Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

À L’OCCASION DU 30ÈME ANNIVERSAIRE DES ÉVÉNEMENTS FATIDIQUES QUI ONT MIS FIN À L’UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES

Voici un article tout à fait fondamental sur les conditions de dissolution de l’URSS. Si la grande majorité de la population russe regrette l’URSS, certains essentiellement les partis communistes (ici le parti ukrainien quasiment interdit) remet en cause la légalité de cette dissolution. Cette analyse explique que Gorbatchev soit plus détesté en Russie qu’Eltsine, si ce dernier est considéré comme un opportuniste sombrant dans l’ivrognerie, Gorbatchev lui qui était le secrétaire du PCUS et le président de l’URSS a été le véritable maître d’œuvre depuis la pérestroïka des menées de l’Occident. (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)

22.05.2021

https://kpu.ua/uk/99006/k_30letyju_rokovyh_sobytyj_v_hode_kotoryh_prekratyl_svoe_suschestvovanye_sojuz_sovetskyh_sotsyalystycheskyh_respublyk

Comment se fait-il que dans un pays dont la majorité de la population a voté pour le maintien de l’Union soviétique en mars 1991, la population ait accepté sa liquidation en décembre de la même année ? Il est important de comprendre cela non seulement pour établir la vérité historique, mais aussi pour attirer l’attention sur les stratagèmes auxquels continuent de recourir les ennemis des peuples de notre pays.

Pièges cachés dans le texte du bulletin de vote référendaire 

La croissance rapide de l’agitation séparatiste nationale, les sanglants affrontements interethniques, la proclamation de l’indépendance de la république par le Soviet suprême de la RSS de Lituanie le 11 mars 1990, l’adoption de la déclaration de souveraineté d’État de la RSFSR par le Congrès des députés du peuple de Russie le 12 juin 1990 étaient la preuve que l’existence de l’Union soviétique était menacée.

La majorité écrasante du peuple soviétique s’opposait à ceux qui semaient la discorde entre les peuples de l’URSS et condamnait leurs actions visant à diviser la Patrie soviétique. Reflétant cette préoccupation, le IVe Congrès des députés du peuple de l’URSS a adopté, fin décembre 1990, une résolution visant à organiser le premier référendum de l’Union sur la nécessité de préserver l’URSS.

Peu de gens, à part les députés de ce congrès, savaient que les questions suivantes figuraient à l’origine sur le bulletin de vote du référendum :

1) “Considérez-vous qu’il est nécessaire de préserver l’URSS en tant qu’État unique ?” ;

2) “Considérez-vous qu’il est nécessaire de préserver le système socialiste en URSS ?”.

3) “Pensez-vous qu’il soit nécessaire de préserver le pouvoir soviétique en URSS ?”.

4) “Estimez-vous nécessaire de garantir les droits de l’homme et les libertés de toute nationalité dans … l’Union ?”.

Cependant, au cours du travail sur la résolution, Gorbatchev et ses partisans ont réussi à raccourcir le texte du bulletin. Les questions sur l’attitude à l’égard du système socialiste et du pouvoir soviétique ont été supprimées.

Au lieu de cela, une seule question a été posée sur le bulletin de vote du référendum : “Considérez-vous qu’il est nécessaire de préserver l’Union des républiques socialistes soviétiques en tant que fédération renouvelée de républiques souveraines égales, dans laquelle les droits de l’homme et les libertés de toutes les nationalités seront pleinement garantis ?”

Le mot “renouvelé” utilisé dans le bulletin faisait écho à la notion de “perestroïka”, que les efforts de Gorbatchev avaient fini par désigner comme la voie politique du pays.

L’écrivain Youri Bondarev a souligné dans son discours à la 19e conférence du parti le 29 juin 1988 que la perestroïka n’avait pas d’objectif clair. Il a comparé la “perestroïka” à un avion qui décolle sans savoir s’il y avait quelque part une piste d’atterrissage.

Au cours des années, aucune clarté n’est apparue dans les objectifs de la “perestroïka”, et Alexandre Khartchikov a fait remarquer dans sa chanson : “Ce que veulent les contremaîtres de la perestroïka, personne ne le sait, sauf eux-mêmes !”.

Ce n’est que par la suite que les événements ont montré que le mot “perestroïka” dissimulait l’objectif de détruire le système socialiste, que les déclarations sur la démocratisation servaient de couverture à l’établissement d’un ordre oligarchique, et que les mots “nouvelle pensée” étaient un camouflage pour la capitulation devant les puissances occidentales. À l’époque, les électeurs ne se sont pas demandé comment concilier la “préservation” de l’URSS et son “renouvellement”. En outre, ni le bulletin de vote du référendum ni la résolution du congrès n’expliquaient ce qu’il était proposé de “renouveler” et ce que l’Union “renouvelée” était censée devenir.

Les républiques de l’Union étaient qualifiées de “souveraines” dans le bulletin de vote. Comme il ressort des dictionnaires et des ouvrages encyclopédiques de référence, le mot “souverain” signifie “exercer le pouvoir suprême”.

Dans le cas des États, ce mot est synonyme des mots “indépendant ou autonome”. Le degré d’indépendance et d’autonomie des États dans leurs affaires extérieures et intérieures peut varier dans la pratique.

La Déclaration sur la souveraineté de l’État de la RSFSR témoigne de la manière dont le Congrès des députés du peuple de Russie a interprété ce concept. Le cinquième article de cette déclaration suspend “les actes de l’Union de l’URSS qui contredisent les droits souverains de la RSFSR”. Cet article établit “le droit exclusif du peuple de posséder, d’utiliser et de disposer des richesses nationales de la Russie”.

Cependant, de nombreux Soviétiques n’ont pas réfléchi à la manière dont la souveraineté des républiques serait liée à la souveraineté de l’URSS lorsqu’ils ont voté pour “préserver” l’Union le 17 mars 1991.

Ils n’avaient aucune idée que les mots du bulletin de vote concernant une “fédération renouvelée de républiques souveraines” pouvaient être utilisés pour annuler le désir du peuple de préserver l’Union des républiques socialistes soviétiques. Il est arrivé au peuple soviétique quelque chose de similaire à à la mésaventure des personnages du roman Un capitaine de quinze ans. Bien que les passagers de la goélette Pilgrim soient certains de se diriger vers l’Amérique, ils ne se doutent pas que l’insidieux Negoro a glissé une barre de fer sous la boussole du pont et que, par conséquent, la route du navire est faussée.

Gorbatchev et Eltsine ont contourné la Constitution.

Bien que 1677 députés aient voté en faveur du référendum au Congrès des députés du peuple de l’URSS, que 32 aient voté contre et que 60 se soient abstenus, les autorités de six républiques ont boycotté l’organisation du scrutin national. En Estonie, Lettonie, Lituanie, Moldavie, Géorgie et Arménie, aucune commission électorale référendaire n’a été créée.

En outre, à la veille du référendum de toute l’Union, un vote a été organisé dans les trois républiques baltes, où les électeurs étaient invités à se prononcer sur la question de l’indépendance de ces républiques.

Mors de chacun d’entre eux, une majorité écrasante a voté pour l’indépendance. Peu après ces votes, l’Islande a reconnu l’indépendance de la Lituanie et le Danemark celle de l’Estonie.

Il est vrai que des bureaux de vote ont été mis en place dans chacune de ces républiques, principalement sur la base d’unités militaires, où la population a pu participer au référendum au niveau de l’ensemble de l’Union.

Condamnant les autorités des six républiques qui ont empêché la tenue du référendum, le Soviet suprême de l’URSS a déclaré dans son communiqué que “plus de 2 millions de citoyens de l’URSS résidant dans ces républiques ont exprimé leur volonté et ont dit “oui” à l’Union soviétique”.

Le Soviet suprême a considéré la position de ces personnes “comme un acte de courage et de patriotisme”. En même temps, il était évident que, puisque la population de ces républiques était supérieure à 20 millions d’habitants, seule une petite minorité avait voté pour le maintien de l’Union.

En Géorgie, par exemple, qui comptait cinq millions d’habitants, un peu plus de 40 000 électeurs ont voté pour le maintien de l’Union. Il faut préciser toutefois qu’en Abkhazie, qui faisait alors partie de la Géorgie, 99 % des personnes ayant participé au vote étaient favorables au maintien de l’URSS. En Ossétie du Sud, seules 9 personnes sur 44 000 électeurs se sont opposées au maintien de l’URSS.

Malgré l’échec du référendum dans six républiques de l’Union soviétique, le parti communiste et le gouvernement soviétique, dirigés par Gorbatchev, ont essayé de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour que le peuple soviétique ne s’inquiète pas du fait qu’au lieu de 15 républiques dans l’Union “renouvelée”, il n’en resterait que 9. Entre-temps, les autorités ont annoncé la préparation d’un nouveau traité de l’Union.

La nécessité d’un nouveau traité d’union s’explique par le fait que près de 70 ans s’étaient écoulés depuis la signature du traité sur la formation de l’URSS, le 30 décembre 1922. Le premier article de ce traité précisait quels étaient les attributs de l’Union. La liste de 22 clauses stipule que le gouvernement de l’union est responsable des activités internationales du pays, de l’organisation de ses forces armées, de “l’établissement de systèmes de commerce intérieur et extérieur”, de l’adoption du budget de l’État, des lois sur le travail, des principes fondamentaux de l’éducation publique, etc.

Les domaines d’activité du pouvoir de l’Union étaient précisés dans l’article 11 du traité, qui spécifiait la composition du Conseil des commissaires du peuple de l’URSS. Le Conseil des commissaires du peuple comprenait les commissaires du peuple pour les “Affaires étrangères”, les “Affaires militaires et navales”, le “Commerce extérieur”, les “Chemins de fer”, les “Postes et Télégraphes”, l'”Inspection des ouvriers et des paysans”, le “Travail”, l'”Alimentation”, les “Finances”, ainsi que la présidence du Soviet suprême de l’économie nationale.

L’article 12 du traité établit la Cour suprême de l’URSS sous le Comité exécutif central, “avec les fonctions de contrôle judiciaire suprême”. Le même article a créé le Département politique principal, dont le président était membre du Sovnarkom (conseil des commissaires du peuple) “avec droit de vote délibératif”.

Ces dispositions du traité de 1922 ne signifiaient pas que les républiques de l’Union étaient privées de la possibilité de participer activement à la résolution des questions de politique intérieure et extérieure. Le contenu de l’article 19 sur la composition des Soviets des commissaires du peuple des républiques de l’Union en est la preuve.

Il s’agissait des commissaires du peuple à l’agriculture, aux affaires intérieures, à la justice, à l’éducation, à la santé publique, à la sécurité sociale et aux affaires nationales. Il n’y avait pas de commissaires du peuple avec de tels pouvoirs dans le Conseil des commissaires du peuple de l’Union.

En outre, la composition des Sovnarkoms républicains comprenait les commissaires populaires de l’alimentation, du travail, des finances et de l’inspection ouvrière et paysanne, ainsi que le président du Conseil suprême de l’économie nationale de la république.

Le Conseil des commissaires du peuple de l’Union ayant des fonctions similaires, l’article 19 du traité stipule que les commissaires du peuple de l’Union de l’économie nationale et les commissaires du peuple de l’alimentation, des finances, du travail et de l’inspection ouvrière et paysanne de la République “sont guidés dans leurs activités par les instructions des commissaires du peuple respectifs de l’Union des républiques socialistes soviétiques”.

L’article 18 précisait que le Conseil des commissaires du peuple des républiques comprenait “avec droit de vote délibératif les plénipotentiaires des commissariats de l’Union pour les affaires étrangères, les affaires militaires et maritimes, le commerce extérieur, les chemins de fer, les postes et les télégraphes”.

En divisant les sphères d’activité entre le gouvernement de l’Union et les gouvernements des républiques de l’Union, le traité de 1922 a consolidé la position dominante du pouvoir de l’Union dans l’URSS.

Cette disposition est confirmée par l’article 13 du traité : “Les décrets et les résolutions du Sovnarkom de l’Union des républiques socialistes soviétiques sont obligatoires pour toutes les républiques soviétiques et sont directement appliqués dans toute l’Union.”

Bien que l’article 15 ait réservé au Comité central exécutif des républiques de l’Union le droit de faire appel des décrets et des résolutions des autorités de l’Union, leur exécution n’était pas suspendue.

L’article 16 ne permettait l’annulation des actes législatifs des autorités de l’Union que par leur propre décision.

Par la décision du IIe Congrès des Soviets de l’URSS en date du 31 janvier 1924, le traité sur l’Union est devenu la partie principale de la première constitution de l’URSS. Cependant, il a été considérablement élargi et comptait déjà 72 articles. La Déclaration sur la création de l’URSS du 30 décembre 1922, qui spécifiait les principes idéologiques et politiques du nouvel État, a également été incluse dans le texte de la Constitution de 1924.

En 1991, beaucoup de choses avaient changé dans la structure étatique de l’URSS, dans les activités des organes du pouvoir d’État de l’Union et leur mode de formation.

L’Union s’est constamment renouvelée tout au long de son existence. Depuis 1922, le nombre de républiques est passé de quatre à quinze. Les frontières de l’Union et celles de certaines républiques ont été modifiées. La procédure d’élection des organes supérieurs du pouvoir de l’URSS, leurs noms et leurs fonctions ont été modifiés à plusieurs reprises. La CEC de l’URSS, le Sovnarkom, l’OGPU ont cessé d’exister depuis longtemps. Au lieu des “commissaires du Peuple” (narkom en russe), mentionnés dans le traité de 1922, sont apparus des “ministres” et des “présidents de comités d’État”. Au lieu de la dizaine de narkom de l’Union mentionnés dans le traité de 1922 et la constitution de 1924, ils sont 33 dans la constitution de 1977. Au lieu des 11 narkom républicains de 1922, il y a 31 ministères unionistes-républicains en 1977.

Contrairement à la déclaration de 1922, qui parlait de la victoire des républiques soviétiques dans la guerre civile, les constitutions de 1936 et 1977 s’ouvraient sur les articles relatifs à l’organisation sociale de l’URSS. Ils parlaient du pouvoir soviétique, de la propriété socialiste, de la planification de l’État et des autres fondements de l’État soviétique. À partir de la constitution de 1936, le texte de la loi principale du pays comprend les dispositions définissant les droits et les libertés du peuple soviétique. Ces changements ont considérablement modifié la portée de la Constitution de l’URSS. Si le traité de 1922 comportait 26 articles, la constitution de 1936 en comptait 146 et celle de 1977 174.

La décision de “mettre à jour” l’Union par un nouveau traité ne tenait pas compte du fait que, pendant de nombreuses décennies depuis 1936, les relations entre les républiques étaient régies non par le traité de 1922, mais par les dispositions des constitutions de l’URSS.

Il faut tenir compte du fait que les Constitutions soviétiques de 1936 et 1977 ont été adoptées avec la participation active de millions de Soviétiques, qui ont fait passer leurs propositions et amendements aux projets de lois fondamentales du pays présentés pour discussion. La décision d’élaborer un nouveau texte du traité d’union a en fait rayé le travail de création des constitutions soviétiques, ainsi que l’expérience historique réussie d’un État soviétique d’union.

Sous couvert de travailler sur le nouveau traité d’union, la Constitution de l’URSS a été tacitement annulée, les fondements du système socialiste soviétique et le statut juridique du peuple soviétique ont été remis en question.

Contournant la Loi fondamentale de l’URSS, les destructeurs du pays mirent le cap progressivement vers d’autres rivages idéologiques et politiques. Le même résultat a été obtenu par Negoro, qui a réussi à envoyer le Pilgrim au lieu de l’Amérique dans le repaire des marchands d’esclaves en Afrique.

La tromperie devient plus effrontée et plus visible. 

Le 24 mai 1991, à Novo-Ogarevo, s’est tenue la première réunion du comité préparatoire, avec la participation des représentants de 8 républiques de l’Union. Non seulement le comité ne comprenait pas de représentants des six républiques dont les autorités avaient boycotté le référendum, mais il manquait aussi l’Ouzbékistan.

Dans le même temps, des représentants de 16 républiques autonomes assistaient aux réunions du comité. Alors que beaucoup d’entre eux étaient perplexes quant au rôle qu’ils devaient jouer lors de la réunion, certains dirigeants des autonomies ont soulevé la question d’être considérés comme des partenaires égaux parmi les républiques “souveraines”.

Lors de la première réunion, il est apparu que les participants ne pouvaient même pas se mettre d’accord sur le nom de l’Union. M.S. Gorbatchev propose d’appeler le pays l’Union des républiques souveraines soviétiques, en dissimulant le rejet de la nature socialiste du système sous l’abréviation “URSS”.

Le chef de la délégation russe, Boris Eltsine, a exigé que le pays s’appelle désormais l’Union des États souverains. Malgré les divergences, dans les deux versions, le mot “socialiste” disparaissait, ce que la majorité des participants au référendum a acté.

En même temps, dans les deux versions du nom, on affirme le droit à la souveraineté, c’est-à-dire à l’indépendance, de chaque membre de l’Union.

D’autres différences sont rapidement apparues. Kravtchouk et Eltsine s’opposèrent au maintien des taxes de l’Union. Ils ont déclaré que les contributions fixes des républiques formant l’Union étaient suffisantes pour constituer un budget de l’Union.

Les deux dirigeants ont également parlé vaguement de certains “revenus provenant de l’utilisation des biens transférés par les républiques à l’Union pour l’exercice de ses compétences”. Gorbatchev s’y est opposé, déclarant que “sans budget d’union, il n’y a pas d’État d’union”. Cependant, la question de la formation du budget de l’Union n’a pas été résolue.

Dans son livre Août 1991. Y a-t-il eu complot ? Le président du Soviet suprême de l’URSS de l’époque, Anatoly Loukianov, décrit la discussion à Novo-Ogaryovo comme suit : « Les positions des participants étaient largement opposées.

Alors que, par exemple, les propositions du Belarus et du Kazakhstan étaient en faveur de la préservation de la fédération soviétique, les représentants de l’Ukraine, du Kirghizstan et de quelques autres républiques ont défendu l’idée d’une “communauté” comme la Communauté européenne.

Les dirigeants de la RSFSR n’étaient pas d’accord avec les propositions relatives à la préservation de la citoyenneté unique de l’Union et avec de nombreux aspects de la délimitation des pouvoirs entre l’Union et les républiques. Il existait de sérieuses divergences entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et les républiques d’Asie centrale.

Les représentants des républiques autonomes ont adopté des positions particulières, exigeant pour eux-mêmes le statut de fondateurs de l’Union… Sur ces questions et sur d’autres, les représentants de plusieurs républiques ont présenté de plus en plus de nouvelles demandes, conduisant à l’érosion du libellé du traité et signifiant l’affaiblissement et la destruction progressifs de la structure de nos États. »

La présence de désaccords aigus sur les questions les plus importantes discutées et le manque de volonté de les résoudre indiquaient que la discussion sur le traité d’union cachait les véritables intentions de la plupart des participants à la réunion de Novo-Ogaryovo.

Le président du Soviet suprême de Tchouvachie, A.M. Leontiev, a posé la question de manière directe : « Nous nous sommes vraiment réunis pour briser l’Union soviétique… ou quoi ? Vous ne le voyez pas ? Alors nous devons le dire ouvertement et honnêtement : nous ne voulons pas vivre en Union soviétique. Je vois aujourd’hui… que certains camarades jettent ouvertement les bases d’une confédération sous sa forme la plus grossière, mais alors il faut le dire. Pourquoi essayons-nous de nous duper les uns les autres? De qui se moque-t-on ? On se moque du peuple ! »

Le 15 juin, dans une interview télévisée, Gorbatchev condamne ceux qui « tentent de jeter le doute sur le nouveau traité d’union en prétendant qu’il contredit les résultats du référendum ». Il en va de même pour le négrier Harris, du roman de Jules Verne, qui assurait aux passagers du Pilgrim que les girafes africaines qu’ils voyaient étaient des autruches sud-américaines.

Le 18 juin, le projet de traité d’union est envoyé au Soviet suprême de l’URSS. Comme le traité sur l’Union des républiques socialistes soviétiques, signé le 30 décembre 1922, le projet de traité sur l’Union des États souverains comportait 26 articles.

Dans le même temps, l’article 21 du projet de traité d’union, qui stipule que “la capitale de l’Union des RSS est la ville de Moscou”, reprend presque mot pour mot l’article 23 du traité de 1922, qui se lit comme suit : “La capitale de l’Union des républiques socialistes soviétiques est la ville de Moscou”. C’était la fin de la similitude entre les deux documents.

Si le traité de 1922 commençait par énumérer les quatre républiques qui l’avaient signé, le projet ne comportait pas une telle liste, car au moment de l’achèvement de ce document, il n’était pas clair qui signerait le traité d’union.

Dans le même temps, le premier article du chapitre “Structure de l’Union” pouvait être compris comme signifiant que les républiques autonomes devenaient égales aux républiques de l’Union. L’article se lit comme suit : “Les États qui forment l’Union y entrent directement ou en tant que partie d’autres États. Cela ne porte pas atteinte à leurs droits et ne les libère pas de leurs obligations en vertu du traité. Ils ont tous les mêmes droits et responsabilités”. Cela signifie que les droits “souverains” dont jouissaient les républiques de l’Union s’étendent désormais aux autonomies.

Alors que le premier article du traité de 1922 précisait ce qui était inclus dans la juridiction de l’Union, le projet de 1991 s’ouvrait par une section sur les “principes de base”. Le premier paragraphe de cette section se lit comme suit : “Chaque république – partie au traité – est un État souverain”.

Précisant le sens des mots, le deuxième paragraphe de la section s’ouvre sur les mots suivants : “Les États formant l’Union conservent le droit de décider de manière indépendante de toutes les questions relatives à leur développement, en garantissant l’égalité des droits politiques et des chances de développement socio-économique et culturel à tous les peuples vivant sur leur territoire”.

Comme s’il s’agissait de préciser une fois de plus que les parties au traité bénéficient de la pleine souveraineté, le cinquième paragraphe de la section stipule : “Les États formant l’Union possèdent le plein pouvoir politique, déterminent de manière indépendante leur structure nationale-étatique et administrative-territoriale, le système de gouvernement et d’administration”. Il est clair que les auteurs du projet s’attachaient à garantir les droits des républiques individuelles plutôt que les pouvoirs du gouvernement de l’union.

Dans le projet de 1991, seul le cinquième article indiquait ce qui relevait de la compétence de l’Union. Contrairement au traité de 1922, cet article ne mentionnait pas “l’établissement … des bases du commerce intérieur”, “les bases et le plan général de l’économie nationale de l’Union”, “les principes généraux de la gestion des terres et de l’utilisation du sous-sol et des eaux dans l’ensemble de l’Union”, “les bases du système judiciaire et des procédures juridiques”, les bases de la législation civile et pénale, “les lois fondamentales sur le travail”, “les principes généraux de l’éducation nationale” et d’autres affaires nationales. De toute évidence, ces affaires devaient désormais relever de la compétence des républiques “souveraines”.

Alors que le traité de 1922 énumère les commissariats du peuple et d’autres institutions d’union et de subordination républicaine, le projet de 1991 ne dit pas un seul mot sur la composition du Conseil des Ministres de l’Union et des gouvernements des républiques. En même temps, il était dit dans l’article correspondant que “les chefs des gouvernements des républiques participent aux travaux du Conseil des ministres de l’Union avec un droit de vote décisif”.

Le projet de traité d’union a été analysé par des groupes d’experts du Soviet suprême de l’URSS. Leurs opinions sont données dans le livre d’Anatoly Loukianov. Le premier groupe d’experts a conclu : “L’analyse du texte du traité conduit à la conclusion que l’union ne disposera pas de la souveraineté dans la mesure nécessaire au fonctionnement de l’État et n’est donc pas un État fédéral. Les normes de pratiquement tout le traité montrent une confédération, afin de ne pas contredire ouvertement les résultats du référendum, mais tachent de la faire passer pour une fédération”. Le même groupe d’experts a déclaré : “Le projet de traité crée les conditions pour stimuler les tendances centrifuges dans l’union, dont l’effet peut échapper au contrôle de ceux qui mettront en œuvre le traité. L’ensemble du texte du projet permet de s’interroger sur la sincérité de la volonté des auteurs de contribuer à la préservation et au renouveau de l’Union. Le projet de traité atteste de la nature confédérative de la future Union. »

Un autre groupe d’experts est arrivé à la même conclusion : “En adoptant une fédération, le traité crée en fait non pas une confédération, mais un simple club d’États. Elle mène directement à la destruction de l’URSS. Elle jette toutes les bases des monnaies, armées, coutumes, etc. de demain. En poursuivant cette ligne secrètement, implicitement, elle est doublement dangereuse, car elle brouille tous les concepts à tel point qu’un monstre étatique est créé.”

Lors de la session du Soviet suprême du 11 juillet, l’ancien président du comité de contrôle constitutionnel de l’Union, S. Alekseev, a attiré l’attention sur un vice essentiel de l’Union “renouvelée” : “L’attribut indispensable d’un État est sa propre base financière. Ce n’est pas seulement mauvais qu’il n’ait pas ses propres impôts – il n’y a pas d’État s’il n’a pas une base propre… Il n’y aura tout simplement pas d’Union, pas seulement une fédération, mais même … une confédération. Il y aura une organisation juridique internationale comme l’ONU, si elle est construite sur des contributions”. Loukianov a déclaré que si le projet de traité était adopté, l’Union pourrait “se transformer en une sorte d’union impuissante d’États indépendants”.

Les personnes les plus clairvoyantes de notre pays ont compris que l’Union soviétique allait être mise en pièces. Le 23 juillet, “Sovetskaya Rossiya” a publié le “Mot à la nation”, qui s’ouvrait sur les mots suivants : “Un malheur sans précédent s’est produit. Notre patrie, notre pays, notre grand État… s’enfonce dans les ténèbres et l’oubli…”. La lettre était signée par des personnalités politiques et des représentants éminents de la culture du pays, notamment Guennadi Ziouganov, Youri Bondarev, Valentin Raspoutine.

Les créateurs du projet de traité d’union craignaient que leur supercherie ne soit bientôt découverte, et ils ont décidé de précipiter les choses. Comme l’a noté A. Loukianov, “Le 29 juillet 1991 à Novo-Ogaryovo a eu lieu une réunion à huis clos de Gorbatchev avec Eltsine et Nazarbaïev… Réalisant que le projet de traité dans sa version finale ne pouvait obtenir le soutien du Soviet suprême de l’URSS et moins encore du Congrès des députés du peuple, Gorbatchev a proposé que les présidents de la Russie et du Kazakhstan commencent à signer le projet non pas en septembre-octobre, comme convenu précédemment et confirmé par le Soviet suprême de l’URSS, mais littéralement dans trois semaines – le 20 août 1991. “

Pour obtenir l’accord d’Eltsine sur cette proposition, Gorbatchev a permis au président russe de rayer de l’article 9 du projet les mots concernant la perception des impôts : “Lesdits impôts et taxes sont versés directement au budget de l’union par les contribuables”.

Loukianov a conclu : “Ainsi, la base matérielle indépendante de l’existence de l’État de l’Union a été sapée. Dans le même temps, Gorbatchev s’est engagé à publier un décret immédiatement après la signature du traité sur le transfert sous la juridiction de la Russie de toutes les entreprises subordonnées de l’Union situées sur son territoire.

Le 2 août, Gorbatchev annonce à la télévision que les premiers à signer le traité seront les délégations de la Russie, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, suivies quelque temps plus tard par les représentants des autres républiques où le référendum a eu lieu.

Loukianov remarque : “Ainsi, la signature du traité d’union a été planifiée en dehors du Congrès des députés du peuple de l’URSS, considéré par les dirigeants de plusieurs républiques et, évidemment, par le président de l’URSS lui-même comme un obstacle au plan prévu. En effet, un tel traité leur convenait bien : d’une part, il semblait sauver la fonction de président, mais d’autre part, il liquidait en fait l’État de l’Union en tant que fédération de républiques soviétiques. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir.

Pourtant, les destructeurs de l’Union s’efforcent de dissimuler leurs objectifs aussi longtemps que possible. Loukianov écrit : “Le projet de traité qui devait être signé, mais qui a été modifié lors de la réunion secrète de la ‘troïka’, n’a été publié dans la presse que le 16 août, car il aurait certainement provoqué des objections dans l’opinion publique. Ils se sont limités à envoyer le texte du traité aux chefs des délégations plénipotentiaires”.

Le député du Soviet suprême de la RSFSR, Vladimir Isakov, a pris connaissance du texte du traité avant le 16 août. Le 12 août, il écrit dans son journal : “La découverte du texte du traité est stupéfiante… La notion de propriété au niveau de toute l’Union a disparu. En ce qui concerne les taxes de l’ensemble de l’Union, la formulation est vague… Et le plus étonnant : après la signature du traité, la Constitution de l’URSS et en grande partie la Constitution de la RSFSR cessent d’être valables… La première pensée est qu’il s’agit d’une coquille, d’une erreur. Mais il ne peut y avoir d’erreurs dans de tels documents… Il est difficile d’imaginer le chaos politique et juridique que provoquerait la fin des deux Constitutions.”

Aujourd’hui, il est étonnant que même un politicien aussi expérimenté que V. Isakov n’ait compris que le 12 août que le traité d’union est un acte de sabotage contre l’ordre constitutionnel soviétique.

Dans les notes ultérieures de son journal, Isakov décrit l’extrême confusion des députés du Soviet suprême de la RSFSR, qui ont appris que, dans quelques jours, le traité d’union serait signé sans discussion par eux, et que l’ordre constitutionnel soviétique serait détruit.

Des millions de citoyens soviétiques, qui n’avaient pas compris les ruses des destructeurs de l’URSS et ne connaissaient pas les négociations secrètes de Novo-Ogarevo, ne se doutaient pas que Gorbatchev, Eltsine et d’autres allaient commettre un coup d’État anticonstitutionnel le 20 août, qui devait détruire le système soviétique et l’État soviétique uni. En grande partie pour cette raison, la tentative des membres du GKChP [appelé en occident ‘putsch’, NdT] d’empêcher l’effondrement de l’URSS a été mal comprise par des millions de Soviétiques à l’époque.

Tout en se présentant habilement comme des partisans de la préservation de l’Union soviétique (par opposition aux dirigeants des six républiques qui avaient refusé d’organiser le référendum du 17 mars), Gorbatchev, Eltsine et les autres organisateurs du processus de Novo-Ogarevo ont convaincu la grande majorité du peuple soviétique que la signature d’un contrat d’union achèverait le processus de renforcement des relations entre les républiques sur une base moderne.

C’est ainsi que les organisateurs du coup d’État antisoviétique ont réussi à attirer le peuple soviétique dans un piège appelé “Traité d’Union” et destiné à le prendre au dépourvu. C’est exactement ce que les marchands d’esclaves ont fait aux passagers du navire Pilgrim dans le roman de Jules Verne.

Yuri Yemelyanov

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