Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le cinéma à la télévision, Lang et autres recommandations

Dimanche et Lundi ne ratez pas Fritz Lang

Au fait cette semaine à la télévision, il y a deux films du grand Fritz Lang; dimanche 15, “règlement de compte à 22 h15 sur ciné classic et lundi à 00h sur France 5, la cinquième victime.

Je vous reparlerai de la cinquième victime mais en ce qui concerne “Règlement de compte” , c’est un beau film que l’on a peu l’occasion de voir.

C’est le Fritz Lang de la période américaine, un de ceux où il a été le plus contraint par les studios américains.et qui témoigne de l’extraordinaire travail dont il était capable pour faire une oeuvre personnelle d’un travail de commande qu’il était obligé d’accepter. Il s’avère que pour écrire “Fritz Lang et Bertolt Brecht, le nazisme n’a jamais été éradiqué”(1) j’ai vécu cinq ans dans une certaine familiarité avec ces deux grands obsessionnels qu’étaient Lang et Brecht. Obsession maniaque que Brecht résumait dans le caractère allemand : “Nous Allemands qu’il s’agisse du nettoyage des parquets ou de l’extermination des juifs, nous faisons tout à la perfection”

Brecht et Lang étaient tous deux des antinazis convaincus, accusés tous deux de sympathies communistes et dans la visée à ce titre de la commission des activités antiaméricaines. Fritz lang n’a fait que quatre films antinazis dont celui avec Brecht mais on peut dire que l’idée du mal absolu l’obsède et est le matériau de ses films.

Fritz Lang quand il était en Allemagne était le maître de la UFA, les grands studios allemands, capable de ruiner l’entreprise avec les 5000 figurants de Métropolis, les décors fastueux, on connait la légende qu’il a lui-même créé de la manière dont il s’enfuit quand Goebbels lui propose de devenir le cinéaste officiel du III e reich alors que sa mère est juive. Après un bref séjour parisien , il arrive à Hollywood et là il doit tout recommencer, jouer non seulement avec la censure mais avec la manière dont les studios s’approprient les films.

Après le bref temps, celui depuis Pearl Harbour jusqu’au retournement des alliances avec les bombes sur Hiroshima, début de la guerre froide, où l’antinazisme est autorisé, vient le temps où il est reproche l’engagement comme une preuve du communisme. Nous sommes en 1953, Columbia qui a choisi de faire d’un film “tant qu’il y aura des hommes” de Fred Zinnemann le film de l’année et celui dans lequel est investi tout l’effort publicitaire, l’envoient dans un temps et un budget limité tourner un scénario qu’il n’a pas choisi et sur lequel travaille déjà un scénariste Boehm, cette nouvelle a été un succès de William P.McGivern publié dans le Saturday Evening post. Il n’a pas plus choisi l’acteur Glenn Ford.qu’il film en insistant sur une espèce de neutralité du masque et tout dans la puissance des gestes, nous allons voir pourquoi.

C’est un des films qu’il tournera le plus rapidement dans les 6 premiers mois de 1953. Mais c’est ce qui en fait paradoxalement l’intérêt parce que Lang arrive jusqu’à l’épure de ce qu’il ne peut pas dire et qui est là malgré tout. Ce qui est passionnant c’est de suivre la manière dont la censure s’oppose aux propositions de Lang sur deux points, la nature de la relation entre le flic vengeur qui veut donner un coup de torchon sur la ville et Gloria Grahame la petite amie du chef de la pègre locale.

le flic joué Glenn Ford, Dave Bannion, a voulu agir honnêtement et on lui a tué sa femme, il devient une bête fauve à son tour. Gloria Grahame, qui a été défigurée, elle aussi n’a plus rien à perdre et il est logique que le combat commun les conduise plus loin. Mais on n’a pas le droit de montrer des relations immorales, parce que non mariées. selon le code Hayes. De même le code de censure interdit de montrer une ville américaine où toutes les autorités sont sous l’emprise de la pègre. Lang va donc resserrer son écriture pour répondre aux impératifs de la censure, alors cette écriture devient plus allusive, puisque le héros doit obéir à certains standards, les second rôles portent cette vision du mal absolu. Mais le personnage qui rend réellement le film noir, étrange, c’est celui de la femme, Derby jouée par Gloria Grahame, qui mène à sa manière un combat qui utilise les rapports de forces entre les mâles pour jouer son propre jeu.

Il y deux contraintes qui font de ce film un jalon plus important qu’il n’y parait dans l’oeuvre de Lang. Le premier est positif, puisque l’on mesure la manière dont Lang a appris à jouer avec l’efficacité des studios américains, le jeu différent, plus sobre des acteurs, la maière dont il sait devoir tout penser d’une manière obsessionnelle pour empêcher la main mise des studios et utiliser à son profit le taylorisme, la séparation des phases du tournage, du montage et pour cela réécrire chaque scène, chaque enchaînement, chaque objet. La ville, autre obsession de lang, peintre et architecte devient un piège en soi avec ses ombres et ses trouées de lumière, la géométrie dans laquelle se débattent les êtres humains, comme des grilles, des pièces d’un jeu d’échec. Et il y a aussi les objets sur lesquels (comme Brecht) développe son obsession. L’ouverture sur le suicide du policier et le téléphone de sa femme transformée en maître chanteur. On sait que Lang pouvait rester des heures sur un évier avec une vaisselle sale, dans le film on trouve une autre de ses obsessions , le miroir et la femme, rien de gratuit, c’est déjà la femme au portrait, celle d’une femme qui va être défigurée et n’aura plus rien à perdre parce que son apparence était essentielle.

La seconde contrainte est de traduire ce qui lui a toujours été insupportable y compris dans le nazisme, la domination vulgaire, immorale, et ce qui lui fera dire que les Etats-Unis sont une dictature avec élections c’est que dans le fond qu’elle est la différence entre cette ville soumise à la pègre et ce qui se passe dans les années 53 avec le maccarthysme ?

On a souvent dit que Lang peignait la fatalité du destin s’abattant sur les individus, l’emprise du mal. Mais Lang c’est tout autant le combat désespéré contre ce destin, il n’y a de film que si il y a lutte inégale mais lutte.

Donc si vous êtes abonné à téléclassic ne ratez pas ce film que l’on a peu l’occasion de voir.

Quel dommage que les films soient relégués à ces heures tardives, cela dit je n’aime pas voir les films à la télévision, j’ai besoin du grand écran, de la salle avec ses frémissements . que Lang a si bien décrit dans les Bourreaux meurent aussi. C’est enfin ce qui fait que l’on sait immediatement que l’on a affaire à un film de Lang malgré la diversité des periodes de son oeuvre: le cadrage.

danielle Bleitrach

(1) Danielle Bleitrach, Richard Gherke ,Bertolt Brecht et Fritz Lang, le nazisme n’a jamais été éradiqué.Lettmotif. La Madeleine. France, 2015

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2 Commentaires

  • undertaker
    undertaker

    Hier sur Mycanal vous pouviez voir le film Séjour dans les monts Fuchun.

    Séjour dans les monts Fuchun nous emporte dans une Chine qui change et qui évolue. Le film, portrait d’une grande famille, nous décrit une vie quotidienne et les questionnements qui vont avec. Même si le thème n’est pas forcément original, voir les tribulations de ces Chinois dans un pays en pleine mutation rend l’épopée tantôt touchante, tantôt drôle, mais surtout remplie d’émotion.

    Attention par contre film très contemplatifs et long (2h30). Il ne peut pas plaire à tous le monde mais je vous invite à lire les critiques soit excellentes, soit négatives sur allociné https://www.allocine.fr/film/fichefilm-273659/critiques/spectateurs/ pour vous faire une idée.

    Et cela va sans dire, mais précisons-le quand même : à regarder en version originale, tant les dialogues parfois houleux et ponctués par un accent à couper au couteau font partie du rendu final.

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    • Danielle Bleitrach

      c’est un film superbe que j’ai adoré ne serait-ce que parce qu’il nous confronte à l’essence même d’un autre cinéma, celui où l’espace et le temps sont imperceptiblement différents et à une histoire où le drame se dénoue dans le collectif qu’est la famille en suivant à la manière de la tapisserie Song dont il est question dans le film une linéarité poétique… je me demande si je n’en avais pas fait une critique d’ailleurs, je ne sais où…

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