Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’étrange refus de la réalité : mais quand est-ce que cela a commencé?

Il y a quelque chose de stupéfiant dans la manière dont on impose au peuple français de devoir raisonner ou plutôt déraisonner. Il s’agit d’ignorer les causes et conséquences des événements et des phénomènes, en leur substituant des émotions de surface aussi fugaces que bavardes face à la méchanceté, la perversité gratuite, de quelques autocrates qu’il suffit de haïr très fort pour que l’on soit dans le bon camp. A la “clarté gauloise” sont imposées des explications de l’instant, celui-ci oublieux du précédent. Nul n’y échappe et il est étonnant de devoir rappeler à votre interlocuteur des événements dont il devrait pourtant se souvenir puisqu’ils ont parfois eu lieu la semaine précédente.

Mais quand cela a-t-il commencé? il y a une trentaine d’années, il me semble, je daterais même cela du bicentenaire de la Révolution française, puisqu’il s’agissait de célébrer en la niant la Révolution française, ce qui ne visait pas seulement les “sans culottes” et Robespierre, mais entamait tout un trafic autour de toute révolution, étant bien entendu que ce qui était visé finalement était la révolution bolchevique et son “inutilité” proclamée. Un peu à la manière dont aujourd’hui la guerre en Ukraine derrière Zelensky masque mal le but ultime : le parti communiste chinois et le socialisme.

A partir de ce moment précis, la tyrannie de l’instant s’est accélérée : aujourd’hui on ne se souvient même plus de ce qui s’est passé la veille tant la confrontation au jour le jour des FAITS rend grotesque cette illustration du capitalisme moral qui prétend nous enfermer dans l’éternelle répétition.

Déjà Marc Bloch nous mettait en garde, à savoir que l’Histoire n’est pas simple science du passé, mais le résultat d’un va et vient constant de l’historien du passé au présent et du présent au passé. Priver l’humanité de l’histoire revient à le mutiler de ses faims intellectuelles, de sa marche vers l’intelligibilité. Parce que comme l’explique encore Marc Bloch, l’Histoire pour être savoir mais aussi compréhension, devrait respecter l’homme concret. Pas seulement en faisant état d’idées ou d’actes des puissants, mais en nous parlant des hommes tout entiers avec leur corps, leur sensibilité, dans leur société faite de rapports de classe, dans leur temps et leurs mentalités. L’Histoire serait donc le plasma même où baignent les phénomènes dans leur compréhension pour permettre d’agir. Ce que l’on réservait aux gouvernants, Marx a prétendu tel Prométhée l’offrir au prolétaire, à celui à qui depuis l’aube des siècles la domination de classe l’avait refusé avec les moyens de la production qui sont aussi ceux de la guerre.

C’est ce travail-là de dépossession de toute faim intellectuelle qui a été accompli et qui aujourd’hui pèse y compris sur notre appréhension de l’événement, des phénomènes, et ilne l’a été pas seulement sur la classe ouvrière, sur les couches populaires, nous sommes tous dépossédés y compris les intellectuels eux-mêmes. Résultat nous sommes voués au non sens.

Prenons le Congrès du PCF, pas pour nous acharner sur ces pauvre gens, qui sont j’ose le dire ce qu’il y a encore de meilleur dans la France d’aujourd’hui, mais pour mesurer comment cette mutilation et les plaies plus ou moins à vif qu’elle laisse concerne les couches populaires et au-delà. Prenons l’exercice autour duquel le congrès doit s’organiser la discussion sur des textes : que l’on puisse doctement s’interroger sur un texte alternatif qui proclame que “le communisme est là” est de l’escroquerie intellectuelle pure et simple et je voudrais vous le montrer : Il en est ainsi au vu de ce qu’est la situation présente, avec un rapport des forces dans laquelle le PCF frôle les 2% et la gauche – entièrement rassemblée pour être mieux divisée en multiples chapelles irréconciliables autour d’obscurs enjeux,- n’atteint pas les 25%. Ce score est encore marginalisé par une montée de l’extrême-droite et une abstention de plus en plus massive, en particulier dans la classe ouvrière, les couches populaires. Que dans un tel contexte , il se puisse proclamer dans un Congrès du PCF que le communisme est là est au-delà de l’incantation. En effet, l’affirmation du “communisme déjà là” s’appuie sur les conquêtes de la Libération de la France et la mise oeuvre de la sécurité sociale, du programme du CNR et de ce que les ministres communistes ont pu en défendre, tout en prétendant nier le rôle joué alors par l’URSS. Cela va même au-delà de la négation de ce rôle puisque le but du texte est la condamnation de l’uRSS en tant qu’expérience historique. On croît rêver d’imaginer que ces escamotages de batelleur de foire puisse avoir droit de cité dans un congrès du PCF.

Ce texte alternatif n’est rien d’autre que la simple revanche de gens qui n’ont rien à proposer que ce qui mène à l’échec d’aujourd’hui, pourtant et c’est là encore une dimension de l’escroquerie, il veut que l’on ne se pose aucune question sur les auteurs du texte. Pas la moindre interrogation sur ceux qui depuis trente ans ont dirigé ce parti dans une visée unique de “rassemblement” de la dite gauche, ce qui reste l’alpha et l’oméga du dit texte. Mais qu’il ne se trouve personne pour remarquer de surcroit que non seulement les trois secrétaires nationaux – qui ont imposé leur équipe, organisé la censure et de fait l’exclusion de tous ceux qui pensaient différemment – ont eux et leurs proches des trajectoires qui s’interrogent (Robert Hue vote Macron, Marie-Georges Buffet lui préfère Mélenchon et Pierre Laurent, tout sauf Roussel). Le plus extraordinaire est à mes yeux le cas Marie-Georges Buffet : que cette femme au demeurant sans agressivité apparente, qui ne cesse de jouer à être les fesses entre deux chaises et le cœur en écharpe, soutienne un texte qui proclame que le communisme est là maintenant alors que c’est la même qui alors qu’elle dirigeait le PCF tenait absolument à changer le nom du PCF et à supprimer le terme de communiste dit à quel point l’objet a perdutoute attache avec la réalité.

Que ces gens-là soient ceux à qui dans ce congrès, la masse des militants limite l’unité du parti, sans tenir compte de tous ceux qu’ils ont exclus, censurés et dont ils poursuivent partout et encore l’exclusion, le fait d’être passé sous leur gouverne de 700.000 à moins de 50.000 adhérents, est-ce qu’il faut continuer? Si ce n’est que les signataires du texte alternatif qui déplorent le faible score de Fabien Roussel pour la plupart ont plus ouvertement fait campagne contre la dite candidature. La “base commune” majoritaire est elle-même vidée pour une part de contenu réel pour avoir tenté jusqu’au bout le consensus avec ces gens là, consensus qui ne peut s’obtenir ici comme ailleurs que par le néant de toute explication, d’un passé vidé du présent, parce que l’on ne peut soulever ce qui dans le passé a été occulté et continue à l’être, c’est-àdire que l’on se résigne à une sorte de continuum politique qui part du capital sans jamais être contredit. Il n’y a plus de source, plus de document à partir desquels construire activement un positionnement politique.

Le négationisme part de la classe dominante et pas de ceux qui sous des formes diverses portent son message…

Est-ce qu’il faut feindre de ne pas voir que le mal est celui de toute la gauche, postmitterrandienne, qui ,après avoir vidé le PCF de toute combativité, l’avoir totalement emasculé de la révolution bolchvique, de ce que le socialisme réel avait apporté, ne serait-ce que la fin du nazisme, des relations internationales fondées sur la fin du colonialisme et la défense de la paix, sans oublier la revendication à l’égalité réelle par l’éducation, la santé, le droit égalitaire pour les femmes y compris celui de vote, la maitrise de la fécondité, ne voit de salut que dans la poursuite de la collaboration de classe… Parce que ce sont non seulement les conquêtes de l’URSS mais de toutes les révolutions, toutes les luttes sociales, tous les mouvements anti-coloniaux qui ont avancé dans ce sillage qui sont ainsi niées. Et la social démocratie, qui a bénéficié de ce temps suspendu, de la peur inspirée par l’URSS a son tour et plus gravement encore s’est effondrée du PS à la Suède, il ne reste plus grand chose.

La gauche française tout entière en est désormais groupusculaire et au lieu de se demander comment faire face au retour en force de l’extrême-droite, chacun continue à poursuivre sur pareille voie avec l’aide et l’assentiment de certains “communistes” qui en redemandent en matière de contrerévolution, la solution consiste à s’approprier les restes en attaquant le partenaire devenu l’ennemi.

Que donne-t-on pour nourrir la faim de compréhension de notre peuple ? Pourquoi a-ton prétendu ainsi rompre les liens de solidarité entre les âges dans un pays qui plus que tout autre à eu à cœur la référence historique pour éclairer les enjeux politiques et en particulier ceux de classe?

Si le Congrès du PCF offre un exemple saisissant de ce trafic de la mémoire populaire c’est parce que traditionnellement le PCF était le parti qui se donnait comme but ce travail pour la classe ouvrière et les couches populaires, le fait qu’il s’agisse de la France n’est pas non plus indifférent. Jouer à l’anti-étatisme dans le pays qui est né à la Libération, mais aussi celui qui avait hérité de l’oeuvre révolutionnaire poursuivie par Napoléon et héritière elle même de Colbert et des grands commis de l’Etat, tout cela pour couvrir une vague de privatisations qui se poursuit c’est déjà assez paradoxal pour un parti communiste mais le faire aux dépends de son propre rôle est suicidaire.

Depuis Maurice Thorez au moins le PCF affirmait reprendre l’identité intellectuelle et historique française et il n’a fait que reprendre la double tradition républicaine et marxiste. Le PCF défend le fait qu’il y aurait dans toute la vie politique française cette faim d’Histoire. Donc ce qui s’est passé dans le PCF a été seulement un refus de s’opposer à ce qui se produisait dans la société française et que j’ai voulu dater de la célébration du bicentenaire, s’est traduit par un mouvement général qui a prétendu nous faire oublier les faits les plus déterminants et leurs conséquences. Je suis sûre que les exemples pour peu que vous y réfléchissiez, vous paraîtront abonder. Rien que notre situation énergétique, la manière dont a été bradée l’indépendance française, la filière nucléaire, aucun détail semble avoir été négligé pour qu’il en soit ainsi, y compris la “vente” d’Alstom. Le tout sous influence vertueuse d’une partie de la gauche qui n’a cessé d’accompagner ce bradage d’une haine du nucléaire qui n’a jamais au grand jamais concerné le nucléaire militaire et la transformation de sa doctrine de défensive à offensive. Je n’insisterai pas vous avez tous présents à l’esprit la manière dont on a durablement attaqué tout ce qui avait été construit de solide en matière d’éducation, de santé, de recherche, le tout en inspirant la haine de “l’étatisme”. Comment on été détruites les organisations ouvrières, dénoncées comme liberticides. C’est d’ailleurs pourquoi je dis que l’on ne peut pas mesurer l’exercice absurde que l’on tente d’imposer aux communistes si on isole ce sur quoi on leur demande de ne surtout pas réfléchir et qui reste dans la logique à travers laquelle on a détruit ce malheureux pays et qui est justement de près ou de loin le bradage de ce que de Mitterrand à Macron, en passant par Hollande et Sarkozy on a dénoncé comme le “soviétisme” et combattu par les privatisations.

Que vous le vouliez ou non le PCF était ce qui résistait à cette mise en pièce et pourtant tous se sont employé à sa destruction. A gauche en particulier. Pourquoi, de quel crime l’accusiez vous ?

Comment cet exploit du capital s’est accompagné d’un atlantisme débridé qui à partir de Sarkozy a très concrètement appuyé toutes les interventions de l’empire. Là aussi chacun mesure bien à quel point les différents secrétaires nationaux du PCF, depuis la liste “bouge l’Europe” et l’appui de l’intervention en Yougoslavie, l’Humanité, tout ce beau monde a été mobilisé derrière l’OTAN. Que l’on ne se fasse pas d’illusion, l’antisoviétisme débridé que recouvre ces allers retours passé présent complètement anachroniques concernent directement un deal passé par le gauche avec l’uE: ne jamais remettre en question l’interprétation de la victoire totale des Etats-Unis sur la Russie et donc la vassalité de l’Union européenne. Il est clair que le conflit avec l’Ukraine, la destabilisation de l’Europe et les transformations du monde mutipolaire font qu’il est exigé un alignement total de la gauche sur tous les narratifs y compris ceux qui rejouent la deuxième guerre mondiale. “le communisme dès aujourd’hui et le socialisme jamais” font partie de la panoplie imposée à la gauche. Mais les conséquences sur le présent, sur la paix en sont évidentes.

Qu’aujourd’hui personne ne veuille tirer les conséquences de la forfaiture de Minsk et du fait qu’en notre nom, les Russes aient été roulés dans la farine pendant que l’OTAN s’installait et créait un régime à sa solde qui non seulement massacrait dans le Donbass 15.000 personnes, civils et pas des militaires, que ces ordures le fassent sous bannière nazie avec la haine russophobe, tout cela doit continuer à être occulté. Sans que l’on mesure en quoi cela entretient la guerre comme les armes déversées sur le champ de bataille. Et l’on doit se taire quand tous les députés y compris communistes votent la guerre derrière l’OTAN, alors que TOUS les textes, y compris ceux sur lesquels on invite le conclave communiste à se prononcer dénoncent officiellement le rôle de l’OTAN dit le degré d’absurdité auquel le peuple français est invité à participer.

Que l’on puisse dans le même mois, publier à la Une de l’Humanité une photo de quelques jeunes cons avec une feuille blanche en faisant d’eux ceux qui – enfin – en finiraient avec le parti communiste chinois coupable lui aussi de “socialisme étatique” et que l’on puisse également contribuer à la campagne des USA qui accusent les Chinois d’une nouvelle vague d’épidémie pour avoir osé lever les restrictions COVID est complètement onirique. Venant de la presse ordinaire ce serait déjà fantastique mais de la presse dit communiste c’est complètement angoissant.

Et parce que cela dure depuis trente ans, vivre dans un pays avec des intellectuels qui se prennent pour de belles âmes à chaque fois que l’OTAN a décidé d’envahir un pays et invente un dictateur, ou se contente de découvrir les turpitudes de ceux qu’il a mis en place pour empêcher les communistes de prendre le pouvoir ou même de simples progressistes, vous donne envie de fuir. Devoir subir les discours hystériques et les fausses indignations de tous ceux qui ont pris l’habitude de découvrir la cause des femmes, celle des homosexuels, ou autres seulement quand cela arrangeait l’OTAN et sans que les mêmes un seul instant ne se souviennent avoir bramé la même indignation antidespotique pour mieux détruire un pays, y transformer la situation des femmes en enfer et la Méditerranée en tombeaux de noyés, toujours vous accusant de soutenir les despotes alors que eux se contentent de soutenir les bonnes œuvres de l’OTAN, du capitalisme occidental avec des références missionnaires. Leurs campagnes se terminant en général par une situation encore plus dramatique, une masse de réfugiés, des gens pour qui la torture des communistes, celle occasionnée par les blocus importe peu, vu que ce sont des “staliniens”, ce qui excuse tout en particulier pour les communistes eux-mêmes.

Dans le fond c’est très simple, nous sommes devant des événements, des phénomènes, nous sommes passés du COVID à la guerre en Ukraine, chacun de ces faits servant d’excuse à la poursuite d’une politique, il y a le problème climatique, les crises économiques, tout cela souffre des mêmes justifications absurdes, le méchant autocrate qui interdirait à notre capitalisme à visage humain d’être déjà le communisme ou son équivalent. Tout ce beau monde feint de haïr la guerre tout en l’alimentant et pas seulement en déversant des armes. Ce qu’ils ne veulent pas voir c’est ce que leurs actes d’assentiment, qu’il s’agisse des sanctions, des blocus mais également l’approbation de fait de la forfaiture de Hollande et Merkel a créé. C’est ce que disent les Russes : “Toutefois, il ne faut pas s’attendre à un Minsk-3. Tout d’abord, parce que les précédents accords de Minsk ont été reconnus par le président russe comme une erreur (l’Occident ayant dupé Moscou comme l’a également confirmé Angela Merkel). Et deuxièmement, parce que les autorités russes semblent être prêtes pour les changements tectoniques à venir dans le monde, dont la première étape a été la SVO.”

Excusez-moi je me demande ce qui me concerne dans tout ça et croyez le bien je ne suis pas la seule dans ce cas… les bras nous en tombent tant cette bulle dans laquelle on m’invite à m’enfermer n’a plus la moindre justification.

Danielle Bleitrach

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1 Commentaire

  • Mikaty
    Mikaty

    Résumé éclairant de l’évolution de notre pays et de ses mentalités depuis 81. L’ayant vécu personnellement, des années 50, avec une école qui enseignait la Révolution Française, et qui valorisant le rôle de l’état, aux années 70, où la culture du PCF permettait une autre lecture du monde que celle des atlantistes, je me demande comme vous ce qu’il faudrait faire pour inverser le cours du fleuve.
    Ce qui me vient le plus naturellement, c’est la lutte pour la fin du mois, ou les intérêts du capital s’opposent concrètement aux nôtres. Quitte à abandonner un temps la lutte sur le terrain électoral. C’ est la voie du PTB belge qui engrangé quelques succès. La 5ieme république et sa présidentielle est définitivement un piège anti-démocratique.
    En ce qui concerne l’atlantisme, j’utilise à fond notre expérience des années de décolonisation où on a vu le soutien des USA aux pires dictatures, et l’usage des pires méthodes pour éliminer les opposant dans tous les pays du monde. Le colonialisme reste le sujet pregnant des 3/4 du monde, et l’anti-colonialisme éclaire largement ce qui se passe en ce moment avec l’Ukraine. L’impérialisme est l’adn des anglo-saxons et des libéraux, alors que la Chine et la Russie ne font qu’y résister.
    En résumé, recentrage sur le local, le concret dans l’action politique, et sur l’anti-colonialisme et anti-imperialisme dans l’action internationale.

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