Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Cuba, notre amour, ce putain de blocus…

Comme le disait non sans pertinence un certain Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer » pour cela nous avons besoin que tous deviennent des philosophes et qu’ils tirent bilan de ce que chaque jour apporte d’enseignements dans le cadre du collectif. Agir collectivement pour transformer ensemble aide à éviter les facilités de la pensée, les illusions idéalistes, celles qui naissent quand on n’en fout pas une rame en tant qu’actionnaires… mais à l’autre bout de l’arc des nantis, le danger existe : ceux qui ont loisir d’imaginer que nous sommes déjà arrivés au communisme et qu’il suffit de voter pour un social démocrate qui les rassemblera pour atteindre une société parfaite à la tête de laquelle il y aura quelques postes pour lui et ses copains, ça c’est “la fin de l’histoire” dans les couloirs dorés et feutrés du sénat alors qu’on a à peine la quarantaine et pas prouvé grand chose.

Qu’est-ce que cela signifie pour les uns et pour les autres le socialisme : est-ce que c’est comme le disent les actionnaires du capital un ordre totalitaire qui nous transforme en petit soldats pour en finir avec le capitalisme qui lui a bien des défauts mais nous apporterait la liberté ? Non, face au désordre capitaliste, qui isole, détruit, nous dépouille de notre capacité d’agir, c’est concevoir un orchestre où chacun apprend à improviser en relation avec l’autre pour abolir les méfaits du capitalisme et pour impulser une autre musique pour l’avenir de tous…

L’enjeu est la fin d’une époque historique quand les “institutions”, les représentations, ne coïncident plus avec la réalité… quand il faut impérativement changer de société et le faire collectivement …

Mais revenons au spectacle du monde tel qu’il est et non tel que certains ont la possibilité de l’imaginer sans qu’il leur saute à la gorge pour les étrangler. Il suffit d’être dans la “vraie” vie pour en voir le chaos et le côté Titanic, chacun cherchant une chaloupe pour affronter la tempête. Alors comme nous aimons le faire ici, je vais vous raconter une fable, quelque chose que nous pouvons partager, une expérience commune: après l’absence de masques, de tests, d’oxygène, et surtout de lits de réanimation, il y a le quotidien de la course au vaccin.

Hier, par exemple, je suis allée me faire vacciner pour la seconde fois.

A l’entrée de l’hôpital de la Timone, accompagnée par ma fille Djaouida nous avons été arrêtées par un jeune planton chargé de nous renseigner autant que filtrer le public. Quand il a su que nous voulions nous faire vacciner ce garçon qui était probablement recruté temporairement et avec un salaire de “charité” nous a retenues : “tata, n’y allez pas, c’est dangereux!” Grâce à Djaouida je bénéficiais d’une sollicitude communautaire qui m’aurait touchée si elle ne prouvait pas à quel point le complotisme faisait des ravages dans les couches les plus pauvres de la population. Il était héroïque, humain et un parfait imbécile en train de me barrer la route des service de l’autre illuminé chez qui j’allais me faire vacciner le professeur Raoult.

Dans le dit service, Nous étions une soixantaine entassés sans même un ordre d’arrivée, tous convoqués à la même heure et il y avait une trentaine d’autres qui cherchaient à s’inscrire. Deux femmes complètement débordées désignaient un panneau sur lesquelles des consignes étaient inscrites, panneau que personne ne lisait. Il y avait quelques femmes en tenue de personnel de santé qui attendaient pour reprendre leur service, elles auraient dû être prioritaires, il y avait mes contemporains, de vieilles femmes plutôt alertes et des hommes nettement plus accablés, hagards traînés par des filles ou des voisins qui ne rêvaient visiblement que de s’en débarrasser au plus tôt. Pendant un certain temps tous ces gens sont restés tranquilles mais il a suffi de l’intervention intempestive d’un accompagnateur pour qu’on atteigne l’indescriptible dans le désordre.

C’est le genre de situation qui développe mes pires instincts, je tiens absolument à organiser, inventer un ordre quelconque. Quelquefois ça marche, j’ai même réussi à faire taire une bande de gamins déchaînés dans une rame du métro, mais là je me suis heurtée à quelques fortes têtes féminines, rien de plus vache qu’une femme pour une autre femme. J’ai donc renoncé à un ordre quelconque en murmurant sous cape “Tuez les tous et dieu reconnaîtra les siens“. En m’appuyant contre le mur pour conserver un équilibre menacé, j’étais nez à nez avec la doctoresse qui prenait les inscriptions, la pauvre enfant était à deux doigts elle-même de la panique, mais elle a décidé de commencer grâce à mes encouragements. Nantie du précieux papier, je me suis retournée vers la foule dans une ultime tentative de les convaincre : “Voilà si vous aviez accepté des priorités, je me serais au minimum retrouvée vingtième, mais dans votre désordre je suis la première”.

Inutile de dire que la majorité n’a rien compris, ni même entendu ma remarque, mais il y a eu au moins trois petites vieilles partageant mon sens de l’humour avec qui nous aurions pu former une cellule idéale… Des copines de récré… Nous aurions pu peut-être même agir ensemble pour dénoncer cette désagrégation de notre société dans laquelle la sixième puissance du monde, celle qui ne cesse aux côtés de voyous de son espèce d’envahir des peuples qui ne lui demandent rien… pour y installer “son ordre” s’avère incapable de la base au sommet d’organiser la sécurité et la santé de ses citoyens…

Nous les vieux, nous avons des vestiges des temps anciens, ceux issus de la victoire sur le nazisme, mais tous ces jeunes pour qui ce désordre, ce chaos sans but devient la seule réalité…

Cuba ou l’art de se jeter dans le fleuve … au nom de l’humanité… ensemble mais chacun improvisant …

Et à côté de cela, il y a un tout petit pays de 11 millions d’habitants … qui donne une tout autre leçon pour son propre peuple et pour les autres, malgré une saloperie de blocus…

Quelle leçon elle donne? De développement scientifique mais aussi de musique l’arme nationale… Tous les musiciens vous le diront: Cuba nous confronte quel que soit le type de musique à un moment auquel nous ne sommes pas préparés… “A toi pour tant de minutes!” Mais je ne sais pas improviser sans partition proteste celui ou celle à qui s’adresse l’invite… Mais il apprend comme l’enfant cubain dès qu’il a tapé sur le moindre tambour, esquissé des pas vacillants…

La lutte contre le blocus est une improvisation permanente et ils ont décidé de nous apprendre à improviser…

En rentrant chez moi en pleine forme sans le moindre effet secondaire, j’ai mis en place grâce à de nombreux coups de téléphone un début d’organisation grâce à mes chers Cubains. C’est avec ces Cubains que nous avions conçu une initiative le samedi 27 mars, une mère et ses enfants, débordant d’énergie et de conviction qui ont décidé de commencer la caravane contre le blocus à Marseille et ils m’ont recrutée dieu sait par quel hasard. Le blog toujours le blog qui nous est aventure. Qui ils étaient je l’ignorais mais je vais vous dire un secret : un Cubain sait quand il est face à un autre Cubain et il en éprouve de la chaleur, de la fraternité et ils m’ont fait le cadeau (comme à d’autres amis) d’éprouver quelque chose de cet ordre-là qui génère de la confiance.

Samedi 27 septembre, en plein mistral à décorner un bœuf, ils ont installé au bas de la Canebière une table quelques tabourets, des drapeaux, des tracts contre le blocus et une sono… Et nous voilà en train d’haranguer les passants. Nous étions une trentaine de fidèles, j’ai pris la parole sans avoir rien préparé comme d’autres, par pure conviction, et de temps en temps, une petite voix me disait : “A ton âge, tu devrais te calmer!” Pourtant entre nous avoir à 83 ans ce besoin d’agir c’est le plus beau cadeau que m’aient fait mes engagements, celui que je veux préserver le plus longtemps possible … A propos de Cuba, je ne suis pas la seule, les Cubains et ceux-là qui comme les autres galvanisent les énergies ont un désordre créatif… humain… Une idée fixe, une ligne de rassemblement : “il faudra bien que ce putain de blocus s’arrête, on les aura et notre socialisme pourra s’épanouir… Voyez ce que nous faisons avec le blocus alors imaginez ce que nous ferions libérés de toutes entraves… “

voici la photo de moi que ce matin à a grande surprise une amie de Toulouse m’envoie, signe que le chaîne des initiatives cubaines fonctionne bien.

En fait les Cubains se sont fait une réflexion qui me parait pouvoir être élargie, vu le désordre ambiant, la manière dont toute institution engendre sa propre paralysie et ses divisions, ses concurrences, donc son inertie, il faut ne plus se contenter de prétendre réformer les dites institutions il faut leur l’action en partant de la vie et de ses nécessités. Cela fait des années que l’ONU, les institutions internationales et la quasi totalité des pays dénoncent le blocus sans que celui-ci se soit desserré au contraire il s’est accru. Et si l’on croit que Biden va être mieux que Trump on se trompe… Cette illusion d’un dirigeant moins mauvais que l’autre ou pire d’ailleurs, doit être abolie… C’est ce qui les produit tels qu’ils sont qui doit être aboli. Et ce ventre toujours fécond c’est le capitalisme à son stade impérialiste financiarisé…

En revanche, le monde partout se révolte et réclame le droit à la vie, le socialisme fait la preuve de sa supériorité dans la lutte contre l’épidémie et d’autres défis… alors il faut que le rassemblement ait lieu partout où il y a des gens convaincus que leur action a un sens. Nous serons deux ou trois, une cinquantaine, à pied et à vélo, peu importe, partout il faut témoigner que nous avons droit à gérer notre vie comme nous l’entendons pour le bien de tous et pas une poignée.

Il faut improviser et dès que quelqu’un se présente lui tendre un instrument ou l’aider à esquisser quelques pas de danse…

Les organisations qui sont d’accord sont les bienvenues, elles acceptent la vie, s’en enrichissent au lieu de continuer à subir ce que le pouvoir en place, les médias aux ordres entretiennent en matière de divisions, et à partir de là leur existence est une chance pour tous, nous avons un besoin urgent d’organisations telles qu’elles sont simplement dans le respect d’un but.

Voilà on continue, on a bientôt une émission de radio, des projets multiples, une caravane pour Cuba, et rien ne vous empêche d’en faire autant chez vous… Il suffit d’être deux ou trois…

J’ai publié sur ce blog le compte-rendu au jour le jour d’un lecteur par temps de confinement, Stephen, il dit la désagrégation d’un monde, l’incapacité à le penser… Beaucoup de jeunes qui n’ont pas connu le temps où demeurait un semblant d’ordre hérité de la lutte contre le nazisme, des camps de la guerre froide, ne voient que chaos, pas d’avenir, jouissance immédiate ou régression… Peut-être faut-il avoir le courage des Chinois, se jeter dans le fleuve et apprendre à y nager …

Si ce blog a un sens c’est celui-là donner à l’histoire sa philosophie réelle celle qui transforme le monde et qui ne l’interprète que dans la transformation en sachant toutes les difficultés de l’opération mais aussi ce à quoi il faut s’attaquer en priorité et avec quelles armes… substituer à l’arme de la critique la critique des armes.

Danielle Bleitrach

Vues : 166

Suite de l'article

2 Commentaires

  • Daniel Arias
    Daniel Arias

    Eux aussi devaient être deux et trois par ci, par là et un jour,…
    https://youtu.be/Cuzl_QTBlWI

    Répondre
  • kath
    kath

    Le Blocus , Pour Cuba , pour les Cubains est Une est Réalité dont nous devons nous débarrasser !!! L’impérialisme en revanche , c’est un fléau , qui nous concerne tous !! Merci Danielle Bleitrach, toujours magistrale Bravo !!

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.