Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Jeffrey Sachs : la politique étrangère de Biden fait sombrer les démocrates du Congrès, et l’Ukraine

Catherine Winch notre correspondante à Londres nous envoie ce texte assorti de cette présentation : “Un économiste américain, conseiller des économistes russes au moment de Gorbatchev et Yeltsine, pilier de l’establishment américain jusqu’à récemment, demande des négociations avec la Russie, sur la base de “la neutralité militaire de l’Ukraine, le maintien de facto de la Russie en Crimée, où se trouve sa flotte de la mer Noire depuis 1783, et une autonomie négociée pour les régions d’origine russe, comme le prévoyaient les accords de Minsk, que l’Ukraine n’a pas mis en œuvre.” (note et traduction de Catherine Winch pour histoire et societe)

Jeffrey D. Sachs est professeur d’université et directeur du Centre pour le développement durable de l’université de Columbia, où il a dirigé l’Institut de la Terre de 2002 à 2016. Il est également président du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies et commissaire de la Commission pour le développement du haut débit des Nations unies. Il a été conseiller auprès de trois secrétaires généraux des Nations unies et occupe actuellement le poste de défenseur des ODD (Objectifs de développement durable) auprès du secrétaire général Antonio Guterres. Sachs est l’auteur, tout récemment, de “A New Foreign Policy : Beyond American Exceptionalism” (2020). Parmi ses autres ouvrages figurent : “Building the New American Economy : Smart, Fair, and Sustainable” (2017) et “The Age of Sustainable Development” (2015) avec Ban Ki-moon.

La guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie dévaste l’Ukraine, ironiquement au nom du salut de l’Ukraine.

Jeffrey D. Sachs 30/10/22

https://www.commondreams.org/views/2022/10/30/bidens-foreign-policy-sinking-congressional-dems-and-ukraine

Le président Joe Biden sape les perspectives de son parti au Congrès par une politique étrangère profondément déséquilibrée. Biden pense que la réputation mondiale de l’Amérique est en jeu dans la guerre d’Ukraine et a toujours rejeté une voie de sortie diplomatique. La guerre en Ukraine, combinée aux perturbations des relations économiques de l’administration avec la Chine, aggrave la stagflation qui livrera probablement une ou les deux chambres du Congrès aux Républicains. Bien pire, le rejet de la diplomatie par Biden prolonge la destruction de l’Ukraine et constitue une menace de guerre nucléaire.

Biden a hérité d’une économie assaillie par de profondes perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales causées par la pandémie et par les politiques commerciales incohérentes de Trump. Pourtant, au lieu d’essayer de calmer les tensions et de corriger ces perturbations, M. Biden a intensifié les conflits entre les États-Unis et la Russie et la Chine.

Biden a attaqué le chef de la minorité républicaine de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, pour avoir exprimé des doutes sur un autre grand plan de soutien financier à l’Ukraine, déclarant : “Ils [les républicains de la Chambre] ont dit que s’ils gagnent, ils ne sont pas susceptibles de financer – d’aider – de continuer à financer l’Ukraine, la guerre ukrainienne contre les Russes. Ces gens ne comprennent pas. C’est beaucoup plus important que l’Ukraine – c’est l’Europe de l’Est. C’est l’OTAN. Il s’agit de conséquences réelles, sérieuses, sérieuses. Ils n’ont aucun sens de la politique étrangère américaine”. De même, lorsqu’un groupe de démocrates progressistes du Congrès a demandé instamment la tenue de négociations pour mettre fin à la guerre en Ukraine, ils ont été excoriés par les démocrates qui suivaient la ligne de la Maison Blanche et ont été contraints d’abjurer leur appel à la diplomatie.

Biden pense que la crédibilité américaine dépend de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et, si nécessaire, de la défaite de la Russie dans la guerre d’Ukraine pour y parvenir. Biden a refusé à plusieurs reprises de s’engager dans la diplomatie avec la Russie sur la question de l’élargissement de l’OTAN. Cela a été une grave erreur. Il a alimenté une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie, dans laquelle l’Ukraine est dévastée, ironiquement au nom du salut de l’Ukraine.

Toute la question de l’élargissement de l’OTAN repose sur un mensonge américain datant des années 1990. Les États-Unis et l’Allemagne avaient promis à Gorbatchev que l’OTAN ne bougerait “pas d’un pouce vers l’est” si Gorbatchev dissolvait l’alliance militaire soviétique du Pacte de Varsovie et acceptait la réunification de l’Allemagne. Comme par hasard, et avec un cynisme typique, les États-Unis sont revenus sur cet engagement.

En 2021, Biden aurait pu éviter la guerre d’Ukraine sans sacrifier aucun des intérêts vitaux des États-Unis ou de l’Ukraine. La sécurité des États-Unis ne dépend absolument pas de l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie. En fait, l’élargissement de l’OTAN plus loin dans la région de la mer Noire compromet la sécurité des États-Unis en les plaçant dans une confrontation directe avec la Russie (et une nouvelle violation des promesses faites trois décennies plus tôt). La sécurité de l’Ukraine ne dépend pas non plus de l’élargissement de l’OTAN, un point que le président Volodymyr Zelensky a reconnu à de nombreuses reprises.

Depuis 2008, le président russe Vladimir Poutine n’a cessé d’avertir les États-Unis de maintenir l’OTAN en dehors de l’Ukraine, une région qui présente un intérêt vital pour la sécurité de la Russie. M. Biden a tout aussi résolument insisté sur l’élargissement de l’OTAN. Poutine a fait une dernière tentative diplomatique fin 2021 pour arrêter l’élargissement de l’OTAN. Biden l’a complètement rembarré. C’était une politique étrangère dangereuse.

Même si de nombreux politiciens américains ne veulent pas l’entendre, l’avertissement de Poutine concernant l’élargissement de l’OTAN était à la fois réel et pertinent. La Russie ne veut pas d’une armée de l’OTAN puissamment armée à sa frontière, tout comme les États-Unis n’accepteraient pas une armée mexicaine puissamment armée et soutenue par la Chine à la frontière américano-mexicaine. La dernière chose dont les États-Unis et l’Europe ont besoin est une longue guerre avec la Russie. Pourtant, c’est exactement ce que l’insistance de Biden sur l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine a provoqué.

Les États-Unis et l’Ukraine devraient accepter trois conditions absolument raisonnables pour mettre fin à la guerre : La neutralité militaire de l’Ukraine, le maintien de facto de la Russie en Crimée, où se trouve sa flotte de la mer Noire depuis 1783, et une autonomie négociée pour les régions d’origine russe, comme le prévoyaient les accords de Minsk, que l’Ukraine n’a pas mis en œuvre.

Au lieu de ce type d’issue raisonnable, l’administration Biden n’a cessé de dire à l’Ukraine de continuer à se battre. Elle a activement découragé les négociations en mars, alors que les Ukrainiens envisageaient une fin négociée de la guerre, mais ont fini par quitter la table des négociations. Le résultat est que l’Ukraine souffre cruellement : ses villes et ses infrastructures sont réduites en cendres et des dizaines de milliers de soldats ukrainiens meurent dans les combats qui s’ensuivent. Malgré tout l’arsenal de l’OTAN, la Russie a récemment détruit jusqu’à la moitié de l’infrastructure énergétique de l’Ukraine.

Dans le même temps, les sanctions commerciales et financières imposées par les États-Unis à la Russie ont eu un effet boomerang. Avec la coupure des flux énergétiques russes, l’Europe est plongée dans une crise économique profonde, avec des retombées négatives sur l’économie américaine. La destruction du gazoduc Nord Stream a encore aggravé la crise de l’Europe. Selon la Russie, cela a été fait par des agents britanniques, mais presque certainement avec la participation des États-Unis. Rappelons qu’en février, Biden a déclaré que si la Russie envahit l’Ukraine, “nous y mettrons fin [au Nord Stream]”. “Je vous promets”, a déclaré Biden, “nous serons en mesure de le faire”.

La politique étrangère peu judicieuse de Biden a également entraîné ce contre quoi des générations de stratèges en politique étrangère, de Henry Kissinger à Zbigniew Brzezinski, avaient mis en garde : pousser la Russie et la Chine à se rapprocher résolument. Il y est parvenu en intensifiant de façon spectaculaire la guerre froide avec la Chine au moment même où il poursuivait la guerre chaude avec la Russie.

Dès le début de sa présidence, Biden a fortement réduit les contacts diplomatiques avec la Chine, a suscité de nouvelles controverses concernant la politique américaine constante d’une seule Chine, a demandé à plusieurs reprises l’augmentation des ventes d’armes à Taïwan et a mis en œuvre une interdiction globale des exportations de haute technologie vers la Chine. Les deux partis se sont ralliés à cette politique anti-chinoise déstabilisante, mais le coût en est une déstabilisation accrue du monde, ainsi que de l’économie américaine.

En somme, Biden a hérité d’une conjoncture économique difficile – pandémie, excès de liquidités de la Fed créé en 2020, déficits budgétaires importants en 2020, et tensions mondiales préexistantes. Pourtant, il a considérablement exacerbé les crises économiques et géopolitiques au lieu de les résoudre. Nous avons besoin d’un changement de politique étrangère. Après les élections, il y aura un moment important de réévaluation. Les Américains et le monde ont besoin de reprise économique, de diplomatie et de paix.

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