Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Une tragédie musicale par François L.

Je n’ai pas encore vu ce “remake”… Et cela ne faisait même pas partie de mon programme, mais François m’incite à aller voir. Il ne faut pas négliger Spielberg, il sait tout du cinéma. Oui, mais moi j’ai tendance à privilégier les auteurs qui savent beaucoup du cinéma mais ont des curiosités littéraires, historiques, politiques qui sont proches des miennes. Que vous le croyez ou non je n’ai pas encore trouvé le temps d’aller voir Tromperie de Desplechin sur scénario de Roth, dont j’attends beaucoup. Hier j’ai voulu m’y rendre mais à la caisse du cinéma, j’ai découvert au César à Marseille, une perle rare dont je vous parlerai demain, une rétrospective Dusan Makavejev qui semble se poursuivre. Hier, j’ai vu “innocence sans protection”, un délice, nous étions trois dans la salle, c’est bien pour la covid, mais j’espère qu’ils maintiendront mercredi la rétrospective. (note de Danielle BLEITRACH pour histoireetsociete)

Paraphrasant ce qu’écrivait Georges Fourest à propos du Cid, on pourrait résumer West Side Story à un ironique ’qu’il est joli garçon l’assassin de mon frère ‘. Corneille et Shakespeare veillent sur cette comédie musicale créée en 1957 à Broadway et devenue quatre ans plus tard un succès mondial grâce au cinéma.

Comédie musicale vraiment ?  La centaine, peut-être le millier, d’oeuvrettes hollywoodiennes optimistes et pailletées, à but purement distractif, ont produit si peu de chefs d’œuvre, une dizaine peut-être en comptant large, du calibre de  ‘Tous en Scène’ ou d ’Un Américain à Paris’.

 Non il s agit là de tout autre chose. Comme ‘Porgy and Bess’ ou ‘Carmen Jones’ on devrait parler ici de tragédie musicale, construite sur un scénario solide avec une partition de grande qualité et des acteurs mieux armés pour jouer le drame que, mettons, Fred Astaire ou Cyd Charisse (ce qui n’enlève rien à leur talent)

 Alors le West Side Story de Spielberg ? C’est un remake. Un re-fait . Un mot qui a trois sens en français car refaire c’est recommencer parfois à l identique ( j ai refait la même bêtise) mais c’est aussi modifier ( je me suis fait refaire le nez ) ou c’est une arnaque (je suis refait)

 Ici il n y  a pas d’arnaque, on en a pour son argent, le budget est conséquent et Spielberg à la hauteur de sa réputation. Disons le, le film est éblouissant, les chorégraphies magnifiques, c’est un enchantement de deux heures quarante qui ne paraissent pas longues. Il semble que le public ne soit pas au rendez vous mais la critique majoritairement est enthousiaste. On parle de triomphe  aux Golden Globe.

Mais que refait-il Spielberg ? Il refait la même époque, celle de la guerre froide et des blousons noirs avec jeans et bananes, le même décor de ruelles crades avec linge qui pend,  la robe blanche à ceinture rouge de Maria et les fesses sublimes d’Anita, cette fois un peu plus larges, juste pour le plaisir des yeux.

Il refait un peu le nez au film, avec un garçon manqué devenue lesbienne cogneuse assumée façon Balasko, des sharks qui sentent vraiment la sueur, une Maria qui décide seule de sa vie amoureuse et sexuelle et un Riff perdu de chez perdu

On se félicite d’avoir échappé à une version modernisée avec rap et gangsta noirs (les noirs américains ne font dans le film que de furtives apparitions, on est avant les Droits Civiques)

Si les fameux plans aériens d’ouverture du film de 61 nous montraient un west side figé dans sa pauvreté et qui semblait devoir le rester longtemps,  le Spielberg, lui, s’ouvre par des vues sur un chantier de démolition. Là est sa véritable originalité. Oui ce territoire si convoité pour lequel s’entretuent allègrement ceux qui croient le posséder et ceux qui veulent le leur prendre parce qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à prendre, et bien ce territoire ne leur appartient pas.

 ‘Rien n’est à toi tu ne vaux pas un seul centime, tout appartient à la société anonyme’ chantait Eddy Mitchell, un yéyé de cette génération fascinée par les Jets et les Sharks, dont l’assiduité à l’époque avait permis au film de rester quatre ans à l affiche de la même salle parisienne. C’est au final la promotion immobilière (comme toujours non ?) sans pectoraux ni couteaux qui emporte le morceau. On pense à l huître et aux plaideurs. La Fontaine après Corneille.

Autres bonnes surprises l’interprète  de Maria,  judéo-latina comme Frida Khalo, véritable dragée au poivre, la forte présence d’Anita, la scène où virés d un terrain vagues, les portoricains face à la police entonnent leur hymne national le poing levé comme une allusion claire à la crise de Cuba et à l heure des brasiers qui commence.

Soixante années après le film de Robert Wise, il était peut être temps de dépoussiérer le chef-d’œuvre, et Spielberg, rendons lui cet hommage, le fait avec virtuosité, conviction, et surtout respect.

Print Friendly, PDF & Email

Vues : 196

Suite de l'article

3 Commentaires

  • marsal
    marsal

    Un film formidable, et d’une actualité brûlante. C’est comme si ce scénario avait été écrit aujourd’hui, pour nous parler du conflit artificiellement entretenu entre les prolos blancs, immigrés de deuxième génération, déclassés, privés de tout, même de famille (famille qui manque pour les uns et qui existe mais qui est aussi oppressante pour les autres), et les immigrants récents, hispaniques dans le film, qui se demandent s’ils n’étaient pas mieux dans la misère de Porto Rico que dans l’hypocrisie d’un rêve américain transformé en cauchemar. Les uns et les autres s’affrontent et se ressemblent tellement. Ils sont piégés dans un conflit insensé mais qui leur permet d’exprimer leur rage à défaut de pouvoir le faire contre la classe dominante. Celle-ci est omni-présente et ils savent tous qu’elle va les dévorer, mais elle ne se montre jamais, reste hors d’atteinte. Il faudra que les amoureux se sacrifient pour dépasser l’indépassable. Avec en prime, cette critique au vitriol des institutions sociales, juridiques, policières prétentieuses et ridicules. Même le chef de la police se demande bien ce qu’il fait là, dans cette position intenable et absurde.

    Cela m’a donné envie de revoir la version initiale car j’avais oublié (ou n’avait pas perçu à l’époque,- j’étais ado – toute cette dimension sociale). Je recommande vraiment de voir ce film !

    Répondre
  • YannickH
    YannickH

    Pire résultat au box office d’un Spielberg qui nous a finalement sorti un réel ovni cinématographique – d’une rare violence – au milieu de la grisaille ambiante d’Hollywood.

    Je le suspecte cependant d’avoir recasé une partie des décors pour son prochain Indiana Jones.

    Répondre
    • SMILEY
      SMILEY

      Bah Yannick, les films qui avaient fait un flop au box office et qui sont aujourd’hui vus, et même étudiés dans les écoles de cinéma sont nombreux, je pense à ‘Il etait une fois en amérique’ mais il y en a tant d autres.
      Quant à Spielberg il a tout raflé il y a quelques jours aux Golden Globes antichambre des Oscars, le public reviendra peut-être.
      Perso j’ étais ravi qu il se plante avec le 4e indiana jones navet anti russe (j ai toujours pensé que l’anti nazisme réussissait mieux au cinéma que l’ anti communisme cf Hitchcock). Il ne devrait pas y en avoir de 5e ouf !

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.