LES RESEAUX SOCIAUX ET LE CAUCHEMAR DE LA RAISON, par Danielle Bleitrach

Périodiquement nous traversons dans ce blog des moments de baisse de régime mais je dois dire que là j’ai atteint une sorte de limite et Marianne partage plus ou moins mon épuisement – un tantinet sceptique sur la nature de l’intérêt de notre activité. Notre combat pour l’existence d’un parti communiste est une tentative d’arrimer ceux qui veulent agir dans la réalité et dans une organisation collective orientée vers la solution des problèmes. Mais cela devient de plus en plus difficile : la parole ne parait plus avoir de relation ni avec l’action ni avec la réalité… y a eu deux faits desquels nous allons partir :

Le premier concerne ce qui se passe à Cuba.

Le second les délires anti-vaccins et autres qui semblent s’être emparés de certains pratiquants de ces réseaux.

Et je vais volontairement noircir le trait pour tenter de nous arracher à ce cauchemar de la raison.. comme souvent l’article que je signe m’a été inspiré des longues conversations que nous avons avec Marianne.

DEUX FAITS RÉCENTS : CUBA ET LE REFUS DES VACCINS

Dans les deux cas j’ai le sentiment que notre action n’a aucun sens parce que nous sommes pris dans une incapacité croissante d’agir. Nos interlocuteurs paraissent être la proie d’une mauvaise fièvre qu’ils prennent pour de l’engagement politique. Une idée chasse l’autre et l’obsession prend la place de l’action.

En ce qui concerne Cuba, depuis des mois je m’évertue contre l’encéphalogramme plat de l’internationalisme de provoquer de la solidarité autour de ce pays qui est réellement ce qui se fait de meilleur, de plus digne, de plus généreux, je vous alarme sur la situation. Parallèlement nous tentons à deux ou trois à Marseille de provoquer une action contre le blocus. Si je n’avais pas essayé, Marianne également, cette mise en œuvre, nous serions satisfaites de l’audience qui est importante. Ce passage à l’action m’a permis un diagnostic sur la désinformation des Français en général, la plupart étant convaincus qu’il n’y a pas de blocus, les mieux informés étant souvent les populations issues de l’immigration. Face à cette ignorance massive, nous avons constaté la difficulté de toute organisation et l’hostilité provoquée par les divisions, les chapelles et l’acharnement mis par ceux qui auraient dû être des alliés à attaquer le groupuscule rival. C’est dramatique et cela ne débouche sur rien, c’est sur le mode concurrentiel entre sites. Alors que Cuba devrait rassembler tout est fait pour décourager les bonnes volontés et les épuiser. A une poignée, ils accomplissent des miracles, livrent des conteneurs à Cuba, mais l’aide doit être relayée par le politique parce que lui seul et c’est cequi caractérise le parti léniniste définit l’adversaire et la logique fondamentale des actions éparses … C’est là qu’est la principale carence.

Fort heureusement cela ne correspond pas à toute la réalité et nous avons également noté ici à propos de la campagne de Fabien Roussel la volonté de se rassembler et de faire. Le bon accueil de toute initiative sur le terrain. De même si l’ensemble de la société était comme les réseaux sociaux on s’écharperait dans les rues. Certes il y a quelques cas mais pour l’essentiel tout le monde est correct, aimable même et soucieux de votre bien-être. Le dialogue est aisé. Je dois dire qu’il y a là encore une des raisons de mon soutien à la campagne de Roussel, il me parait assez bien correspondre à la bonne volonté de tous. Disant ce qu’il estime un point de vue communiste, de classe et de souveraineté nationale en gros mais sans agressivité : une politesse de la vraie vie.

Puisqu’il est question de Cuba, notons que la mafia de Miami a joué à fond les réseaux sociaux, le résultat est là, malgré ce que vivent les Cubains pour cause de blocus, elle n’a récolté partout qu’une poignée de désoeuvrés face auxquels les militantismes au quotidien, l’art de se porter au cœur des problèmes joue un rôle essentiel à la fois dans la légitimité de ce pouvoir et dans son aspect révolutionnaire anti-impérialiste. Cela dit elle ne va pas cesser d’organiser des cellules dormantes de gens ayant tout à coup des moyens au point de pouvoir aller faire du marché noir à Moscou… Mais le problème politique demeure pour eux face à une société qui conserve sa cohérence.

Notons que depuis quelques semaines nos propres réseaux sociaux ont vu fleurir des sites aux titres prometteurs de défense de Cuba, mais qui en fait étaient chargés de promouvoir la “social démocratisation de l’île” . On sait que c’est une pratique de la CIA quand elle organise un coup d’Etat. Ainsi 68 000 faux comptes Twitter ont été créés pour soutenir le coup d’État en Bolivie. Gardez cela à l’esprit si vous voyez des messages de spam des « opposants Cubains » avec 2 abonnés. J’ai remarqué que ceux qui étaient les cibles de cette diffusion parlaient anglais et étaient souvent parmi les plus acharnés sur certains thèmes (l’antivaccin, mais me too, un certain type de féminisme, l’homophobie, )…

Mais et c’est là que l’on voit combien ces réseaux sociaux ne sont que le sous-produit des médias dominants avec leur allégeance à la propagande de la CIA, l’unité se faisait pour attribuer les malheurs de l’île à la “dictature communiste” et pour nier l’impact du blocus (1). Face à cette offensive manifeste il est clair qu’il n’y a pas eu résistance mais au meilleur des cas un petit ronron …

Oui mais voilà, s’il y a des possibles il y a également sur les institutions, les organisations, le poids d’une véritable débâcle et d’un manque de crédibilité selon moi trop liés à la crise des formes politiques arrivées à épuisement, celle de la Ve République, celle de l’UE mais pas seulement, le fond est l’inadéquation entre ses institutions et les défis auxquels l’humanité est confrontée, l’incapacité dans laquelle celle-ci se trouve donc d’attendre une solution quelconque. Tout ce qui reste dans ce sillage et les réseaux sociaux n’en sont souvent que les appareils idéologiques pour reprendre un terme althussérien, parait frappé de division, d’inertie. Peut-on prétendre avoir une efficacité quelconque dans cette logique? Cela va très loin, puisque comme je l’avais noté avec l’exemple de la caravane des jours heureux à Marseille, une convocation par réseaux ne mobilise personne et seul le corps à corps, les équipes responsabilisés atteignent un objectif.

Donc parfois quel que soit le bouleversement éprouvé et ma volonté d’aider, je me dis qu’à l’inverse des Cubains ce que je tente ici est parfaitement inutile, dans deux jours vous aurez tout oublié et rien ne sera fait. Alors que comme l’a exprimé dans un cri lucide un jeune camarade : “Si Cuba cède cela sera un fait comparable au séisme de l’URSS“. Il est clair que les dirigeants des États-Unis en sont convaincus autant que nous ce qui explique leur acharnement. Le fait est que par rapport à cet enjeu historique nous sommes loin du compte, l’on peut à la rigueur récolter une centaine d’euros par ci par là, la plus grande des difficultés est de créer une organisation permanente autour de la défense politique de Cuba. Des équipes, des relais entre les divers lieux de responsabilisation du local au national, la définition des objectifs et le contrôle des tâches… L’avantage c’est que l’adversaire est visiblement dans le même état… Et cette difficulté ne concerne pas que Cuba mais est révélatrice de la destruction du militantisme de gauche. Le mouvement donne un chef avec un petit groupe qui peu à peu impose ses diktats… et les troupes un temps mobilisées disparaissent. La droite et l’extrême droite ne sont pas en meilleur état même si l’État capitaliste, ses appareils leur fournissent un apport substantiel, il est clair que la crise est là.

L’appareil léniniste, le parti révolutionnaire reste une des formes les plus efficaces et les plus démocratiques…L’appareil léniniste, le parti révolutionnaire reste une des formes les plus efficaces et les plus démocratiques… En affirmant cela il y a de ma part un peu de provocation, mais je suis prête à démontrer que dans l’état de crise institutionnelle et organisationnelle il demeure un mode d’action la plus adaptée à l’investissement individuel dans des coopérations territorialisées, de la manière la plus durable qui soit actuellement possible.

Alors que pour en revenir aux réseaux sociaux la seule chose qui manifeste quelque continuité ce sont des obsessions maladives et là il y a non seulement l’expérience de l’épidémie, mais l’événement récent du discours de Macron. Retenir le lecteur client passe par l’excès, le sensationnel, l’invention pure et simple… Avec ue incapacité à supporter la différence, la diversité, la recherche du même dans un effet de meute et des phobies agoissantes… la foule et le confinement.

Là encore, depuis le début j’ai tenté d’expliquer rationnellement les contraintes d’une épidémie. Il suffit de reprendre les textes depuis le mois de janvier 2020 et vous verrez ce qu’il en est. Mais là aussi on est submergé …

Je dois dire que face à l’intervention de Macron et ce que cela a donné chez les délirants qui se prennent encore parfois pour des militants c’est stupéfiant. J’avais compris à cause de mes discussions dans “la vraie vie” qu’il y avait une majorité de trouillards à l’idée du vaccin… Il y avait une poignée de vrais théoriciens complotistes et une majorité de trouillards, les premiers fournissant arguments et convictions au second engendrant une vraie phobie. Mais la majorité de la population ne partageait pas ce traumatisme. Il y a disons 3% de complotistes, 20% d’inquiets et 100% de sujets réels de mécontentement qui n’ont pas à voir avec les vaccins…

Il était vraisemblable que si le gouvernement prenait une position forte sur la question il aurait l’assentiment de la majorité des Français,de la jeunesse en particulier qui n’en peut plus des restrictions et difficultés qui lui sontimposées… Les trouillards se feraient une raison en maugréant et plus encore si l’emploi était menacé.

Les résultats ont été au rendez-vous et ceux qui s’apprètent à jouer les héros du refus de la vaccination vont être totalement isolés et c’est un combat gaucho-facho perdu d’avance. Mais les conséquences peuvent en être dramatiques, ce qui reste d’organisation se fourvoit là-dedans, plane de plus en plus allant jusqu’à faire des analogies entre le traitement réservé aux juifs par les nazis et la vaccination obligatoire…

Le pire est que le combat ne se mène pas sur ce sur quoi est en désaccord une bonne majorité des Français à savoir les retraites et les droits des chômeurs. Grâce à la monomanie anti-vaccinale Macron a réussi son opération: avec des mesures de bon sens face à l’épidémie il tente avec quelques succès de faire oublier sa gestion catastrophique de la pandémie et il nous annonce comme une nécessité la poursuite de sa politique dont les Français ne veulent pas. Tandis que par conviction ou par opportunisme ceux qui s’estiment de gauche campent sur des délires individualistes et des résistances sans objet, s’isolent des jeunes en particlier qui se précipitent pour se faire vacciner. Bref la traduction politique de cette situation est une majorité d’abstentionistes, face au couple Le Pen (récoltant les théoriciens de l’antivaccin) et Macron se refaisant une semi carrure de chef d’Etat.

Si on reste dans lesréseaux sociaux on continue à creuser ce sillon sans issue, mais il suffit d’un dialogue autour de soi pour mesurer l’impasse de ces illusions.

LES CAMPAGNES DE HAINE ET LE CHAUDRON

Je me demande à quoi sert ce blog dans une telle crise organisationnelle où déjà l’on fait trop confiance aux réseaux sociaux et ceux-ci portent le troisème aspect que je voudrais dénoncer à la suite d’une discussion avec Marianne. Est-ce que nous jouons réellement un rôle dans la connaissance de ce qui se passe au niveau international, une propagande passée de “l’anti-terrorisme” à l’anti-communisme, depuis la montée en puissance de la Chine et le révélateur de l’épidémie.

Nous avons été frappées elle et moi par le caractère contradictoire de ce qui est reproché aux pays contre lesquels l’Occident capitalistes et les médias dominants mèenent campagne . Et nous constatons que si “la vraievie” peut être uncontrepoids salutaire aux cauchemars de la raison des réseaux sociaux, cela est plus malaisé en ce qui concerne le vaste monde face auquel est adopté un mode de consommation quasi touristique pourles bobos et un désintérêt matiné d’influence de l’immigration pour les autres. Bref s’il y a un lieu où l’illusion d’une connaissance immédiate prend le dessus sur la réalité c’est bien celui-là. L’effacement du PCF et de son internationalisme au profit d’un “droit d”ingérence” social démocrate fait des ravages.

Cela contribue à la montée d’un irrationnel belliciste, xénophobe anticommuniste.

A ce titre aujourd’hui nous publions un article russe qui traite des fantasmes antisémites et russophobes des Polonais à propos del’histoire désormais classique de ce village polonais qui a brûlé les juifs enles accusant d’être des communistes. La manière dont le gouvernement polonais nie le fait et in fine l’attribue aux Russes. Je pense depuis toujours que les Polonais ont besoin d’être antisémites, cela fait partie de leur équilibre mental. Mais l’antisémitisme fournit une des clés de l’irrationel de notre système d’information en matière de geopolitique et son mode de fonctionnement correspond à ce que Freud définit comme la “logique du chaudron” ou celle de l’inconscient du witz(2) , de la plaisanterie :

L’histoire racontée par Freud est la suivante : « A a emprunté à B un chaudron de cuivre et après l’avoir rendu, il est mis en accusation par B parce que le chaudron présente désormais un grand trou qui le rend inutilisable. Voici sa défense : “Premièrement je n’ai absolument pas emprunté de chaudron à B ; deuxièmement le chaudron avait déjà un trou lorsque je l’ai reçu de B ; troisièmement je lui ai rendu le chaudron intact” ».

Freud commente : « Chacune des objections prise séparément est bonne pour elle-même mais, mises ensemble, elles s’excluent mutuellement. […] On pourrait dire également : A met un “et” à l’endroit où seul est possible un “ou bien… ou bien” ». Dans la « partie théorique » de son ouvrage, au chapitre « Le trait d’esprit et les espèces de comique », Freud reprend « l’histoire du chaudron emprunté qui avait un trou au moment de sa restitution ». Il ajoute que c’est « un exemple remarquable d’un effet purement comique en laissant libre cours à un mode de pensée inconscient. C’est précisément cette suppression mutuelle [Einanderaufheben] de plusieurs pensées, dont chacune en elle-même est un bon motif, qui fait défaut dans l’inconscient ».

Le juif dans l’imaginaire polonais est un pervers polymorphe, capitaliste et communiste, tueur du christ et des petits enfants, organisateur de syndicats et capitaliste exploiteur… Il est la nature du mal comme dieu et eux-mêmes sont la nature du bien.

C’est sur ce modèle que fonctionne la sinophobie de nos médias …

En fait comme il faut tout mettre à jour sauf la nature de classe des faits sociaux ceux-ci sont parodiés en matière de géopolitique sous des intentionalités psychologisantes malveillantes, la Russie et la Chine nous veulent du mal et l’on transforme la pressionqui s’exerce sur eux en droit légitime de la “démocratie” de notre bienveillance supposée.Quant à Cuba c’est une dictature dont il faut débarrasser son malheureux peuple en l’étranglant jusqu’à ce qu’il renvoie ses dirigeans communistes. Partir d’un tel refoulé conduit à des démonstrations contradictoires dans lesquelles les faits avérés n’ont que peu d’intérêt puisque le raisonnement est à charge et que l’interprétation supplée à l’inexistence de la preuve.

Mais le refoulé comme chacun le sait peut produire de véritables souffrances et toute pensée qui contredit cet illogisme de l’inconscient provoque des phénomènesquasi hystériques et ce qui va avec l’incapacité à agir. Il y a dans le prurit de l’antisémitisme (2)une sorte de besoin de l’objet de sa haine qui est révélateur mais ne se limite pas loin de là à l’antisémitisme. C’est une pensée que l’on a amputé de sa rationalité et qui tente d’en reconstruire une autre par le fantasme et l’oubli.

Bref nous sommes exactement dans le cas de figure que j’ai décrit à propos de deux événements récents : le cas de Cuba et celui des vaccins. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le délire peut aller jusqu’à s’estimer attaqué et se comparer aux juifs sous le nazisme. Ilne s’agitplus de savoir, d’agir mais bien d’accumuler des preuves pour conforter son obsession. IL y a eu avec le cas Raoult un autre grand moment … Mais ce sont les conditions aussi de la paralysie, de la division, de l’incapacité à vivre ensemble.

J’ai toujours eu le sentiment – à tort ou à raison- que ce blog était un lieu échappant à cette malediction des réseaux sociaux, mais les expériences faites par exemple les difficultés à vous convaincre d’agir pour aider Cuba m’interrogent : qu’est-ce que nous faisons concrétement de tout ce que nous publions chaque jour?

Par ailleurs,il est clair qu’internet est devenu un grand champ d’affrontement idéologique que l’on ne peut déserter mais il ne faut ni en sousestimer l’impact , l’inculture, les fausses nouvelles, les stéréotypes, correspondent malheureusement à l’anomie de nos sociétés, ni surestimer ce qu’on peut y faire. S’y impliquer nécessite une bonne formation, du bon sens , du travail de connaissance, mais l’essentiel demeure de prendre de la distance avec les conditions de l’exercice et surtout de ne pas imaginer que c’est là que l’on transformera.

Danielle Bleitrach

(1) la “caution” pseudo scientifique de l'”objectivité” Jeanette Habel ressortie périodiquement pour les besoins de la cause a été obligée tout de même de faire état brievement du blocus qu’elle baptiste embargo. Cela me fait souvenir de son ancien camarade Alain Krivine disant jadis “le blocus n’explique pas tout”…Ce à quoi nous lui avionsrépondu : “Si on commençait néanmoins a dire ce que cela explique les conditions de la connaissance des faits serait meilleure. La presse communiste fonctionne depuis pas mal d’année sur ce mode “ouvert” qui à force de voir au-delà de l’essentiel apporte souvent sa contribution “trotskiste” à la dénaturation de gauche ou dite telle (pas tous les trotskistes en Amérique latine sont comme les notres).

(1) Notons sur le mode du witz que lesjuifs ont réussi l’exploit que leur principal lieu d’extermination se termine en witz (aidés en cela il faut le dire par les Allemands et lesPolonais qui depuis en ont fait leur principale industrie touristique avec la complicité des agences de voyage israélienne);Je signale que le fonctionnement sur le mode de l’antisémitisme peut être partagé par des partisans fanatiques d’Israël et de certains de leurs supporters que je vis comme des antisémites qui adorent les juifs par haine des arabes.