Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

A propos du stalinisme, Pasolini

J’ai dû virer de ce blog un suppôt délirant de Staline, une espèce d’illustration de tout ce que la propagande occidentale a fait du dit Staline. Cette propagande a nié la réalité de son leadership et son apport réel sur le plan politique et théorique, elle a interdit tout bilan d’un point de vue communiste, toute compréhension donc de l’URSS, de ses évolutions. Je l’ai virée parce que je retrouve dans ce “stalinisme” psychorigide les caractéristiques de la social démocratie: le mépris des masses et le refus de la réalité, de ses contradictions. Tout ce qui est le contraire des positionnements de Staline en ce qu’il demeure un disciple de Lénine, même si Lukacs lui prête une tendance au dogme, à théoriser des positionnements tactiques. La conduite de la guerre prouve à quel point il est capable à l’inverse d’Hitler, de voir les réalités. Je publie également un texte qui décrit son analyse en 1927 du parti communiste allemand, de la manière dont ce parti est en train de perdre pied face à la stratégie de l’impérialisme, ce texte et d’autres disent à quel point Staline avait un sens aigu des réalités des affrontements capital travail et du rôle léniniste attribué au parti. Mais restons-en au mépris des masses, il ne permet pas de mesurer ce qu’a été la “civilisation” communiste et qui continue à lui conférer une unité dans laquelle se mêlent la politique et la subjectivité. Celui qui est allé jusqu’au bout de cette description c’est Pasolini en particulier dans “la religion de mon temps”. Il dit que la “déification de Staline (que ce dernier n’a jamais souhaité semble-t-il) n’avait de sens que dans les “saints” qui incarnaient ce culte : les militants communistes et leur dévouement rude et implacable que Pasolini décrit dans ces quelques vers d’un très long poème et qu’il oppose à l’intellectualisation mondaine du parti communiste italien peu à peu coupé de cette force. Comme beaucoup d’intellectuels, j’éprouve une fascination pour cet aspect religieux totalement athée qui a conduit tant de militants à donner leur vie, sans espoir d’un paradis quelconque, ni d’une gloire individuelle parce qu’ils ne supportaient plus l’injustice et savaient que pour s’en débarrasser il fallait aller jusqu’au bout. Voici donc la description de Pasolini des “saints” du communisme face au culte (1)… Il y a des moments où malgré des dirigeants indignes la colère des peuples s’exprime et là l’humanité devient grandiose parce qu’elle nait de ce qui a été subi et a tant de fois été vaincu comme l’exprime aussi Walter Benjamin dans l’ange de l’histoire mais d’une manière plus idéaliste moins charnelle que Pasolini, il faut pour comprendre cela savoir également voir à quel point comme chez Brecht ce peuple est aussi celui qui survit d’une manière picaresque dans la violence de ceux qui le méprisent pour mesurer sa grandeur. tandis qu’on le voue au massacre tant qu’il n’a pas son propre parti, sa propre conception de l’histoire, sa propre relation aux forces productives, à l’histoire. J’ai reconnu chez Andreï Kontchalovski le cinéaste que l’on a pris pour un dissident cette tendresse et ce respect pour les “saints” du communisme détruits par l’imbécillité de Khrouchtchev, une position qui peut virer à l’esthétisation pure et simple… Le risque est d’être alors fasciné par le sacrifice et ne pas voir quand il est dramatiquement inutile et en quoi le rôle du parti est d’arrêter le massacre… Mais il y là aussi le véritable fondement d’un pacte entre le peuple et la création artistique pas dans le libéral libertaire. On ne comprend rien à la position d’Aragon y compris à Argenteuil si on ne perçoit pas ce lien entre avant-garde de la création et avant-garde politique qui au-delà des caricatures jdanoviennes demeure l’essence de “l’alliance” et c’est parce qu’Aragon demeure cela qu’il subit encore la haine malgré toutes les “naturalisations” que l’on tente avec lui. (note de Danielle Bleitrach)

Oui, bien sûr, c’était un Dieu … et il en est d’autres
moins fous, moins merveilleux. Avec leurs prêtres,
et, qu’il me soit permis de l’ajouter, avec leurs saints.

De pauvres saints, persécutés par des douleurs
bien connues, avec la terrible nécessité
d’arriver, sans trop de secousses,

jusqu’à la fin du mois, pour empocher
une fois de plus le maigre salaire tant convoité :
petits employés, fonctionnaires, recrues

d’un Parti, pour lequel vivre et mourir.
Heureux de te montrer une paire de souliers
neufs, un bon petit cadre accroché au mur

tout juste décent du foyer, une belle écharpe,
cadeau de Noël pour leur femme : mais en eux-mêmes,
au-delà de cet enfantin frémissement,

de cet effort, ils te jugent à l’aune
de leur foi, de leur sacrifice.
Ils sont impitoyables, ils sont terribles La Religion de notre temps, page 147 

(1) À la fin de 1960, Pasolini, alors déjà connu comme romancier et poète, entame sa carrière de cinéaste, avec le tournage d’Accattone. Parait également La Religion de mon temps. Comme dans tous ses recueils, sa poésie est kaléidoscopique : intime, politique, descriptive, sociale, provocatrice, réflexive. Invectives et prières, clamées ou murmurées, confessions et dénonciations, contemplations et introspections, récits et dialogues intérieurs alternent dans ces poèmes animés comme il aimera le dire plus tard d’une « vitalité désespérée ». La partie qui donne son titre à l’ensemble est une sorte de journal public. Témoin, compagnon, amoureux des pauvres, il tente de décrire un monde de la nuit et de la misère, riche d’une lumière que nous ne savons pas voir, prise de position confirmée dans les écrits corsaires et à la veille de son assassinat dans l’Article des lucioles publié dans le journal Corriere della sera du 1er février 1975, sous le titre « Il vuoto del potere in Italia » (« Le vide du pouvoir en Italie »), et repris dans son livre Écrits corsaires. Depuis sa parution, cet article polémique à propos de l’héritage du fascisme ne cesse de connaître une audience grandissante, de par l’acuité du propos et la métaphore des lucioles développée par l’auteur repris de l’enfer de Dante y compris dans la dimension écologique de la crise contemporaine.

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1 Commentaire

  • Baran
    Baran

    Présentation géniale!

    Répondre

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