Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

“La situation à Melitopol était démentielle”

19 mars 2022, 00:55
Photo : ria-m.tv
Texte : Mikhail Moshkin

Lorsque les autorités ukrainiennes ont quitté Melitopol, tous les services chargés de la sécurité de la ville sont partis avec elles, et les armes et les voitures de police ont été abandonnées. Le personnel du ministère des Situations d’urgence a fait du bon travail, en restant auprès des habitants de Melitopol et il continue de les aider jusqu’à présent, a déclaré l’un des nouveaux dirigeants de Melitopol, Yevgeny Balitsky, au journal VZGLYAD. Quelle est la vie et quels sont les espoirs de la ville ukrainienne récemment libérée par les troupes russes ? Cette description de ce qui s’est passé dans ce que l’on décrit en Occident comme les zones occupées et qui ici serait plutôt présenté comme des zones libérées correspond à ce qui avait été déjà décrit, l’organisation par les habitants eux-mêmes de la vie quotidienne, les services officiels ukrainiens, eux-mêmes un mélange des bataillons d’extrême-droite et d’ukrainiens plus traditionnels assument la survie des populations tandis que l’armée russe se fait discrète, les bombardement émanent des forces ukrainiennes. Notez que c’est le “parti des régions” pro-russe traditionnellement et auquel appartenait le président chassé en 2014 assez proche de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine qui a pris le relais dans des zones de l’est et du sud traditionnellement pro-russe. Notez la distribution de nourriture et la description de la misère qui n’est pas le simple fruit de la guerre. (note de Danielle Bleitrach et Marianne Dunlop, traduction de M.D pour histoireetsociete)

https://vz.ru/politics/2022/3/19/1149308.html

Vendredi soir, les forces de défense aérienne russes ont repoussé une attaque de missiles visant des zones résidentielles de Melitopol, une ville de Zaporizhzhye qui était occupée par nos troupes il y a encore quelques semaines. Selon le ministère russe de la Défense, plusieurs missiles Tochka-U équipés d’ogives à fragmentation ont été tirés depuis la périphérie de Zaporizhzhye, qui est “contrôlée par les nationalistes ukrainiens”. Cependant, les missiles volant vers Melitopol ont été interceptés.

Néanmoins, Melitopol s’habitue à sa nouvelle vie paisible : les magasins et les transports fonctionnent, et l’aide humanitaire est distribuée aux habitants. Ici, comme à Kherson, des administrations temporaires ont commencé à fonctionner. Le maire par intérim est Galina Danilchenko, une conseillère municipale qui était auparavant membre du Parti des régions. Elle est assistée par un “comité des députés du peuple”.

Le conseiller régional de Zaporizhzhye, Evgueni Balitskyy, est chargé de coordonner les autorités locales avec les forces de l’ordre russes. Le conseiller du ministre ukrainien de l’Intérieur, Anton Gerashchenko, a déjà accusé le député de trahison et l’a menacé de sanctions sévères.

Balitskyy est né à Melitopol dans la famille d’un aviateur militaire. En 1991, il est diplômé de l’école supérieure d’aviation militaire de Tambov, en 1995, il est retraité du régiment d’aviation de transport militaire de Melitopol avec le grade de capitaine. Après cela, il s’est engagé dans les affaires, jusqu’à ce qu’il passe à la politique et devienne député de la Verkhovna Rada pour le Parti des régions (également élu de Melitopol).

Evgueni Balitsky. (photo : capture vidéo)

En 2017, lors d’un talk-show télévisé, il a promis d’annexer Melitopol à la Russie. “La Crimée est partie, nous ne pouvons pas reprendre le Donbass. Et nous aussi nous partirons – moi et le district que je représente”, a menacé Balitsky. – Mais nous partirons avec nos territoires”.

Dans une interview accordée à VZGLYAD, Evgueni Balitsky explique comment sa ville natale, Melitopol, vit dans cette nouvelle réalité.

VZGLYAD : Evgueni Vitalyevich, la ville aurait été touchée par des tirs de missiles des forces armées ukrainiennes. Quelles ont été les conséquences de cette attaque ?

Evgueni Balitsky : Il y a eu trois roquettes pendant la soirée et la nuit. Nous les comptons tous les jours. En fait, il en vole une ou deux par jour vers Melitopol. Tout cela a commencé dès que les troupes ukrainiennes ont quitté Melitopol, et se produit à la fréquence de trois missiles par jour.

Mais heureusement la défense aérienne déployée par les forces russes les abat. Les missiles ont été abattus, deux d’entre eux avec des ogives à fragmentation, l’une conçue pour faire sauter des objets, pas des hommes. Deux roquettes sont tombées dans une zone plus ou moins sans danger, et une roquette est tombée dans un secteur résidentiel, une conduite de gaz a été endommagée. J’ai vu des trous dans le tuyau de gaz, il y avait un début d’incendie.

Les services de la ville ont bien travaillé, ils l’ont éteint, les immeubles sont remises en état. Les dégâts ne sont pas très importants car les éclats ne sont pas issus d’un tir direct de missile. Les toits, les ardoises, les fenêtres sont en cours de restauration par la ville et les citadins eux-mêmes.

Mais je ne peux m’empêcher de partager mon impression générale de ce qui se passe. L’Ukraine tire maintenant sur Melitopol, avec le fameux missile Totchka-U – et pas sur un aérodrome, pas sur des unités militaires, que nous n’avons pas… Les militaires en gilet pare-balles et en cuirasse, ils ne mourront tout simplement pas. Alors ma question est : pourquoi nous tirez-vous dessus ? Qu’essayez-vous de prouver et à qui ? Voulez-vous nous mettre à genoux, ou voulez-vous nous faire aimer l’Ukraine encore plus ?

Un missile Totchka-U ukrainien volait vers nous et les Russes l’ont abattu. Alors à qui devrions-nous être reconnaissants pour nos vies ? Je ne revendique rien, je pose simplement des questions – bien que j’aie déjà été mis sur “pacificateur” [le site ukrainien Mirotvorets qui publie des listes de personnes à abattre, NdT] et déclaré presque ennemi. Mais pour l’instant, je suis plus préoccupé par la paix et la sécurité de notre ville, afin que tous les services fonctionnent correctement.

VZGLYAD : Quelle est la situation actuelle ?

E.B. : La plupart des magasins fonctionnent. Les marchés sont ouverts et tout est là, comme avant le 24 février. Les prix sont légèrement plus élevés qu’avant. Presque tous les secteurs fonctionnent, sauf l’industrie, car il y a beaucoup de problèmes avec l’approvisionnement et les ventes.

Les salaires des employés de l’État sont payés – en partie par les autorités ukrainiennes, si l’on prend les institutions publiques telles que les universités, l’Agroacademie, les écoles techniques – ce qui figurait au bilan de l’État et non des autorités locales. En ce qui concerne les paiements locaux – il y a un problème avec les paiements aux retraités, ce problème est en train d’être résolu, les arriérés sont faibles, pas plus d’un mois.

Mais nous devons admettre qu’il y a des perturbations dans de nombreux secteurs, de nombreuses entreprises ne fonctionnent pas – d’ailleurs, cela explique pourquoi tant de personnes font la queue pour obtenir de l’aide humanitaire. Franchement, même si quelque chose avait été distribué gratuitement avant le 24 février, il y aurait toujours eu une immense file d’attente.

VZGLYAD : Comment le nouveau gouvernement de la ville construit-il ses relations avec l’armée russe ?

E.B. : Les militaires n’interfèrent pas directement dans la vie de la ville. Nous ne les voyons que dans leurs bases et ils se déplacent dans la ville, mais nous, les autorités civiles, ne nous mêlons pas à eux en particulier. L’interaction se fait avec la milice, créée pour protéger la loi et l’ordre, qui remplace la police nationale.

Nous recevons une aide humanitaire chaque semaine. Aujourd’hui, nous avons reçu 50 tonnes : des conserves de viande, du sucre, des céréales, des couches – toutes les choses les plus nécessaires. Nous le distribuons dans différents quartiers de la ville. Ce sont principalement les groupes socialement défavorisés qui en bénéficient. Et oui, les files d’attente sont énormes.

VZGLYAD : Vous avez mentionné le service de maintien de l’ordre nouvellement créé. Ses forces sont-elles suffisantes pour lutter contre les pillages, qui ont été signalés dans les premiers jours suivant le retrait des militaires ukrainiens ?

E.B. : Les pillages sont en baisse. Le phénomène est pratiquement inexistant aujourd’hui – du moins, il n’a pas été signalé la semaine dernière. La loi et l’ordre dans la ville sont assurés par les forces militaires et la milice de Melitopol. Une centaine d’hommes, pour la plupart d’anciens policiers à la retraite, se sont inscrits comme volontaires. Ils y vont sans armes. Nous n’avons pas de parquet, pas de tribunaux, et les forces de sécurité ne peuvent donc pas remplir pleinement leurs fonctions.

Vous devez comprendre que, tout récemment, il y a eu une situation complètement délirante – lorsque les autorités ukrainiennes sont parties, y compris toutes les forces de sécurité, qui, pour autant que je sache, ont été transférées à Dnipropetrovsk. Tous les services chargés de la sécurité de la ville sont partis – tout a été endommagé dans leurs bureaux, ordinateurs et autres équipements.

Les armes ont été abandonnées et les voitures de police aussi. Le ministère des situations d’urgence s’est avéré à la hauteur, il est resté avec les habitants de Melitopol et les aide maintenant.

VZGLYAD : Y a-t-il eu un exode massif des habitants de Melitopol avant l’entrée des troupes russes ?

E.B. : Non. Comme je l’ai dit, il s’agissait principalement de personnel du bureau du procureur, de la police et d’employés de la mairie. Ceux qui étaient “proches de l’argent” – ils avaient tout à perdre. Ceux qui avaient directement financé le Secteur droit* et des organisations similaires, ou qui étaient liés à eux d’une manière ou d’une autre, sont également partis. Il faut dire qu’ils étaient peu nombreux. Nous sommes une ville typique du sud-est, nous n’avons jamais eu beaucoup de nazis cinglés ici. Il n’y a pratiquement pas de personnes qui sont allées servir dans l’Aidar, l’Azov et d’autres forces de sécurité nationale.

Sur ordre des autorités de Kiev, ils ont essayé de créer une défense territoriale, mais il n’y avait pas plus d’une douzaine de personnes qui voulaient s’engager. Et même dans ce cas, ces personnes ont été immédiatement dénoncées – lorsque les “bonnes personnes” sont arrivées à la Mairie, leurs propres amis ont dénoncé les “Teroboron”. Un classique du genre ukrainien.

VZGLYAD : Nous avons entendu des déclarations selon lesquelles la nouvelle direction de la ville a pour intention de se tenir à l’écart de la politique. Est-ce vrai, à votre avis ?

E.B. : Nous ne jouons aucun rôle dans les processus politiques, dans les drapeaux qui flottent dans la ville. C’est la position qui est partagée par la majorité des habitants de la ville – les gens n’ont pas besoin d’être entraînés dans des querelles politiques. Il y a deux présidents qui doivent résoudre les problèmes entre eux. Il y a deux armées qui se débrouillent entre elles. Mais s’il vous plaît, ne faites pas ça dans les pâtés de maisons ! Nous voulons vivre et nous développer, nous avons besoin de donner naissance à des enfants, nous avons besoin que notre ville reste pour quelqu’un, nous avons besoin que quelqu’un vive ici.

VZGLYAD : Les dirigeants de Kiev ont encouragé les habitants des villes qui sont sous contrôle militaire russe à participer à des rassemblements. Que pensent les autorités de la ville à ce sujet ?

E.B. : Les autorités demandent instamment aux gens de ne pas participer à de tels rassemblements. Mon opinion personnelle est que tous ces appels à la “protestation et à la résistance” rappellent une phrase d’une chanson : “Je t’aime tellement quand tu es loin ! C’est bien d’être assis quelque part à Kiev et de dire : “Mourons tous pour notre patrie”.

Qu’ils nous expliquent plutôt au nom de quoi on nous demande à tous de mourir. “Pour nos rues et nos maisons” ? Alors ne placez pas de mortiers sur nos maisons, et ne lancez pas de drones de combat dans les rues. J’ai déjà parlé des missiles, qu’ils ont lancés sur nos maisons. “Pour la terre ukrainienne” ? Mais le gouvernement de Kiev a vendu ces terres sans demander l’avis de la population, sans aucun référendum. Pour les usines et les fabriques ? Elles ne sont donc pas à nous depuis longtemps, les oligarques les ont rachetées. Je ne me battrai pas pour Zelensky.

J’ai voté pour l’Ukraine en 1991, pour l’indépendance, mais j’ai voté pour un pays différent. Pas pour qu’on nous retire le droit de parler russe, ni pour renommer nos rues sans demander l’avis de personne. Ils ont tout fait sans nous. Et maintenant, quand ça chauffe, ils disent – allez-y, patriotes, allez vous battre. Lorsqu’ils me demandent pourquoi moi qui suis un officier militaire, je ne participe pas aux hostilités ? J’ai prêté serment à l’Union soviétique – pourquoi devrais-je me battre pour vous ?

* Organisation(s) dissoute(s) ou interdite(s) dans la Fédération de Russie.

Note sur Melitopol (150 000 ha) :

La ville a été fondée en 1784 par un décret de l’impératrice Catherine II. Jusqu’en 1816, elle s’appela Kyzyl-Jar, puis Novoalexandrovka. Le 7 janvier 1842, elle reçut le statut de ville et le nom de Melitopol, d’après le nom de la ville portuaire de Melita (du grec Μέλι, meli ou « miel »), qui était située à l’embouchure de la rivière Molotchna. À la fin de XIXe siècle, la ville était un centre important de commerce et possédait quelques industries (fonderie, fabrication de machines, ateliers du dépôt du chemin de fer, etc.). Au début du XXe siècle, on dénombrait 15 000 habitants à Melitopol pour une trentaine d’entreprises industrielles et 350 points de vente. En 1912, la population était passée à 25 000 habitants.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Melitopol fut occupée par l’armée allemande le 6 octobre 1941 et libérée par l’Armée rouge le 24 octobre 1943, après dix jours de durs combats. Pendant l’occupation allemande, les 2 000 habitants juifs restants furent assassinés par les Einsatzgruppen avec le soutien actif de la Wehrmacht. (source : Wikipedia)

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