Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Aragon ou l’ellipse de l’individu, figure d’un cycle historique

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Dans ce blog, désormais un choeur unanime s’élève et appelle au retour de Marianne. Son fan-club exige entre autres la parution des bulletins sur le front russe. Je compte moi aussi ses jours de ses vacances, mercredi 21 décembre, c’est juré elle sera là. Alors bande d’ingrats, en attendant, vous allez subir mon humeur du moment qui est, comme souvent, de l’ordre d’une méditation sur l’époque dans un temps long qui est aussi celui où l’art, les sciences se confondent avec l’espèce. En attendant Marianne donc, puisque de toute façon il vaut mieux attendre ses traductions que Godot… Mettons nos pas dans ceux d’Aragon comme nous y invite Alain Ruscio et interrogeons-nous dans tous les articles du jour également, sur le présent dans ce qu’il y a de vivant dans la compréhension du passé: la question coloniale qui ressurgit avec un procès,- un faux procès?- à jack London, en monde multipolaire anti-impérialiste dans lequel la Chine invite l’Europe à quitter le Titanic tout en écoulant massivement ses bulletins du trésor américain…la guerre en Ukraine et l’interrogation sur la question des nationalités et ses liens avec les luttes prolétariennes,. Tout cela est déjà au coeur du choix d’Aragon même s’il préfère Fourier à Darwin, c’est un choix raisonné de l’homme et du métier d’écrivain,, ce choix a-t-il encore aujourd’hui la moindre pertinence?

L’écriture chinoise est apparue sur les carapaces de tortue et elle relevait d’un mode devinatoire. Ala fin des repas du restaurant vietnamien à côté de chez moi, on m’offre des petits biscuits qui contiennent des rubans prédisant ce qu’il adviendra de moi dans la journée. Sur ma table de travail, sur le chevet de ma chambre, s’entassent des piles de livres, j’ai coutume de les lire en même temps quand je dois écrire un livre et si un sujet me préoccupe, je les sollicite alors en tant qu’oracles. Le chat escalade la pile jusqu’à ce qu’elle s’effondre et un livre glisse devant moi. Ce, 16 décembre, j’ai rammassé Aragon et la question coloniale d’Alain Ruscio(1), un livre de petit format, d’un faible nombre de pages et d’un prix “modique”. Nous avons tous apprécié  Les Communistes et l’Algérie, publié en 2019, un énorme pavé fruit d’années de recherches, mais celui-ci né de la célébration du centenaire de l’écrivain pourrait en constituer un chapitre tout en restant un travail d’historien, avec une abondante bibliographie, des sources précises dans un format très maniable. Résumons donc : ce livre comme tous les livres est un objet singulier étrange qui intervient avec plus ou moins d’autorité sur votre propre vie, si vous acceptez son intrusion, son mentir vrai. Parce que ne nous faisons pas d’illusion, c’est toujours un travail d’historien mais qui témoigne de subjectivités.

Je saute la préface de Pierre Juquin, j’y reviendrai à la fin pour savoir si nous sommes d’accord. Ruscio cite une historienne : la question coloniale n’est à aucun moment un donné centrale dans l’oeuvre de l’écrivain” Et il ajoute: “Certes, mais elle ne fut jamais absente“. Après ces deux affirmations, argument d’autorité, Ruscio se lance dans une description du jeune homme Aragon, une culture prodigieuse mise en valeur par une intelligence rarissime et une certaine propension à la démesure” p23 et il décrit un individu fascinant qui excelle en tout, du poker au piano, sans parler de l’écriture, un “véritable feu d’artifice“, “un ouragan contagieux” précise Soupault. “Longtemps cette révolte prit pour moi la forme de l’anarchie” p.28 reconnait Aragon, tout en précisant “cet anarchisme même nous apparaissait aux uns et aux autres, et à moi en particulier comme une conception limitée des choses“P; 29 confronté à l’anarchiste réel , un pompeux et confus personnage, il le juge outrancier et s’en détourne avec de l’ennui. Comme on le comprend. Il y a tant de gens autour de nous avec leur vie et leurs courts arguments mode d’emploi, des recettes un peu stupides, étroites qui tout à coup enflamment les réseaux sociaux… toutes ces polémiques, ces guerres d’un jour autour d’un traitement médical miracle, ces haines fratricides dont l’objet est si dérisoire. Douter de tout, pour aboutir à une foi bigote dans un quelconque charlatan, son époque ressemblait donc fort à la notre.

Qu’est ce que la question coloniale jamais au centre et jamais absente ? La clé de la nécessité de sortir de tout ça vers le haut, mais comment? Là je suis dans un film de Fritz Lang, avec ses incrustations pour marquer le piège ou l’échapattoir, c’est souvent une figure géométrique, une allégorie, l’image dialectique de Walter Benjamin ? Vous savez la fin de Metropolis, cette immonde reconciliation capital travail devant le parvis de l’église, le père capitaliste et le fils prolétaire christique s’enlaçant grâce à Brigitta Helm dépouillée de sa fascinante armure, une catastrophe idéologique… Mais il y a lesmasses ouvrières qu’il a dessiné en belier triangulaire qui disent leur obstination collective dans une apparente soumission. Tout est dans le triangle. Alors allons-y pour suivre la manière dont dans l’ellipse cette intelligence rarissime va trouver le chemin de sa liberté, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : Marx à qui l’on faisait passer le questionnaire de Proust choisissait deux héros : Spartakus ou la révolte des esclaves et Kepler l’astrnome qui découvrit le mouvement des étoiles, l”élan de la révolte sollicitée pour la science, la maîtrise. Ce fut dès son mémoire de fin d’étude sur Démocrite et Epicure, un chemin très conscient, celui de se mettre au service de la cause qui ferait de sa vie l’oeuvre la plus morale, mais d’une morale nouvelle, opposée à toutes les tartufferies. Il ya de la naiveté adolescente, écolière pour ces boulimiques de tous les savoirs. Mais j’en reviens aussi à la figure géométrique, à ce pari sur la vie que l’on tente les yeux fixés sur un décor, sur un objet. Comme le masque de la noyée de la Seine, l’appartement de la rue de Varennes, les murs couverts de cartes postales, de posts cloués par des punaises rouges, cotoyant des dessins de Matisse, ce qui lui restait de dons, de trésors dilapidés. Le mouvement des étoiles, l’ellipse ! Une des lois de Kepler, la seconde, celle des ellipses ou des orbites ? Les planètes du système solaire décrivent des trajectoires elliptiques, dont le Soleil occupe l’un des foyers. La terre ne se contente pas de tourner autour du soleil, le soleil occupe toujours l’un des deux foyers de la trajectoire elliptique qui change suivant la masse des planètes, plus la masse est importante plus les foyers s’écartent. le soleil, ce poème qui dit le mot jamais prononcé et dont le manque aurait déclanché l’écriture, celui de mère, il était né à 500 mètres de là sur l’esplanade des Invalides. Il n’est pas question de tout cela mais tous ceux qui connaissent Aragon retrouvent tout de suite ce parcours du hasard sans cesse questionné, sollicité dans l’écriture comme une marche.

Alain Ruscio n’est plus au parti depuis 1991, la date dit beaucoup, peut-être n’est-elle que coïncidence. En tout les cas, il n’appelle plus à voter pour ce parti, mais pour la France insoumise, pourtant en tant qu’historien c’est dans ce que fut le PCF que s’impose à lui la tyrannie du passé. Etre un historien est un mode d’être. Le rapport au PCF de la plupart d’entre eux peut être rigoureux dans ses méthodes et nul ne nie qu’il le soit chez Alain Ruscio, mais il conserve chez tous les historiens et chez lui en particulier la subjectivité du questionnement: qu’est-ce qui était vérité et mensonge dans cette histoire là, celle de ce parti dans le sillage de la révolution d’octobre? Entrainer le grand Louis Aragon, dans son propre objet d’étude, la question coloniale et la perspective émancipatrice communiste est un choix qui dit la fascination et l’ampleur de la recherche. Un des aspects de la fascination réside dans la diversité de ce que le choix communiste a embrassé ou a prétendu embrasser, des événements; Une oeuvre totale mais qui en refuse les cuivres wagnériens en dénonce les mensonges guerriers, et qui mêle grands hommes et masses obscures, outils de travail et oeuvres de musée, une déconstruction permanente de l’idéologie dominante. Aujourd’hui, même la distance qui parait s’être si rapidement instituée dans ce qu’il reste de notre histoire du camp des justes et des damnés avec des inversions de contrerévolution, est un défi permanent pour l’historien. C’est là que peut se tronquer l’ellipse, qui perd le double foyer puisque de cette épopée là notre médiocre époque nie les masses, et on en revient au simple cercle (vicieux comme il se doit)de la psychologie du personnage, comment et pourquoi un individu aussi pourvu de tous les dons a-t-il choisi de se mettre au service des damnés de la terre? … C’est en ces termes-là que l’on a coutume aujourd’hui de célébrer Aragon. et il serait anti-colonialiste en service commandé.

Pire encore: Est-ce que c’est, comme l’affirme Breton parce qu’« Aragon échappe plus aisément que quiconque au petit désastre du quotidien » il inventerait des systèmes pour perdre et il gagnerait? Là encore, il y a beaucoup de paresse dans ce diagnostic, c’est cela la limite de Breton, aussi doué qu’Aragon, mais à qui il aura manqué de la gravité… par rapport à la quête d’Aragon… le refus de toutes les virtuosités. Suivons donc Aragon révolté, dandy, anarchiste tel qu’il se décrit dans la Semaine sainte(1958), un roman initiatique dans le personnage du jeune peintre Gericault confronté au retour des rois. Arrêtons-nous une minute ? que se passe-t-il en 1956 quand il écrit ce livre et opère ce retour sur 1919. Ce n’est pas une question sans importance, bizarrement à ce stade là elle n’intérsse pas Ruscio. Aragon est toujours un jeune homme dans la première guerre mondiale aux services de santé militaires, il est affecté en Sarre, au sein du corps d’occupation. Près de Sarrebruck a lieu une grève de mineurs: “qu’est-ce que je faisais là? je comprenais tout cela très mal. Je n’avais jamais vu de mine, même en France. Les ouvriers… cela n’avait été pour moi une préoccupation jusqu’alors.“( p.29) A l’est, les bolcheviques ont pris le pouvoir, c’est un séisme, ils sont vus y compris par une part importante de la gauche comme des anarchistes, comme ces gens qui ont prétendu se révolter dans les tranchées. Pourtant ils représentent un cycle inédit dans l’histoire de l’humanité, faut-il s’en inspirer ou les considérer comme des aventuriers? Effectivement en 1956, la question se pose à nouveau, il n’en est pas question, pourtant Ruscio sait de quoi il parle en citant ces vers.

Oui je ne savais rien je comprenais bien peu
Un mot de vous un mot et je vous accompagne
Mes frères mes pareils mon amour malheureux

Quelque chose vers vous me conduit et m’attire
Je ne suis pas vraiment communiste je crois
Je l’avoue et je dois honnêtement vous dire
Qu’à lire vos journaux je m’irrite parfois

Voilà c’est ça, bon nous voilà reportés cent ans en arrière, pas grand chose en est élucidé, mais qu’en est-il aujourd’hui ? et si nous étions dans un cycle inédit dans l’histoire, ce dont je suis convaincue. Alors cet engagement sollicité comme un oracle que me dit-il du présent ? quel engagement peut aujourd’hui offrir ainsi la possibilité de vivre non pas autour d’une idée mais dans ce mouvement à double foyer où mes semblables et je les crois légion, peuvent à la fois s’identifier totalement à une part d’humanité, tout en ne reniant pas le fait que l’on y vient parfois de loin parce que personne n’est préparé à cela, n’a même pas encore les mots pour le dire… Combien de fois un communiste ne s’est-il dit que le cycle était terminé, que la révolution d’octobre avait fini sa parabole, que l’amour malheureux ne pouvait plus qu’être rupture. Parfois on continue et d’autres on s’écarte pour ne pas trahir ce qui a été le meilleur d’une vie. Et pas seulement en tant qu’intellectuel, voilà c’est l’adhésion mais aussi l’incompréhension, l’amour trahi par une déclaration, une bassesse comme oserai-sje le dire, cette signature en novembre 2022, des députés communistes à la guerre, à l’OTAN niant tout y compris la question coloniale telle qu’elle a été menée par le parti qui avait repris les thèses de lénine sur l’impérialisme…. Je veux bien d’un amour malheureux, il n’y a pas d’amour heureux, mais pas les ridicules du radicalisme à la Barbantane, celles de l’homme au gant gris qui traquait les congrégations, lançait son fils dans la guerre contre le “boche” avec des emphases de pleutre, de petit bourgeois prêt à tous les arrangements en agitant un drapeau français que l’on trahit…

Parce que l’anticolonialisme est une autre des interrogations sur le pacte avec l’Histoire qu’est l’engagement, selon Ruscio -et il sait de ce dont il parle- celui déjà donne du sens quand il n’y a pas encore les mots., pas encore de théorie, d’analyse marxiste, mais la prescience d’un crime vers lequel on vous entraîne, quelque chose auquel une génération va devoir résister, elle est là et pas encore, un cauchemar, un début de panique, un sentiment de solitude: “un petit nombre de faits éclatants, moins par leurs effets que par leur valeur parlante, marquent d’un sceau commun toute une génération; et de les avoir connus, de les avoir reçus comme un choc vers le même âge, vers le même instants de leur esprit, unit d’une façon mystérieuse, indélébile quelques milliers d’individus.

L’aspect le plus original de cette reflexion de Ruscio, porte alors sur la “préhistoire de l’engagement” préhistoire ou histoire du peuple sans écriture ou l’écrivain quand il n’a pas encore de mots comme le peuple qui comme aujourd’hui s’interroge sur ce vers quoi tout cela le mène et le fait avec plus de gravité que tous les opportunistes qui parlent à sa place. L’écriture sur les carapaces de tortue comme une pratique divinatoire mais qui est déjà autre chose, matière d’échange, de célébration collective, de recensements des productions humaines…

Et ce qui me parait important dans le parti pris de Ruscio c’est qu’il montre que ce choix librement consenti d’être le porte-voix de son parti est en gestation avant l’engagement, avant même l’expérience du massacre des tranchées, comme un trauma antérieur qui nait de la tension franco-allemande en 1911 à Agadir, à la frontière marocaine, on était passé tout prêt de la guerre. C’estla première “panique“… dont Aragon se souvient : dans des vers non retenus du roman inachevé il disait:
Massacre au Maroc entre sept et onze
Fez ou Marrakech Larrache ou Rabat
Quand le journal valait un sou de bronze
Gens de chez nous que cherchiez vous là-bas
(p.39)

Ce trauma de l’adolescence, cette panique devant l’inconnu, l’indécent de traiter ainsi l’ailleurs… Voilà j’e ferme déjà ce petit livre sur ces pages, les yeux aussi fermés sur l’écho en moi de cette courte lecture dans cette étrange défaite de novembre 2022 que l’on célèbre comme des victoires… C’est bien de cela qu’il est question dans ces pas qui mènent Aragon vers le parti, la question coloniale n’est pas au centre, pas plus qu’aucune luttes sociales, et pourtant elles sont toujours là… J’ai envie de mettre en garde, je ne sais plus qui et c’est là ce qui est tragique : ne plus savoir à qui les mots s’adressent, l’interlocuteur a disparu, il en est mort, rst-ce notre destin quand on ne peut plus unir les vivants au mort et qu’il ne reste plus que ces derniers avec qui vous avez un langage commun? Voilà à quoi on vous invite, aux célébrations ? Non, il y a cette révolte qui pointe l’avenir: ne sousestimez jamais ce qui se joue comme un trauma pour une génération qui accède à l’âge d’homme. Ce qui se passe en ce moment est d’une grande gravité : ne ratez pas cette génération… Ses êtres humains et ses poètes. Qui mesurera la gravité du propos aragonien, l’Histoire de l’art dit Aragon ne sépare pas de l’histoire de l’humanité. Parce que l’histoire c’est la vie contre la mort et il est des temps où cela se joue.

En fait pour qui connaît un peu Aragon, les signes se multiplient y compris ce premier roman écrit par un enfant de 5 ans et qui ouvre le libetinage, là où il cofie n’avoir jamais appris à écrire, et où il nous guide dans un périple Russie à travers, une quête à la Jules Verne, comme dans les feuilletons dans tous les journaux de l’époque. cela existait encore dans les journaux de l’après deuxième guerre mondiale, dans l’Humanité, les éditoriaux se sont présentés dans le même espace. Marx voulait faire éditer le capital en feuilleton et se demandait si l’incipit sur la valeur ne serait pas trop abstrait, trop argumenté pour l’exsprit léger français qui veut dès le debut être déjà à la fin. Donc Aragon, jeté dans l’histoire, celle de la trahison de la IIe internationale, celle des compromis radicaux paternels se jeta dans la “fin”, sans savoir comme nous par quel bout commencer, cherchant excusez du peu le sens de l’histoire.

Ce sens fut celui qui inaugura la révolution bolchevique , cette révolution qui a refusé que l’histoire soit simple chronique des “civilisés” et qui a ouvert une voie à laquelle a adhéré cette génération là, la mienne, nous avons regardé les ouvriers en grève pour le salaire, pour le panier de la ménagère comme les forgerons de l’unité humaine et nous avons été raisonnables dans ce choix démesuré. Aragon l’a fait toujours en partant de ce même lien avec le métier, ce mépris de l’exotisme, de la littérature de divertissement à la Loti.

Là aussi, quand on revendique cet anti-impérialisme, ce monde multipolaire, il y a quelque chose de la lucidité d’Aragon dans la manière dont nous nous méfions de certains “anti-impérialistes”, entre la charité orientée des ONG et le coeur en écharpe de certains gens de bonnes oeuvres, les soutiens à tous ce qui peut aider l’implantation de l’occident, le colonialiste et le missionnaire… En 1928, il dénonce “le besoin d’évasion” qualifié de “petites nostalgies bourgeoises”(…).Ils se sont rebâtis (sic) un paradis virtuel, qui niche quelque part en Afrique. Anodine transformation des Mesopotamies comme n’importe quel fils à papa, l’optimisme est devenu rimbaldien: il ne manquait plus que cela!”

L’ailleurs que nous communistes avons eu la chance de participer avec les surréalistes, ou alors c’est eux qui ont la chance de participer avec nous est l’exact opposé de cela. ils choisissent l’est, son invasion contre les Occidentaux les vrais mongols de l’esprit… Nous nous avons passé notre temps à tenter de démonter les stupidités des chars à Paris, ou encore aujourd’hui le péril jaune… Aragon comme ses amis proclamaient le cliché et appelaient à sa réalisation, comme elle tardait il piétinnait “Moscou la gâteuse” . Un an après, il était un fervent partisan pour la vie de l’internationale communiste. Que s’était’il passé ? Dans le Rif Abdel Krim avait levé l’étendard de la révolte au Maroc contre le colonialisme français et les députés communistes, jacques Duclos en tête avaient remis ça comme lorsque seuls, ils dénonçaient l’invasion de la Rhur. “Il s’est produit un fait capital pour nous tous et pas seulement pour moi.La guerre que nous considérions qu’elle était un crime et dont on nous avait prédit sur tous les tons qu’elle ne se reproduirait plus, la guerre cette fois c’était la France qui la faisait. “ Quelle différence entre une génération comme la mienne, dont la jeunesse a été mobilisée en Algérie et celle où grâce à une armée de métier au service de marchands d’armes on a habitué notre jeunesse à s’en désintéresser. Le cri d’Aragon nous l’entendons, nous encore mais qui d’autres à part nous ? Pour le moment personne même pas la jeunesse communiste ne voit la relation entre le vote unanime de l’Assemblée nationale en faveur de l’OTAN, la livraison d’armes et le destin d’une génération. Que leur dit Aragon, les surréaliste ? puisqu’il n’y a plus selon eux de questions coloniales? Puisqu’ils ne voient plus de relations entre leur mal vie et les engagements de leurs pays dans des contrées où avec des engagés volontaires nous sommes désormais sensés porter la démocratie contre de méchants autocrates? L’ouvrier en casquette épris de culture, celui qui était un rempart contre la guerre a disparu, on est dans un entre soi de couches moyennes, dans un certain mal être mais sans trop savoir pourquoi. Que peuvent-ils imaginer de cette rencontre là dont il faudrait parler. Oui, ce que l’ouvrier en casquette nous a économisé d’affetteries et de décors suranés, de mauvais usage de Rimbaud, et de tout notre patrimoine, et cela à laissé la place aux décors demandés au camarade Picasso . Oui ça nous pouvons le percevoir, nous encore avec Ruscio, nous l’avons vécu nous avec l’Algérie, le Vietnam, le tour du monde des camarades sans le moindre exotisme. Que savent-ils de cette exigence qui a fait d’Aragon un internationaliste même et surtout dans son métier d’écrivain, il a fait le tour de l’Asie centrale, fondée une collection qui exprimait la diversité et la modernité de ces voix jadis colonisées, il a sacrifié une partie du temps qu’il aurait pu consacrer à sa propre oeuvre pour en promouvoir d’autres, comme quand il exercé le métier de journaliste. De tout cela que sauront-ils, nous sommes des momies pétrifiées qui faisons encore nombre dans les meetings électoraux, on passe sans nous voir.

Retenez bien ce positionnement politique de l’ellipse, ce qui vous permet de vous reconnaitre dans un collectif et qui dans le même temps vous laisse maître de vous, d’être ce que vous êtes, même si vous n’êtes pas Aragon. Dites vous bien que c’est une question de génération et pas seulement de pourcentage électoral… Que ce qui offre aux êtres humains en souffrance, le pari raisonnable, et en fait le sceau commun à toute une génération restera ainsi pour un siècle peut-être jusqu’à ce que le temps soit revenu… d’être encore à la hauteur de ce que Marc Bloch dit de l’histoire et de l’historien à savoir qu’il faut aimer la vie pour aimer l’histoire, il la définit comme “la science des hommes dans le temps et qui sans cesse a besoin d’unir l’étude des morts à celle des vivants.”(2) Que dit donc d’autre Aragon quand il revendique l’identité entre histoire de l’art et histoire tout court, sinon inscrire son métier d’écrivain dans l’union de tous les morts et de tous les vivants, pas dans l’abstrait mais dans ce double foyer “politique” dont les masses désignent l’ampleur de la trajectoire. C’est de cette panique d’enfance comme pour d’autres paniques que nait le besoin du mot qui transforme les fantômes du cauchemar, les rumeurs, les confusions en réalités concrètes dans lesquels les front politiques peuvent se constituer et c’est ce qu’il exige de son parti, qui a effectivement a été cela en ce temps là… Ce parcours là fut celui de millions d’êtres, il fut honorable et exaltant, les sentiments collectifs qui ne furent jamais ceux de la foule existaient, les traces en demeurent, il est même des lieux où ils conservent leur force alors que chez nous ils s’etompent, ne sont plus que d’avoir été et chacun en ressort brisé, humilié, et continue sans joie, la poèsie a disparu, on peut toujours ouvrir les livres.

J’ouvrirai un autre jour ce petit livre, parce que c’est ainsi que se présente à nouveau le mouvement historique avec l’état réel des masses qui déterminent l’ampleur de la trajectoire. Hier comme aujourd’hui. Entre Spartakus et Kepler… Et celui qui refusera d’assumer ce trauma et qui pourtant ne saura pas s’ancrer dans la réalité perdra le droit à être cette génération-là. Nul ne sait ce qu’il adviendra, mais il y a eu un moment où tout ce qui fera demain a paru s’unifier… nous ne sommes plus peut-être que les témoins de ce possible-là de cette parenthèse et du fait que nous y avons goûté, et dans quelques jours, je m’étonnerai peut-être en réouvrant ce livre de tout ce que j’ai cru y lire. Parce qu’il m’arrive d’espérer, tandis que ceux qui voient disparaitre notre monde et sa “suprématie” en déduisent que c’est la fin de “l’universel” , alors que nous avons vécu un temps où naissait un véritable universel et c’est peut-être lui qui demande à s’accomplir et qui nous donnera une autre compréhension d’Aragon.

Danielle Bleitrach

(1)Alain Ruscio , Aragon et la question coloniale; préface de Pierre Juquin, Manifeste, 2022, 191 pages, 12 euros

(2)Marc Bloch apologie pour l’histoire ou métier d’historien, édition critique préparée par Etienne Bloch. préfacée par Jacques Le Goff. Armand Colin . 1993

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2 Commentaires

  • Michel BEYER
    Michel BEYER

    La “Rose et le Réséda” pour les députés communistes:
    Quand les blés sont sous la grêle
    Fou qui fait le délicat
    Fou qui songe à ses querelles
    Au coeur du commun combat

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    • daniel GENDRE
      daniel GENDRE

      LA PATRIE EN DANGER,
      I. Quand je vous disais la rose,
      Extraits. Juin 1948
       

      Auriez-vous perdu mémoire
      Du pays écartelé
      Oublié déjà l’histoire
      De ceux qui s’en sont allés

      Le tonnerre des mensonges
      Est le rire des bourreaux
      Déjà cette lèpre ronge
      La statue de nos héros
       
      Entendez dans vos demeures
      Cette voix mal bâillonnée
      C’est la liberté qui meurt
      La patrie abandonnée
       
      La prison prélude aux tombes
      Et le boucher haut parlant
      Pend la paix pâle colombe
      Aux crocs de l’étal sanglant

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