Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Sophie Canétang ou un certain féminisme

Grâce à une amie avec qui j’ai vécu dans ma cellule de faculté les moments les plus riches et les plus heureux de ma vie politique nous avons élevé nos enfants dans un mélange de politique et de poésie avec l’aide des contes britanniques. Ainsi nous expliquions à ces charmants bambins que dieu existait, que nous l’avions rencontré et que c’était un lapin bleu avec un fusil sur l’épaule.

Mais le personnage central de nos contes était Sophie Canetang (titre original: The Tale of Jemima Puddle-Duck). Il s’agit d’un livre pour enfant écrit et illustré par Beatrix Potter en 1908. Beatrix Potter avait ceci de commun avec mon amie qu’elle avait fait l’acquisition d’une ferme et qu’elle avait été inspirée par les animaux. Sans avoir une ferme, mon amie avait de nombreux animaux dont un jars belliqueux amoureux d’une horrible cane et qui nous poursuivait dès que nous nous approchions de l’objet de sa flamme. Il y avait aussi Igor le chien dont nous prétendions que c’était un social démocrate mais qu’il jouait au trotskiste radical pour impressionner ses maîtres communistes et justifier sa gamelle.

Sophie Canetang c’était la gourde intégrale qui se trompait d’alliés. Jemima (Sophie dans la version française) est une cane dont les œufs sont régulièrement confisqués par la fermière qui considère Jemima comme une mauvaise couveuse. Furieuse, Jemima recherche donc une place suffisamment reculée où elle puisse couver ses œufs en toute quiétude. Elle en parle naïvement à un renard qui l’invite à nicher chez lui. Jemina accepte l’invitation sans se douter que le renard souhaite seulement la croquer. Kep, un colley de la ferme découvre le piège tendu à Jemima et intervient juste à temps pour la sauver. L’auteur a présenté ce conte comme une version revue du petit chaperon rouge.

Le livre devint très populaire. Il est considéré par la critique comme l’un des meilleurs de Beatrix Potter : lorsque Sophie peine à remonter la pente de la colline parce qu’elle doit transporter les oignons et les fines herbes qui vont servir à assaisonner sa cuisson, le lecteur hésite entre le rire et les larmes. Simple d’esprit, elle se livre avec toute son ingénuité au destin que lui réserve son adversaire naturel, le renard dont les nombreuses remarques à double sens sont autant de clins d’œil au lecteur.

Comment vous expliquer à quel point moi qui ai toujours été féministe, je suis irritée par un certain féminisme dont la naïveté, le nombrilisme, l’absence de connaissance transforme celles qui le pratiquent en Sophie Canetang politique. Je dois dire que le choc a été quand l’une de ces oiselles (les canes sont des oiseaux  appartiennent à l’ordre des ansériformes, à la famille des anatidés et à la sous famille des anatinés (canards de surface ou barboteurs , le terme d’oiselle est donc parfaitement adapté) a proféré un étrange commentaire. Souvenez-vous il y avait à tort ou à raison, une de ces affaires d’un jour ou plutôt d’une nuit du nouvel an à Cologne : les migrants venus du Maghreb ou de Turquie étaient accusés d’avoir peloté les dames de la ville. Dans un effort méritoire, Sophie Canetang avait affirmé que ce n’était pas de la faute des dits migrants, d’ailleurs les dames de Cologne (Allemagne) avaient l’habitude d’être violées vu que l’armée rouge ne s’en était pas privée. Une telle déclaration a attiré mon attention sur l’individu capable de telles sottises et depuis je l’ai vu accumuler toutes les bévues de ce type, entre une référence à ses propres traumatismes et une adhésion mondaine aux bonnes oeuvres de la CIA qui l’a conduite dernièrement à exiger une rupture avec la Chine au nom des yoghourts (petite publicité non rétribuée à Danone) stérilisés. Et ceci en suivant la propagande d’un évangéliste homophobe, sexiste à un point inimaginable, un copain de Marion Maréchal le Pen. Simplement parce que Sophie Canetang ne travaille pas et suit n’importe quel gentleman aux cheveux roux pourvu qu’il lui assure la possibilité d’aller dire n’importe quoi dans les médias.

J’ai renoncé à m’intéresser à ce que cette jolie cane cherchant à simplement couver son œuf raconte sur le plan intérieur mais je me suis contentée de la suivre, elle et sa bande de copines accumulant leur grand n’importe quoi sur la planète. Fort heureusement leur audience ne dépasse pas la France et son île ravagée par tous les snobismes et incohérences possibles et imaginables, cette bassecour cancanante et inculte de nos élites médiatiques, mais au plan international Sophie Canetang est redoutable je puis vous l’affirmer, aucun contresens, aucune idée reçue sur le bréviaire de l’impérialisme ne lui est étranger et elle ne renonce jamais à intervenir tête baissée pour conforter le camp de la réaction, celui du capital mais aussi comme dans le cas de ouïghours qu’elle prétend défendre et qui en général s’avère celui de quasi néo-nazis ou suppôts de Daesch. Chaque fois je l’imagine en train de monter la colline avec ses herbes pour la rôtir et je me demande pourquoi nous sommes passées de ces femmes communistes capables de se coucher devant un train pour empêcher les armes de partir en Indochine à ce mélange étonnant de Geneviève de Galard, “l’ange de Dien Bien Phu” proclamé par Paris Match et la charmante et imbécile Sophie Canetang. Cela va sans doute avec la promotion de la contrerévolutionnaire Olympe de Gouges dédiant son parodique “droit de la femme” à Marie Antoinette après Varenne, promotion assurée par la même social démocratie. Ce fut la première étape vers la promotion de Charlotte Corday puis de Marie Antoinette elle-même, ou mise en lumière de la sottise irresponsable proclamée l’essence du féminisme avant de nous rôtir dans le four de la réaction la plus conservatrice.

Le problème de Sophie Canetang c’est que trop préoccupée de son œuf, elle ne cesse de suivre les dérives de la social démocratie qui elle-même est à la pointe de la diplomatie française pro-UE (peut-être baise-t-elle la main qui la nourrit) et comme le dit très justement José Fort :

Les ayatollahs de droite et sociaux démocrates du parlement européen rivalisent dans l’art de l’hypocrisie.

On se souvient qu’ils ont, sous les applaudissements des députés socialistes avec en tête Raphaël Glucksman, approuvés une résolution plaçant à l’identique nazisme et communisme. Alors qu’ils ont soutenu le coup d’Etat en Bolivie contre Evo Morales, les voici demandant la libération de la cheffe des golpistes. Sauf que cette dame est accusée d’avoir couvert des répressions sanglantes et détournée à son profit un million de dollars.

Les mêmes feignent de s’étonner de la réaction de Moscou à leurs propres décisions d’expulsion et d’interdictions de responsables russes prenant prétexte du sort planifié à l’Ouest de M. Navalny alors qu’ils font silence sur le sort de M. Assange, des prisonniers palestiniens…

Comme s’ils ne savaient pas que la Russie (quoi qu’on puisse penser de ses actuels dirigeants et de sa politique), ne reste jamais, l’Histoire en témoigne, sans réagir. Y compris quand les nazis étaient aux portes de Moscou.

Pareil pour la Chine où les nains européens croient pouvoir faire la leçon à une nation qui contrairement à l’Inde (« la plus grande démocratie du monde ») a su maîtriser la pandémie et redémarrer son économie.”

Sophie Canetang a de nombreuses émules et il semble qu’elle se soit un peu réveillée quand la police de ses amis a tiré sur la foule en Colombie. D’ailleurs est-elle réellement coupable quand ses errances sont partagées par le secteur international du PCF et par le sénat français qui a parfois d’invraisemblables unanimités. Mais alors encore Sophie Canetang et ses copines sont-elles tout à fait coupables quand comme le note une fois encore José Fort :

L’ambassadeur de France à Caracas, M. Roman Nadal, a été prié de ne plus camper à l’aéroport international dans l’attente de son protégé, l’imbécile Guaido dont même la CIA ne veut plus et à qui il ne reste comme destination européenne que l’Elysée accessible désormais par la porte de derrière ou les toilettes des bistrots parisiens avec l’assassin affirmé des vieux, Jacques Attali. Quant à l’ambassadeur de France à Bogota, M. Gautier Mignot, il reste cloîtré dans sa résidence, bouche cousue. A tel point qu’on se demandait s’il n’avait pas été enlevé à son insu.

Non Sophie Canetang et ses pareilles ne sont pas totalement coupables s’il n’existe pas de force politique, pas de presse capable de dire à quel point la France ne se reconnait pas dans cet alignement ou pire encore dans cette adhésion à une politique d’extrême-droite, de tortionnaires reconvertis dans les droits de l’homme, qui est celle de l’UE et du gouvernement français de Sarkozy à Macron. Une politique qui tente de nous vendre la défense de Navalny et la torture d’Assange (1), la défense des mensonges sur la Chine et l’absence de combat contre le blocus de Cuba?

Le féminisme que j’ai connu ne faisait pas de nous simplement des “personnes du sexe” comme disaient les bourgeois du XIXe siècle mais tout en nous battant contre le fascisme, le machisme, les mœurs conservatrices nous apportions à la lutte pour la paix une dimension spécifique, chacun savait que quand dans une grève les femmes entraient en lutte, celle-ci devenait irrésistible. On ne comprend rien à la résistance du peuple cubain si on n’en mesure pas la spécificité féminine, la manière dont elles tiennent alors que tout manque… Alors que déjà le journal l’Humanité non content de soutenir Robert Ménard faisait occuper ses colonnes par Régine Desforges qui ne s’intéressait qu’aux prostituées cubaines, les gamines de 15 ans qu’un touriste pouvait acheter pour 1 dollar la journée? Déjà cette incapacité d’élever la lutte des femmes à la hauteur qu’elle mérite.

Oui je voudrais que l’on “ose le féminisme”, celui qui participe de l’émancipation de la condition humaine à une niveau planétaire…

Quand le temps sera passé des Sophie Canetang et que reviendra celui des Clara Zetkin, Rosa Luxembourg et autres Passionaria je dois dire que j’en éprouverai un grand soulagement si je suis encore en vie…

Danielle Bleitrach

(1) Les Sophie Canetang de la commission féminine du PCF ont longtemps interdit tout combat autour du cas Assange au nom d’un pseudo viol de ce dernier, une affaire montée de toute pièce et qui s’est effondrée.

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1 Commentaire

  • Jeanne Labaigt
    Jeanne Labaigt

    Danielle tu es une véritable Vladimir Propp ,tu nous permets de comprendre la morphologie des contes !
    C’est vraiment bien trouvé !!!
    Et en plus c’est tout à fait juste.

    Répondre

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