Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Le lionceau du Pandjchir

Dossier : Vers la fin des guerres sans fin?

Le monde diplomatique renoue avec une tradition respectable celle de savoir démonter les idées reçues d’une presse inculte et mondaine. Il faut dire que “la haine sacrée” sinon de la social-démocratie à tout le moins celle de l’escroc infatué de lui-même et des bonnes œuvres de la CIA Bernard-Henri Lévy reste une constante, les causes qui l’illustrent sont aussi bidon que lui. Il a littéralement inventé Massoud père et continue en dépit des faits à tenter de nous vendre le fils. Le grotesque de la gauche française en matière de politique internationale aura connu quelques “experts” semi aventuriers et fils à papa de Glucksman à Bernard-Henri Lévy. (note de Danielle bleitrach pour histoire et société)

par Akram Belkaïd & Martine Bulard Le lionceau du Pandjchir↑

Déjà fin mars – début avril dernier, hommes et femmes politiques se précipitaient pour être sur la photo : de Mme Anne Hidalgo, maire de Paris, à Mme Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, sans oublier le chef de l’État Emmanuel Macron et quelques autres futurs éventuels candidats à la présidentielle française… Tous ravis d’exhiber le cliché avec le jeune Ahmad Massoud, en voyage à Paris. Cornaqué par l’inévitable Bernard-Henri Lévy, le fils du commandant Ahmed Chah Massoud est devenu la nouvelle coqueluche parisienne.

Six mois plus tard, ceux qui refusent de voir la débâcle des États-Unis et de ses alliés brandissent à nouveau la marque Massoud, censée laver l’Occident de ses échecs et mettre à terre les talibans que vingt ans de guerre n’ont pas éradiqués. Dans une tribune au Monde (16 août 2021), Mme Hidalgo, «alertée par Bernard-Henri Lévy», ouvre le bal : invitant à «regarder lucidement l’avenir», elle assure qu’il «nous faudra d’une manière ou d’une autre reprendre le chemin de Kaboul» (Lire «Le chemin de Kaboul»). Quelques jours plus tard, dans Le Point (19 août), Mme Pécresse, qui tient à rappeler qu’elle a «rencontré le fils du commandant Massoud, il y a quelques mois», appelle à «aider la résistance (…) par un appui à la fois politique, financier, logistique». Des armes, des dollars, des drones… un petit air de déjà-vu! Avec une vingtaine de parlementaires, le député Éric Ciotti, lui aussi candidat à la primaire de la droite pour la présidentielle, reprend le flambeau et réclame «un déploiement d’armes et de munitions» pour soutenir la résistance «des troupes d’Ahmad Massoud» (Le Figaro, 26 août). Lesquelles? Combien de divisions? Pourquoi s’embarrasser de questions aussi triviales… Massoud résiste, cela suffit.

N’écoutant que son courage «BHL» a d’ailleurs passé toute une soirée à tenter de joindre au téléphone «le fils du légendaire commandant Massoud» qui «est retranché dans la Pandjchir (…) coupé du monde» (mais pas de BHL, visiblement) alors que «les talibans l’assiègent». Dans un entretien proprement hallucinant, retranscrit dans Paris-Match et La Règle du jeu, Massoud le jeune est invité à rassurer tout le monde : il fera «tout pour [se] montrer digne de l’exemple [de son père], de sa résolution et de son courage tranquille». Si, comme l’ont révélé plusieurs journaux étrangers, il «parle avec les talibans», ce n’est pas pour négocier car «des milliers d’hommes sont en train de nous rejoindre» (Paris Match, 28 août-1er septembre).

En fait, la principale qualité de ce jeune Afghan de 32 ans «au regard clair et profond» et à la «flamme de résistant» (dixit Mme Hidalgo) est d’être le fils du «lion du Pandjchir», Ahmed Chah Massoud, assassiné en septembre 2001, par un commando d’Al-Qaida et porté aux nues par les commentateurs. Contraint à l’exil, le jeune Ahmad a fréquenté les meilleurs écoles étrangères dont le prestigieux King’s College de Londres et l’Académie royale militaire de Sandhurst — l’«académie des princes» comme on l’appelle au Royaume-Uni. Depuis son plus jeune âge, il est éduqué dans l’ombre de son père dont il doit prendre la suite. Partisan d’une «république islamique modérée», il se marie en 2016, selon la tradition et les rites religieux, car «tant qu’il était célibataire, il ne pouvait être pris au sérieux. Le mariage était une étape obligatoire pour faire son entrée en politique», explique un de ses conseillers (Le Figaro, 4 septembre 2019). Mais à Kaboul le retour du «lionceau du Pandjchir» n’a guère bouleversé le paysage. Et peu d’Afghans l’attendent…

Certes, il a créé le Front national de résistance (CNR), mais celui-ci n’existe que dans sa région d’origine (150 000 habitants sur les 38 millions que compte le pays) et les talibans en ont verrouillé l’accès en occupant les axes d’entrée. Surtout, comme en témoigne notre envoyé spécial à Kaboul, Romain Mielcarek, qui a rencontré le jeune Massoud, les «20 000 hommes prêts à se battre» qu’il revendique ne sont que des «volontaires théoriques, aux mains vides et que personne n’attend plus» (lire «À Kaboul et à Kandahar, loin des caméras»). Comme beaucoup, Sahraa Karimi, réalisatrice afghane, n’y croit guère : «Je trouve assez étrange que ce groupe se lance dans une opposition armée alors qu’ils ne se sont pas battus contre les talibans quand il le fallait», explique-t-elle (interview de Pierre Barbancey, L’Humanité Dimanche, 26 août-1er septembre 2021). Et la guerre, justement, la majorité de la population en est lasse.

Que Massoud le jeune veuille résister et cherche à obtenir un appui financier et militaire à l’étranger peut s’expliquer. Que des dirigeants français ne voient ni le ridicule (après vingt ans de guerre) ni le danger de l’affaire est plus que surprenant. Le «lionceau du Pandjchir» a surtout hérité d’un mythe — celui de son père qui mérite, lui aussi, d’être sérieusement révisé.

Certes, Ahmed Chah dit «Massoud» s’est illustré en dirigeant une rébellion armée contre l’occupation soviétique (1979-1989). Fils d’un ancien officier supérieur de l’armée royale afghane, étudiant islamiste «modéré» à l’Université de Kaboul où il a suivi des études d’ingénieur, il procède petit à petit au maillage administratif du nord du pays et parvient à étendre son influence jusqu’à la capitale. Son armée repoussera sept offensives majeures de l’armée rouge, ce qui contribuera à forger son image de «lion du Pandjchir».

Toutefois, exception faite des médias français, il intéressera peu les Occidentaux. Il ne percevra qu’une faible partie de l’aide militaire américaine déversée au profit des moudjahidins. En effet, pour les États-Unis, influencés par les services secrets pakistanais, Massoud, en tant que Tadjik, ne pouvait entraîner avec lui l’ensemble d’un pays majoritairement pachtoune (environ 40% des Afghans). Les Pakistanais lui ont livré des armes mais moins qu’à d’autres factions dont celle de M. Gulbuddin Hekmatyar, son rival à l’université puis son ennemi acharné. L’intéressé, lui-même, a expliqué à plusieurs reprises se méfier des Occidentaux, préférant compter sur ses forces et celles de partenaires ponctuels régionaux comme l’Iran ou, après la chute du Mur, les Républiques musulmanes de l’ex-URSS.

Après le départ des Soviétiques, Massoud fait partie de plusieurs gouvernements de coalition qui dirigent l’Afghanistan de 1992 à 1996. Il occupe notamment le poste de ministre de la défense. C’est durant cette période qu’il perd une partie de son aura. Composant, voire pactisant, avec d’autres milices, notamment celle de M. Hekmatyar (lequel, en août 2008, ordonnera le massacre de Uzbin où périrent une vingtaine de soldats français), il ne peut empêcher son pays de glisser vers la guerre civile. Ses hommes se rendent coupables de pillages à Kaboul et d’exactions notamment contre la minorité chiite hazara.

En matière religieuse, s’il fut certainement un «modéré» en comparaison de M. Hekmatyar ou des talibans qui prennent le pouvoir en 1996, Massoud, membre du parti islamiste Jamiat-e Islami, n’est pas le progressiste décrit avec enthousiasme par nombre de ses thuriféraires français. Il n’a jamais pris ses distances avec les préceptes islamiques et ne s’est jamais présenté comme un réformateur ni même un progressiste. Il fut certes favorable à l’ouverture de l’enseignement aux Afghanes mais, de 1992 à 1996, son parti ne s’est guère ému des crimes perpétrés au nom de l’islam et de la tradition par de nombreuses factions.

En 1996, il s’est replié dans la vallée du Pandjchir après l’arrivée au pouvoir des talibans qu’il a combattus et qui n’ont jamais réussi à le déloger. Toutefois, les États-Unis, qui ne désespèrent pas alors de nouer des relations commerciales avec les talibans (lire «Talibans en goguette à Houston»), ne l’aident guère et deux pays arabes influents, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, proches du pouvoir en place, lui refusent leur soutien. Son assassinat précède de deux jours les attentats du 11 septembre 2001. La suite est connue.

Akram Belkaïd & Martine Bulard

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Les images de civils s’agrippant aux avions américains pour quitter Kaboul et des talibans installés dans le bureau présidentiel resteront les symboles d’une guerre ingagnable. La France, engagée au Sahel dans le même genre d’entreprise, devrait en tirer les leçons. Les insurgés afghans sont arrivés au pouvoir au terme d’une campagne-éclair : (…)

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