Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’objectif de la Russie en Ukraine: un peu de bon sens que diable! par Eamon Dyas

Catherine Winch -notre correspondante à Londres- nous adresse le texte d’un ami qu’elle a traduit pour histoireetsociete. En fait “les objectifs” de Poutine ont toujours été définis par les USA et l’OTAN pour rendre crédibles le refus de toute négociation et la guerre vu d’un point de vue occidental, mais l’analyse militaire va a contrario de cette interprétation. Je voudrais souligner que ce “bon sens” n’est pas isolé, nombreux sont les militaires français qui le disent hors plateau de télé, il y a même de temps en temps sur LCI, un général qui parait au supplice et tente de corriger les bulletins des autres intervenants concernant les buts, les moyens, l’échec supposé russe. (note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

Making Sense of the Ukraine Conflict – Labour Affairs

Le secrétaire de presse du Pentagone : “Jusqu’à récemment, nous avions encore estimé que leur plan [la Russie] était d’occuper et d’annexer l’Ukraine” – 29 mars 2022.

C’est la base de la narration US/OTAN depuis le début. Il était nécessaire de construire cette narration afin de projeter les intentions russes dans une zone où le comportement irresponsable de Kiev et les encouragements des États-Unis et de l’OTAN ne pouvaient être jugés correctement par le public.

“La Russie avait l’intention d’envahir l’Ukraine dans le simple but de l’annexer”. Aucune autre explication n’a eu de place dans le récit des médias et, par conséquent, aucune autre explication des actions de la Russie n’est possible.

Le discours des médias a été maintenu malgré les multiples déclarations de la Russie selon lesquelles ses objectifs n’incluent ni l’occupation ni l’annexion du pays. Ses objectifs sont liés à ses préoccupations concernant la relation de l’Ukraine avec l’OTAN – préoccupations qui ont été rejetées avec arrogance par les États-Unis et l’OTAN lors de la préparation de l’incursion.

Le discours des médias a été maintenu en dépit du fait qu’il aurait été impossible pour les 150 000 soldats russes de prendre temporairement le contrôle, et encore moins d’occuper, de l’ensemble de l’Ukraine.

Le récit a été maintenu en dépit du fait que l’invasion russe prévue n’a pas eu lieu en décembre – au moment où tous les avis militaires des États-Unis et de l’OTAN prévoyaient qu’elle se produirait, car c’est à ce moment-là que la dépendance de l’Occident à l’égard des approvisionnements énergétiques russes était la plus forte et avant que l’afflux d’armements de l’OTAN dans le pays n’ait eu lieu.

Le récit a été maintenu malgré le fait que l’incursion russe n’a pas été initiée par une blitzkrieg ou une opération “Shock and Awe” similaire à ce que les États-Unis et le Royaume-Uni ont fait en Irak, où l’objectif était effectivement d’occuper le pays.

Elle a été maintenue en dépit du fait que la Russie n’a pas utilisé sa puissance aérienne à un niveau proche de celui qu’exigerait une invasion à grande échelle.

Elle a été maintenue malgré le fait que la Russie ait évité d’endommager gravement l’infrastructure ferroviaire de l’Ukraine.

Ensuite, plutôt que d’admettre que toutes les preuves indiquaient un objectif russe différent et beaucoup plus limité, le récit des États-Unis et de l’OTAN a été déformé et contourné pour expliquer les preuves d’une manière qui défie toute logique.

Dès le départ, des questions ont été posées sur l’incapacité de la Russie à mettre en œuvre la stratégie Blitzkrieg /Shock and Awe nécessaire. Mais les réponses à cette question n’ont été considérées comme valables que si elles pouvaient être intégrées dans le récit, désormais bien établi. L’absence de blitzkrieg russe était due à une défaillance de l’appareil militaire russe ou à une incapacité à établir des lignes d’approvisionnement.

Nos journalistes et nos médias n’ont jamais expliqué ou demandé comment de telles défaillances pouvaient être compatibles avec le fait que les troupes russes se trouvaient aux frontières de l’Ukraine depuis des mois, vraisemblablement en vue d’une invasion, et qu’elles n’ont pourtant pas réussi à mettre en place des machines fiables et des lignes d’approvisionnement adéquates.

Des questions similaires ont été soulevées par le fait que la Russie n’a pas engagé la totalité de sa puissance aérienne dans cette “invasion”. Mais, là encore, les réponses ne pouvaient être que celles qui s’inséraient dans le récit existant. La raison en est l’efficacité des systèmes antiaériens mobiles que l’OTAN avait fournis à l’Ukraine avant l’invasion. On n’a jamais expliqué comment ces systèmes antiaériens mobiles avaient la portée nécessaire pour atteindre et abattre des avions russes capables de frapper une cible “au-delà de l’horizon”. Si de tels systèmes anti-aériens peuvent être efficaces pour réduire l’activité aérienne de l’ennemi dans certains scénarios, ils ne sont pas capables de diminuer sérieusement la stratégie aérienne d’une puissance militaire déterminée de premier ordre, avec toute la capacité et la technologie dont dispose l’armée de l’air russe.

Ensuite, après avoir mis des semaines à déplacer leurs colonnes de chars jusqu’à la périphérie de Kiev, les Russes se sont arrêtés sans monter d’assaut sérieux sur la ville – ce qui serait nécessaire si l’objectif était d’occuper et d’annexer le pays – la seule explication jugée acceptable a été une fois de plus celle qui est conforme au récit initial. C’était dû à une défaillance des généraux russes, à une défaillance du moral des troupes russes et, bien sûr, aux efforts héroïques de l’armée ukrainienne.

Ce sont toutes des explications qui pourraient expliquer la frustration d’un effort complet de l’ennemi pour prendre Kiev. Ce sont toutes des explications qui seraient valables s’il y avait des preuves que tel était l’objectif russe. Mais malheureusement, de telles preuves n’existent pas. On ne nous a jamais fourni d’estimation du nombre de troupes que la Russie a “lancées” sur Kiev dans son effort pour prendre la ville. Nous savions que des chars se trouvaient à la périphérie, mais ces chars ont rapidement adopté la stratégie associée à un ” retranchement ” statique (il a été admis qu’ils se sont dispersés dans les bois environnants) plutôt que d’adopter des formations indiquant qu’ils fournissaient une couverture pour un assaut de troupes. Et où était l’artillerie et le soutien aérien nécessaires ? De l’aveu de tous, relativement peu d’obus ont “plu” sur Kiev.

La vérité est qu’il n’y a jamais eu à l’extérieur de Kiev le nombre de troupes russes nécessaire pour prendre la ville, pour la simple raison que cela n’a jamais été un objectif russe. Et la prise de Kiev n’a jamais été un objectif parce que l’occupation et l’annexion de l’Ukraine n’ont jamais été l’objectif de l’incursion russe.

Le fait que les preuves indiquent cette réalité et que le comportement des forces russes depuis qu’elles ont franchi la frontière en février est cohérent avec ce fait n’a pas empêché les médias obéissants de conférer une crédibilité imméritée au récit des États-Unis et de l’OTAN, recit qui semble chaque jour plus fragile.

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1 Commentaire

  • Catherine

    Cet article est publié en anglais dans le mensuel anglais Labour Affairs
    https://labouraffairs.com
    parmi d’autres articles sur l’Ukraine et la situation politique, économique et sociale en Angleterre.

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