Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

PÉROU : CHANGER LES RÈGLES DE JEU, par Iroel Sanchez

Lors des manifestations à Cusco, la police a de nouveau réprimé et le président de la communauté Anansaya Urinsaya Ccollana de Anta, Remo Candia Guevara a été assassiné. Alors qu’une demi-centaine de personnes ont été blessées, beaucoup d’entre elles avec des armes à feu. Même pas 24 heures après le « Massacre de Puno » où 17 personnes ont été tuées par les forces de répression dans la ville de Juliaca. Les organisations sociales et politiques continuent d’appeler à se mobiliser contre Dina Boluarte et le Congrès national. Les différentes sources indiquent que 50 manifestants ont été tués depuis le coup d’État au Pérou. Encore un texte émanant de Cuba, de source non officielle, mais d’un intellectuel qui interpelle les gouvernements d’Amérique latine pour les inviter à arrêter les demi-mesures face aux Etats-Unis et à organiser leur peuple, qui alors que personne ne s’y attendait mène une résistance héroïque face à un pouvoir qui a trahi et massacre les manifestants. Cela dit Iroel Sanchez ne voit peut-être pas assez la nouveauté de la période, il y a toujours plusieurs révolutions dans un processus révolutionnaire, les études sur la révolution française dans la mesure où elles articulent temps long d’un passage d’un mode de production à un autre avec les événements, montrent l’existence de “révolutions” autonomes comme la révolution paysanne, le mouvement des intellectuels liés aux Lumières, les sans-culottes des faubourgs parisiens entre autres. Il se passe quelque chose de cet ordre-là au Pérou dans un contexte où Cuba est un des facteurs de l’accélération et de l’unité autour de la nécessité du socialisme et d’un parti révolutionnaire. (note et traduction de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Iroel Sánchez /La pupille insomniaque – Cuba

« L’Amérique pour les Américains », c’est la phrase avec laquelle Pedro Castillo a clôturé son discours au Sommet des Amériques de Los Angeles en avril 2022, auquel il s’est rendu sans son chapeau traditionnel de maître rural.

Au milieu du schisme provoqué par l’exclusion par les États-Unis, lors de la convocation de cet événement, de Cuba, Venezuela et du Nicaragua, Castillo a choisi d’y assister et de ne pas mentionner cette question qui était pourtant le centre de l’événement.

« L’Amérique pour les Américains » est le slogan central de la Doctrine Monroe, sur lequel depuis le début du XIXe siècle les États-Unis fondent leur relation d’hégémonie avec l’Amérique latine, et qui revient dans la pratique à « L’Amérique pour les Américains, du Nord ».

Le fait que le dirigeant péruvien alors ait prononcé une telle phrase a été attribué à son ignorance et à celui de ses conseillers, y compris sa chancellerie, et il est très probable que cela ait été le cas.

Cependant, il n’y avait pas non plus la moindre référence aux politiques douteuses des États-Unis à l’égard de la région, y compris le blocus contre Cuba que plusieurs dirigeants présents ont condamné, ni aux exclusions imposées par les organisateurs américains, ce qui révélait une attitude complaisante, ou du moins acritique vers ce que le progressisme de la région considère comme « l’Amérique qui n’est pas la nôtre », telle que l’a définie José Martí.

En étant élu, Castillo a désigné l’intellectuel Hector Béjar comme chancelier. Béjar a duré moins d’un mois dans sa fonction, il a été lynché médiatiquement pour des déclarations accusant la marine péruvienne d’avoir déclenché le terrorisme et d’avoir été entraînée par la CIA. Il n’a pas osé parler de terrorisme d’État, comme pour toutes les armées qui ont collaboré avec Washington pendant la guerre froide en Amérique latine, mais il a quand même été défenestré. Avec Béjar en fonction, Castillo n’aurait pas commis la faute qu’il a commise à Los Angeles, mais il a préféré accepter la démission de l’intellectuel de gauche. Ce qui est étrange, c’est qu’après avoir été destitué et alors qu’il était déjà en prison, Pedro Castillo a découvert la CIA et les États-Unis – ceux de l’Amérique pour les Américains, du Nord – et les a accusés d’être derrière la répression que la présidente actuelle Dina Boluarte exécute avec l’armée et la police contre ceux qui, dans les rues du Pérou, réclament des élections et qualifient l’ancienne vice-présidente de Castillo de dictateur. Tout n’est pas perdu pour Castillo cette fois, dommage qu’il soit un peu tard. L’ambassadrice américaine au Pérou Lisa Kenna, qui selon sa biographie officielle au State Department a travaillé 9 ans à l’Agence, a rencontré le ministre péruvien de la Défense peu avant que le président « de gauche », qui avait été démocratiquement élu, soit renversé en un coup d’État d’État et emprisonné sans procès. Quatre jours après le coup d’État, la même ambassadrice rencontrait Mme Boluarte et lui assurait le soutien du gouvernement américain.

Boluarte, vice-présidente élue de Castillo, comme Michel Temer de Dilma Rouseff et Lenin Moreno de Rafael Correa, a choisi d’être plus fidèle à l’ambassade qu’au programme choisi par les électeurs. Programme qui, d’ailleurs, n’a pas eu la moindre chance de démarrer parce que, entre les attaques médiatiques et les sabotages congressionnels, Castillo n’a pas été autorisé à gouverner.

Et celui-ci, au lieu de mobiliser le peuple pour faire pression dans les rues pour l’Assemblée constituante et les mesures de justice sociale qu’il avait promises, s’est enfermé dans une confrontation avec le Congrès perdue d’avance, lui donnant, avec son dernier effort, solitaire et unique, le prétexte pour le déclarer antidémocratique, le discréditer et l’envoyer en prison.

Personne n’a demandé à Boluarte le programme de changement pour lequel elle a été élue aux côtés de Castillo, y compris une assemblée constituante que réclament aussi les Péruviens lors de leurs manifestations de ces jours-ci.

Mais là c’est le peuple qui prend des balles dans sa chair, dans la rue pour un président qui n’a pas été à sa hauteur. La fin du contrôle oligarchique sur la politique et les ressources du Pérou émergera-t-elle de cette lutte ? J’aimerais bien, mais il ne semble pas y avoir de force politique organisée capable de le faire et seul un changement radical des règles du jeu pourrait le permettre.

Tenter de changer quelque chose avec inquiétude de ne pas déranger ceux qui contrôlent les médias et ceux qui, depuis plus d’un siècle, retirent et mettent des gouvernements dans de nombreux pays d’Amérique latine finit toujours par le même ou lieu : la défaite.

Fernando Martínez Heredia, penseur cubain que Pedro Castillo ne connaît certainement pas mais Héctor Bejar lui le connaissait très probablement, a écrit dans son dernier texte, dédié à Fidel Castro : « Le capitalisme arbore sa démocratie discréditée, corrompue et controlée directement par des oligarchies, et exige des dirigeants timides et des opposants respectueux qui respectent leurs règles comme des articles de foi, une attitude qui serait suicidaire parce que ces règles sont faites pour préserver le système de domination capitaliste. ” Martinez Heredia est mort sans connaître l’existence de Pedro Castillo mais celui-ci aurait peut-être bien eu besoin de rencontrer Fernando.

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1 Commentaire

  • JOclaude
    JOclaude

    Nième coup d’ETAT fomenté par l’impérialisme américain ! Est-ce à dire qu’il va pouvoir agir à sa guise encore combien de temps et combien de victimes dans les Peuples révoltés? Les 3000 morts et assassinats sous “pinochet” n’ont pas suffit ? Vite une organisation Internationale pour remplacer l’ONU pour empêcher ces crimes odieux contre les peuples désarmés qui se soulèvent ! Car l’heure est à la riposte dans cet ancien monde qui tarde à disparaître, le neuf est né ! Et si le VENEZUELA pouvait se joindre aux BRICS ce serait un bon avertissement !

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