Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’héritage durable du Détachement féminin rouge chinois

À la veille du centenaire du Parti communiste chinois, en juillet 2021, l’histoire de la première brigade militaire féminine du pays dans les années 1930 continue de vivre dans la culture populaire et l’imagination du peuple chinois. Ce reportage sur un parc de loisir et ce qu’il offre aux vacanciers nous met en relation avec la manière dont le cinéma chinois promeut l’histoire mais aussi les valeurs en particulier ici le féminisme et la révolution. (note de danielle Bleitrach traduction de Diane Gilliard)

6 février 2021, par TingsChak

Légende photo :

Une production du Détachement féminin rouge à Sanya. Photo TingsChak.

« Es-tu une prolétaire ? », interroge la commandante de la brigade. Ne recevant aucune réponse, elle clarifie sa question : « Possédes-tu des terres ? »

Wu Qionghua, une jeune femme à longue tresse, vêtue de lin rouge, répond avec défi : « Je suis une fille esclave. Je ne possède rien. »Qionghua est devenue orpheline et esclave après que le propriétaire local Nan Batian (« Tyran du Sud ») a tué sa famille. Alors que l’intrigue se développe, nous découvrons que Qionghuavient d’échapper à l’esclavage avec l’aide de Hong Changqing, un cadre communiste.

Nous nous tournons vers l’autre femme qui apparaît sur l’écran, Honglian, la tête légèrement inclinée. « Et toi ? », demande la commandante. « Je ne sais pas si je possède des terres », répond-elle timidement. « J’ai été vendue à l’âge de 10 ans. » « Tu es certainement une prolétaire », affirme la commandanta. « Passe. »

C’est ainsi que les 121e et 122e membres sont intégrées dans la première brigade militaire entièrement féminine de l’Armée rouge chinoise. C’est du moins ce que raconte ce longmétrage de 1961, Le détachement féminin rouge, réalisé par Xie Jin.

Une histoire qu’il faut encore raconter

Je franchis les portes du parc puis,avec quelques minutes de retard, je passe devant les vendeurs de snacks, les boutiques de cadeaux et les gigantesques vitrines lumineuses. Le spectacle a déjà commencé, les portiersme font signe d’attendre. Je regarde les gradins, qui peuvent accueillir 2 400 personnes, se déplacer à côté de nous, en synchronisation avec la musique symphonique épique qui retentit en haut. Je suis ici pour la représentation nocturne de la production Le Détachement féminin rouge (红色娘子军) à Sanya, la ville de vacances bordée de plages dans la province insulaire de Hainan, en Chine. Le Détachement rouge a été la première brigade militaire entièrement féminine, devenue un élément mythique de l’histoire moderne chinoise. Il a été créé au siècle dernier et a donné lieu à d’innombrables productions socialistes ou « culturelles rouges ».

Les gradins s’immobilisent, et je suis installé dans mon siège. L’entrée en scène est à gauche dans les cocoteraies de la Chine subtropicale. L’histoire se déroule en 1931 à Hainan, en mer de Chine méridionale. C’est une région longtemps contestée et exploitée par des intérêts coloniaux, voisine de la Malaisie et de Singapour alors britanniques, du Vietnam sous contrôle français, des « Indes orientales » néerlandaises, aujourd’hui l’Indonésie, et les Philippines occupées par les États-Unis. Cette même année (1931), la Mandchourie — dans le nord-est de la Chine — est annexée par les Japonais, annonçant l’impérialisme fasciste qui dominera la région. Ce que le monde occidental appelle la Seconde Guerre mondiale a été en Chine une guerre de résistance de 14 ans, qui a coûté la vie à plus de 35 millions de Chinois. C’est en cette année que nous rencontrons nos protagonistes Qionghua et Honglianaux moments fondateurs de la brigade du Détachement rouge. Qionghua, cependant, n’est pas un personnage de fiction.

Son personnage est inspiré dePangQionghua, née en 1911, l’année de la révolution du Xinhai qui a vu la chute de la dernière dynastie impériale en Chine. Mariée dès l’âge de quatre ans, PangQionghua échappe à son destin pour rejoindre l’Armée rouge en 1930. Elle devient la commandanted’une brigade féminine de 103 femmes. Ce sont des espionnes qui protègent les arsenaux d’armes et méritent le titre de « Détachement féminin rouge » après plusieurs batailles victorieuses contre l’armée nationaliste ennemie. La dernière membre survivante est décédé en 2014. Depuis les années 1930, cette histoire a été racontée et re-racontée, adaptée aux besoins d’une Chine en pleine mutation. D’abord documentée par Liu Wenshao dans un reportage de 1957, puis transformée en un opéra local haïnanais, la version longmétrage a fait connaître cette histoire réelle au grand public. Le film est devenu une bande dessinée de masse, avant de devenir un ballet national dirigé par Jiang Qing — « Madame Mao » — le ballet qui a été choisi pour être interprété devant le président américain Nixon lors de sa visite en Chine en 1972. Pendant les années de la révolution culturelle (1966-1976), le ballet a été adopté comme l’un des « huit modèles d’opéra » adaptés à une nation de 800 millions d’habitants. Il a été joué 4 000 fois au cours des cinq décennies et demie écoulées. Il s’agit d’une étape culturelle importante dans l’établissement d’une identité nationale post-révolutionnaire et dans l’introduction de la culture chinoise moderne sur la scène internationale. Plus récemment, l’histoire a été transformée en une série télévisée en 2006 et reprise par le Ballet national de Chine en 2014. À chaque époque, l’histoire de Qionghua et Honglian est restée contemporaine car elle était toujours considérée comme une histoire qu’il fallait raconter.

Un parc à thème culturel rouge

Les tribunes du public, nombreux, où je suis assis, recommencent à bouger pour le derniersuper-tableau de cette histoire mise en scène à Sanya. Des bombes artificielles pleuvent du ciel dans une rivière artificielle. Un marteau et une faucille sont projetés au laser rouge sur les montagnes au loin. Un propriétaire est présenté au public avec un chapeau conique en papier. Les grands-mères commentent à voix haute comme si elles regardaient un feuilleton télévisé à la maison. Il y a des acrobaties, 11 scènes mobiles et une équipe de 300 personnes. Et cela se produit tous les soirs, pour 99 yuans le billet (15 dollars).

Ce spectacle, le premier du genre en Chine, a été présenté pour la première fois le 1er juillet 2018 dans le cadre du projet de parc à thème Détachement féminin des arts du spectacle de SanyaRed, qui associe les arts, la culture et l’histoire rouge sur une même plateforme. Ce projet de 1,2 milliard de yuans (plus de 185 millions de dollars) s’étend sur une superficie de 179 acres et est organisé conjointement par des acteurs publics et privés, dont le Beijing Chunguang Group et le Shaanxi Tourism Group, qui a été à l’origine de nombreuses productions culturelles rouges à grande échelle dans tout le pays. Il s’agit véritablement d’un projet de culture socialiste avec des caractéristiques chinoises.

Le 1ermai 2020 — Journée internationale des travailleurs —, Hainan a célébré les 70 ans de sa libération, lorsque la fin de la bataille de l’île de Hainan en 1950 a vu son incorporation officielle dans la République populaire de Chine. En juin 2020, le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et le Conseil d’État ont publié le plan directeur visant à transformer toute l’île en un port pilote de libre-échange. D’ici 2050, Hainan devrait devenir un centre financier, touristique, technologique et logistique international sans pareil. Dans son discours d’ouverture du 13eCongrès national du peuple — le plus haut organe législatif de la Chine — le Premier ministre du Conseil d’État Li Keqiang a souligné l’importance de la culture rouge dans ce projet national stratégique :« Nous devons stimuler le développement de l’industrie du tourisme, utiliser pleinement le potentiel touristique régional, développer le tourisme rural et le tourisme “rouge” », a-t-il déclaré.

Dans une impressionnante démonstration de reprise post-pandémie, pendant la semaine de la fête nationale d’octobre 2020, Sanya a reçu un nombre record de 729 000 visiteurs — plus du double de sa population de résidents permanents — et a généré plus de 4 milliards de yuans de recettes (environ 600 millions de dollars), soit une hausse de 39 % par rapport à l’année précédente. La fréquentation du parc à thème Détachement rouge a rivalisé avec celle des principales destinations touristiques de la ville, à savoir les plages tropicales, les complexes de villégiature et les villes fantastiques. Le festival culturel et artistique de la jeunesse de Sanya« Chine de la jeunesse », qui s’est déroulé en août 2020, a attiré 1 000 jeunes au parc — et 50 000 participants en ligne — pendant trois jours, encourageant la future génération du pays à « suivre en permanence les traces révolutionnaires et à perpétuer l’esprit du Détachement féminin ».

Autoportraits socialistes

Alors que la foule quitte les tribunes, de jeunes enfants s’empressent de se prendre en photo avec les jeunes acteurs, leurs parents étant à la traîne. C’est un autre type de parc à thème, un autre type d’histoire d’héroïne. Certains viennent pour voir le spectacle, d’autres pour passer du temps en famille. Je pars avec un autoportrait pris avec un des jeunes acteurs-soldats dans leurs tuniques gris-bleu et leurs casquettes à étoile rouge et un nouveau bloc-notesde la marque Détachement pour écrire cette histoire. À la veille du centenaire du PCC, qui sera célébré en juillet 2021, la culture rouge aux caractéristiques chinoises est non seulement vivante, mais elle continue aussi à se réinventer et à trouver une nouvelle vie.

Cet article a été produit par Globetrotter.

TingsChakest le concepteur principal et chercheur à Tricontinental : Institute for Social Research, éditeur de Dongsheng, et boursier de Globetrotter/Peoples Dispatch.

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