Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Une Chine meilleure : de nouveaux horizons pour le socialisme

Voilà venu d’un monde russophone une tentative très éclairante pour comprendre ce que veut le parti communiste chinois qui a, comme me le faisait remarquer Marianne, pour règle fondamentale de ne jamais totalement révéler leur stratégie, il y a même ajoutait-elle un serment très solennel des membres du parti. Il n’y a pas de mensonge mais les pièces se découvrent comme dans un puzzle… Récemment un ami communiste russe me disait que leur erreur avait peut-être été de perdre beaucoup de temps et d’énergie dans la lutte entre les rouges et les blancs, d’offrir par là une possibilité à l’adversaire. Staline est celui qui au moins dans la grande guerre patriotique a recréé l’unité que Khrouchtchev a à nouveau divisée, Andropov a tenté de corriger. C’est toute une histoire non seulement de la Russie mais de l’ère russe, turco-mongole, persane, etc.. qui est l’objet de cette manière de repenser l’histoire… Les Chinois ont assimilé une histoire millénaire dans le communisme comme une sorte de contrat avec le peuple chinois et ils continuent. Voici donc le puzzle chinois vu du côté soviétique (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)

27.09.2021

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Peu de temps s’est écoulé depuis la commémoration du 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois en juillet. La création du “Xiao Kang”, ou “société de la classe moyenne”, a été achevée dans les délais, comme prévu depuis le 18e Congrès du PCC en novembre 2012. Créé par Confucius, ce concept est devenu une réalité grâce aux efforts des communistes. La pauvreté a été éliminée dans tout l’Empire du Milieu, le revenu par habitant des Chinois a atteint 10 000 dollars et le PIB du pays a doublé. L’horizon dont ils ne pouvaient que rêver il y a quelques décennies a été atteint. Mais les horizons n’ont ni début ni fin…

L’actuel dirigeant de la Chine, Xi Jinping, se distingue par sa capacité à voir loin, à fixer des objectifs à long terme pour son peuple. En 2012, il a formulé son “Rêve chinois pour le grand renouveau de la nation chinoise”, un plan visant à transformer le pays en une “puissance socialiste modernisée” d’ici 2049. Une date limite a ensuite été fixée pour la première phase de ce plan : construire un “xiao kang”, une “société à revenu moyen”, d’ici 2021. Lors du 19e Congrès du PCC en 2017, la faisabilité de la première phase et de la partie suivante du plan à long terme était déjà évidente. Dans le même temps, un nouvel horizon à court terme a été défini – 2035, date à laquelle la “société de grande aisance” sera construite. Aucun paramètre spécifique n’a été donné. Il a fallu attendre jusqu’en 2020, date à laquelle le cinquième plénum du Comité central du Parti communiste a annoncé que le PIB de la Chine serait à nouveau doublé, ainsi que le revenu de chaque Chinois. Il convient de rappeler que ces plans très stricts ont été adoptés alors que la pandémie de COVID-19 se déclarait et que la guerre commerciale était lancée par l’Amérique et ses alliés.

Le parti communiste chinois a célébré son centenaire non seulement avec des feux d’artifice sans précédent et des réalisations sans précédent dans l’histoire. “Xiao Kang” a été remplacé par “gongtong fuyu”, “prospérité partagée” – une expression qui est rapidement devenue la plus utilisée en Chine. On estime que Xi Jinping l’a déjà utilisé depuis des podiums élevés 60 fois cette année, contre 30 fois l’année précédente et seulement six fois en 2019. Ainsi, dans le discours-programme prononcé à l’occasion de l’anniversaire du PCC, appelant à la poursuite de la légendaire Longue Marche, il a déclaré : “Il est nécessaire de développer une démocratie populaire complète, de protéger l’égalité et la justice sociales, de faire des efforts particuliers pour remédier à un développement inégal et incomplet, de s’attaquer aux problèmes actuels et complexes qui préoccupent le plus les masses et dont les gens attendent la solution avec impatience”. Il est nécessaire de promouvoir des changements plus visibles et substantiels dans le développement global de l’individu et dans la réalisation d’une prospérité partagée !”

Le programme conçu n’a pas encore été entièrement dévoilé. Mais la mosaïque de la “prospérité partagée” est déjà en train de se reconstituer à partir de fragments, comme ce fut le cas avec l’initiative “Ceinture et Route”, la stratégie de la “nouvelle normalité” et les autres innovations économiques et politiques de Xi Jinping. Les préparatifs ont commencé bien en amont : à l’automne dernier, les autorités chinoises ont interdit à la structure financière d’Alibaba Group, appelée Ant Group, de lever de nouveaux fonds par le biais d’une introduction en bourse sur les places de Shanghai et de Hong Kong. En juillet de cette année, une histoire similaire s’est produite avec ByteDance, qui s’était enrichie grâce au réseau social TikTok, très populaire. Un mois plus tard, la main lourde des autorités a été ressentie par le puissant Tencent, qui possède la principale application mobile chinoise WeChat, grâce à laquelle la correspondance quotidienne est effectuée, les paiements sont réalisés et les achats en ligne sont effectués. Des problèmes imprévus sont survenus chez Didi, le plus grand agrégateur de taxis de Chine. Meituan, la société de livraison de nourriture, et d’autres fleurons du capitalisme chinois se sont ajoutés à la liste.

On ne sait pas exactement quelles remontrances spécifiques sont adressées aux propriétaires et aux dirigeants des entreprises touchées lors de conversations confidentielles dans les bureaux des comités de partis, des banques publiques et d’autres organismes de réglementation. On parle dans la presse et sur les réseaux sociaux des craintes de la direction du parti face à l’activité politique de plus en plus active d’oligarques du calibre de Jack Ma, fondateur d’Alibaba, de l’impact de plus en plus négatif des monopoles sur le développement des moyennes et petites entreprises, sur la mobilité sociale des jeunes, dont le mécontentement s’accumule, de la fuite des informations personnelles de centaines de millions de Chinois vers des banques et autres institutions étrangères….

D’autre part, les dirigeants des grandes entreprises sont prompts à changer de stratégie, de tactique et même de style de paperasserie après leurs réunions avec les autorités. Les rapports financiers de 70 grandes entreprises au cours des derniers trimestres contiennent les mots “prospérité partagée” à maintes reprises. Des milliards de dollars sont transférés vers des régions moins performantes, sur les comptes de fondations caritatives.

Pour le bien-être spirituel

La campagne pour la “prospérité partagée” a été menée par des entreprises privées de l’industrie dite fintech, engagées dans la technologie financière de pointe. Ils ont été rapidement rejoints par les leaders de l'”edtech”, dont l’activité se situe dans le domaine de la formation continue, et dont l’influence sur la société est à la mesure de la leur. Les “révolutions culturelles” et autres vivisections n’ont pas réussi à extirper de l’âme des Chinois le respect de l’apprentissage et le désir de voir leurs enfants éduqués et réussir. Ces dernières années, l’émergence d’une classe moyenne de 400 à 500 millions de personnes s’est caractérisée par l’importance des dépenses consacrées aux tuteurs et aux activités extrascolaires, tant en face à face qu’en ligne. Les malheureux enfants sont accaparés par les cours de rattrapage dès qu’ils ont le moindre temps libre, car beaucoup de choses dépendent de leur réussite aux examens de différents niveaux : poursuivre leurs études dans une école “normale” ou se retrouver dans une école professionnelle, obtenir un score suffisant pour être admis à l’université ou rester sur le carreau, privant toute la famille de l’espoir d’un avenir radieux pour les descendants …

Plusieurs grands monopoles sont apparus dans le domaine de la formation continue, créant et contrôlant des “écoles parallèles”, des réseaux de tuteurs, vendant des cours en ligne et même des simulateurs de réalité virtuelle. Au cours des dernières années, le marché de l’edtech a atteint un volume annuel de 100 milliards de dollars. Ses plus grands acteurs sont étroitement liés aux géants de la fintech, notamment Alibaba, dont le directeur général, l’ancien professeur d’anglais Jack Ma, consacre beaucoup de son temps personnel et de son argent à soutenir l’éducation.

Les amendes initialement insignifiantes de moins de 6 millions de dollars infligées à une douzaine de sociétés de soutien scolaire privé ont été bien comprises par l’ensemble du secteur et ont provoqué un effondrement. Les entreprises qui étaient déjà entrées en bourse à Shanghai et à Hong Kong ont perdu de 50 à 75 % du prix de leurs actions. Des centaines de milliers de tuteurs, dont des locuteurs natifs de langues étrangères, en ont ressenti l’impact. Dans tout le pays, et surtout dans les grandes villes, le taux de chômage est monté en flèche.

La mise au pas de cette nouvelle branche en plein essor de l’économie de marché a d’abord été attribué à l’inquiétude pour la santé de la jeune génération. Les premières amendes ont été suivies d’interdictions de cours supplémentaires (non seulement en ligne mais aussi en face à face) pendant les week-ends, les jours fériés et les vacances scolaires, ainsi que de cours sur les campus universitaires. Les études en semaine sont limitées dans le temps. Ils ont également décidé de limiter le temps que les enfants consacrent aux jeux électroniques à 3 heures par semaine.

Cependant, il est vite apparu qu’il s’agissait d’une question bien plus grave : le président Xi Jinping, dans le discours du 1er juillet déjà mentionné, a promis non sans raison de “protéger l’égalité et la justice sociales”. En effet, l’industrie extra-scolaire parallèle au système d’enseignement public est devenue l’un des symboles les plus douloureux de l’inégalité sociale. Le manque d’argent pour les tuteurs prive des millions d’enfants de familles à faibles revenus d’un ascenseur social.

Le parti communiste a rappelé son objectif initial

À première vue, les changements spectaculaires dans les activités des géants de la fintech et de l’edtech n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Mais dès aujourd’hui, au stade initial de la nouvelle campagne politico-économique pour une “prospérité partagée”, le leitmotiv de ce qui se passe est audible. Il s’agit de mettre en pratique la principale ligne directrice du 19e Congrès du Parti communiste : “Se souvenir fermement et consciemment du but initial et de la mission qui nous a été confiée”. Nous entendons par là un retour aux nombreuses valeurs du socialisme qui ont été reléguées au second plan au cours des décennies de “réforme et d’ouverture”. Son architecte, Deng Xiaoping, a lancé le slogan “Enrichissez-vous !”, ce qui signifiait un enrichissement quasi incontrôlé pour les uns et la pauvreté pour les autres, la majorité. Il y a maintenant plus de milliardaires en dollars en Chine qu’en Amérique. Les chiffres de l’écart de revenu sont hors normes.

Xi Jinping, que ce soit en raison de son ancienne proximité avec la paysannerie défavorisée ou parce qu’il a compris les dangers de l’aggravation des inégalités pour la force du parti communiste, a entrepris dès le premier jour d’améliorer le sort de la plupart des citoyens chinois et de sévir contre les riches et les fonctionnaires corrompus. D’où la lutte “ciblée” contre les “oligarques” du parti qui gèrent les biens nationaux et la capture systématique de dizaines de milliers de “tigres, renards et fonctionnaires nus” corrompus. D’où la décision d’ “enfermer le gouvernement dans la cage de la loi”, le renforcement du contrôle des organes administratifs, l’abolition du système extralégal de “rééducation par le travail”, l’accès plus large des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, aux financements et aux ressources, et un programme d’éradication de la pauvreté d’une intensité et d’un coût sans précédent qui a permis de sortir 99 millions de personnes de la “zone morte” pendant les années de pouvoir du nouveau dirigeant ! Nous pouvons ajouter à cela le revirement stratégique qui consiste à passer du service des marchés étrangers à la priorité donnée aux besoins de 1,4 milliard de Chinois. C’était le but de la stratégie de la “nouvelle normalité”, qui a été développée dans la nouvelle stratégie de la “double circulation”.

Où s’arrête l’horizon de la campagne de “prospérité partagée” ? Il est trop tôt pour le dire. De nombreux autres fragments de cette mosaïque apparaîtront dans un avenir proche. Un indicateur très important de l’ampleur et de la durée des changements en cours sera le sixième plénum du Comité central du PCC, prévu en novembre. Il s’agira du dernier forum intérimaire du parti avant le 20e congrès du PCC en 2022, qui déterminera à la fois l’évaluation des décisions prises au cours des cinq années précédentes et l’approbation des plans pour l’avenir prévisible. Cependant, on peut déjà dire avec certitude que dans la formule triomphante du “socialisme aux caractéristiques chinoises”, l’accent est mis de plus en plus sur le premier mot.

Yuri Tavrovsky

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