Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Allons-nous enfin être autorisés à voir cette guerre ?

Voici un article de Patrick Lawrence, il porte sur un article publié par un journaliste des grands médias (The New Yorker, le vice secret de Danielle Bleitrach). Je n’ai pas lu l’article de Mogelson mais s’il est aussi émouvant que ce qui en ressort de l’analyse de Lawrence, ça pourrait aussi être intéressant de le traduire pour le blog, (me demander mon avis sur un article du New Yorker quelle imprudence, c’est comme te demander un avis sur Trotsky, on peut craindre le pire en matière de complaisance !). Cet article renforce notre compréhension de la situation sur le terrain, que nous pouvons former à travers certains articles de la presse indépendante, souvent repris dans notre blog, et aussi bien sûr le bulletin irremplaçable traduit par Marianne jour après jour. Il soulève aussi au-delà des commentaires de Lawrence, la question de notre responsabilité de militants. Incapables d’avoir monté un vrai mouvement contre la guerre sur lequel aurait pu s’appuyer une résistance plus efficace à l’horreur des hachoirs à viande auxquels ont été envoyés sans remords des milliers de travailleurs ou de chômeurs saisis sur les trottoirs. (note de Danielle Bleitrach et Jean-Luc Picker, traduction de Jean-Luc picker)

Allons nous enfin être autorisés à voir cette guerre ?

Par Patrick Lawrence, re publié de ScheerPost dans Consortium News le 1 juin 2023

Après 15 mois de guerre, le New Yorker’s publie un reportage de Luke Mogelson avec les photos de Maxim Dondyuk qui nous montre la guerre en Ukraine que la machine de propagande nous cache depuis si longtemps.

Cérémonie à Kiev le 24 mars, pour le 9ème anniversaire de la Garde Nationale Ukrainienne et le diplôme des officiers de l’Académie Nationale de la GNU et de l’Institut de Kiev de la GNU (président de l’Ukraine, domaine public)

Arrêtons-nous à la lecture des paragraphes ci-dessous, publiés le 29 mai dans le New Yorker :

« Pendant que Tynda et son équipe se battaient depuis la tranchée, une autre position ukrainienne, sur une colline derrière nous, mitraillait furieusement. Nous nous y rendîmes un peu plus tard avec Tynda. Dans un repli au-dessus du no-man’s land se terrait un engin à l’antiquité improbable, monté sur des roues de fonte : un Maxim, la première mitrailleuse entièrement automatique jamais produite. Ce modèle-là datait de 1945, mais elle était quasiment identique à sa version originale inventée en 1884 : une manivelle avec son renflement, les poignées en bois, le conteneur à couvercle pour remplir le système de refroidissement avec l’eau ou la neige….

Pourtant, au cours de l’année écoulée, les Etats-Unis ont fourni à l’Ukraine plus de 35 milliards d’équipement militaire. Avec une telle générosité, comment se fait-il que la 28ème brigade continue à utiliser un telle pièce de musée ? Beaucoup de matériel a été détruit ou endommagé sur le champ de bataille. Mais il y a aussi que l’Ukraine semble avoir abandonné l’idée de rééquiper les unités affaiblies pour entasser le matériel en vue de l’offensive à grande échelle prévue pour la fin du printemps. Au moins 8 nouvelles brigades ont été entièrement assemblées pour être le fer de lance de la campagne à venir. Ces unités-là ont reçu les armes, les tanks et l’entrainement dispensé par les Etats-Unis et l’Europe, pendant que les brigades aguerries telles que la 28ème ont été chargées de tenir les positions avec les résidus d’un arsenal épuisé ».

L’article d’où sont tirées ces phrases s’intitule : « 2 semaines sur le front en Ukraine ». Il est signé de Luke Mogelson, un correspondant du journal avec une douzaine d’années d’expérience. Son texte est accompagné des photographies de Maxim Dondyuk, un Ukrainien à peu près du même âge que Mogelson, plus ou moins la quarantaine, et dont le travail cherche à documenter l’histoire et la mémoire, manière de suggérer qu’une réflexion intense commande les millièmes de secondes pendant lesquels il ouvre le volet de son objectif.

Il y a beaucoup à dire et à penser à la lecture de cet article. Je m’étendrai plus loin sur les grandes qualités des écrits de Mogelson et des photographies de Dondyuk. Mais d’emblée, il faut prendre note du fait que, après 15 mois de guerre, leur travail pourrait indiquer que les médias occidentaux ont enfin commencé à couvrir le conflit en Ukraine convenablement. Gardons le conditionnel pour l’instant, mais il est possible que cette publication soit le signe d’un changement important pour la profession – Dieu sait comme elle en a besoin ! –  et d’une évolution non moins essentielle dans l’adhésion du public à la guerre par procuration que les Etats-Unis et l’OTAN mènent contre la Fédération de Russie.

Je n’apprendrai rien aux lecteurs avertis, mais, à part quelques rares sorties à distance raisonnable de la ligne de front – soigneusement contrôlées et surveillées -, les correspondants du New York Times et des autres grands quotidiens, des agences de presse et des chaînes de télévision se satisfont sans protester du refus par le régime de Kiev de les laisser voir la guerre comme elle se déroule. Professionnels négligents qui se contentent d’envoyer depuis le bureau de leur chambre dans un hôtel de Kiev les reportages établis sur la base des communiqués du régime auxquels on peut faire toute confiance pour ne pas donner une version authentique des événements. Ce qui ne les empêche pas de présenter leur production comme professionnelle et basée sur les faits.

Il y a bien sûr quelques exceptions. Citons ici Carlotta Gall, correspondante du Times, dont la russophobie sans limite semble suffisamment extrême pour le régime de Kiev, ou les deux Andrews, Higgins et Kramer, qui n’ont pas leur pareil pour concocter des récits farfelus. Vous vous souviendrez que ce sont ces deux sbires qui nous ont appris que les Russes se bombardaient eux-mêmes dans la centrale nucléaire qu’ils occupent et qui, plus tard, ont même bombardé leur propre camp de prisonniers dans l’Est de l’Ukraine.

Le problème, bien sûr, c’est que si les correspondants ne peuvent pas voir la guerre et que cela ne les dérange pas plus que ça, nous non plus, nous ne pourrons pas la voir. Comme votre humble journaliste l’a déjà écrit, le résultat, c’est que nous avons deux guerres : celle qu’on nous présente, la guerre mythique, et la guerre, la vraie.

John Pilger, journaliste et producteur de films, l’a récemment résumé dans un tweet : « le lavage de cerveau pour cette guerre n’est pas différent de celui qui a préparé les guerres précédentes. Mais jamais, dans mon expérience de correspondant de guerre, il n’a été aussi implacable et dépourvu de journalisme un tant soit peu honnête ».

C’est pour ça que l’article de Mogelson est si surprenant. Son honnêteté sans fard est une immense avancée par rapport à la soupe propagandiste servie par les grands médias depuis le début de l’intervention russe en février 2022. Les trois correspondants du Times que nous venons de citer ? Ils ont tous des années d’expérience de plus que Mogelson. Aucun d’entre eux, pourtant, ne pourrait ne serait-ce que changer le ruban de sa machine à écrire, comme nous avions l’habitude de dire.

Deux semaines dans les tranchées

Une tranchée ukrainienne dans la bataille de Bakhmout en novembre 2022 (Mil.gov.ua, CC BY 4.0 Wikimedia Commons)

Mogelson et Dondyuk ont passé deux semaines en mars avec un bataillon de l’infanterie ukrainienne qui se battait dans les tranchées « un petit poste quelque part à l’est, dans le Donbass, où les ondes de choc et les shrapnels ont fauché les arbres comme un champ de cannes ». La position était juste en dehors d’un village au sud de Bakhmout, la ville qui était alors le théâtre d’une bataille épique et qui a depuis été prise par les forces russes. Je ne doute pas une minute que ces deux journalistes avaient l’accord du haut commandement. C’est la façon dont le régime de Kiev mène cette guerre. Pourtant, pour une raison qui demande à être éclaircie – j’y reviendrai dans une seconde – il n’y a aucune inhibition ou auto-censure. Leur compte-rendu, que ce soit le reportage ou les photographies, est aussi cru, dévalorisant et sans concession que les scènes qu’ils décrivent :

« J’ai rejoint le bataillon deux mois après qu’il ait perdu la bataille pour le contrôle du village. Dans l’intervalle, aucun des côtés belligérants n’a tenté de monter quelqu’opération que ce soit contre l’adversaire. Les Ukrainiens n’étaient capables que de maintenir le statu quo. D’après les estimations de Pavlo, à cause des pertes subies par son unité, 80% de ses hommes étaient des nouvelles recrues. Pour lui : ‘ce sont des civils sans expérience. Nous nous estimons heureux si 3 sur 10 des hommes qu’ils m’envoient sont capables de se battre’. Nous étions dans son abri, creusé à l’arrière d’une ferme à moitié démolie. A travers les murs de boue l’artillerie résonnait sans cesse. Pavlo a repris : ‘Beaucoup des nouveaux n’ont pas l’endurance pour être ici. Ils ont peur et ils paniquent’. Célèbre pour ses colères on lui avait attribué le nom militaire de ‘Grincheux’. Mais il parlait avec empathie de ses soldats les plus faibles et de leurs peurs. Même pour lui, officier de carrière depuis vingt-trois ans, cette étape de la guerre avait été exténuante. Sur la route devant la ferme, un panneau cloué à un arbre indiquait l’est avec l’inscription « à Moscou ». Personne ne savait qui l’avait mis là. Ce type de fanfaronnade semblait appartenir à une autre époque ».

Mogelson nous présente ensuite les autres soldats du bataillon : « parmi ceux qui reconstruisaient le nid de mitrailleuse, il n’y en avait que deux qui avaient été avec le bataillon depuis Kherson. Le premier, un maçon de 29 ans appelé Bison – parce qu’il était bâti à leur ressemblance – avait été hospitalisé trois fois : une balle dans l’épaule, des éclat d’obus dans la cheville et le genou, puis encore un éclat d’obus dans le dos et le bras. L’autre vétéran, au nom militaire de Odesa, s’était enrôlé en 2015, après avoir abandonné ses études. Court et trapu, il avait la même aisance tranquille que Bison. C’était troublant de voir à quel point les deux hommes s’étaient adaptés à cet environnement mortifère, et cela rendait encore plus visible l’agitation des nouveaux arrivés, qui se tassaient à chaque sifflement qui fendait l’air ou au bruit de chaque arrivée. ‘Je n’ai confiance qu’en Bison, nous dit Odesa. ‘Si les nouvelles recrues s’enfuient, ce sera notre arrêt de mort’. Il avait perdu presque tous ses amis les plus proches à Kherson. Et, sortant son téléphone, il commença à faire défiler les photos : ‘Mort… mort… mort … mort … mort … blessé… Maintenant, je dois m’habituer à des gens différents. Il faut tout recommencer’. Parce que le ratio de morts et de blessés est plus important chez les soldats les plus courageux et les plus agressifs -un phénomène qu’un officier nous a décrit comme ‘la sélection naturelle à l’envers’- les fantassins aguerris comme Bison et Odesa sont devenus très prisés mais aussi très fatigués. Après Kherson, Odesa a déserté. ‘J’étais vraiment mal psychologiquement’ a-t-il expliqué. ‘J’avais besoin d’une pause’. Après deux mois à se reposer et à récupérer à la maison, il est revenu. Pas par peur d’être puni -que pouvaient-ils lui faire, de toutes façons, sinon le remettre dans les tranchées- mais par loyauté envers ses amis morts. ‘Je me sentais coupable’ nous dit-il encore. ‘Je me suis rendu compte que ma place était ici’ ».

Avec un reportage et un style de ce calibre-là, Mogelson est un soleil à côté des correspondants bidons terrés dans leurs chambres d’hôtel à la capitale. Mais je n’hésite pas à dire qu’il s’élève à la hauteur des plus grands noms de notre profession. Je lis dans son article un peu de Dexter Filkins, un peu de Bernard Fall, un peu de Michel Herr, un peu de Martha Gellhorn, et j’irai même jusqu’à dire un peu d’Ernie Pyle. Quant aux photographies de Dondyuk, elles ont une façon de crever la page qui rappelle Tim Page, Horst Faas, Robert Kapa et quelques autres des grands photographes d’antan. Si cet article nous annonce un changement (ou un retour ?) vers des pratiques de reportage un tant soit peu intègre, le projet ne pourrait mieux commencer. Mais gardons le ‘si’ pour l’instant.

Il y a deux sortes de journalistes. J’appelle les premiers les ‘analystes’. Ils ajoutent une dimension d’interprétation à leur reportages, faite de connaissance et de compréhension. Et il y a les reporters, empiriques du ‘un fait est un fait’ qui restent au ras de leur sujet et ne se reculent pas pour agrandir leur point de vue. Mogelson est de la deuxième catégorie. Des reporters de son acabit nous invitent à réfléchir sur la base de ce qu’ils nous rapportent.

Alors, que pouvons-nous déduire de ce fantastique reportage, si près qu’on a l’impression de pouvoir toucher du stylo, ou de la lentille de l’objectif, les scènes qu’ils décrivent ?

Il n’y a pas d’illusion sur la Victoire

Le no man’s land entre les forces russes et ukrainiennes pendant la bataille de Bakhmout en novembre 2022 (Mil.gov.ua, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)

Ce dont Luke Mogelson nous parle, ce n’est pas d’une armée sur les chemins de la victoire, ni d’une armée qui aime prétendre être sur les chemins de la victoire, ni même d’une armée qui veut que le monde pense qu’elle est sur les chemins de la victoire. Dans son article, pas de succès opérationnels, pas de terrain repris, pas même d’espoirs. Juste ‘tenir la position’, même si peu de positions réussissent à tenir, et ‘rester en vie’. Son histoire nous parle des pertes sévères parmi des soldats qui attendent la fin, et se demandent combien de temps il faudra encore pour qu’elle arrive.

Sous la plume de Mogelson, nous rencontrons des conscrits envoyés au front sans entrainement ou si peu. Il décrit un homme kidnappé sur un trottoir de la ville pour se retrouver trois jours plus tard sous le feu des Russes. Parmi les bleus enrôlés qui forment maintenant la majorité de l’infanterie des forces ukrainiennes, règne la terreur paralysante, l’épuisement, la démoralisation, la désertion et une incompétence caricaturale. Ils se battent avec des véhicules hérités du Viêt-Nam, envoyés par les USA, ou des canons chargés par la bouche qui ne sont plus fabriqués depuis des décennies, ou des armes d’origine soviétique héritées de l’avant 1991, avec en sus une pénurie de munitions qui ne permet pas d’espérer utiliser cet équipement pour prendre l’avantage.

Une mitrailleuse Maxim de 1945, conçue en 1884 ? Vraiment ? Mogelson a raison de poser la question, même trop brièvement. Mais où sont donc passées toutes ces armes que les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN envoient en Ukraine ? Un grand nombre d’entre elles ont déjà été détruites, dit-il, et nous n’en sommes pas surpris. D’où il s’était mis ce printemps, au plus près de la scène, il aurait pu aussi nous parler de ces profiteurs qui forment le régime et l’armée et qui vendent sur le marché noir des quantités choquantes d’armes à peine débarquées de Pologne.

Il y a aussi ce moment où Mogelson et Dondyuk passent une journée dans un abri enterré avec un vétéran, sergent du nom de Kaban, et un gamin de 19 ans surnommé Cadet, si jeune qu’il n’a pas encore perdu sa graisse de bébé. « Plus tard, Kaban nous a amusé avec des histoires sur ses escapades amoureuses d’avant » nous raconte Mogelson, « alors Dondyuk, le photographe, lui a demandé s’il avait commencé à éduquer le Cadet.

‘Pas besoin’ lui a répondu Kaban. ‘Bientôt il sera mort’.

Cadet s’est mis à rire, mais Kaban, lui ne riait pas »

Voilà les voix que Mogelson nous donne à entendre. L’angoisse du rire de Cadet, on peut la couper au couteau.

Il me faut aussi mentionner quelques éclairs dans le reportage de Mogelson, parce qu’ils montrent une capacité d’écriture qui a pratiquement disparu. A propos du soldat derrière la mitrailleuse Maxim, il raconte : « Le mitrailleur, un hooligan amateur de foot, sec comme un cep, avec un poing américain en laiton tatoué sur le dos de sa main, parlait de sa Maxim comme un passionné de vieilles voitures faisant les louanges d’une Mustang restaurée ». Et, décrivant un antique et revêche transport de troupes rescapé du Viêt-nam, il écrit : « on aurait dit une boite de ferraille verte sur chenilles. Mise en route, cette machine complètement dépassée nous fit penser à un mixer chargé avec de l’argenterie ».

Je me demande si Gellhorn faisait mieux quand elle couvrait la guerre d’Espagne pour Colliers.

Mogelson nous montre la guerre que quelques journalistes indépendants ont déjà essayé de décrire. Mais il s’agit d’une guerre dont nous n’avons jamais entendu parler dans les grand médias jusqu’à maintenant. Il s’agit d’une guerre que la machine propagandiste a tout fait pour nous cacher. Maintenant nous pouvons affirmer que ce que les correspondants des médias indépendants nous en ont dit représente bien la réalité de cette guerre.

Parmi bien d’autres choses, nous pouvons toucher du doigt l’indifférence criante du régime de Kiev et de ses bénéfacteurs occidentaux pour ceux qui sont au combat. Eux, nous dit Mogelson, sont maintenant essentiellement issus de la classe des travailleurs, les plus privilégiés ayant réussi à éviter la conscription ou à ne pas se retrouver en première ligne.

L’article de Mogelson date déjà de mars, et nous pouvons être sûrs que les conditions sur le front ne se sont pas arrangées dans l’intervalle, qu’elles sont pires de trois mois. Son reportage me donne envie de frapper la table avec ma chaussure, à la Khroutchev. A la fois à la pensée de la conduite honteuse de ces pseudo-correspondants des grands médias, à la pensée de tous ces Ukrainiens qui meurent sans raison pour maintenir l’illusion de la guerre telle qu’on nous la présente, et à la pensée de tous ces soldats des forces ukrainiennes, les bleus comme les vétérans qui les commandent, et que le régime de Kiev a pratiquement abandonnés.

Pourquoi maintenant ?

Arrivés là, ils nous reste un question : pourquoi le New Yorker – un magazine entièrement dévoué à l’orthodoxie libérale, quel que soit le sujet, y compris pour nous vendre les bonnes raisons pour cette guerre et la victoire certaine du bien et des Forces Armées Ukrainiennes- décide de publier cet article maintenant ? Vous souvenez-vous comment les grands médias s’étaient déchaînés l’an dernier quand Amnesty International, suivi par CBS News, avaient prétendu soulever un coin du voile sur les réalités du conflit ukrainien ? Qu’est-ce qui a changé ?

Difficile à dire. Mais avec le recul, on peut envisager que la publication de cet article qui nous ouvre les yeux et l’esprit participe de la prise de conscience encore embrumée mais de plus en plus répandue – dans les cliques washingtoniennes, au Pentagone ou dans les grands médias – que l’Ukraine ne gagnera pas cette guerre et qu’il est temps de commencer à préparer pour cette conclusion. Les nouvelles prédictions à la mode sont que la contre-offensive tant attendue ne fera pas une grande différence. On parle plus maintenant des conditions nécessaires pour pouvoir ouvrir des négociations. Si l’on en croit Steven Erlanger, correspondant du Times à Bruxelles, les dirigeants de l’OTAN réfléchissent à mettre en place en Ukraine ce que les alliés avaient fait de l’Allemagne après la guerre : la diviser de façon que l’Ouest rejoigne l’Alliance, et laisser l’Est à l’Est.

L’intention de Mogelson était de faire du bon travail, point à la ligne. Et c’est ce qu’il a fait. Mais vue dans un contexte plus large, sa publication à mon avis marque le début d’un effort pour préparer tous ces gens avec des drapeaux bleus et jaunes sur leurs vérandas à affronter une réalité qu’on leur dissimule depuis des mois. Le Wall Street Journal, le New York Post, le Business InsiderForbes: tous ont publié récemment des articles, sûrement pas aussi bons que celui de Mogelson, mais qui vont dans le sens du ‘faut bien se faire à la réalité’.

Si j’ai raison, la vraie guerre et la guerre présentée vont finir par n’être plus qu’une. Et il serait bien temps. Pas que les grands médias vont aller à confess’ pour se faire pardonner leurs turpitudes dans leur couverture de cette guerre. Ils ne le font jamais. Ne nous laissons pas emporter par l’enthousiasme sur ce point.

Patrick Lawrence a été correspondant étranger pendant de longues années, principalement pour le International Herald Tribune. Il est éditorialiste, journaliste d’opinion, professeur et auteur. Il a récemment publié : Il n’est plus temps : les Américains après le Siècle Américain. Son nouveau livre Journalistes et leurs ombres est sous presse à Clarity Press. Son compte twitter @thefloutist est censuré sine die. Son web site est à Patrick Lawrence, et on peut soutenir son travail à travers le site Patreon

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 129

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.