Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Mohamed Bouhamidi : « Poussières d’itinérances » de Badr’Eddine Mili-un regard sur l’histoire proche de notre pays.

Mohamed Bouhamidi : « Poussières d’itinérances » de Badr’Eddine Mili-un regard sur l’histoire proche de notre pays, il est question de l’Algérie et de l’espérance des non alignés alors même qu’avec les BRICS en train de s’ouvrir, mais aussi de ce qui va se passer le 15 et le 16 septembre au sommet du G 77 en présence de la Chine quelque chose est en train de renaître ici aussi. (note de danielle Bleitrach histoireetsociete)

Date: 4 septembre 2023Author: Ecole populaire de philosophie et des sciences sociales0 Commentaires

« Poussières d’itinérances » de Badr’Eddine Mili : un regard sur l’histoire proche de notre pays par Mohamed Bouhamidi.

Récits de voyage au sens plein du terme, « Poussières d’itinérances » de Badr’Eddine Mili, restituent des atmosphères, des senteurs, des lumières locales, des activités humaines significatives d’enracinements historiques, des lieux racontés.

Villes riches d’histoire, lestées de souvenirs dans leurs urbanismes, leurs palais, leurs ports, leurs venelles, leurs jardins ou leur places publiques ouvertes à leurs renommées de jadis ou villes forteresses repliées sur les pentes d’une montagne gardiennes ou villes des plaines et des Sahel, là, d’où nous parle Badr’Eddine Mili l’histoire actuelle, immédiate se superpose à une histoire plurimillénaire.

Badr’Eddine ne les a pas visités en touriste curieux et fortuné, plein de guides en mains ou à la recherche des traces d’un savoir académique sur les civilisations anciennes.

Chargé de tâches à accomplir, il a atterri dans toutes ces contrées pour agir : créer et construire des relations internationales adaptées aux besoins des nouvelles indépendances, donner corps techniquement et sur le plan organisationnel aux outils et instruments de communication et de diffusion des radios et télévisions des nouveaux Etats etc.

Pour cela-même, ils sont aussi et surtout un regard sur l’histoire proche de notre pays, des années Boumediene de la construction et de l’édification nationales jusqu’à notre présent dont les échecs résonnent souvent comme un écho douloureux des résignations-trahisons de l’Infitah puis du néolibéralisme triomphant.  

Le monde de la communication et de la radiodiffusion s’était, et avait été, construit par les acteurs dominants de l’époque coloniale et ils en étaient les maîtres. Il fallait passer par eux sur ce plan et sur beaucoup d’autres. Pour paraphraser le président Boumediene, qui impulsait le cadre et les dynamiques de sortie de cet état des relations internationales pratiques et concrètes, les puissances coloniales ont bâti cet ordre du monde des télécommunications sans nous. Nous en étions exclus et il fallait frapper aux portes de ces puissances pour obtenir la juste part qui devait nous retenir, ou la mendier

Tout cela relevait de la plus urgente nécessité.

Les militants et organisations révolutionnaires savaient dans les tourments de leurs luttes anticoloniales combien le fait de porter la parole, leur paroles, était décisif.

Leur vertu libératrice ne suffisait pas à leur portée. Il lui fallait des cordes vocales, des tracts, des inscriptions, des chants, des musiques, et l’art de réunir et de rassembler les humbles et les « damnés de la terre ».

Le combat pour la parole de la libération nationale était aussi, et restait après les indépendances, une affaire matérielle, technique de supports et vecteurs de la voix, de crête en crête au tract clandestin, à l’agent de liaison jusqu’aux journaux et aux livres.  Tout cela devait se faire au nez et à la barbe des pouvoirs coloniaux mais surtout dans un combat inégal contre les moyens et médias coloniaux et toujours contre leurs censeurs et geôliers.

Il fallait donc arracher à ces monopoles établis sur les vecteurs les parts matérielles et techniques qui devaient revenir aux indépendances et particulièrement aux révolutions-phares. 

Badr’Eddine rejoignait un collectif dirigé par des vétérans de la guerre de libération nationale et à ce tout jeune, et même très jeune âge, qu’il venait d’atteindre de la capacité à l’action politique directe en plus de son travail de chroniqueur radio, qui lui valut dans les années Boumediene d’être une voix de l’Algérie anti-impérialiste. 

La transmission de l’art révolutionnaire, ou quel que soit le savoir concerné, est praxis ou n’est pas, ce partage de l’art dans l’action qui donne à la leçon le moment de son opportunité maximale. Il faudrait encore avoir volonté curieuse de transformer les choses, qu’elles soient la matière du forgeron, du tisseur ou le monde lui-même.

Cet art révolutionnaire sous la conduite toujours proche de Boumediene comme leader devait rassembler ce mouvement planétaire qui passait de Bandoeng au non-alignement, dans ce registre précis, des mondes nouveaux de l’information mobilisant les moyens et les programmes d’action, projetant clarification des idées, buts unifiées et planification de la simple formation d’animateurs radio aux possessions arrachées des bandes hertziennes.   

 Cette histoire se déroulait sur un registre particulier, très technique et hautement politique. Elle nous montre des décennies après combien la périodisation « post-coloniale » est une imposture totale. Non seulement parce qu’elle détourne le propos d’Edward Saïd sur l’écriture de Fanon totalement libérée des carcans pseudo épistémologique de la pensée coloniale dominante, mais reprise par les décoloniaux, incrustait la tromperie que les dates des indépendances inaugurait une autre époque. La domination coloniale s’étendait jusqu’au droit de parole d’Etats libérés de haute lutte.

En 1974, l’ORDNA (organisation des radiotélévisions des non-alignés) projetait cette dynamique de libération dans l’ordre du réel. Il faudra beaucoup d’efforts et de volonté pour rassembler ces pays du Tiers-Monde au-delà des divergences doctrinales entre pays à options socialistes et entre ces pays et d’autres qui avaient d’autres choix pour leur système économique et social. Effective en 1975, elle survécut jusqu’aux années quatre-vingt-dix, peu de temps après la chute de l’URSS. Les reclassements et les évolutions internes des pays non-alignés ont marqué l’histoire de l’ORDNA. Ces « poussières d’itinérances » si chargées des échos des lointains orages, des débats et travaux acharnés et des grandes espérances, nous restituent leurs vies charnelles, individualisées, compliquées comme tout chemin qui construit dans l’interaction avec l’inédit.

Construire une histoire nouvelle ne pouvait se faire sur les lieux d’accomplissement de l’histoire passée. Cette loi des routes des guerres, des conquêtes, des défaites les superposait sur les routes commerciales et sur leurs lieux-relais, villes gardiennes, forteresses, stations marchandes florissantes et festives ; tous ces lieux sont des carrefours millénaires. Toujours d’une façon ou d’une autre cerclant une vieille ville qui porte la patine des munificences d’avant ou la patine de ses épreuves.

 Les luttes de libérations nationales ajoutèrent de nouveaux lieux historiques à ceux consacrés par l’histoire académique et officielle européenne, Dar-Esalam, La Havane, Bujumbura, Nairobi, New Delhi, Bandoeng, mais déjà ces noms désignaient des capitales planétaires car l’histoire de l’homme était devenue une lutte planétaire.

Badr’Eddine en écrivant ces récits a-t-il revu en rétrospective leurs destins dramatique de ces lieux sous les coups des puissances impérialistes libérées de toute entrave par la chute de l’URSS, comme il a à chaque fois plongé son regard, en rétrospective, dans leur histoire ancienne ?

La mort de Boumediene a fermé cet horizon de la reconquête de la souveraineté des pays libérés sur les moyens de leur parole et de sa présence affirmée et assurée.

Au sommet de La Havane qui devait assoir l’agence de presse des non-alignés, la présence algérienne fut formelle et marqua la distance qu’allait prendre notre pays avec les idéaux du non-alignement.

Le choix pour l’Infitah volontaire et sans contrainte comme il le fut pour l’Egypte, a clos cette volonté algérienne d’être au monde comme volonté souveraine. Les restes à réaliser comme disent les bureaucrates des retards de constructions se poursuivirent par force d’inertie.

Badr’Eddine s’apercevra qu’elles survécurent comme niches trop petites pour être visibles à tous et emportées dans le mouvement révisionniste de cet Infitah, des stages de formations par-ci pour nos pays voisins, des dons de modestes équipements par-là…. Nous étions loin des prouesses authentiques quand Ahmed Hamoui, ingénieur et militant anti-impérialiste au courage éprouvé, installait pour le Mali des moyens de télécommunications qui échappait au contrôle de la France néocoloniale.

Les échanges des présidents Mitterrand et Chadli, dont on ne sait rien sur ce qu’ils ont projeté comme nouvelles politiques algériennes, eurent sur cette dynamique en récession une inflexion/accélération du démantèlement des socles sur lesquels s’appuyait la gouvernance de Boumediene et qui étaient issus des structurations qui ont assuré la résilience de notre lutte militaire. L’équipe issu des « liaisons et de l’armement » et du renseignement de l’ALN qui a entouré les premiers pas de Badr’Eddine était démantelée, des médias protégés s’attaquaient à l’option socialiste, une apologie à peine subtile de l’individualisme envahissait la sphère médiatique. 

Le récit du voyage de Badr’Eddine Mili au Burundi et au Rwanda confirma que Mitterrand inaugurait un nouveau style néocolonial, plus subtil et plus dangereux. Pour ce sommet France Afrique de Bujumbura du 11-12 décembre 1984, Mitterrand offrait au Burundi un studio de télévision qui rendait pâle la coopération algéro-sahélienne pour la radio diffusion.  Tout en renforçant par la ruse la mainmise française sur l’Afrique de l’Ouest, Mitterrand attirait l’Algérie dans le piège néocolonial.

Le discours de la Baule de juin 1990, devant trente-sept pays africains, dévoilera le piège de « la valeur universelle de la démocratie… » qui liera l’aide de la France au multipartisme dont s’était convaincu l’Algérie selon les mémoires du président Chadli.

En janvier 1992, Mitterrand s’éleva contre la décision de l’ANP de suivre les demandes du CNSA et demanda le respect de la valeur » universelle » de la démocratie. Cette déclaration a définitivement convaincu quelques algériens de la teneur et des projets des deux présidents.

 Badr’Eddine continua à voyager par vitesse d’inertie de la bureaucratie d’Etat engagée par les accords antérieurs. L’orientation comme le contenu de son travail s’adapta aux périls que traversait notre pays et notre Etat. Un travail de correction, de ré-information, de persuasion, un travail quasiment au corps-à-corps occupa toute son attention dans les rencontres internationales. Il se retrouvait dans cette configuration de déséquilibre absolu face à la puissance médiatique titanesque des puissances occidentales, décuplés par un ordre unipolaire sans restriction.

Dès lors, quel que soit le statut professionnel qu’il a occupé, Badr’Eddine continuera à rechercher comment défendre du mieux possible la présence algérienne, une voix de l’Algérie dans les mondes de la communication et de la publicité.

Le danger majeur, revenu, était le choc et la frayeur dans la gestion des relations internationales. Sa priorité fut exclusivement celle d’empêcher un déferlement sans digues de braises jetées entre les peuples et les cultures pour enflammer les carburants de la colère, de la haine, du suprématisme. Les liens avec les Espagnols, les Italiens, des regards plus empathiques, ne relevaient pas du hasard, mais de l’histoire. A Palerme, le souvenir de Roger II de Sicile.

Un lieu c’est encore et toujours la géographie de nos confrontations et de nos rencontres. Et seuls des humains qui font l’histoire peuvent en sentir le poids. Il a été ce voyageur d’un train de l’histoire qui connaissait les lieux de l’avenir mais devait construire les compartiments et chemins qui y mènent.

Mais lisez ce livre.

Tout patriote algérien doit lire ce livre de notre histoire immédiate.  

Mohamed Bouhamidi. 

Poussières d’itinérances » Badr’Eddine Mili – APIC Editons – Alger – 2023 – 187 pages

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