Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le développement contemporain des forces productives ouvre, de manière très contradictoire, une époque de révolution sociale mondiale, par Jean-Claude Delaunay

Voici la contribution de Jean-Claude Delaunay pour le 39e congrès du parti communiste, une contribution théorique dont chacun mesurera l’importance et qu’il a souhaité également confier à notre site parce que ce débat ne devrait pas se limiter à un conclave mais bien s’adresser à tous ceux qui sont concernés par le socialisme comme alternative au capitalisme et à son autodestruction planétaire. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

illustration: rassemblement à l’occasion de la Nouvelle année 2023

Les sociétés humaines ont été, jusqu’à notre époque, des sociétés de rareté et, simultanément, des sociétés de classes antagoniques. En effet, les sociétés de rareté ne sont pas seulement les sociétés dans lesquelles on meurt de faim. Ce sont les sociétés dans lesquelles les besoins matériels de ses membres ne peuvent être, de manière visible et immédiatement ressentie, complètement satisfaits. Il a progressivement résulté, de cette pénurie relative, des formes d’appropriation privée du surplus par certains groupes d’individus aux dépens des autres groupes. C’est ainsi que furent constituées les classes sociales et la partition des populations en classes dirigeantes et dirigées, dominantes et dominées, exploiteuses et exploitées. Ce mode de fonctionnement a été, jusqu’à ce jour, le principe majeur d’organisation des sociétés.

Certaines classes sociales peuvent satisfaire leurs besoins matériels, ou le peuvent mieux que les autres, et ces autres ne le peuvent pas, ou le peuvent moins que les classes dominantes. De cela résulte un combat permanent entre ces deux catégories de classes sociales. Sociétés de rareté et sociétés de classes antagoniques ont été les deux faces de l’histoire des hommes, et le resteront tant que les classes s’appropriant (privativement) le surplus resteront en place et que les forces productives ne permettront pas d’atteindre l’abondance.

C’est pourquoi, pour un marxiste, l’économie est l’activité donnant, dans les sociétés de rareté, la plus grande quantité d’informations sur leur fonctionnement, passé et présent, ainsi que sur les conditions de leur développement et de leur transformation. Telle est l’hypothèse de base de la théorie issue des travaux de Marx et d’Engels. Il en résulte l’importance primordiale accordée aux forces productives dans la compréhension, à notre époque, de la dynamique des sociétés.

Cela étant dit, il se trouve que les classes dominantes, dont la puissance est liée à un niveau et à une structure donnés des forces productives, ne sont pas à l’abri de classes rivales. Les forces productives évoluent et ceux qui sont en place ont du mal à se reconvertir. C’est pourquoi des rivaux apparaissent. Ils prétendent produire plus et mieux que leurs prédécesseurs. Lorsqu’ils sont assez forts pour intervenir, l’époque de la révolution des rapports sociaux est ouverte. C’est ce que Marx expliquait en 1859, tout en se situant dans le temps long. « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété dans lesquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale»1. Au 18e siècle, en France, de nouvelles catégories sociales, urbaines, sont devenues fortes et compétentes à ce point qu’elles ont estimé pouvoir révolutionner les rapports féodaux, fondés sur la production agricole et l’appropriation privée de la rente foncière.

Ces bourgeois, ces gens des villes, ainsi nommés par différence avec les ruraux propriétaires, ont pris le pouvoir et ils ont révolutionné non seulement les rapports politiques mais les rapports sociaux de production et de consommation en industrialisant la France. Nous sommes aujourd’hui, en 2022, entrés ouvertement et explicitement, dans une époque de ce genre, et cela depuis les années 1970.

A cette époque a pris forme un processus de mondialisation capitaliste dont on peut dire qu’il a dialectiquement pris appui sur la révolution des forces productives en cours et qu’il en a développé certaines potentialités. L’Impérialisme de la fin du 20e siècle n’est pas le même que celui de son début en ce qui concerne les forces productives qui le structurent et le déstructurent à la fois. Voici revenu le temps de la révolution, comme en 1789, mais en raison des forces productives nouvelles qui le traversent, il s’agit cette fois de la révolution des rapports sociaux bourgeois.

Il semble donc très important de comprendre, dans un tel contexte, en quoi et comment le niveau des forces productives, matérielles et humaines, contemporaines entre désormais en contradiction ouverte et forte avec les rapports sociaux capitalistes monopolisés de production et de consommation. C’est, me semble-t-il, la base théorique de toute action révolutionnaire actuelle. C’est celle que les communistes de ce pays se doivent d’explorer et dont ils doivent s’emparer pour l’efficacité de leur combat2.

Je propose donc ce texte à la discussion de toutes celles et de tous ceux qui voudraient que «ça change réellement» quoique sans trop savoir par où commencer et comment mettre de l’ordre dans leurs réflexions.

Je n’ai pourtant pas de connaissances particulières. Je ne suis pas dans les secrets des pouvoirs et des alcôves. Je suis simplement marxiste et je prétends, à ce titre, qu’il faut commencer par les forces productives en développement, en regard des rapports sociaux de production et de consommation existants. Je m’inscris dans le courant de celles et de ceux qui proposent à la fois l’éviction de la bourgeoisie de tous les pouvoirs qu’elle monopolise ainsi que la prise en main par le peuple de ses affaires, économiques, politiques et culturelles.

Ce texte comprend trois parties. Dans la première, je vais résumer ce que je crois être la révolution contemporaine des forces productives, matérielles et humaines. Dans la deuxième partie, je m’interrogerai sur l’inertie apparente du système impérialiste. Dans la troisième partie, je dirai, toujours selon moi, ce que les adhérents du PCF devraient faire pour mettre leur organisation en accord avec la lutte révolutionnaire qui s’en déduit et entraîner le peuple dans ce vaste combat.

  1. Karl Marx, 1859, Critique de l’Economie Politique, Préface (Marx.archives.net). La thèse selon laquelle les sociétés évoluent et se transforment sous l’effet de la contradiction entre forces productives et rapports de production figurait déjà dans le Manifeste communiste, rédigé par Marx et Engels en 1848 : «Depuis des dizaines d’années, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est autre chose que l’histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production…». Ce qui était théoriquement perceptible, il y a 175 ans, est en train de devenir expérience concrète, avec des forces productives profondément renouvelées par rapport à ce qu’elles étaient lors de la parution du Manifeste.
  2. Comme l’écrit Jean-François Bolzinger dans sa préface au livre que vient de publier Ivan Lavallée, « En replaçant les forces productives comme l’élément déterminant du processus révolutionnaire, ce livre est un atout précieux pour orienter les combats» (Ivan Lavallée, Cyber-Révolution et Révolution Sociale, 2022, La Temps des Cerises, p.34).

La révolution contemporaine des forces productives

Certes, nous disposons, nous communistes français, d’une théorie de la révolution des forces productives. C’est la théorie de la révolution informationnelle, mise au point par Paul Boccara. Paul fut un camarade intellectuellement et politiquement éminent. Sa notoriété a eu cependant pour effet, de son vivant mais aussi par la suite, de figer la théorie en question tout en lui conférant le statut de l’évidence.

Cela dit, cette théorie soulève de nombreux problèmes. Je dis cela sans agressivité et je ne vais certainement pas, dans ce texte, régler mes comptes avec Boccara. Je pense néanmoins, si mon propos est justifié, que cette théorie n’est pas apte à nous aider conceptuellement pour nous diriger dans l’obscurité du monde contemporain.

Je vais donc dans cette première partie, commencer par un bref exposé de cette théorie. J’indiquerai ensuite celle sur laquelle nous pouvons, et je le crois devons, au contraire, bâtir notre raisonnement.

A) La théorie boccarienne de la révolution informationnelle

Voici comment on peut exposer les principales idées de Paul Boccara sur la révolution scientifique et techique en cours. Je vais le faire en deux points. N’étant pas en train d’écrire un document universitaire, je me permets de simplifier l’exposé de ses idées. Cela dit, on trouvera dans Economie et Politique ou dans Issues, ou dans ses Théories sur les Crises (deuxième volume)3, nombre d’articles qu’il publia sur ce thème. Je crois avoir compris l’essentiel de sa démarche et ne pas la déformer.

Le premier point à considérer serait le suivant. Les forces productives matérielles ayant toujours eu pour but d’accroître la productivité du travail, les progrès en ce domaine auraient d’abord commencé par les outils, prolongements de la main, et, pour les transports, par l’utilisation d’animaux. L’énergie propre à cette première étape aurait été celle des forces naturelles.

L’étape suivante aurait été celle de la prise en charge des outils par des machines, appelées machine-outils et par le remplacement des animaux par des machines de traction. Je rappelle que Paul Boccara publia en son temps, dans la revue La Pensée, un article important sur la machine-outil4. Il se situait explicitement, dans cet article, dans la continuité de Marx et d’Engels. L’énergie propre à cette deuxième étape aurait été la vapeur puis l’électricité.

Nous serions entrés, aujourd’hui, dans une troisième époque, et c’est là que Paul Boccara s’est efforcé d’innover, en l’analysant comme l’époque du remplacement de certaines fonctions du cerveau par des machines. Avec la révolution industrielle, la main de l’homme avait été remplacée par la machine-outil. Désormais, le cerveau de l’homme, certains de ses attributs en tout cas, seraient remplacés par l’ordinateur, lequel fonctionne avec des programmes et des informations, comme l’organe auquel il se substitue.

La révolution contemporaine des forces productives était donc, selon lui, «une révolution informationnelle», se développant avec des formes d’énergie appropriées. Le paradoxe apparent de cette révolution aurait été qu’en remplaçant certaines fonctions du cerveau par des machines, elle aurait, dans les faits, inversé le rapport entre forces productives matérielles et forces productives humaines, conférant à ces dernières une prééminence potentielle.

Le deuxième point à considérer est celui de l’incidence de cette révolution sur les rapports économiques capitalistes. Je crois que, pour Paul Boccara, cette incidence, au plan économique, était double.

D’une part, l’application de la révolution en question entraînait la robotisation accélérée de la production, l’éviction intensive de la main-d’œuvre, avec pour conséquence l’élévation durable de la composition organique du capital et la baisse non moins durable de sa rentabilité, etc. Elle entraînait, d’autre part, un processus tendanciel, également mortifère, d’appropriation privée de l’information par les capitalistes, et par conséquent, de réduction forte et croissante de l’accessibilité des individus à l’information.

En effet, disait Paul Boccara, l’information est volatile et elle est reproductible à l’infini, pour un coût variable proche de zéro. Les capitalistes étaient donc, selon lui, confrontés séparément à la contradiction suivante, à savoir, d’un côté, investir beaucoup (importance des coûts fixes) pour stocker et traiter productivement l’information dans le but du profit privé, mais d’un autre côté courir le risque de voir cette information diffusée partout avant même qu’ils aient pu, pris un à un, rentrer dans leurs frais et rentabiliser leurs propres affaires.

Cette contradiction aurait donc été prise en charge globalement, et si je puis dire naturellement, par le système capitaliste, qui aurait mis en œuvre, pour la résoudre, une solution générale permettant à chaque capitaliste de s’y retrouver. Cette solution, spontanément conforme à la structure capitaliste, aurait été celle de «la marchandisation de l’information» et la possibilité, sur cette base, pour chaque capitaliste, d’acheter et de vendre de l’information, ou d’acheter de l’information et de la détruire.

Toutefois, toujours selon Paul Boccara, la transformation des informations en marchandises aurait constitué la pire des perversions introduites par les classes dirigeantes dans le fonctionnement de la révolution scientifique et technique en cours. La marchandisation de l’information réduirait fortement son accessibilité par les populations, tout en permettant sur elle des interventions malveillantes de la part des capitalistes.

Les communistes devraient donc se donner pour première tâche révolutionnaire de démarchandiser l’information, de permettre que tous y accèdent, de veiller à ce qu’elle ne soit pas pervertie et manipulée, de la même façon qu’ils devraient proposer de démarchandiser la force de travail, grâce à la sécurité de l’emploi et de la formation.

A une économie et à une société structurées par des rapports sociaux d’appropriation privée et de marché, Paul Boccara suggérait que fut mise en place, à mon avis sans transition socialiste particulière, une économie et une société structurées par des rapports sociaux non marchands de partage et de coopération.

Il me semble que ce camarade concevait la révolution contemporaine comme étant à la confluence de deux mouvements, liés aux forces productives, un mouvement politique et culturel de développement de qu’il appela l’anthroponomie, ou processus d’affirmation croissante du rôle des hommes dans la société ainsi que de leur essence profonde, un mouvement économique complémentaire de démarchandisation généralisée des activités humaines, et d’abord celles de l’information et de la force de travail.

Je vais maintenant présenter une autre approche de la révolution contemporaine des forces productives.

3. Paul Boccara, Théories sur les Crises, la Suraccumulation et la Dévalorisation du Capital, deux volumes, 2013 et 2015, Editions Delga, Paris;

4. Paul Boccara, «Sur la révolution industrielle au XVIIIe siècle et ses prolongements jusqu’à l’automation», La Pensée, n°115, Juin 1964.

B) Les composantes de la cyber-révolution

Nous avons été quelques uns à considérer que les travaux de Paul Boccara, et les publications qui en témoignaient, méritaient mieux que ce qu’il en donnait à voir, sur la triple base de son prestige personnel, de sa position de pouvoir grâce à la Section économique du Comité central du PCF, au sein d’un PCF féodalisé, et finalement, sur la base du très faible degré de connaissances économiques, traditionnellement en vigueur dans cette organisation, plus portée sur la politique que sur l’économie.

«La révolution informationnelle», n’a pourtant jamais fait l’unanimité. C’est d’ailleurs rarement le cas dans le domaine de la théorie et c’est pourquoi il convient de préserver et d’affirmer la liberté de la recherche et de ses résultats. Parmi les communistes et syndicalistes que je connais et qui manifestaient de la distance avec cette théorie, je cite les noms de Francis Velain, Ivan Lavallée, Quynh Delaunay, Jean Lojkine, moi-même5.

Les deux ouvrages suivants aident à en faire la critique. Le premier, signé par Nigoul et Lavallée, a été acheté par environ 200 personnes. Le second, version remaniée et développée du premier, vient, sous la signature d’Ivan Lavallée, d’être publié par Le Temps des Cerises6. Espérons que son chiffre de vente dépassera les 250. En m’inspirant de leur lecture et en y adjoignant quelques éléments personnels d’analyse et d’interprétation, je vais dire, à l’aide de quatre thèmes, comment je comprends la révolution en cours des forces productives. Je ne prétends pas différer de Paul Boccara en tous points, ce serait absurde. En revanche, je prétends que ma compréhension du phénomène est différente de la sienne et peut conduire à d’autres conclusions.

Voici les quatre points que je vais développer. La révolution scientifique et technique en cours est :

a) une révolution de toutes les formes de travail et donc une révolution dans la population des travailleurs porteurs de cette révolution. Cette révolution touche directement la classe ouvrière issue de la révolution industrielle précédente.

b) une révolution du rôle de l’information et de la dialectique de l’information dans la conduite des affaires humaines.

c) une révolution du rôle de la science et de la connaissance scientifique dans l’activité et dans la vie des sociétés.

d) une révolution dans le rôle respectif des forces productives matérielles et humaines. Ce rôle respectif est d’abord bouleversé pour des raisons internes à la révolution scientifique et technique en cours. Il est ensuite complètement modifié pour des raisons externes, à savoir la révolution démographique, observable depuis les années 1950.

1) Une révolution dans les instruments de travail

Il est banal de dire qu’aujourd’hui l’ordinateur est partout. Que ce soit dans les entreprises et les administrations, que ce soit dans les laboratoires, dans les maisons ou sur les champs de bataille, ce qui était autrefois de la mécanique est aujourd’hui remplacé par de l’électronique et de l’informatique.

Mon propos n’est pas ici de faire l’exposé technique de cette situation et de son histoire, car je n’en ai pas les capacités. Il est d’indiquer, tout en m’inspirant du livre d’Ivan Lavallée, en quoi les ordinateurs modifient le travail humain. Les forces productives sont révolutionnaires parce qu’elles modifient le travail. En suivant des étapes, elles en redessinent le champ et la forme. Elles modifient le travail et produisent les travailleurs.

La machine universelle de Turing est l’ancêtre de l’ordinateur. «Le système technique de la Cyber-révolution est porté par la Machine de Turing Universelle, laquelle, en tant qu’universelle, est quasiment présente dans tous les artefacts humains et structure la société, modifiant tant ses façons de produire et travailler que sa façon d’être au monde» (p.42).

Qu’est-ce donc que la machine de Turing? Contrairement à ce suggère le terme de machine, la machine de Turing n’est pas «un objet matériel, palpable», une sorte de prototype. C’est un concept abstrait, exposé en 1936 par un mathématicien d’origine britannique, Alan Mathison Turing. C’est «une expérience de pensée», «un concept d’une puissance phénoménale, à l’origine de l’informatique et de la révolution numérique» (p.202).

Les ordinateurs sont sortis de cette matrice. Mais aussi indispensables et répandus qu’ils nous paraissent aujourd’hui, ce ne sont pas que des instruments banalisés. Ce sont les vecteurs de la théorie selon laquelle tout est nombre, comme le disait déjà Pythagore (p.98). On ne peut donc les réduire à la simple fonction de remplacer certaines opérations du cerveau humain. Ce qu’il convient de ne pas oublier, écrit Lavallée, est que derrière ces instruments se tient l’expérience de pensée de la machine universelle de Turing, la mère de toutes les machines (p. 99).

Or cette expérience de pensée énonce que «tous les objets, ainsi que les êtres vivants peuvent être représentés par des objets mathématiques… Tout ce que l’intelligence modélise, conceptualise et organise, décrit en structures, est modélisable mathématiquement : la linguistique, le droit, la philosophie, la sociologie peuvent utiliser la pleine puissance des mathématiques…Les hommes peuvent désormais penser mathématiquement le monde naturel, leur monde social, en rendre compte par des structures mathématiques, des nombres et des calculs…En unifiant les calculs des disciplines scientifiques, la machine de Turing universelle annonce des convergences dans l’industrie des hommes…Plus encore, le principe opératoire des machines de l’industrie est rendu obsolète par ce nouveau paradigme, qui va s’imposer partout où il s’agit de guidage sous quelque forme que ce soit» (p.101). Quelle peut être l’incidence des ordinateurs dans la vie des sociétés?

Cette incidence est double. Elle a d’abord trait à l’information, qui subit une révolution. J’en traiterai dans le point suivant. Elle concerne ensuite, et peut-être surtout, le travail. Je retiens deux angles d’observation du travail et de sa modification par les nouvelles forces productives.

Le premier est celui de la tendance à l’unification des travaux engendrés par la révolution industrielle. Par unification, il faut entendre tous les processus de rapprochement géographique et temporel des activités, ainsi que la tendance au rapprochement des formes d’intervention des travailleurs (du travail proprement dit).

L’ordinateur est partout et il tend à unifier les travaux de l’industrie et du commerce, de l’industrie et de l’administration, du secteur public et du secteur privé, de la production des entreprises et de celle des autres agents. Il tend à unifier les espaces de travail, domestique et d’entreprise. Il tend à unifier et à rapprocher le travail de production, de répartition et de consommation. Il tend à unifier les travaux dans l’espace, à les mettre en confrontation. Il tend à unifier le travail manuel et le travail intellectuel et fait subir de profonds changements à la classe ouvrière comme aux autres catégories de travailleurs, issues de la révolution de la machine-outil. Le concept de classe des travailleurs tend peut-être à remplacer celui de classe ouvrière.

On peut également se demander si la notion de «peuple» n’est pas en train d’acquérir une réalité pratique, sous l’effet des forces productives contemporaines. En résumé, l’outil a produit le travail agricole, et réciproquement. La machine-outil industrielle a produit le travail industriel et réciproquement. La machine universelle de Turing serait en train de produire le travail général, le travail dans toute sa plénitude.

Le deuxième est la tendance à l’extension des formes d’exploitation du temps de travail aux travailleurs de toutes catégories. Si l’on cherche à résumer l’histoire de l’exploitation capitaliste industrielle du temps de travail, on peut distinguer deux sous-périodes. La première est celle de l’exploitation intensive de la force de travail par le temps passé sur les lieux de production. C’est la période de la plus-value absolue. Elle s’étend jusqu’au début du 20e siècle. La résistance ouvrière est telle que les capitalistes dirigeants sont obligés d’envisager un changement de régime dans l’exploitation du travail.

C’est alors que s’ouvre la deuxième période, celle de l’exploitation du temps de travail avec beaucoup d’investissements et par production de plus-value relative. L’impérialisme capitaliste est né dans ce nouveau contexte. Cela dit, la production de plus-value relative a engendré à son tour de telles contradictions et une telle résistance de la part des ouvriers que ce régime d’exploitation a été contraint, autour des années 1970, à changer fortement. L’impérialisme s’est alors mondialisé, entrant en relation dialectique avec la nouvelle révolution scientifique et technique. Sous l’angle des forces productives, l’impérialisme contemporain n’est plus le même que celui analysé par Lénine et d’autres.

Le paradoxe de la nouvelle révolution des forces productives, en permettant l’extension et la généralisation des processus ouvriers de l’exploitation à d’autres catégories, a ouvert la possibilité de la mise en place de processus d’exploitation du travail reposant sur la production conjuguée de plus-value absolue et de plus-value relative.

Cette révolution est une révolution «bi-frons», à double face. D’une part, elle engendre des modalités d’exploitation renforcée du travail. Mais d’autre part, en raison de la croissance de la productivité du travail qui la caractérise, et de la formation de la classe des travailleurs à laquelle elle est associée, elle ouvre la possibilité de la libération complète des travailleurs devant toute forme d’exploitation.

5 Je renvoie notamment à La Révolution de Notre Temps, Note de la Fondation Gabriel Péri, Janvier 2012, ainsi qu’à Quynh Delaunay et Jean-Claude Delaunay, Lire le Capitalisme Contemporain, Essai sur la Société du XXIe siècle, 2007, Le Temps des Cerises, Paris.

6 Ivan Lavallée et Jean-Pierre Nigoul, 2002, Cyber-Révolution, Révolution Scientifique et Technologique, Mondialisation et Perspective Communiste, Le Temps des Cerises, Paris; Ivan Lavallée, Cyber-Révolution et Révolution Sociale, 2022, Le Temps des Cerises, Paris.

2) Une révolution dans le rôle de l’information et surtout de son traitement

Ce qui est intéressant, dans le livre de Lavallée, est la remarque suivante. La révolution en cours serait la conjonction de deux révolutions distinctes. La première serait «la révolution numérique», que je viens d’évoquer dans le point précédent. La deuxième serait celle de «la cybernétique». Mais il aura fallu que la révolution numérique acquierre force et vigueur, à travers toute une série d’inventions (transistors et microprocesseurs, développement des réseaux, Minitel…) pour que «la cybernétique» prenne réellement son envol, et entraîne le dépassement de ce que l’on nommait auparavant «la révolution scientifique et technique».

«La symbiose de la révolution numérique, la machine de Turing universelle, et de la cybernétique subliment et transcendent la révolution scientifique et technique, lui donnant une dimension tout autre, et in fine la dépassant qualitativement, ce qui nécessite un concept nouveau, celui de Cyber-Révolution» (p.140-141). Qu’est-ce donc que la cybernétique et quel est son lien avec l’information?

La cybernétique est née pendant la Deuxième guerre mondiale, dans des circonstances beaucoup plus concrètes que celle que connaissait Turing en 1936, à savoir la démonstration du premier théorème d’incomplétude de Gödel. Mais l’intérêt de ce rappel est de montrer que l’’information moderne tend à introduire les probabilités dans la vie courante

Je rappelle ces circonstances. Comment aider un poste de Défense contre les avions, ou DCA, à ajuster son tir sur une cible en rapide et permanent déplacement (l’avion), et qui vous fonce dessus? Norbert Wiener publia en 1948 le résultat des recherches effectuées pour résoudre ce type de problème, soit 12 ans après Turing. On peut dater de 1948 le début de la science de la Cybernétique et du début des années 1970 le commencement de la cyber-révolution.

Le concept d’information véhiculé par cette discipline sépare l’information de son contenu. Je laisse volontairement de côté les apports de Shannon, Kolmogorov ou Somonoloff sur ce concept (p. 106-107) pour centrer l’attention sur ce que je crois essentiel. Une information, au sens moderne du terme, est, selon Wiener, une interaction. «L’information, c’est l’information. Elle n’est ni matière ni énergie» écrit Wiener, bien qu’il faille de l’énergie pour la créer ou la diffuser et bien qu’il faille de la matière pour l’enregistrer et la stocker (p.204). Avec la cybernétique, ce qui est important, au plan scientifique, n’est pas l’information proprement dite mais le traitement de l’information. «Un élément central de cette Cyber-Révolution est l’importance prise par le traitement de l’information» (p.141). Et il est vrai que, lorsque le poste de DCA reçoit une information sur la position de l’avion ennemi, cette information est fausse puisqu’entre temps, l’avion a déjà bougé. «Il n’y a plus de modèle déterministe complet…On ne peut plus se contenter de prévoir ce qu’il faut faire…Ce qui compte, c’est le traitement des données…Ce qui était antérieurement le modèle devient de plus en plus le schéma de traitement des données, l’algorithme, le programme» (p. 108-109).

Les activités : scientifique, commerciale, productive, administrative, de transport, médicale, assurantielle, bancaire, préventive, écologique, climatique, etc…modernes, prend appui sur d’énormes base de données. Mais celles-ci n’ont de valeur que si elles sont constamment réalimentées.

3) La science dans la dynamique des forces productives

Mais pourquoi le terme de cyber-révolution? En quoi ce qui était vrai auparavant, à savoir le rôle de la science comme force productive, serait-il devenu erroné? Rien de tel n’est vrai. La Science (par exemple la science médicale ou la science de la vaccination) est aujourd’hui une force productive directe.

La véritable révolution des forces productives a été réalisée récemment lorsque s’est produite la conjonction de la cybernétique et de la machine universelle de Turing (p.207). Cette dernière et ce qui en a résulté, l’informatique, a donné aux théoriciens et praticiens de la cybernétique les moyens de déployer non seulement en pensée mais concrètement tout ce que nous pouvons savoir des interactions dans tel ou tel domaine, soit de la nature, soit de la société. «L’informatique est à cette nouvelle révolution ce que fut la machine à vapeur pour le XVIIIe siècle» (p.215). Cette conjonction a reposé sur un travail scientifique considérable. La science est consubstantielle aux forces productives modernes.

Il faut noter un élément supplémentaire, à savoir que chaque discipline, chaque science, est à son tour susceptible d’être dynamisée par la révolution cybernétique. Le terme de cyber-révolution vise alors à rendre compte de ce phénomène spécifique de dynamisation et de sa généralité. La révolution cybernétique, adossée à l’informatique en plein développement, traverse et dynamise toutes les sciences. C’est pourquoi notre époque serait celle de la CYBER-REVOLUTION. Ivan Lavallée reprend à son compte le concept de «système technique», de Bertrand Gilles, pour en parler. L’informatique serait le cœur du système technique que forme la Cyber-révolution. Toutes les sciences seraient pénétrées par la révolution cybernétique et toutes les activités en relèveraient potentiellement. Elles seraient en quelque sorte «scientifisées» par la cyber-révolution.

4) Le renversement du rôle respectif des forces productives matérielles et humaines

Quel que soit le nom qu’on donne à leur révolution, les forces productives désignent non seulement les matériels et l’énergie utilisés mais aussi les hommes.

C’est par effet de l’idéologie capitaliste, et de sa survalorisation du capital technique, que nous sommes enclins à «oublier» que les hommes (plus généralement la nature) font partie des forces productives.

Ce que l’on observe aujourd’hui, puisque la science est déterminante du fonctionnement de la société et de son efficacité, est que, dans les forces productives, le facteur humain tend à l’emporter sur le facteur matériel. Certes, la cyber-révolution ne peut être accomplie sans que, par exemple, la science des matériaux nécessaires ne progresse à son tour. Mais les scientifiques sont partout présents, soit en tant que concepteurs, soit en tant qu’agents et pilotes. Cela dit, la prédominance du facteur humain est, cela va de soi, combattue par les capitalistes.

Je souhaite attirer ici l’attention, de manière argumentée, sur le rôle contemporain des hommes dans le mouvement des forces productives, cela en raison de leur nombre, et pas seulement en raison de leurs savoirs et de leurs compétences. Le nombre de la population va peser et de plus en plus en faveur du développement économique général, quelles que soient par ailleurs les résistances. Comment cela est-il possible?

Les statistiques de la population mondiale montrent que cette dernière, qui était de 1.633 milliard en 1900, est aujourd’hui de 7.840 milliards. Elle a donc été multipliée par 5 en un peu plus de un siècle7. Si l’on examine maintenant les rythmes de variation de cette population, on observe qu’elle s’est accrue de manière accélérée tout au long du 20e siècle. Elle s’est accrue de plus en plus rapidement, atteignant son rythme maximal au cours des années 1960-1980, années au cours desquelles prit forme la nouvelle révolution des forces productives.

Tableau 1 : Répartition (%) de la population mondiale par grandes catégories de régimes et de développement

Années1960198020002021
Pays Socialistes33.032.522.619.8
Pays capitalistes développés
21.6

17.7

20.9

17.8
Reste du Monde45.449.856.562.4
Total (%)100.0100.0100.0100.0
Total (u=milliard)3.034.436.117.84

Le tableau 1 ci-dessus permet de compléter ces premières observations. En effet, ce n’est pas la quantité de la population qui est, de par elle-même, révolutionnaire. C’est cette quantité dans certains rapports sociaux. Pour illustrer mon propos, je dirai que la population chinoise a fortement augmenté au cours du 19e siècle. Ce n’est toutefois pas cette quantité qui ébranla la dynastie Qing. C’est cette quantité, agissant dans le cadre des rapports sociaux caractéristiques de l’époque Qing. Ils se révélèrent inaptes à satisfaire les besoins de la population nouvelle, et cette dernière, à son tour, se trouva en situation de chercher à le faire, ne fut-ce que confusément, jusqu’au renversement de la dynastie en 1911. Je vais appliquer ce raisonnement aux évolutions quantitatives contenues dans le tableau 1.

L’information la plus importante qui en ressort est, à mon avis, la suivante. C’est au cours des années 1980-2000 que «le reste du monde», c’est-à-dire la masse hétérogène des pays industriellement sous-développés et non socialistes, est devenue, sous l’angle de la population, majoritaire dans le monde. Ce reste du monde abrite aujourd’hui 62% de la population mondiale. Ce qui veut dire, par raison contraire, que la population des pays industriellement développés est minoritaire (38%).

On note également que cette population des pays développés est divisée en deux ensembles socialement distincts mais approximativement égaux en poids, l’ensemble socialiste (20%) et l’ensemble capitaliste (18%). L’ensemble socialiste a été réduit en poids au début des années 1990. Il n’en demeure pas moins majoritaire au sein des pays développés

Au début du 20e siècle, la population des pays sous-développés existait mais elle ne comptait pas aux yeux de ceux qui gouvernaient le monde. Elle était durement exploitée et totalement invisible. L’impérialisme, dont les marxistes observaient à cette époque la formation, était un système dont les composantes étaient les nations industriellement développées de l’Europe et de l’Amérique du Nord, structurées par les forces productives, certes plus évoluées mais néanmoins de même nature (la machine-outil industrielle) que celles de la révolution industrielle du 18e siècle.

L’impérialisme contemporain est un système structuré par d’autres forces productives, en particulier par la machine universelle et la Cyber-Révolution. C’est notamment pour cette raison qu’il a été conduit vers la mondialisation capitaliste autour des années 1970-1980. Sous l’effet de ce processus, la population des pays industriellement sous-développés a commencé d’exister, non seulement politiquement, comme ce fut le cas avec la décolonisation après 1945, mais économiquement, avec les implantations intensives de firmes multinationales.

Les classes dirigeantes des pays sous-développés ont alors eu le choix soit de se soumettre aux puissances impérialistes et de fonctionner comme bourgeoisies compradores, soit de penser à leur destin en conformité avec une vision nationale et de plus long terme que celle d’une servitude dorée. C’est pourquoi la population de ces pays, nombreuse, croissante, de plus en plus exigeante, a tendu et tend à orienter ces classes dirigeantes à la fois vers le choix de la souveraineté nationale et celui du développement.

L’état des lieux concernant «le reste du monde» est donc différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a un siècle sinon dans tous les pays qui le composent, du moins dans les plus grands d’entre eux. On peut le résumer à l’aide d’un triple mouvement, extrêmement complexe et contradictoire.

Le premier est la volonté des classes dirigeantes de ces pays de les développer en y implantant la révolution industrielle des 18e et 19e siècles ainsi que certains segments de la nouvelle révolution des forces productives. Ces classes dirigeantes sont quasiment toutes capitalistes, c’est-à-dire orientées d’abord par leurs propres intérêts de classes. Cela dit, elles tendent à intégrer cette orientation privée dans une approche macro-sociale, nationale, du développement .

Le deuxième mouvement est certes celui de la recherche, par les groupes monopolistes des pays capitalistes développés, des produits agricoles, des matières premières rares et des sources d’énergie bon marché que les pays industriellement sous-développés contiennent. Mais à ces objectifs classiques s’ajoute la recherches de nouvelles sources de production de valeur et de plus-value ainsi que de nouveaux marchés.

Le troisième est celui de la recherche de ces mêmes ress0ources rares par les pays socialistes, en particulier par la Chine socialiste.

La différence qualitative énorme existant entre les pays constitutifs de l’Impérialisme et les pays constitutifs du Socialisme est que ces derniers appuient les stratégies de développement, alors que les pays de l’impérialisme les combattent. C’est leur intérêt. Ils développent leur économie en fonction des intérêts de leur peuple et non en fonction d’intérêts monopolistes. Il s’en déduit des formes objectives d’alliance entre les pays socialistes et les classes capitalistes des pays en développement.

Les classes dirigeantes des pays capitalistes développés privilégient au contraire la prédation sur le développement, la guerre sur la paix. Elles ont détruit récemment un système de distribution dans divers pays d’Europe du gaz issu de Russie. Elles ont sciemment détruit des forces productives adaptées à notre temps et au développement dans le simple but de la rentabilité. Il s’en déduit que, malgré leurs ressemblances, de nature ou d’essence avec leurs homologues des pays en développement, elles entrent en forte opposition avec elles. Cette opposition peut aller jusqu’à l’antagonisme, la lutte à mort, comme c’est actuellement le cas entre les pays de. l’Impérialisme et la Russie .

C’est ainsi, me semble-t-il, que, à notre époque, la grande masse des forces productives humaines, celle des pays sous-industrialisés, participe au développement des forces productives et contribue à la maturation de la contradiction générale entre forces productives et rapports sociaux de production.

Le 21e siècle ne sera peut-être pas le siècle du socialisme, mais il sera certainement, si les rapports sociaux monopolistes sont à leur tour révolutionnés, celui de la généralisation du développement industriel.

7. Germaine Veyret-Verner, «L’accroissement de la Population Mondiale (1920-1960). Types d’Accroissement naturel et Essai d’Interprétation», Revue de Géographie Alpine, 1965, 53-4, p.525-558. En 1920, la population mondiale aurait été de 1.811 milliard.

Et pourtant les rapports sociaux de l’Impérialisme sont toujours là

Ce qui paraît surprenant, dans l’histoire du 20e siècle, est la très grande inertie des rapports sociaux de l’Impérialisme. Ils sont toujours en place. Les grandes bourgeoisies s’accrochent et tiennent la commande, tant bien que mal, mais elles y parviennent. Leurs agents, hommes ou femmes, pillent, volent, engagent des guerres sans en référer à qui que ce soit, donnent des ordres ignobles et sont bien souvent corrompus au delà de la moelle. Mais apparemment rien n’y fait.

Comment se fait-il, puisque tant de bouleversements aussi profonds que la Cyber-Révolution l’assaillent, que ce système n’ait pas succombé depuis longtemps à toutes les guerres qu’il a engendrées? Il y a bien longtemps que le poids de ses vices l’a emporté sur celui de ses vertus. Comment se fait-il que le puissant mouvement de socialisation des forces productives auquel nous assistons n’engendre pas, de manière plus massive, l’idée qu’il conviendrait enfin de nettoyer les écuries d’Augias en commençant par construire en France une société socialiste ?

Sans doute les marxistes savent-ils que les relations s’établissant entre les faits de la société et la conscience des changements qu’ils devraient impliquer prennent du temps à naître et cheminent parfois de façon tortueuse et compliquée. La question mérite cependant d’être soulevée si l’on souhaite accélérer, ne serait-ce qu’un peu, le mouvement de l’histoire. Cela étant dit, la base commune nous donne un élément d’explication des raisons pour lesquelles les Impérialistes, en France, peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles.

Lorsque la direction du PCF propose à ses militants un discours tel que celui contenu dans «la base commune», ma conviction est que la lutte ne peut pas être correctement menée dans ce pays contre l’Impérialisme et contre les grandes bourgeoisies qui le soutiennent. Ses idées sont trop confuses. Comment la cause de la Paix, qui est fondamentale et à la source de toute autre action, pourrait-elle l’emporter dans le contexte d’une pensée qui, visiblement, n’a pas la maîtrise d’elle-même?

Cela dit, ce n’est que mon avis et je ne suggère pas de le réécrire en entier puisqu’il a été adopté. En revanche, je suggère de l’amender très sévèrement sur un point, et cela en liaison directe avec le développement des forces productives à notre époque. Ce point concerne la Paix. Que signifie cette lutte, tant au plan national qu’international? Pourquoi la Paix est-elle nécessaire au bon fonctionnement des forces productives contemporaines?

Faire prévaloir des rapports sociaux de paix dans le monde

Les marxistes disent que la socialisation des forces productives engendre, au sein du capitalisme, une contradiction croissante avec les rapports privés de production. Je crois qu’il en est bien ainsi et que la première catégorie de rapports sociaux qui devraient et doivent être changés aujourd’hui dans le monde est celle des rapports sociaux de guerre pour leur substituer des rapports sociaux de paix.

De cela nous avons plusieurs illustrations récentes. La première est celle fournie par ces pipe-lines que l’on nomme Nord-Steam 1 et Nord-Stream 2. La Russie et l’Allemagne s’étaient entendues, l’une pour livrer du gaz à un prix avantageux et l’autre à en consommer de grandes quantités sur plusieurs décennies. Ces pipes furent donc construits, traversant la mer Baltique, étant ainsi indépendants de la Pologne et de l’Ukraine. Le 26 septembre 2022, ils furent l’objet d’un attentat qui les a rendus quasiment inutilisables pour toujours.

La deuxième illustration est celle fournie par le pont de Crimée. Cette infrastructure, longue de 19 km, relie l’actuelle Russie à la Crimée. Elle a été l’objet d’un autre attentat, le 8 Octobre 2022. Cette fois, le pont ne fut que légèrement touché.

Ces deux exemples montrent cependant que notre époque dispose, grâce aux nouvelles forces productives, de capacités techniques permettant de construire et de gérer de telles infrastructures. Mais traversant plusieurs pays ou de longue distances, elles sont, en raison de leur taille, infiniment vulnérables. Elles ne peuvent fonctionner convenablement, être réparées et utilisées sans risques que dans un cadre d’où les rapports sociaux de guerre soient exclus au bénéfice de rapports sociaux de paix .

Et puis que dire des satellites, qui peuvent être de puissants moyens de communication mais aussi des menaces mortelles? Que dire des réseaux sociaux, comme internet, qui peuvent tout aussi bien unir le monde que le diviser? Que dire de la monnaie électronique, si celle-ci peut être volée ou détournée par telle ou telle puissance? Comment le commerce, nécessaire pour se procurer les biens et les services dont on ne dispose pas, pourrait-il prospérer s’il est dans le pouvoir de telle ou telle puissance d’en bloquer le fonctionnement, comme le font aujourd’hui les Etats-Unis qui, depuis 3 ans, font obstruction au fonctionnement de la Cour Suprême de l’OMC, par ce que cela aurait toutes les chances de mettre en lumière leurs turpitudes ?8

Mais qui sont donc les pays et les dirigeants portant la responsabilité de faire prévaloir aujourd’hui, dans le monde, des rapports sociaux de guerre sur des rapports sociaux de paix? La réponse à cette question est à mon avis très simple. Il suffit, si l’on est marxiste, d’observer la réalité. Le marxisme n’est pas une expérience de magie. C’est une théorie dont l’ambition est scientifique. Elle doit donc reposer sur l’observation et non sur les fantasmes et l’imagination. Or le texte de la base commune révèle une double défaillance.

La première est la méconnaissance de ce qu’est l’impérialisme contemporain, concept pratiquement jamais utilisé et remplace par celui de capitalisme neo-libéral, comme si le PCF était devenu une annexe d’Attac. La deuxième est l’acceptation des mensonges les plus grossiers concernant la Russie comme étant l’expression de la vérité. Voyons successivement ces deux défaillances.

8. « Le Monde ne peut pas rester les bras croisés si les Etats-Unis insistent pour suivre leur propre voie», éditorial de Global Times, 25/12/2022. Ce texte a été reproduit par divers sites, en particulier Histoire et Société et Le Saker Francophone.

Qu’est ce donc que l’Impérialisme aujourd’hui?

Est-il besoin de le rappeler, l’impérialisme n‘est pas le capitalisme. C’est le capitalisme arrivé à un stade particulier de maturité, lui-même caractérisé par l’existence de monopoles suffisamment puissants pour pervertir à leur avantage tout le fonctionnement de la société.

Au début du 20e siècle, l’impérialisme était fondé sur les forces productives de la machine-outil industrielle. C’était un impérialisme de nations concurrentes. Elles se sont faits la guerre, à mort.

Quand il décrit l’Impérialisme, Lénine peut observer l’horreur des champs de bataille de l’époque. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il parle d’un «capitalisme pourrissant», d’un «capitalisme en pleine putréfaction». Mais il ajoute aussitôt : «Ce serait une erreur de croire que cette tendance à la putréfaction exclut une croissance rapide»9.

L’histoire montre qu’il avait pleinement raison. Il est vrai que la Première guerre mondiale fut un massacre. Mais cela fut surtout vrai en Europe. Car les Etats-Unis en tirèrent profit, sans en subir les conséquences. Il en fut de même lors de la Deuxième guerre mondiale. L’Europe et l’Asie, furent les théâtres de cette putréfaction. Mais la grande bourgeoisie monopoliste des Etat-Unis, entrée tardivement dans ce conflit, sut habilement en tirer profit, sans subir de dommages sur son propre territoire, en y développant au contraire les technologies les plus avancées, ainsi qu’une puissante industrie de l’armement.

L’analyse marxiste de l’impérialisme fut, à tort, trop souvent, une analyse apocalyptique de l’évolution du système impérialiste. Il en fut de même concernant la capacité de ce système à développer les forces productives. Ce qui s’est imposé est la conviction que l’impérialisme, c’était inévitablement la récession et la stagnation.

Il est une nation, cependant, qui n’a pas mal vécu cette période. Ce sont les Etats-Unis10. Pendant que les grandes bourgeoisies européennes s’étripaient, la grande bourgeoisie américaine faisait ses choux gras des guerres européennes. Elle leur a accordé des crédits généreux pour faire marcher ses propres monopoles. Elle en a profité pour interdire à l’Allemagne et au Japon de produire des armes. Elle en a en revanche beaucoup vendu dans les guerres de décolonisation. Dans le contexte où l’impérialisme était formé de nations impérialistes, complémentaires et rivales, le gaullisme connut son heure de vérité.

Tout cela a duré jusque vers les années 1970-1980. A partir de ces années, l’impérialisme s’est lancé dans la mondialisation capitaliste et, pour cette raison, a fait évoluer les forces productives le structurant. Celles-ci sont à leur tour devenues des forces productives de portée mondiale, en sorte que le grand Capital nord-américain s’est trouvé en situation, d’ une part de s’ouvrir au monde et d’autre part d’investir le monde. Oui, mais en force. Alors que l’impérialisme était un impérialisme de plusieurs nations, il est devenu l’impérialisme d’une grande nation, se subordonnant toutes les autres composantes de l’impérialisme et affirmant sur le monde entier sa volonté d’établir un rapport de force en faveur de l’impérialisme et d’abord de ses propres monopoles.

L’impérialisme actuel est une inter-pénétration accrue de tous les capitaux monopolistes, d’abord dans les pays développés eux-mêmes, et c’est la subordination contradictoire des différents Etats impérialistes à l’Etat monopoliste américain. Or la caractéristique déjà ancienne de cet Etat, c’est d’une part de vendre des armes en grande quantité, plus que tous les autres Etats, et c’est d’autre part d’organiser des guerres nombreuses, hors de son territoire, en faisant se battre d’autres armées que les siennes à sa place. C’est exactement ce que l’on observe aujourd’hui en Europe centrale et plus particulièrement sur le champ de bataille ukrainien. Cela dit, les grandes bourgeoises, française, allemande, italienne, britannique, autres, sont totalement complices.

9. Lénine, 1917, L’Impérialisme Stade Suprême de Capitalisme, Marxist archive.net

10. Victor Perlo, American Imperialism, Sage Publications, 1951.

Et la Russie dans tout ça?

Voyons maintenant le rôle de la Russie dans le conflit soit disant ukrainien, et d’abord la description de ce rôle dans la base commune.

Comme il se devait, «le méchant Poutine» est, dans ce texte, aux premières loges de l’accusation. «L’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine est injustifiable et criminelle». Il y a quand même un phénomène dont des rédacteurs de la «base commune» ne pouvaient manquer de tenir compte, ce sont les accords de Minsk, signés en 2014. «Si elle fut déclenchée dans le contexte de la non application par le gouvernement ukrainien des accords de Minsk…et de l’expansion vers l’Est…elle a des effets en chaîne désastreux dans tous les domaines et d’un danger extrême pour les peuples».

Ce genre de phrase vaut vraiment, comme on voudra, son pesant d’or ou de cacahuètes. Et moi qui croyait que les gouvernements, français et allemand11, étaient co-responsables, avec le gouvernement ukrainien, de cette application!!!. Mais non, nous dit la base commune, ce sont les Ukrainiens. Ah oui, il y a eu l’extension de l’OTAN vers l’Est. Mais apparemment, pour les rédacteurs de la base commune, il s’agit d’un détail.

En effet, nous dit encore cette base, les effets en chaîne de la riposte militaire de la Russie à cette extension sont dès à présent si désastreux que, vraiment, le chef de ce gouvernement ne peut être autrement qualifié que comme étant un criminel.

Moi, quand j’ai lu cela, je me suis demandé comment les rédacteurs de la base commune pouvaient prétendre mener en France un combat pour la souveraineté nationale. Supposons que le socialisme advienne dans ce pays et que, à Sarrebrück, à Francfort sur le Main ou à Brighton, des lances-missiles soient pointés sur Paris, que feraient ces communistes?

Apparemment, ils, elles, se rendraient peut-être en délégation à Berlin, à Londres, à Washington, je ne sais où, pour demander : «S’il vous plaît, ne soyez pas méchants, ne pointez pas ces missiles sur la Tour Eiffel, c’est l’une de nos dernières sources de revenus »? Ils, elles iraient voir M. Gutterez pour lui demander d’intervenir auprès de Mr Biden?

Je pèse mes mots en disant que j’espère que ces propos feront l’objet d’un rejet sévère de la part des communistes français.

Ce n’est pas tout. Parce qu’on peut lire aussi dans le texte de la base commune : «l’impérialisme américain, contesté, est à la recherche de nouveaux moyens de domination». Une personne peu attentive pourra se dire : «Bon, les Russes sont mis en accusation dans cette base commune, mais les Américains le sont aussi. Finalement, il y a bonne mesure». Si vous avez cette réaction, vous n’avez pas compris ce que je me suis efforcé de vous expliquer précédemment et j’ai dû manquer totalement de clarté.

Car l’impérialisme américain, cela n’existe plus. Sous l’effet de la mondialisation capitaliste et des nouvelles forces productives impulsées dans ce cadre, ce qui existe désormais est L’IMPÉRIALISME (français, allemand, britannique, belge, hollandais, polonais, nord-américain, etc…certes traversé de contradictions mais beaucoup plus unifié qu’en 1914 ou en 1945 et tout cela SOUS CONDUITE A LA FOIS IMPOSEE ET ACCEPTEE DE LA GRANDE BOURGEOISIE NORD-AMERICAINE ET DE SON ETAT.

Ce que j’énonce n’a rien à voir avec le super-impérialisme à la Kautsky, qui était un super-impérialisme supposé pacifique et intelligent. Ce que je dis vient de l’observation. Après l’attentat contre Nord Stream, par exemple, les Allemands n’ont rien dit. Ils ont pourtant payé pour cette infrastructure. Non, ils se sont «écrasés». Pourquoi? Pour faire plaisir à la Serbie? Non, pour la raison que ce que leur font les USA, ils l’acceptent, «ils ferment leur gueule». Pour l’instant.

Autrement dit, en désignant l’impérialisme comme étant «l’impérialisme américain», les rédacteurs de la base commune dédouanent tout simplement la grande bourgeoisie française ou la grande bourgeoisie allemande, ou la grande bourgeoisie britannique, ou la grande bourgeoisie espagnole de leurs responsabilités directes dans la guerre qui menace actuellement l’Europe.

Et je crois que, en fin de compte, tel est l’état d’esprit des rédacteurs de la base commune. Ils dédouanent quasiment tout le monde sauf le méchant Poutine. Voilà ce qui est écrit en conclusion de leurs brillantes analyses : «Dans une situation où les politiques de force entrainent le monde dans la guerre, il est impensable de s’aligner sur un camp. Il est nécessaire de développer une politique indépendante répondant aux intérêts des peuples».

Cela signifie, clairement selon moi, qu’il n’est pas question, pour ces rédacteurs de la base commune, de prendre partie pour «l’impérialisme américain» ou pour «le régime de Poutine, à l’opposé de toute politique progressiste, tant par son capitalisme rentier que par la résurgence d’un chauvinisme impérial grand russe réactionnaire…». Dénoncer ce qu’ils appellent l’IMPERIALISME AMERICAIN (sans dénoncer explicitement l’impérialisme français, allemand, britannique, etc) comme étant le système faisant prévaloir, aujourd’hui, dans le monde, des rapports sociaux de guerre sur les rapports sociaux de paix, non mais vous n’y pensez pas?

Il convient au contraire, selon les rédacteurs de la base, de renvoyer tous ces gens dos à dos, et d’agir «de manière indépendante», sans combattre les véritables fauteurs de guerre.

11. On pourra consulter à ce propos les déclarations récentes faites par Angela Merkel à l’hebdomadaire Die Zeit. Cet entretien a été reproduit par Histoire et Société (Merkel et Hollande : la forfaiture des accords de Minsk et le silence des médias français. Pourquoi?, 24/12/2022).

Éléments de conclusion de mon intervention

Au terme de cette intervention, voici quelques uns des éléments de conclusion auxquels je parviens.

  1. Le développement des forces productives contemporaines est d’abord un développement des forces productives matérielles, dont l’une des branches est l’informatique, et l’autre branche, la cybernétique.
  1. La symbiose de l’informatique et de la cybernétique s’est produite autour des années 1970, années qui furent aussi celles du processus d’intensification de la mondialisation capitaliste.
  1. La cyber-révolution suppose que son fonctionnement repose d’une part sur la constitution de bases de données, dans tous les domaines possibles et imaginables, sur leur enrichissement en continu, sur la mise en œuvre d’algorithmes puissants de traitements de ces données en cours de renouvellement permanent.
  1. La cyber-révolution repose d’autre part sur la constitution de réseaux facilitant la circulation de ces données et des résultats obtenus. Qui possède la maîtrise des bases de données et la maîtrise des réseaux possède aujourd’hui le monde.
  1. Elle suppose donc, pour bénéficier au plus grand nombre, une coopération mondiale et l’établissement de rapports sociaux mondiaux de paix.
  1. L’impérialisme de la fin du 20e siècle est donc différent de celui de son début. C’est un impérialisme dont la commande est d’autant plus autoritaire que le pays capitaliste dirigeant le processus de mondialisation monopoliste est aussi le pays situé à l’avant-garde de la Cyber-Révolution. L’Impérialisme s’est unifié sous commandement nord-américain.
  1. Les évolutions démographiques montrent que le nouvel impérialisme veut non seulement détruire le socialisme mais qu’il veut dominer les pays industriellement sous-développés, et qui veulent se développer. Ils sont très largement majoritaires dans le monde en population.
  1. Ils veulent notamment dominer la Russie. Ce pays, c’était pour eux beaucoup mieux quand il était dirigé par une bourgeoisie compradore.
  1. Alors ils ont pris le risque de déclencher une troisième guerre mondiale. Ils sont affaiblis et, pour cette raison, dangereux. Il va falloir trouver les moyens de les neutraliser.
  1. Le problème pour le nouvel impérialisme est de n’être plus seul au monde. Le monde est d’ores et déjà bi-polaire, avec ces satanés Chinois, dont nous, communistes français, devrions nous méfier comme de la peste, nous dit à peu près l’actuelle rédaction de la base commune. Et il y a ces pays en développement, fussent-ils capitalistes, qui peuvent et veulent prendre appui sur le socialisme développé pour assurer leur propre développement.
  1. Voilà, en gros, en très gros, ce que j’ai voulu dire. J’ai souligné un point. La base commune est une aberration sur le point que j’ai retenu de critiquer. Il faut le ré-écrire de fond en comble. Nous sommes des communistes. Nous ne ne sommes pas des supplétifs de l’OTAN.
  1. Peut être cette base est-elle une aberration sur d’autres points? C’est possible. Mais je ne suis pas le Chevalier blanc. Je ne suis qu’un modeste communiste, un modeste marxiste. J’espère bien que d’autres que moi s’empareront de cette base pour la rendre enfin commune et peut être surtout communiste.

Texte rédigé par :

Jean-Claude Delaunay

Nanning

(République Populaire de Chine)

Janvier 2023

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14 Commentaires

  • LEMOINE Michel

    Ma contribution ! Je me permets d’attirer l’attention sur la notion de classe montante (plutôt que classe révolutionnaire) qui ouvre un nouveau champ à l’action communiste.
    https://lemoine001.com/2020/05/22/reponse/

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  • Franck Marsal
    Franck Marsal

    C’est un texte vraiment remarquable et qui ouvre un grand nombre de portes vers l’avenir. Ce qui est formidable avec ce blog, c’est l’accumulation patiente de compréhension qui s’y organise progressivement. Aujourd’hui, premijer janvier, alors que l’essentiel de l’activité intellectuelle est en congé, ici, ça fourmille, ça bouillonne, ça surgit. Quel bonheur !
    Ce texte très riche arrive pratiquement en même temps que la traduction du texte de Hu Yuwei sur la prospérité (en tous cas le développement) apportée par la Chine en Amérique du Sud, qui vient comme une énième confirmation de l’analyse de Jean Claude et celui de Timofei Bordachev, sur la fin constatée de l’ancien ordre mondial. Tout cela converge et, comme le dit un autre texte, on voit la cîme du mat émerger de la tempête (ou, si on se considère sur le bateau, on voit la lumière du phare traverser cette tempête).

    Comme le dit Jean-Claude, il y a longtemps que le “reste du monde” est majoritaire. Le reste du monde, ce sont essentiellement les anciennes colonies capitalistes, dont le développement est entravé, empêché par l’impérialisme.

    Mais, comme il le souligne également, ce n’est pas l’augmentation de la population qui transforme les sociétés, mais cette augmentation prise dans des rapports sociaux particuliers. Cette remarque est très éclairante !

    En fait, en écrasant la Commune de Paris, la bourgeoisie française avait mis un couvercle sur le développement révolutionnaire : celui du pouvoir d’état et de l’armée, la chose militaire sur laquelle elle avait de l’avance. Cela a tenu un certain temps, empêchant largement le développement révolutionnaire et contraignant à la “conquête pacifique” de réformes au sein des cittadilles impérialistes européennes.

    Puis, les contradictions s’étant développées, cela a craqué. La révolution bolchévique en Russie est parvenue à briser l’étau militaro-politique, à établir le premier état ouvrier, certes dans un pays arriéré et isolé. Pendant un temps, la situation militaire s’est développée. Les impérialistes ont essayé de briser le nouvel état, par la guerre civile, mais ça n’a pas marché. Le fascisme s’est développé et on a essayé de briser l’URSS par la plus formidable machine de guerre industrielle, celle de l’Allemagne Nazie. Mais l’URSS – et la Chine également – est sortie victorieuse (au prix terrible de dizaines de millions de morts).

    L’impérialisme avait face à lui une puissance militaire de premier rang, qu’il ne pouvait plus espérer défaire, mais qu’il devait contenir. En même temps, le système colonial explosait. De nombreux pays se rangeaient du côté du socialisme et du côté du développement (le mouvement des “non-alignés”).

    Après la défait américaine au Vietnam, l’impérialisme a tenté d’utiliser la dernière carte qu’il lui restait : le pouvoir financier et monétaire. L’ensemble du monde qui tentait de se libérer du colonialisme et de l’impérialisme était très arriéré, et dans le besoin crucial de capitaux et de technologies pour son développement. Même l’URSS était dans ce besoin, face à son immense territoire. Peut-être qu’une autre politique économique aurait permis d’accélérer encore le développement, mais cela n’a de toutes façons pas eu lieu.

    C’est un véritable chantage mondial qui a été exercé durant plusieurs décennies pour ralentir et même bloquer et empêcher tout développement économique de ces anciennes colonies. Non seulement on bloquait le développement, notamment sur la question clé des infrastructures, mais on inondait les pays en développement de produis industriels pour les empêcher de se développer de manière autonome, on leur imposait de suivre la voie dictée par l’impérialisme, on bloquait la construction d’infrastructure, on mettait à l’écart, parfois par l’assassinat ou les coups d’états, tout dirigeant qui cherchait une autre voie.

    Après que l’URSS ait réussi à lever la contrainte militaire, c’est la Chine socialiste qui a vaincu (est en train de vaincre) les obstacle au développement, le chantage financier et technologique. Un autre monde émerge.

    Tu as également tout à fait raison d’insister sur le contrôle de l’information, enjeu crucial du 21ème siècle. Il y a, je pense, une dimension qui mérite d’être soulignée et développée, c’est le contrôle de la pensée qu’apporte l’industrie de l’information et de la communication, née du marketing et de la culture de masse et dont les USA se sont arrogée rapidement le contrôle quasiment exclusif. Cette industrie permet de contrôler largement l’image du monde et de la déformer. On peut proclamer que “la classe ouvrière a disparu” puisque dans l’image que les médias renvoient du monde l’occulte totalement et la rende invisible. De même, il est facile de mobiliser le soutien à l’Ukraine, y compris dans un parti comme le PCF, puisque tous les bombardements, les oppressions, les agressions et les crimes du régime ukrainien contre les populations civiles du Donbass ont été rendus invisibles.

    Je partage également tout ce que tu dis sur l’impérialisme et je crois que c’est très important. Et la manière nuancée et subtile dans laquelle tu le fais est très juste : l’impérialisme s’est unifié (‘Sous l’effet de la mondialisation capitaliste et des nouvelles forces productives impulsées dans ce cadre, ce qui existe désormais est L’IMPERIALISME (français, allemand, britannique, belge, hollandais, polonais, nord-américain, etc…certes traversé de contradictions mais beaucoup plus unifié qu’en 1914 ou en 1945 et tout cela SOUS CONDUITE A LA FOIS IMPOSEE ET ACCEPTEE DE LA GRANDE BOURGEOISIE NORD-AMERICAINE ET DE SON ETAT.”). Et comme tu le soulignes, cela n’a rien ç voir avec le super-impérialisme à la Kautsky. C’est très important de le nuancer comme cela, car il faut à la fois voir l’impérialisme dans son ensemble, qui agît de manière unifiée et coordonnée et en même temps, ne pas perdre de vue, comme tu le soulignes, que l’ennemi principal demeure la bourgeoisie de notre propre pays. Cette bourgeoisie est constituée par son adhésion au projet impérialiste global et par son intégration au sein de celui-ci. Il serait donc absurde de vouloir se concilier notre propre bourgeoisie pour lutter contre l’impérialisme. Au contraire, c’est en luttant contre elle, en lui disputant le pouvoir que nous pourrons seulement poser réellement la question de la souveraineté nationale.

    La question de la révolution cybernétique et informationnelle permet aussi d’envisager de manière radicalement nouvelle la construction d’un monde à dominante socialiste. Le libre partage de l’information et du savoir est la réelle condition de la souveraineté de chaque pays dans un ponde en paix et en harmonie. L’accès à la propriété intellectuelle, aux inventions, aux connaissances, au savoir et aux formes condensées (les informations numériques) de ces savoirs sont la clé du développement partagé et harmonieux. Les échanges internationaux de marchandises n’ont plus alors pour rôle que d’équilibrer les différences créées par les conditions naturelles et géographiques. La France, si elle prenait le chemin du socialisme aujourd’hui, serait à même de jouer un grand rôle dans la mise à disposition de tous les pays de beaucoup de savoirs techniques, scientifiques et industriels. Nous pourrions nouer, en lien avec le projet BRI, un grand projet de co-développement international, mille fois plus pertinent que la chimère de l’unification européenne, dans lequel nous perdons un temps considérable.

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    • Gilleron
      Gilleron

      Tant à propos de l’impérialisme (défini par Jean-Claude comme “Unifié sous la conduite étasunienne” (laquelle traite les bourgeoisies nationales comme des larbins [cf. Allemagne-Nord-stream]) qu’à propos de la nouvelle forme de mode de production que représente la substitution au mode de production “machine-outil + énergie thermique (vapeur et fioul)” du mode de production dont je reprends ses termes pour ne pas le trahir : “La véritable révolution des forces productives a été réalisée récemment lorsque s’est produite la conjonction de la cybernétique et de la machine universelle de Turing. Cette dernière et ce qui en a résulté, l’informatique”, je suis totalement d’accord avec tout ce qu’a écrit le camarade (qui est proprement bluffant) et avec ton commentaire qui montre que tu l’as bien mieux compris que moi.

      Répondre
  • Reitnomud Sined
    Reitnomud Sined

    Salut Jean Claude
    Avec tous mes vœux de prospérité pour toutes les années à venir.
    J’avoue tout de suite: je n’ai jamais lu Paul Boccara !
    Pour la bonne et simple raison que tout au long des aléas de ma vie syndicale (CGT bien sûr),
    sans être en aucune mesure un “chemise cravate” apparatchik,
    j’ai eu l’occasion de pénétrer plusieurs fois le “Saint des Saints” de leurs sanctuaires idéologiques (celui des Chefs).
    Des bureaux de chefs, de super-chefs, de cadres échelle lettre, enfin d’une pléthore de gugus plus ou moins assermentés par le gratin; j’en ai visité quelques uns…
    bien souvent en groupe, en ligue, en processions…
    avec des Pataugas, chaussures de sécurité, recouvertes de graisses et de cambouis…
    C’était à moi d’ouvrir la “négociation”, “discussion”, “le nous revendiquons…”
    Bref, on ne va pas refaire l’histoire.
    Tous ces pontes avaient derrière eux une simili bibliothèque sensée impressionner l’assistance sur la cohérence philosophique de leur pensée “humaniste”.
    Je n’ai jamais croisé un “Chef” sans son défilé de bouquins de Boccara derrière lui.
    Bref, simple déduction: Boccara bouquins de chefs…
    Aussi simple que ça !
    “Si ton chef est d’accord avec ce que tu viens de dire,
    réfléchis très vite à la connerie que tu viens de déclarer !”
    Je ne sais plus de qui c’est, peut être de Benoît Frachon, mais ce fut et c’est encore une de mes Bible de chevet.

    Hasta la Victoria Siempre

    Reitnomud Sined

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  • Xuan

    Merci pour ce cadeau de fin d’année, Jean Claude et merci à Danielle, je vous souhaite à tous deux une excellente année 2023 ainsi qu’à tous les camarades !

    C’est une remarquable contribution. Loin de ressasser les sermons réformistes et les opinions toutes faites, elle nous aide à réfléchir aux transformations en cours.

     

    Non seulement le monde occidental est minoritaire et son industrie de propagande ne représente plus l’opinion internationale, mais les forces productives se développent, et principalement en Asie. Elles s’opposent en particulier à la politique de découplage initiée par Trump et poursuivie par les Démocrates, qui constitue l’obstacle majeur au développement des forces productives mondiales et à la « communauté de destin de l’humanité», suivant l’expression de Xi Jinping..

     

    Mikhaïl Morozov, chroniqueur du journal “Trud » relevait le 29 décembre dans Svpressa que « la Chine, “grâce” aux interdictions américaines, a dépassé le monde entier dans le développement », en déposant mi novembre une demande de brevet auprès de l’Office national de la propriété intellectuelle des États-Unis pour la technologie de photolithographie ultra-rigide aux ultraviolets (EUV), brisant le monopole d’ASML qui avait été «interdit de commerce» avec la Chine par les USA.

    La Chine Populaire produirait déjà par ses propres moyens des micropuces de 7 nanomètres.

    Egalement, cent dix villes fournissent déjà des services en 5G, entièrement couverts par la fibre optique. Cette année la norme 5G pourra servir plus de 40 % des utilisateurs de mobiles.

     

    Cela signifie que la politique de découplage des USA échoue et n’a aucun avenir, y compris dans le domaine de la cyber-révolution où son avance tend à fondre.

    Parallèlement le déclassement du covid de A à B par la Chine Populaire nous dit aussi que malgré toutes ses difficultés, elle va repartir de plus belle dès cette année dans son propre développement, et contribuer à celui des forces productives dans le monde entier.

     

    Comme l’explique Jean Claude, l’impérialisme actuel n’est pas un « super-impérialisme ».

    La « finance transnationale » désignée ainsi, autant par la social-démocratie que par les souverainistes, est aussi un concept erroné parce qu’en soulignant unilatéralement l’interconnexion commerciale et financière, il dissimule l’hégémonisme des USA et absout nos propres impérialismes. 

    D’autre part l’unité actuelle du camp occidental n’est qu’un aspect, fondé essentiellement sur une « communauté de pensée et de principes démocratiques», opposée aux pays « totalitaires ».

    Mais la seule communauté de pensée des capitalistes est la recherche du profit maximum, et leur développement inégal aboutit inévitablement à l’oppression et aux conflits.

    Le second monde est à la fois uni aux USA et dominé par eux. Autant dire qu’entre le marteau US et l’enclume du monde émergent, il n’y a pas de troisième voie.

     

    En se pliant au diktat hégémoniste, parfois contre l’intérêt de leurs propres monopoles, les bourgeoisies européennes créent elles-mêmes la pénurie et l’inflation, appauvrissent les masses, prolétarisent des catégories intermédiaires, détruisent l’artisanat et la petite industrie. Elles approfondissent les contradictions de classe et se mettent en danger.

    Elles accentuent aussi les divergences d’intérêts entre elles, comme nous l’avons déjà observé lors des crises de l’euro, des réfugiés, du Brexit, des vaccins anti covid, puis de l’énergie.

    De sorte que la situation actuelle, où les bourgeoisies européennes ont mangé leur chapeau pour constituer un front commun impérialiste, est temporaire. Les divisons dans le maillon faible de l’impérialisme devront inévitablement éclater. 

    “Pour la méthode dialectique, ce qui importe avant tout, ce n’est pas ce qui à un moment donné paraît stable, mais commence déjà à dépérir ; ce qui importe avant tout, c’est ce qui naît et se développe si même, à un moment donné, la chose semble instable, car selon la méthode dialectique, il n’y a d’invincible que ce qui naît et se développe”. [Staline – matérialisme dialectique et historique]

    La lutte pour la paix et contre la vie chère s’oppose ainsi à la fois à l’hégémonisme des USA et à nos propres monopoles. Elle devient de ce fait une lutte pour le socialisme, qui nécessite la direction du parti communiste, un parti révolutionnaire. 

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  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    La thèse de Paul Boccara sur la privatisation et la marchandisation de l’information ne cadre pas parfaitement avec la réalité du développement informatique.

    J’essaierais peut-être d’étoffer cette réflexion.

    Une fonction particulière indispensable au déploiement de l’informatique et la capacité à copier facilement les traitements et les informations sur toutes les machines de Turing développées.

    Dans un premier temps, y compris la réalisation de Turing lui même repose encore sur du câblage pour pouvoir traiter des volumes de données qui n’ont rien à voir avec ce qu’est capable de faire aujourd’hui votre smartphone.

    Rapidement le support de l’information qui reste très souvent externe à la MTU qui va les traiter devient papier, des bandes perforées ou des fiches identiques à celles des métiers à tisser.

    Ces supports papier sont difficilement reproductibles et peu maniables.

    Rapidement viennent les supports magnétiques, déjà utilisés pour stocker le son, ce sont des bandes magnétiques, toujours aussi peu pratiques. J’ai écris mes premiers programmes à 14 ans sur un Oric-1 qui accédait aux données via un magnétophone qu’il fallait choisir d’une certaine qualité, et où, pour lire les cassettes audio contenant le programme et les données, il fallait ajuster le son avec précision. Bref pas très pratique et réservé à quelques passionnés.

    Rapidement viendront les disquettes, souples au début et bien plus pratiques, avec un lecteur dédier à l’ordinateur et qui fonctionnait à presque tous les coups.

    Les supports magnétiques et les disquettes permettaient de copier et distribuer facilement programmes et données.

    Pour apprendre à faire mes premiers programmes, je devais acheter des livres comme au temps de Gutemberg et des revues, plus rarement des packs avec des cassettes contenant déjà le programme, la vente de ces ordinateur restait anecdotique. Je devais être le seul dans le quartier.

    Une fois le programme écrit, ou même acheté, rien n’empêchait de le copier et le diffuser, avec les disquettes et la popularisation des ordinateurs dans les années 90 c’est le règne de la copie pirate.

    Les premières protections antipiratage apparaissent avec la monté en puissance des ordinateurs, rapidement le développement des “cracks” permettent de facilement écraser la protection et rendre le logiciel “libre”.

    Les pirates de logiciels revendiquent le droit à l’essai du logiciel et encourage à acheter le produit s’il est adopté.

    C’est ce même piratage qui va encourager le développement du débit Internet grand public multiplier la diffusion libre, de logiciels, puis de musique et de vidéo, préparant la naissance des plateformes multimédia que nous connaissons aujourd’hui.

    L’usage massif du piratage a changé les usages et permis le développement de technologies “libératrices”, il y a une revendication politique dans cette période qui coïncide avec le développement des logiciels libres et des projets comme GNU qui vont faire progresser de manière importante le logiciel libre et l’adoption de normes et des données ouvertes.

    Il y a là une compréhension très claire de l’importance de la fonction sociale du partage qui est facilitée par l’informatique ; c’est aussi le développement du Web.

    La tendance y compris industrielle dans le logiciel n’est pas à la privatisation des information ou des programmes mais au contraire au partage et de nombreux logiciels sont en open source: ce qui permet leur développement à moindre coûts.

    Chrome de google est basé sur Chromium qui est volontairement open source ; dans le le jeu vidéo la mode des modifications laisse les communautés de joueurs développer leur propre monde: décors, scenarios, musiques,…. dans l’univers du jeu vidéo il est aujourd’hui impensable de sortir un jeu qui ne permette pas au joueur de diffuser sa partie en ligne et de jouer avec d’autres joueurs ; on ne joue plus contre l’ordinateur.

    Le monde informatique s’ouvre sans cesse et cette ouverture l’alimente autant dans les contenus que dans la technologie matérielle par les nouvelles exigences des utilisateurs: plus de réalisme, 3D, réalité virtuelle, etc,…

    C’est d’ailleurs cette ouverture gratuite qui fonde la matière qui fait la richesse des GAFAM et n’oublions pas de leurs clients et plus rarement de leurs utilisateurs.

    Pour que Google devienne populaire il faut que les sites soient accessibles gratuitement et librement, c’est pour ça que dans les journaux en ligne payant le titre et le chapeau sont libres et gratuits ce qui est indispensable au référencement.

    Comme le signale justement Lavalée, la richesse vient du traitement des données, c’est à dire d’informations sélectionnées et déjà un peu préparées, ce qui fait la fortune des spécialistes du Big Data qui sont censés analyser, traiter les informations et en tirer de la valeur pour les clients: annonceurs, marketings, gouvernements, cliniciens, militaires,…

    Une plateforme de marché comme Amazon ou Alibaba permet d’accéder aux prix et de comparer les produits avec une facilité démultipliée par rapport au catalogue papier ou au prospectus publicitaire.

    Si Paul Boccara a pu être trompé par les débuts de l’informatique qui étaient réservés à l’industrie puis au tertiaire professionnel, les éléments techniques depuis l’adoption de la piste magnétique et ses usages permettait déjà de voir la tendance à l’accès Universel et standard.

    Ce qui se traduit aujourd’hui dans les dernières avancées sur Cloud et du Web et va encore plus exploser demain dans les usines 4.0 et avec la 5G et 6G.

    Nous ne sommes qu’au début de l’unification et de la massification de ce gigantesque cerveaux à l’échelle de l’Humanité entière.

    Les terminaux smartphones et l’Internet des objets sont devenus adorables presque pour tout le monde et vont le devenir.

    Après l’unification du matériel et des informations le développement suivant réclamera une mondialisation où les nations et l’ordre capitalistes seront des freins qui devront disparaître.

    Déjà l’accès aux travaux universitaires est rendu facile et souvent public avec une technologie qui peut tout libérer et les communications interpersonnelles sont possibles à échelle mondiale et bientôt avec les réseaux sociaux basés sur la blockchain impossible à interdire ou contrôler.

    Dans ces forces Universelles Le Monde est en train de naître.

    Je ne sais pas si Turing et Leibnitz avaient anticipé la portée de leurs découvertes.
    C’est vertigineux et merveilleux d’imaginer une Humanité enfin réunie.

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    • Xuan

      Je ne partage pas ton avis sur ce sujet, Boccara avait commencé par défendre la thèse d’une information partagée gratuitement, débouchant sur une “révolution informationnelle”, dite aussi antichambre autogestionnaire du communisme 2.0 par Lojkine. Boccara y envisageait un “dépassement du capitalisme”.

      J’avais commis une violente critique de cette théorie dans un article intitulé “La révolution informationnelle ou l’illusion du bénévolat“.

      Kai-Fu Lee a écrit un ouvrage très intéressant “I.A. la plus grande mutation de l’histoire”, sur l’intelligence artificielle et sur le thème : qui la dominera ?

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      • Daniel Arias
        Daniel Arias

        Partage gratuit des logiciels ou de l’information ne veut pas dire forcément bénévolat.
        Nous empruntons les routes gratuitement mais elles ne sont pas faites par des bénévoles et in fine nous finissons par les payer dans les impôts qu’ils soient directs ou indirects.

        Cependant l’accès reste gratuit.

        Il y a dans l’économie numérique deux grandes catégories de producteurs: bénévoles et rémunérés.

        1- Une part importante de ce qui est proposé dans l’économie numérique est bien faite pourtant gratuitement et bénévolement.
        C’est le cas dans les plateformes vidéos: Youtube, Tiktok, Yandex,… la majeure partie du volume de production est bénévole ; c’est le volume et l’effet place publique qui attire à la fois les producteurs de contenu et les consommateurs. Une petite partie seulement est rémunéré et une plus petite encore vit de ces productions dans des conditions de travail peu enviables et extrêmement précaires.

        Nous avons bien ici quelques-uns de nos lecteurs comme Dominique ou Bruno qui produisent du contenu gratuitement et bénévolement diffusé sur Youtube.

        Il s’agit bien là de bénévolat et ce phénomène est loin d’être anecdotique.

        2- Les producteurs rémunérés le sont soit par les plateformes soit indirectement par exemple par des universités qui diffusent leurs cours en ligne. En France nous avons même la plateforme universitaire Canal-U. Ces diffusions se font sur des plateformes dédiés ou sur les grandes place publiques dominée par Youtube aujourd’hui. Dans ce cas la production ou la captation des cours et conférences est prise en charge par les Universités, diffusant leurs connaissances tout en faisant de la publicité pour leur établissement.

        Dans le logiciel libre et les serveurs Web la majorité des hébergeurs proposent à leurs client des serveurs dit LAMP Linux, Apache (ou NGNIX), MySql et PHP. Ces quatre produits au top des performances sont accessibles et utilisables gratuitement malgré les très nombreuses années de travail nécessaires à leur mise au point. Ce n’est pas du travail d’amateur à la va vite mais un travail piloté par des fondations qui travaillent avec des développeurs rémunérés et d’autres bénévoles. Le travail de validation et d’intégration est effectué par des pros rémunérés par des fondations qui sont financées par les géants du Web ou par la vente de services payants.

        3- hybridation du modèle gratuit payant

        Dans la création et le développement Web la quasi totalité des outils sont disponibles gratuitement et parfois des contenus communautaires. Pour certains “créatifs” ou agences Web c’est une occasion de se faire connaître. Chez le principal développeur de logiciels de Design Adode le modèle commercial est hybride: vous pouvez trouver des accords de couleurs, des images et d’autres contenus gratuits tout comme les mêmes types de contenus payants et parfois très cher.

        Dans un loisirs qui dépasse en chiffre d’affaire le cinéma: le jeu vidéo, certains titres faont leur succès justement car ils sont ouverts ou accessibles gratuitement. Dans certains cas les joueurs apprécient la jouabilité et le possibilité d’extension, le jeu est vendu avec un éditeur de niveaux ou de cartes, la documentation pour faire les extensions est librement disponible, la communauté des joueurs trouvera elle même les talents capables de faire bénévolement les extensions du jeu pour de nouvelles expériences. L’éditeur commercial du jeu lui va gagner de l’argent en vendant une version minimale du jeu et éventuellement des extensions payantes qui cohabiteront avec celles gratuites.

        Un autre modèle commercial de jeu vidéo est l’accès gratuit au jeu avec par contre des extensions forcément payantes. Fortnite qui fait un cartons chez les jeunes et gratuit pour tous ils font fortune en vendant des accessoires aux personnages qui donnent un avantage sur les autres joueurs. Dans la communauté des gamers ceci s’appelle le free to play , pay to win.

        Dans la production marchande de logiciels les développeurs d’aujourd’hui consultent des sites, des forums pour trouver des solutions diffusées gratuitement: soit des tutoriels, soit des réponses à une problème technique particulier. C’est un mode de fonctionnement courant et nécessaire du à la complexité des systèmes informatiques modernes où même une équipe de professionnels ne peut avoir à elle seule les connaissances suffisantes pour produire dans des délais raisonnables.

        Pour conclure:

        Le partage gratuit qu’il ne faut pas confondre avec travail bénévole est une réalité dans l’économie du numérique avec une nouvelle façon de consommer qui était réservée aux services publics il y a peu.

        Dans cette économie toutes les briques logicielles de base sont bien gratuites et diffusées gratuitement: les systèmes d’exploitation, les langages de programmation, les standards de communication, les protocoles, les outils, les savoirs-faire et même une bonne part de solutions clés en main.

        Cela ne suffit pas à faire disparaître les monstrueux GAFAM et leurs homologues privés chinois, mais le potentiel technique de leur disparition est là dans ces nouvelles forces et technologies et dans les usages des consommateurs. Il manque à trouver leurs remplaçants et la forme politique nécessaire.

        L’innovation de la blockchain pourrait favoriser le modèle autogestionnaire jusque dans l’infrastructure matérielle informatique. L’autogestion apportera des problèmes à résoudre pour la crédibilité mais des expériences existent déjà depuis des années comme Wikipédia ou dans le domaine de l’informatique professionnel en France Developpez.com dont les contenus sont autogérés et validés par la communauté plus ou moins qualifiée, dans le second cas vous pouvez y aller avec une grande confiance.

        La nouveauté est aussi la diffusion massive dans un autre ordre que celui des marchandises tangibles.

        Il ne faut pas tomber dans l’illusion du boulversement de l’ordre ancien par les seules innovations technologiques de la production mais elles y participent ; les ordres monastiques du Moyen Âge ont permis à la fois le développement technologique et politique qui donneront naissance à la bourgeoisie mais il a fallut une Révolution pour renverser l’ordre ancien.

        Cette nouvelle économie ne fait pas disparaître l’économie primaire et secondaire qui restent elles bien payantes dans la grande majorité des cas et qui impliquent un travail marchand à côté du nouveau travail bénévole effectué sur le temps libre ou une rémunération socialisée.
        Les rémunérations restant toujours des contreparties aux marchandises.

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    • Franck Marsal
      Franck Marsal

      Il me semble qu’il s’agit d’un développement dialectique : l’information se partage facilement, et des forces autonomes de la ssociété, des individus, des associations, … s’efforcent d’en faciliter et d’en accélérer le partage. En même temps, les sociétés capitalistes, avec l’appui des états impérialistes, s’efforcent au contraire de les privatiser, de les transformer en marchandises et en outil de contrôle – capitaliste – sur le monde. CEla marche en partie, et cela suscite des difficultés et des oppositions.
      Au départ, il y a dans l’économie informationelle de la petite propriété et des prairies communes. Avec elles, beaucoup d’illusions petites bourgeoises, Mais le capital domine les échanges économiques, donc il entrevoir un nouveau champs de profit à exploiter et investit le domaine en mobilisant des ressources énormes, en partie disproportionnées avec les besoins d’ailleurs, mais ce secteur semble tellement profitable. En 2011, la première bulle spéculative de l’internet déclenche une grave crise boursière. Naîtront ensuite les géants de l’internet dit “2.0”, dans lesquels l’appropriation privée des données a fait un grand pas en avant, avec la découverte que les individus sont prêts à céder gratuitement leurs données, comme auparavent, on pouvait s’approprier presque gratuitement les prairies communes.
      Nus vivons actuellement la deuxième bulle internet en train de se dégonfler rapidement.
      Le capitalisme se sert d’internet, de l’information et des réseaux pour développer de nouveaux secteurs de profits (sans pouvoir pour autant mettre fin à la loi de baisse tendancielle du taux de profit, au contraire, l’innovation en est précisément la source). Mais le capital passe à côté, ne souhaite pas développer les usages les plus socialement utiles de l’informatique et des réseaux.
      Le passage à une forme de propriété supérieure, à une propriété collective publique, des outils de l’informatique permettra seul le développement considérable dont ces technologies sont capables. Cela suppose la remise en cause de fond en comble des conceptions arriérés de la propriété intellectuelle.
      Je ne suis pas sûr que cela nécessite des sociétés mondiales. Des sociétés natioanles, coopérant entre elles pour élaborer des standards mondiaux ouverts permettraient de franchir rapidement plusieurs stades de développement. Le PCF (nos parlementaires avait porté il y a quelques années la proposition de loi d’une licence globale, publique, destinée à rémunérer les artistes dont les oeuvres circuleraient gratuitement sur internet, dans le respect du droit d’auteur. Nous devrions tout à fait inscrire à notre programme la nationalisation des infrastructures de l’internet (de toutes façons, le déploiement de la fibre se fait largement sur fonds publics,) mais aussi des infrastructures de communication au sens large. Nous pourrions donner l’accès internet gratuit pour tous sans difficultés et à bien moindre coût. Mais nous pourrions aussi libérer les salariés de la création de contenu, les chaînes de télévision , de radio, tout l’univers intellectuel du contrôle politique des trusts capitalistes. En mobilisant les techniciens de l’informatique sur une politique planifiée de développement,, nous disposons encore (pour combien de temps ?) des capacités de développement de pointe. Comment se fait-il que la France (et les autres pays européens, d’ailleurs) soient si en retard par rapport à la Chine et aux USA sur le développement de voitures autonomes ? Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

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      • LEMOINE Michel

        Le principe du capitalisme c’est que le produit du travail est la propriété du capitaliste qui a apporté le capital. Il ne conçoit pas qu’il puisse en être autrement pour la production intellectuelle. Le problème c’est que la part de la production intellectuelle dans le produit ne cesse de croître. Les “droits” du capitaliste sont de plus en plus difficiles à faire valoir.
        Aux “droits” du capitaliste il faut opposer le droit de réquisition du travailleur collectif. Pour cela il faut donner chair au travailleur collectif en organisant et en unifiant ses composants : la classe montante des travailleurs des sciences et des techniques et la classe ouvrière des ateliers et des usines. Cela passe par la reconnaissance en tant que classe spécifique de la classe montante.

        Répondre
    • Xuan

      Au début des années 80 je m’étais intéressé à la programmation sur un petit Vic 20 doté de 4k octets de mémoire et d’un lecteur de cassettes.

      J’avais essayé de programmer des boucles de régulation et des courbes mathématiques. Au début en basic, puis en hexadécimal, pour éclairer les pixels un par un. Puis j’avais fabriqué une carte mémoire.

      Quand j’ai vu les premières calculettes graphiques dans les vitrines, j’ai compris que je n’étais qu’un petit bricoleur qui perdait son temps.

      On continuait à réparer les cartes électroniques, tester et remplacer les composants. Mais là aussi ça ne présentait plus d’intérêt dans l’industrie.

      Enfin j’avais construit un logiciel de maintenance sur une base de données Access, adaptée à notre entreprise, à mes besoins personnels, puis à ceux du service, puis à d’autres métiers, puis aux pièces détachées, puis aux entreprises extérieures, quand le groupe a imposé à toutes ses filiales un logiciel SAP.

      La côté virtuel, « immatériel » de l’industrie numérique avait laissé une place pour le rêve du partage non commercial, donc non capitaliste, donc « communiste ».

      Il faut prendre conscience que ce rêve a été envahi par le commerce numérique, que les logiciels libres, fruit d’un travail gratuit, ont été intégrés à l’industrie, au commerce et à la finance, et que rien n’échappe à la loi de la marchandise et du capital.

      Ceci n’exclut absolument pas un « partage » :

      “A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l’est pas moins des productions de l’esprit Les oeuvres intellectuelles d’une nation deviennent la propriété commune de toutes. L’étroitesse et l’exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle.

      Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l’amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image.” [Le Manifeste]

      Mais l’illusion d’un communisme déjà là, à l’écart du marché capitaliste, ne peut générer qu’un îlot temporaire de communisme primitif. 

      Répondre
  • Xuan

    L’article de Jean Claude a aussi suscité un courrier critique adressé à plusieurs d’entre nous, qui pose cette question sur un paradoxe apparent :

    « J’aimerais cependant comprendre cette interprétation en effet TRES CONTRADICTOIRE de Marx où « la rareté produit des surplus »

    J’ai fait la réponse suivante, pour laquelle Jean Claude m’a confirmé ensuite qu’elle ne trahissait pas sa pensée. Le fond du débat est le caractère dialectique du développement des forces productives : le rapport entre la lutte des classes et le développement des forces productives dans cette rareté relative, et les conditions de sa disparition définitive dans la société communiste.

    ——————

    Jean-Claude Delaunay n’a pas dit textuellement que « la rareté produit des surplus », mais que « Les sociétés humaines ont été, jusqu’à notre époque, des sociétés de rareté et, simultanément, des sociétés de classes antagoniques. »
    Ce qui est un peu plus compliqué.
    Il écrit ensuite qu’« Il a progressivement résulté, de cette pénurie relative, des formes d’appropriation privée du surplus par certains groupes d’individus aux dépens des autres groupes »

    La formule est sans doute un peu lapidaire et mériterait certainement des précisions mais il s’agit d’une article et pas d’un livre.
    La pénurie est relative, d’abord à cause du développement insuffisant de la production dans la société communiste primitive. Sinon il serait impossible de trouver les causes de toute évolution.
    Le développement ultérieur de cette société, destiné à créer un surplus par rapport au simple renouvellement de la force de travail, a nécessité la division du travail, puis la division en classes, l’appropriation privée, etc.

    On lit dans « l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat » :

    « Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l’histoire, c’est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour, cette production a une double nature. D’une part, la production de moyens d’existence, d’objets servant à la nour­ri­ture, à l’habillement, au logement, et des outils qu’ils nécessitent; d’autre part, la produc­tion des hommes mêmes, la propagation de l’espèce. […]

    L’accroissement de la production dans toutes les branches – élevage du bétail, agriculture, artisanat domestique – donna à la force de travail humaine la capacité de produire plus qu’il ne lui fallait pour sa subsistance. Elle accrut en même temps la somme quotidienne de travail qui incombait à chaque membre de la gens, de la communauté domestique ou de la famille conjugale. Il devint souhaitable de recourir à de nouvelles forces de travail […]
    Nous avons vu plus haut comment, à un degré assez primitif du développement de la produc­tion, la force de travail humaine devient capable de fournir un produit bien plus considé­rable que ce qui est nécessaire à la subsistance des producteurs,
    et comment ce degré de développement est, pour l’essentiel, le même que celui où apparaissent la division du travail et l’échange entre individus.
     
    Et en retour l’appropriation privée du surplus a créé une rareté relative pour les classes exploitées.

    Egalement dans « l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat » :
    « Comme le fondement de la civilisation est l’exploitation d’une classe par une autre classe, tout son développement se meut dans une contradiction permanente.
    Chaque progrès de la production marque en même temps un recul dans la situation de la classe opprimée, c’est-à-dire de la grande majorité. »

    Dans le paragraphie suivant Jean-Claude écrit que

    «Certaines classes sociales peuvent satisfaire leurs besoins matériels, ou le peuvent mieux que les autres, et ces autres ne le peuvent pas, ou le peuvent moins que les classes dominantes.
    De cela résulte un combat permanent entre ces deux catégories de classes sociales.  Sociétés de rareté et sociétés de classes antagoniques ont été les deux faces de l’histoire des hommes,
     et le resteront tant que les classes s’appropriant (privativement) le surplus resteront en place et que les forces productives ne permettront pas d’atteindre l’abondance ».
     
    Il vient que la rareté relative provient à la fois du développement insuffisant des forces productives et de l’appropriation du surplus par la classe dominante, et que les deux sont liés.
     
    Jean-Claude développe cette idée que la rareté relative de nos sociétés s’oppose à la satisfaction complète des besoins dans la société communiste où les forces productives permettront d’atteindre l’abondance.

    Dans la société communiste le principe est «de chacun selon ses capacité, à chacun selon ses besoins »,ce qui suppose à la fois que le travail est devenu une activité libre et volontaire, et à la fois que le développement des forces productives permet de distribuer les richesses au prorata des besoins de chacun et non de son travail.

    Tandis que dans la société socialiste le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail » implique que tous les besoins ne sont pas également satisfaits, mais seulement en fonction du travail fourni.
     
    Ce qui veut dire que dans la société socialiste existe encore une certaine rareté relative, que traduit aussi le Manifeste du Parti Communiste :
    « Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat,
    c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives ».

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    • Jean-Claude Delaunay
      Jean-Claude Delaunay

      Salut mes camarades. Salut Sined pour tes bons voeux, que je te renvoie au centuple, surtout ceux de prospérité, j’adore, au cas où je rencontrerais une Ruth Chinoise, surtout une Ruth qui se demanderait quel moissonneur de l’éternel été, a, en s’en allant négligeamment jeté cette faucille d’or, vous connaissez la suite, à moins que tu ne veuilles parler, mon camarade, de prospérité dans l’écriture, j’adore aussi, Salut Marianne, Salut Danièle, Salut Franck, Salut Michel, Salut Xuan, Salut Daniel, Salut Alain, Salut Bernard, Salut à toutes et à tous qui faites de ce site non seulement un instrument de pensée mais un instrument de combat, et d’un niveau si respectable. Je vais, sur trois points, dire quelques mots pour le débat, en espérant ne pas être trop bavard.
       
      Le premier, c’est Boccara. Je veux parler de Paul bien sûr. Sined en dit quelques mots avec humour, et malheureusement, c’était comme il dit. Paul était un patriarche de pensée et de comportement. Si l’on était pas totalement derrière lui, on était contre lui. Cela étant dit, je vais éviter de dire tout ce que je pense ou tout ce que j’ai pensé de lui. Le passé est le passé. Ce qui serait bien, toutefois, c’est que le passé boccarien ne continue pas de nous envahir pour la raison que Boccara continuerait d’avoir des adorateurs.
       
      Peut-être, pour sublimer ce qu’il y avait de puérilement malsain en lui, me suffira-t-il de dire qu’il se prenait pour l’héritier direct de Marx. Quand il avait fait le tour de son bureau, il devait certainement penser : «Tiens, aujourd’hui, j’ai encore fait une révolution».
       
      Laissons au passé ce qu’il y avait d’enfantin dans ce personnage et, précisément, pour en faire la critique critique, retenons de lui ce qu’il voulait être, à savoir l’affirmation et le prolongement du marxisme. Voilà bien qui mériterait de figurer dans la base commune, le marxisme, la pensée d’Engels, de Lénine, et de tous les marxistes qui ont suivi. Ce serait rendre hommage à Boccara et à ce qu’il voulait être, et qu’il n’était pas, pas toujours, en particulier sa Sécurité d’Emploi et de Formation, qui, dans l’état actuel des choses est pure démagogie. Voilà sur le premier point de ce que je voulais dire : introduire le marxisme dans la base commune, le réintroduire dans la vie communistes de ce pays car il n’y aura pas de parti révolutionnaire, de PCF, sans théorie révolutionnaire. Et le marxisme est une théorie vivante.
       
      Mon deuxième point, c’est la classe ouvrière. Michel Lemoine a tout de suite réagi. A juste titre. Quand j’ai écrit mon texte, je me suis dit : «Voilà un point sensible». D’une part, les forces productives modernes transforment la classe ouvrière classique. D’autre part, ces mêmes forces productives font venir sur le devant de la scène sociale tous les employés de l’ancien temps, aussi bien les employés de l’Etat, les fonctionnaires, que les employés des entreprises, et tous ces métiers, nouveaux, comme les gens de la santé, ou anciens, comme les chauffeurs de taxi, les enseignants, les policiers, etc., qui désormais accomplissent des fonctions de service de façon renouvelée grâce aux nouvelles technologies, mais qui aussi peuvent être exploités comme des ouvriers grâce aux nouvelles technologies et à un certain nombre d’aménagements institutionnels, comme par exemple «le fait d’être son propre patron». Une classe montante dit Michel. Pourquoi pas? Mon idée était la suivante : une base commune qui se respecterait développerait un discours spécifique envers ces deux grands blocs de la population, les ouvriers, ingénieurs, techniciens et les anciens et nouveaux métiers non-ouvriers mais néanmoins de plus en plus proches des producteurs, à savoir les employés, informaticiens, policiers, pompiers, médecins, infirmiers, enseignants, autres, pour indiquer aux uns et aux autres en quoi le socialisme est leur avenir commun, même s’ils ont un passé différent, des traditions de lutte différentes, une évolution récente différente.
       
      Mon troisième point concerne la rareté. Derrière le débat relatif à la rareté se tiennent d’autres débats, et notamment ceux relatifs aux rapports respectifs de l’Economique et du Politique, ceux relatifs à l’existence de l’Etat, etc.
       
      Xuan a très bien expliqué et clarifié, en donnant à son explication cette dimension théorique et livresque dont il a le secret, ce que j’ai cherché à dire. Puis, en le lisant, cela m’a rappelé des discussions anciennes relatives aux travaux de Pierre Clastres et Marshall Salhins. Clastres est mort plutôt jeune, sans doute dans un accident de voiture, fréquents à l’époque (années 1960). Il était évidemment la coqueluche du temps parcequ’il prenait à contrepried les idées de l’époque sur les sociétés primitives. Au fond, si j’ai bien compris ce qu’il déduisait de ses observations des «sociétés primitives» d’Amérique latine, la Politique et son Complémentaire opposé, l’Economique, étaient la conséquence de choix et non de nécessités. Il avait l’ambition de contredire le marxisme, ou plus exactement, selon moi, l’idée qu’il avait du marxisme. Ce faisant, il rejoignait les conclusions de Marshall Salhins et de son «Âge de Pierre, Âge d’abondance», paru en traduction française en 1972, selon lequel la rareté était en quelque sorte une invention du capitalisme industriel.
       
      Je vais d’abord dire quelques mots là-dessus et ensuite j’essaierai d’expliquer quel peut être l’intérêt de l’injection de cette discussion dans un débat relatif à la base. Est-ce que je ne suis pas, est-ce que l’on n’est pas, tout en faisant «bzzzz…bzzzzz», en train de faire ce que les mouches sont censées se faire entre elles, en été, sur les tables où traînent encore des restes de repas et que le soleil est au plus haut?         
         
      D’abord le commentaire. Je vais aller très vite en disant que les société sont nées dans La Politique, qu’elles se sont ensuite engagées dans l’Economique tout en se séparant progressivement du Politique. Notre Temps, aujourd’hui que l’Economique est complétement dominant, serait celui de la Ré-introduction du Politique dans le fonctionnement des sociétés et de la soumission complète de l’Economique au Politique.
       
      Et c’est vrai que certaines sociétés semblent avoir refusé de sauter dans l’Economique. C’est la thèse de Clastres. La Politique (ou l’Economique) ont été «des choix». Les sociétés à «potlatch» par exemple, semblent être des sociétés dans lesquelles «la collectivité» fait le choix de consommer collectivement les surplus en sorte qu’elles demeurent des sociétés «égalitaires». Salhins, de son côté, décrit des sociétés selon lui parfaitement heureuses, en tout cas équilibrées, en réalisant les chasses dont elles besoin pour vivre. Elles disposent de peu de choses mais mentalement elles sont en situation d’abondance.
       
      Oui, bien sûr, si c’est ce que l’on observe. Je ne vois pas que l’on puisse être marxiste en cherchant à tordre les faits de l’observation dans des idées marxistes préconcues. Cela étant dit, quelle est la généralité de la portée des exemples retenus par Clastres, ou Sahlins, ou d’autres? Ce que je crois est que si certaines sociétés ont pu refuser de sauter dans l’Economique, un Economique au demeurant encore fort encastré dans le Politique dans les débuts des processus, ce ne fut pas le cas général. En tout cas, ce ne fut pas le choix des sociétés de l’Hémisphère Nord et c’est ce dernier choix qui a finalement modelé le monde. Avec d’ailleurs de grosses différences entre les sociétés qui sont nées autour du bassin médéditerranéen et celles par exemple, de l’Asie du Sud-Est.
       
      Comment le saut dans l’Economique a-t-il pu être effectué? Il y a plusieurs explications possibles. Lénine, par exemple, dans le Développement du Capitalisme en Russie évoque le cas de familles plus fortes que d’autres en fils, en forces de travail. Les conditions naturelles ont pu jouer un rôle, la fertilité ou la non-fertilitéé des sols, l’abondance ou la non-abondance de la population. Je ne sais. Un jour que je visitais la vallée de Tulupan, dans le Xinqiang, j’ai écouté un guide expliquer que dans les temps très anciens, des groupes s’étaient formés pour construire des canalisations amenant l’eau des montages jusque dans la dite vallée. Cette eau était ensuite vendue par eux aux autres habitants. Voilà un processus de différenciation sociale, reposant sur des techniques de maçonnerie et de creusement, rendant possible une accumulation d’argent, et ainsi de suite.
       
      La propriété d’un Capital, si l’on peut dire, a sans doute, dans ce cas, précédé la forme capitaliste de la production. Je n’ai pas fait de recherche là-dessus et j’ai mentionné ce point anecdotique (un voyage et le hasard d’une explication donnée par un guide touristique) uniquement pour indiquer la très grande richesse des situations, l’arbre vert de la vie, comme disait Goethe. 
       
      Et aujourd’hui nous sommes en plein dedans. En 1970, les nouvelles forces productives n’étaient pas encore pleinement développées. Les impérialistes et, à cette époque, l’Impérialisme américain, ont fait le choix de la mondialisation en chaussant les bottes de ces nouvelles forces productives, qu’ils ont alors développées, par exemple, en créant un internet mondial. Et cette création a eu un effet en retour sur l’Impérialisme, qui est devenu Impérialisme de tous les capitaux impérialistes mais de plus en plus soumis à la grande bourgeoisie nord-américaine et à son Etat. L’Impérialisme est englué politiquement et économiquement dans les contradictions qu’il génère, la plus importante d’entre elles ayant été le socialisme, notamment chinois, et l’immense désir du développement chez les peuples.
       
      Pour en terminer avec Clastres, je dirais oui pourquoi pas. Il y a quand même bien des questions à poser à son oeuvre. Mais au delà de ça, ce que je crois observer est que quand les sociétés ayant fait le choix de la Société contre l’Etat rencontrent nos sociétés à Etat, elles explosent, tout simplement. Elles sont pulvérisées.
       
      Et maintenant un mot pour celles et ceux qui pensent que la rareté, cela n’existe pas, qu’il est contradictoire dans les termes de dire que les sociétés de rareté peuvent produire un surplus, etc. A mon avis, derrière cette conception, il y a l’idée selon laquelle «tout est lutte de classes, et n’est que lutte des classes». Inutile de faire état de l’Economique. Tout est rapport de pouvoir, Tout est Politique.
       
      Celles et ceux qui pensent ainsi se croient sans doute en mesure de passer directement du Capitalisme au Communisme. C’est un défaut général, aujourd’hui, alimenté par différentes sources, que ce soit celles du réformisme le plus plat ou celle de l’ultra-révolution.
       
      Le Socialisme, qui est si fortement absent de la base commune, c’est précisément la dialectique, dans la lutte sociale, du dépassement de l’Economique par le Politique et sous la conduite du Politique.
       
      Il manque aux premiers, les réformistes, de vouloir s’engager dans cette voie. Ils ont la trouille. D’où le discours selon lequel nous sommes déjà dans le Communisme. Il manque aux seconds de percevoir que le Communisme n’est pas seulement une question de pouvoir et de volonté politique, que c’est aussi la prise en compte de cette dialectique nécessaire pour agir en conséquence, entre la lutte des classes et les forces productives. Bref, pour mener à fond la lutte des classes et engendrer réellement l’abondance.
       
                    

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      • Daniel Arias
        Daniel Arias

        À l’Université en sciences économiques nous avions des cours d’économie politique: preuve que ces concepts ne sont pas éloignés ; l’économie étant la branche politique qui s’occupe spécifiquement de la production et des échanges et qui est fortement dépendante de la politique en général y compris dans et peut être même surtout dans la production idéologique.

        Je suis entrain de lire “La France en Héritage” d’André Larané qui présente les apports de la France au monde et ce qui de l’Histoire est encore bien présent aujourd’hui.

        Il insiste une bonne partie de l’ouvrage sur le Moyen-Âge où l’on constate que la bourgeoisie se développe au profit de l’optimum climatique autour du XII siècle avec sous l’influence de l’Abbaye Cluny une société française qui se pacifie: des règles de droit imposent des limites et les excédents agricoles sont vendus aux marchands qui ont la charge de leur distribution.
        Dès cette époque un Archevêque remarquera que sans les paysans les clercs et les nobles ne pourraient survivre et qu’il faut veiller à l’équilibre et au respect des rôles de chacun.

        Juridiquement le Roi des Francs impose un Pape de tous les Chrétiens à Rome et en retour les clercs produisent les lois qui s’imposent aux nobles et à l’ensemble de la population. Ces lois sont propagées par les ordres Bénédictins de Cluny et Cîteau, avec menace d’excommunication et l’encouragement au travail et au développement technique.

        L’harmonisation des règles sur un vaste territoire permet le développement d’un marché à l’échelle de l’Europe et l’apparition de villes puissantes grâce au commerce. Il y a création d’une unité politique qui favorise et sécurise le commerce.

        Dans la même période le mariage devient indissoluble: l’enfant, l’aîné prime sur les individus qui forment le couple.

        Pour éviter la dilapidation des biens de l’Église les prêtres n’ont plus le droit au mariage.
        L’Église va également interdire le mariage entre cousins germains jusqu’au 7ème degré incitant les propriétaires à faire alliance plus loin.

        L’économique: la production et la commercialisation ne sont pas des privilèges des paysans et des bourgeois. Les nobles sont responsables et propriétaires des banalités (fours, moulins, pressoirs..), les clercs ont des domaines et travaillent aussi ora et labora souvent issus de la noblesses ils développent la technologie et participent à l’innovation dans la production: premiers marteaux pillons,…

        La production agricole est effectuée par des paysans sur les communs; les terres des seigneurs sont cultivées par des paysans qui ont les moyens de les louer, par les corvées et par quelques serfs, les paysans travaillent aussi des propriétés des clercs.

        La première Université française l’École des Chartres sera un lieu d’attraction et d’influence dans toute l’Europe ; la libre circulation des Étudiants sera encouragée.

        La base économique reste fortement agricole et artisanale comme ailleurs dans le monde, mais la volonté politique et l’unité impulsées par l’Empire Franc et consolidée par l’Église de Rome va produire les conditions nécessaires à la prospérité de la bourgeoisie pendant plusieurs siècles. La bourgeoisie s’affranchissant progressivement et maîtrisant les moyens de communication et lieux d’échange va acquérir la puissance nécessaire pour prendre le pouvoir.

        La classe ouvrière n’a pas la possibilité, comme les bourgeois, d’accumuler du capital et du pouvoir. Elle peut faire grève mais soumise à la concurrence des chômeurs et à la répression des États ou des organisations patronales. Partout où elle a pu prendre le pouvoir elle l’a fait brutalement par la violence, d’abord la prise de pouvoir politique et seulement après économique. En URSS dans les années 30 les campagnes étaient encore souvent sous le contrôle des prêtres et de koulaks ; il faudra l’accélération de la collectivisation sous la menace de coup d’État anti soviétique et de l’armement de l’Europe fasciste pour étendre le pouvoir des soviets.

        En Chine la place laissée à sa bourgeoisie et à la bourgeoisie internationale est arbitrée par le PCC et l’État sécurisé par l’APL. La planification oriente la recherche et le développement économique du pays.

        Même dans les pays capitalistes l’État garanti la position dominante des grandes familles, l’accumulation et l’héritage et organise les marchés du travail et des capitaux. Le choix des formes juridiques sont toujours politiques.

        Le politique est principal dans les développement de l’économie.
        La préparation du terrain économique est toujours précédée de décisions politiques qui seront à leur tour influencées par les innovations qui s’y produisent.

        La dernière révolution industrielle numérique et par suite le réseau ne sont que le résultat des luttes impérialistes pour l’hégémonie mondiale: l’exigence en calculs pour la mise au point de l’arme atomique donnera la machine de Von Nuemann et l’existence de la bombe atomique et sa capacité à décapiter les centres de commandements donneront Internet issue d’Arpanet.

        Il n’est pas aisé de déterminer clairement et avec certitude qui engendre l’autre, ce qui est sûr c’est qu’il y a aujourd’hui un mouvement dialectique entre moyens de production et mode de production, entre forces du travail et organisation politique.

        L’expérience montre que les changements politiques, les Révolutions et les Empires donnent des conditions particulières de développement économiques.

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