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[Archéologie] XXIe siècle : l’archéologie au service d’une vision de l’histoire ?

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[Archéologie] XXIe siècle : l’archéologie au service d’une vision de l’histoire ? Quand j’ai tenté de m’initier au Chinois ce qui m’a le plus passionnée a été l’approche de la civilisation. Je me souviens en particulier de cours fantastiques sur l’écriture sur les carapaces de tortue et la dynastie Shang… Il y avait aussi un spécialistes des royaumes combattants qui pensait que la Chine n’était jamais aussi riche d’innovations que quand elle était morcelée… J’ai réalisé un jour que Confucius était contemporain de Socrate et que l’on connaissait néanmoins ses mille descendants… Ce passage par l’archéologie pour aborder l’identité chinoise me parait fructueux et nous invite à ne pas plaquer nos propres visions sur celle qui existent en Chine. (note de Danielle Bleitrach pour histoireetsocieté)

2021-06-07 11:38 Le 9 Emmanuel LINCOT 0

Des origines jusqu’à encore aujourd’hui, les recherches sont restées très dépendantes de la lecture que l’on faisait des sources textuelles anciennes, sur lesquelles s’étaient penchées des générations de lettrés. On tend d’abord à chercher dans les vestiges la confirmation de ce que l’on connaît par les textes classiques, les annales et les chroniques, sans toujours prendre en compte que ces sources ne sont pas nécessairement dignes de foi. L’archéologie a longtemps servi à illustrer ce que l’on connaissait de l’histoire chinoise. Même si c’est aujourd’hui moins le cas, l’archéologie en Chine n’en reste pas moins encore largement subordonnée au prestige dominant de l’épigraphie. C’est par ailleurs l’État qui garde la main sur l’intégralité des fouilles même si l’archéologie a pu connaître au cours de ces dernières années un financement partiel assumé par des aménageurs territoriaux.

De 1949 jusqu’au début des années 1980, la Chine a développé son archéologie en vase clos, sans tenir compte des avancées faites ailleurs dans ce domaine. Les instructions données aux archéologues sont uniformément appliquées sur tout le territoire : fouilles en carrés de 5 x 5 m, ou de 10 x 10 m, avec une berme d’un mètre de large mordant sur deux côtés, au nord et à l’est, chantiers strictement orientés au nord, etc. Ce sont, sous une forme plus systématique, les méthodes élaborées par sir Mortimer Wheeler (1890-1977) et ses prédécesseurs. L’ouverture économique des années 80 apportera de nombreux changements.

D’une ouverture inédite à la coopération internationale…

Sur le plan législatif, de nombreuses coopérations avec l’étranger sont entreprises dès la promulgation, en février 1991, d’une loi les autorisant. Dans le cadre des relations franco-chinoises, les premières fouilles menées par une équipe franco-chinoise commencent dans la partie la plus occidentale de la Chine, le Xinjiang, à partir de 1993. Les travaux réalisés en vingt ans ont ainsi profondément renouvelé les connaissances sur cette civilisation des oasis de l’âge du bronze en confirmant l’existence de peuplements agricoles dans des deltas aujourd’hui asséchés mais ayant pu offrir des terres arables dès la protohistoire grâce à l’irrigation. La découverte du site fortifié de Djoumboulak Koum (Yuansha), unique site d’habitat connu pour le I millénaire, associé à un vaste réseau d’irrigation et à plusieurs cimetières où furent mis au jour les restes de corps momifiés naturellement, ont permis de donner au Xinjiang sa place dans le développement des sociétés sédentaires agricoles de l’Asie centrale et de montrer l’ancienneté de ses relations avec les régions voisines, des steppes du Nord au monde indien et à l’Asie centrale occidentale, suivant deux axes de communication majeurs (non seulement est-ouest, mais aussi nord-sud) à travers des régions aujourd’hui totalement désertiques.

D’autres fouilles franco-chinoises ont été entreprises sur le site de Gongying (province du Henan) d’abord occupé dans la première moitié du deuxième millénaire (époque dite de Erlitou, un site majeur de la Chine centrale où apparaît la métallurgie du bronze), puis densément entre la fin du IXe siècle et le Ve siècle avant notre ère, avant d’être abandonné pour être mis en culture au IIIe – IIe siècle avant notre ère. Les vestiges se composent, comme sur la plupart des sites d’habitat de l’âge du Bronze, de fonds de cabanes, de trous de poteaux, de fosses détritiques, de silos, et de fondations de maison. Ces coopérations bilatérales entre la France et la Chine ne sont pas les seules. Ainsi, un très grand nombre d’entre elles ont-elles été nouées, principalement avec les États-Unis et le Japon, mais aussi avec la plupart des pays européens, et avec l’Australie. Dans le cas général, il s’agit de prospections, d’études de matériel, de travaux de restauration. En fait, dans ces coopérations, les archéologues chinois tendent à privilégier les études de pointe dans des domaines techniques spécialisés, notamment en anthropologie physique ou en archéozoologie. Aucune période n’est alors négligée. C’est par ailleurs en cette fin de siècle que survient l’une des découvertes archéologiques les plus importantes : le site de Guodian au Hubei.

… à la découverte de Guodian

L’idée est d’inscrire une histoire nationale cohérente pour prouver que l’État chinois existait avant même les Qin, il y a plus de 3 000 ans avant notre ère, bien avant les dynasties égyptiennes.

Située au centre du pays, cette découverte survient en 1993 à la suite de l’effraction d’une tombe datant de la fin des Royaumes combattants (début du IIIe siècle av. J.-C.). Les archéologues y découvrent des textes existants comme le Daodejing (« Le Livre de la Voie et de la Vertu ») et d’autres disparus et connus par leur seul titre comme le Taiyi shengshui (un des mythes taoïstes de la création), d’autres encore complètement ignorés jusque-là. Les textes déjà connus avaient été attribués sous les Han occidentaux à des Écoles différentes (taoïste pour le Daodejing, confucianiste pour le Ziyi ou le Wuxing par exemple), mais la découverte de Guodian indique que la division en Écoles philosophiques n’était pas si nette que la tradition historique le prétendait, et que les érudits de l’époque pré-impériale puisaient leurs idées à diverses sources. La majorité des écrits semblent se rattacher au courant confucéen. Selon Gao Zheng de l’Académie des sciences sociales de Chine, ils auraient appartenu à l’École Si Meng, héritière de Zisi (481–402 av. J.-C.), et proviendraient de l’académie Jixia, peut-être rapportés dans l’État Chu par Qu Yuan (340-278 av. J.-C.), le célèbre poète qui fut émissaire au pays de Qi (actuel Shandong). D’autres estiment qu’ils reflètent plutôt une pensée proche de Xunzi (298-235 av. J.-C.). Ces textes sont un témoignage précieux de l’histoire du Daodejing et du confucianisme. On a identifié 18 textes, soit au total 12 072 caractères écrits sur 726 des 804 lamelles de bambou découvertes. Plusieurs dizaines de caractères ne sont pas reconnaissables. Les cordelettes liant les fiches s’étaient délitées et des entrées d’eau lors d’inondations avaient dispersé les fiches, aussi leur ordre a-t-il dû être reconstitué en partie d’après leurs caractéristiques physiques et épigraphiques. L’exactitude de la reconstitution n’est donc pas absolument certaine. Les trois versions du Daodejing, semble-t-il transmises indépendamment, ont fait dès le début l’objet d’une attention particulière. On y retrouve en fait seulement une partie du contenu du texte actuel, dans un ordre très différent. Elles contiennent aussi des passages inconnus du texte moderne, en particulier la version C qui précède le Taiyi shengshui, texte cosmologique supposé disparu qui fait aussi l’objet d’un grand intérêt. W. Boltz et T. H. Kim envisagent que la version C et le Taiyi shengshui pourraient constituer un seul et même texte.

Ils font de plus remarquer que les écrits de Guodian ne portant pas de titre, on ne peut pas strictement identifier ces trois textes au Daodejing, et qu’il serait plus correct de les nommer « textes ressemblant au Daodejing ». Quoi qu’il en soit, c’est aussi dans ce contexte que le gouvernement central lance par ailleurs un vaste projet pour déterminer une chronologie fiable des trois premières dynasties de l’antiquité (Xia, Shang et Zhou). Pékin prend très au sérieux cette entreprise. L’idée de faire remonter la civilisation chinoise aussi haut dans l’antiquité que les civilisations égyptienne et mésopotamienne n’est pas étrangère à ce projet. Un comité spécial supervisé par l’historien Li Xueqin – à l’époque directeur de l’Institut d’histoire de l‘Académie des sciences sociales de Chine – recrute pour ce faire 200 savants dans diverses disciplines (histoire, astronomie, archéologie, physique…). Leur but ? Effectuer des datations au carbone 14 et parvenir ainsi à faire remonter le début de la chronologie chinoise à l’année 2070 av. J.-C. Ce résultat est annoncé comme tel dans un rapport en novembre 2000. La dynastie Xia qui jusque- là avait toujours été considérée comme une dynastie mythique, s’étend désormais officiellement de 2070 à 1600 avant l’ère chrétienne, suivie des Shang de 1600 jusqu’à la conquête des Zhou en 1046. En 2001, le gouvernement chinois lance une suite à ce projet des Trois Dynasties intitulé « Exploration des origines de la civilisation chinoise », pour tenter de faire remonter ces origines encore un peu plus loin. Le début du XXIe siècle constitue ainsi une période charnière dans l’orientation que souhaite donner le gouvernement chinois aux recherches archéologiques.

Quelle interprétation donnée à l’histoire ?

D’une manière significative, l’idée est d’inscrire une histoire nationale cohérente pour prouver que l’État chinois existait avant même les Qin, il y a plus de 3 000 ans avant notre ère, bien avant les antiques dynasties égyptiennes dont ne peuvent se revendiquer les Égyptiens d’aujourd’hui. L’Empire chinois est fondé en 221 avant notre ère et dure jusqu’en 1911. Avant cet empire, on trouve les régimes antérieurs,

la dynastie Xia dont on ne sait pas grand-chose et dont l’origine se fond dans la nuit des temps. Après elle vient la dynastie des Shang qui commence vers 1600 avant notre ère et se termine vers 1050 avant notre ère, c’est l’âge du bronze. La dynastie des Shang est ensuite balayée par la dynastie Zhou (vers 1050 avant notre ère), et elle-même balayée en 256 avant notre ère par le chef des Qin, le futur Qin Shi Huangdi. Dans ses Mémoires historiques (Shiji), Sima Qian (145-86 av. J.-C.) de la dynastie des Han, relate et organise les premiers écrits historiques de façon remarquable. Ce passé a été mis en avant au travers de la construction de nombreux musées qui exposent ces vestiges. Ils ont fleuri au moment de la destruction des Hutong qui ont libéré l’espace au moment des jeux olympiques de Pékin en 2008 et lors de l’exposition universelle de Shanghai en 2010. Plus de 6 000 musées nationaux auraient été construits aux côtés de musées d’ordre privé pour porter la conscience nationale. Certains sont d’une richesse muséographique remarquable tandis que d’autres sont parfois, et assez curieusement, vides de collections. À cette fierté consistant à exalter le passé national correspond une volonté de connecter cette histoire à celle, plus globale, des routes de la soie. Qu’il s’agisse de rappeler l’importance des expéditions maritimes ou l’exportation sur une très vaste échelle de la porcelaine, à partir de la manufacture impériale de Jingdezhen, il est constamment rappelé que la Chine est au centre de l’histoire mondiale. Une autre façon de dire en parlant du passé que toute histoire est aux yeux de ses auteurs avant tout contemporaine…

Pour aller plus loin :

Emmanuel Lincot, Géopolitique du patrimoine. L’Asie d’Abu Dhabi au Japon, MkF, 2021.

Emmanuel Lincot, Chine, une nouvelle puissance culturelle ? Soft power et sharp power, MkF, 2019.

Emmanuel LINCOT est spécialiste d’histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l’Institut catholique de Paris.

Article initialement paru dans Le 9 magazine n°40, Juin 2021.  

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