay Nombalais, sans être soumis à une exigence militante, tend vers un seul but : l’art au service de la lutte contre toutes les formes d’injustice. Si le lien entre l’esthétique et le politique dans son cas reste complexe, son art est résolument du côté des opprimés.
    M Belaali

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  • desbouchages
    desbouchages

    j’aime beaucoup cette idée de planomene ou toutes sortes d’interactions, de communications peuvent exister en élargissant le cadre, en ajoutant au delà de ce qui est visible voir imaginable. bravo a l’artiste

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  • Henry
    Henry

    Sans parler du caractère politique de l’oeuvre de Jay Nombalais, je suis une inconditionnelle de son travail qui est très singulier. La maitrise des différentes techniques (encaustique, huile, encre…) qu’il utilise donne à ses peintures une profondeur et une sorte de vibration. Son idée de mettre les images sans cadre, met celles ci en mouvement et raconte une histoire. Le concept des images les unes a coté des autres est fascinant et apporte de la richesse à chacune. Ces oeuvres en photos sont belles, mais il est nécessaire de les voir en vrai pour vivre une expérience presque vivante.

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  • Mick Sheahan
    Mick Sheahan

    Cet article est le bienvenu car il permettra à davantage de personnes d’évaluer la pensée et l’œuvre de Jay Nombalais. Comme il l’a décrit ici, son œuvre est une synthèse complexe de nombreux volets du développement artistique et il y superpose sa propre philosophie esthétique (Planomène), dans laquelle il développe et étend les idées de Gilles Deleuze, entre autres.

    Comme quelqu’un d’autre l’a fait remarquer, il faut voir le travail de Jay en vrai pour l’apprécier pleinement.

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    • admin5319
      admin5319

      oui j’ai décidé, nous avons décidé avec Marianne d’aller sans doute début novembre rencontrer Jay Nombalais pour tenter de réaliser un autre mode de connaissance, un autre public, mais nous vous en parlerons.

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  • Theresa Lister
    Theresa Lister

    La peinture de Jay Nombalais est profondément parlante; non seulement elle est belle, mais lui, il a une vraie voix – il est différent. Oui, son travail doit surtout être apprécié en chair et en os. On ne l’oublie pas.

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