Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Comment l’URSS a raté l’occasion d’éviter l’ère de stagnation

Après tant d’années où la contrerévolution, le monopole idéologique de l’occident a caricaturé l’histoire et ceux qui y ont participé, peu à peu les faits à la lumière en particulier de la croissance chinoise et de la crise du capitalisme US remontent à la surface. Ici, une fois de plus est éclairé le rôle de Khrouchtchev, son manque de sérieux mais aussi la manière dont il pouvait être tenu par les responsables de l’ère stalinienne. Le questionnement russe est toujours le même: est-ce qu’avec des reformes nous aurions pu éviter la chute de l’URSS, agir comme les Chinois et ce questionnement comme ici va bien au-delà des cercles communistes. Cette élucidation du passé, nous en sommes encore loin en France mais grâce aux traductions nous voyons combien partout dans le monde la réflexion, l’autocritique positive est en train de prendre de l’ampleur (merci donc à Marianne Dunlop qui a traduit ce texte et le suivant du russe pour histoire et société, note de DB)

Le candidat de Staline Alexei Kosygin (à droite) sous Brejnev était connu comme un partisan de l'économie de marché
0  18 décembre 2020, 08:25
Photo: Musaelyan Vladimir / TASS
Texte: Andrey Samokhine

https://vz.ru/politics/2020/12/18/1075908.html

«La meilleure chose que mon grand-père ait faite en économie a été le huitième « plan quinquennal en or » de 1966-1970. Ce fut le succès de tout le peuple soviétique, et en même temps le succès personnel de Kossyguine en tant qu’auteur de la réforme. Mais ensuite, en raison des événements du printemps de Prague, cette réforme a été gelée », a déclaré l’académicien de l’Académie russe des sciences Alexei Gvishiani au journal VZGLYAD. Vendredi marque le 40e anniversaire de la mort de son grand-père, Alexei Kossyguine, qui durant une longue période a été le chef du gouvernement de l’Union soviétique.

Alexei Nikolaevitch Kossyguine a dirigé le gouvernement du pays pendant 16 ans – plus longtemps que n’importe lequel des premiers ministres soviétiques. Il est également connu pour s’être maintenu aux échelons les plus élevés du pouvoir sous trois régimes complètement différents: ceux de Staline, Khrouchtchev et Brejnev.

Les portraits de Kossyguine, en tant que membre du Politburo du Comité central du PCUS, sont restés dans la mémoire de la génération plus âgée, car pendant plusieurs décennies, ils ont été suspendus partout – sur les places, dans les écoles et les agences gouvernementales. On se souvient également de la fameuse «réforme économique de Kossyguine», qui fait toujours polémique. Les fans de Kossyguine rappellent que le peuple soviétique, grâce à lui à la fin des années 60, a commencé à vivre beaucoup mieux matériellement. Mais Kossyguine se voit souvent reprocher, avec l’ensemble de la direction de Brejnev, les échecs des années 1970, quand dans le pays, en particulier dans l’arrière-pays russe, les rayons des magasins étaient vides, il y avait une pénurie de produits alimentaires et industriels. Ayant nourri presque toute l’Europe avec son propre pain jusqu’en 1913, la Russie de ces années-là a été forcée de commencer des achats massifs de céréales elle-même, en outre, auprès de ses adversaires idéologiques – les États-Unis et le Canada.

Quels reproches contre Kossyguine sont justes et lesquels ne le sont pas, l’interview avec le journal VZGLYAD, de son petit-fils, l’académicien Alexei Gvishiani, directeur scientifique du Centre géophysique de l’Académie russe des sciences, président du Conseil scientifique de l’Académie russe des sciences pour l’étude de l’Arctique et de l’Antarctique, tente d’y répondre.

VZGLYAD: Alexey Dzhermenovich, vous écrivez dans vos mémoires que votre grand-père avait la fibre commerciale. Que serait devenu Alexeï Kossyguine si la Révolution d’octobre ne s’était pas produite en Russie?

Alexey Gvishiani: Je pense que mon grand-père serait devenu un grand industriel, un financier dans le système économique de l’Empire russe, malgré le fait qu’il était le fils d’un ouvrier qualifié. C’était un homme d’affaires par nature.

Dès avant la révolution, Kossyguine est entré dans une école de commerce, pendant la NEP, il s’est engagé dans la coopération, il est parti en Sibérie, où il a créé des sociétés commerciales prospères. Mais dès que la situation a changé, il a pris du service dans le système de commandement administratif du socialisme. Pourquoi? Dans tout système, il faut des personnes responsables, pas des idéologues, mais des praticiens qui ne s’engagent pas dans des intrigues, mais gèrent la vie quotidienne, développent matériellement le pays.

Alexey Gvishiani (photo: Channel Five Russia / YouTube) Alexey Gvishiani (photo: Channel Five Russia / YouTube)

En même temps, Kossyguine était bon diplomate. Il comprenait comment et avec qui il devait se comporter, où parler et où se taire pour atteindre son but. Non pas pour l’avancement personnel ou l’auto-préservation, mais pour faire avancer les choses –c’est cela qu’il avait toujours en tête.

Kossyguine était toujours recueilli, ne parlait pas trop, ne cherchait pas les privilèges, n’essayait pas de s’entourer d’une équipe dévouée à sa personne. C’est ainsi qu’il est passé d’un jeune coopérateur à un chef de gouvernement.

VZGLYAD: Est-il vrai que l’idée de la Route de la vie sur la glace du lac Ladoga depuis Leningrad assiégée avait été suggérée personnellement par votre grand-père?

A.G .: Il en a beaucoup parlé, et je suis convaincu que oui – c’était son idée. Bien que, bien sûr, les décisions aient été prises collectivement – après l’approbation du Comité de défense de l’État. En tant que commissaire du CDE, mon grand-père a supervisé la construction de la Route de la vie et de l’oléoduc au fond du lac Ladoga, personnellement – des deux côtés du lac, et a tout discuté en détail avec des experts. Il a fait beaucoup d’efforts pour sortir d’abord les enfants affamés de la ville. Il y avait, bien sûr, d’autres héros. Les assistants de Kossyguine – Alexei Gortchakov, Anatoly Boldyrev et Anatoly Karpov – ont joué un rôle énorme.

Mais c’est grand-père qui a assumé la responsabilité principale et le risque à ce moment-là: après tout, en cas de panne, si les wagons avaient commencé à sombrer à travers la glace ou si le pipeline avait éclaté, alors il aurait été le premier « responsable». À propos, l’ordre de l’Étoile rouge, qui lui a été décerné pour la Route de la vie, ainsi que pour l’évacuation réussie d’entreprises vers l’est en 1941, faisait la fierté de mon grand-père bien plus que de tous ses autres prix.

VZGLYAD: Kossyguine a travaillé au plus haut niveau. Comment parlait-il du « père des peuples » lors de conversations avec vous?

A. G.: Depuis 1940, il est devenu vice-président du Conseil des commissaires du peuple (Sovnarkom), c’est-à-dire l’adjoint de Staline. Kossyguine parlait invariablement de lui avec respect comme un dirigeant sage, mais dur et exigeant. Mon grand-père traitait Khrouchtchev plus comme un égal, racontait nombre de ses actions avec sarcasme, bien qu’il ne se soit pas non plus permis un langage désobligeant. Mais l’école stalinienne lui a appris à exprimer avec retenue ses sentiments vis-à-vis des personnalités politiques, même du passé, sans parler de celles en activité.

VZGLYAD: On dit que Joseph Vissarionovitch a personnellement supprimé le nom de Kossyguine de la liste des chefs de parti dont la répression était prévue dans “l’affaire de Leningrad” après la guerre …

A. G.: Staline a bien traité mon grand-père dans l’ensemble. Mais, je pense, la suppression de la liste des «condamnés» est une légende. Grand-père n’avait rien à voir avec ce groupe. Après avoir été convoqué de Leningrad pour travailler à Moscou en 1939, après avoir été nommé commissaire du peuple de l’industrie textile, il n’a pratiquement pas eu de contacts avec les camarades de Leningrad accusés plus tard, sans parler de réunions privées. Kossyguine a généralement soigneusement évité la participation à des groupes politiques, ainsi que les intrigues répandues dans l’appareil du parti, se consacrant pleinement aux questions purement de construction de l’État.

Quand, après la mort de Jdanov, à l’initiative de Beria et Malenkov, l’«affaire de Leningrad» a commencé, il a été dans un premier temps également accusé d’être au courant de la «conspiration des Leningradiens», mais «ne l’a pas signalé» aux dirigeants. Mais au final, Kossyguine n’a pas été touché. Certes, le chef a organisé un test de trois ans pour lui: il a arrêté de le recevoir, le surveillait de près. Une histoire célèbre raconte comment Staline l’a approché après une réunion du Comité central, au cours de laquelle Kossyguine s’était assis à l’écart, lui a tapoté l’épaule et a dit: «Comment vas-tu, Kossyga? T’inquiète pas, on trouvera encore du travail pour toi. »

VZGLYAD: Dans quelle mesure la réforme monétaire de 1948, menée par Kossyguine, a-t-elle été bénéfique pour l’économie du pays, après la dévastation d’après-guerre?

A.G .: A l’époque, a été effectuée une dénomination – on a réduit le nombre de zéros dans les billets de banque, ce qui a simplifié les calculs. Dans le même temps, l’argent spéculatif a été retiré de la circulation. À la suite de la réforme, les espèces pouvaient être échangées contre de nouveaux billets dans la limite d’un certain montant. Bien sûr, l’argent était conservé à la maison non seulement par des spéculateurs, mais aussi par de nombreux citoyens qui l’avaient gagné par un travail honnête. Au cours de la réforme, cet argent a été largement perdu.

Mais l’essentiel de la réforme a été d’abolir le système de rationnement. C’était un énorme pas en avant, la vie du peuple soviétique s’est beaucoup améliorée. Vous venez au magasin, et il y a quelque chose sur le comptoir – et vous pouvez l’acheter juste pour de l’argent, sans documents supplémentaires. Chaque année, les prix d’un certain nombre de produits étaient revus à la baisse. Une vie plus humaine est venue. Vyssotski chantera à ce propos qu’ « il fut un temps où les prix baissaient ».

VZGLYAD: Après cela, Kossyguine a été nommé ministre des Finances, mais a été rapidement démis de ses fonctions. Pourquoi?

A. G.: En tant que ministre des Finances, il s’est avéré trop intransigeant. Beaucoup n’ont pas aimé. Mais il y avait un autre point intéressant. Pendant cette période, une note importante a été envoyée à Staline. Comme je suppose, son auteur aurait pu être le chef de la sécurité du chef, Nikolai Vlasik. La note traitait du style de vie de l’élite du parti, que Staline a toujours eu à l’oeil.

A cette époque, les salaires des hauts dirigeants soviétiques étaient bas. Par exemple, grand-père en tant que président du Conseil des ministres recevait 900 roubles par mois (environ mille dollars). Mais en même temps, les dirigeants avaient beaucoup d’avantages: transport, nourriture, datcha, appartement – tout était gratuit. Jusqu’à ce que Kossyguine devienne ministre des Finances en 1948, l’approvisionnement en nourriture de la haute direction était illimité. Les hauts dirigeants ont des parents, des amis et certains membres de la direction avaient même des gardes qui mangeaient gratis.

Dès qu’ils ont écrit à Staline à ce sujet, il a ordonné à Kossyguine de s’en occuper de toute urgence. Mon grand-père a suggéré d’introduire des limites, et de fixer en termes monétaires la quantité de nourriture autorisée par mois pour chaque personne. Et beaucoup de dirigeants n’ont pas aimé cela, ce qui est devenu un argument supplémentaire en faveur du transfert de Kossyguine à son ancien poste de vice-premier ministre.

VZGLYAD: Sous Khrouchtchev, bien que Kossyguine ait retrouvé son poste au Présidium du Comité central, il n’est pas monté plus haut que Vice-président du Conseil des ministres. On sait qu’il a critiqué la politique économique de Nikita Sergeïevich  par exemple, il a défendu les parcelles subsidiaires personnelles des agriculteurs collectifs, que Khrouchtchev voulait supprimer.

A. G.: Lorsqu’en 1957 Khrouchtchev a vaincu le «groupe anti-parti» de Malenkov, Kaganovitch et Molotov, ayant rassemblé une nouvelle équipe, il a invité Kossyguine à la rejoindre. Non seulement parce qu’au plénum Kossyguine a soutenu sans équivoque Khrouchtchev, mais aussi parce qu’il était un professionnel de haut niveau. Tout d’abord, grand-père est devenu président de la Commission de planification de l’État et l’un des adjoints du Président du Conseil des ministres (donc de Khrouchtchev), puis son premier adjoint. Par conséquent, il est tout à fait possible de dire que Kossyguine a été promu non seulement par Staline, mais aussi par Khrouchtchev.

Au début, grand-père traitait Nikita Sergueïevitch avec respect. Mais petit à petit, il en venu à la conclusion qu’il était impossible de travailler sérieusement avec lui: son volontarisme était phénoménal. Khrouchtchev pouvait venir le matin et dire: il est nécessaire de diviser tous les comités régionaux du parti en agricoles et industriels. Et le lendemain, il proposait soudainement de déplacer ailleurs une usine déjà construite. Il avait placé ses amis autour de lui, et ce n’était pas les meilleurs spécialistes.

Peu à peu, les efforts du gouvernement ont commencé à échouer en raison de ces activités illogiques. Je ne parle même pas de la crise des missiles cubains, du coup de savate sur la tribune de l’ONU, du fameux maïs dans le cercle polaire arctique.

VZGLYAD: C’est alors que Kossyguine a décidé de soutenir le complot?

A.G .: Mon grand-père était une personne qui réfléchissait longtemps aux questions, mais ayant pris une décision, il agissait clairement, rapidement, sans hésitation. La compréhension de Kossyguine selon laquelle Khrouchtchev devait être éliminé mûrit progressivement, et il n’y avait rien de personnel à ce sujet. Les principaux comploteurs étaient Souslov et Brejnev. Mais Kossyguine s’est chargé de la conversation avec le ministre de la Défense – le maréchal Rodion Malinovsky, un personnage clé. Si Rodion Yakovlevich avait dit: non, les gars, j’obéirai à Khrouchtchev – rien ne serait arrivé.

VZGLYAD: Il y a encore beaucoup de controverses sur la réforme économique de Kossyguine. Certains pensent qu’elle était brillante. Mais il y a une opinion selon laquelle «l’accélération» de Gorbatchev était orientée au départ vers la reprise de la réforme Kossyguine.

A. G.: La meilleure chose que mon grand-père ait faite dans l’économie a été le huitième “plan quinquennal en or” en 1966-1970. Sur une période de cinq ans, le revenu national a augmenté de 42%, le produit industriel brut de 51% et l’agriculture de 21%. Les revenus de la population ont considérablement augmenté. Ce fut le succès de tout le peuple soviétique, mais aussi le succès personnel de Kossyguine en tant qu’auteur de la réforme. Mais ensuite, en raison des événements du printemps de Prague, pour des raisons idéologiques (Brejnev a longtemps hésité, mais on l’a convaincu) – cette réforme a été gelée. Elle n’a pas été annulée: tout ce qui a été fait à la première étape a bien fonctionné, mais la réforme n’est pas allée plus loin.

Je suis géophysicien et mathématicien, pas économiste, il m’est difficile d’évaluer les avantages et les contradictions de la réforme. Mais j’ai beaucoup lu à son sujet et il me semble que notre célèbre économiste, le premier maire de Moscou post-soviétique, Gavriil Popov, en a fait une analyse intéressante dans son livre sur Kossyguine. Avec Lev Abalkin et Yevsey Lieberman, il était membre de l’équipe qui avait préparé en 1965 la «réforme Kossyguine». Selon Popov, elle ne contredisait pas l’économie planifiée, mais, au contraire, y était parfaitement adaptée. Il n’avait aucune intention de faire quoi que ce soit de semblable à ce qu’Eltsine et Gaidar ont fait plus tard.

La réforme de Kossyguine était une sorte de transformation du système économique socialiste. Il était prévu d’autoriser des restaurants et des magasins privés sur le modèle de la Hongrie, de la Pologne et de la RDA, mais cela n’a pas abouti. Et même si cela avait abouti, les fondements du socialisme n’auraient pas été ébranlés. Les réformes de Kossyguine ont déjà cessé d’être pertinentes dans le neuvième plan quinquennal. L’étape suivante était nécessaire, mais elle n’a pas été franchie.

Mais en tout cas, c’est sous Kossyguine que le peuple soviétique, en économisant de l’argent, a pu s’acheter une Jigouli (= Lada) construite à Togliatti grâce à son accord personnel avec le Fiat italien. Pour leur époque, c’étaient des voitures assez correctes. Kossyguine pensait généralement que la vie des citoyens du pays devrait s’améliorer par une élévation du bien-être personnel: appartements, datchas, voitures. Contrairement à Khrouchtchev, qui, par exemple, pensait que les transports personnels n’étaient d’aucune utilité pour le peuple soviétique, qu’il fallait seulement développer les transports publics. Dans le même temps, mon grand-père a rappelé les tramways gratuits de Leningrad à la fin des années 1920: cassés, sales. Lorsqu’il est devenu le chef du comité exécutif de la ville de Leningrad, il les a rendus payants et l’image a changé du tout au tout.

VZGLYAD: Et quel genre de relation votre grand-père avait-il avec Brejnev? On dit qu’elles sont progressivement passées de très bonnes à plutôt froides.

A. G.:  Ils étaient très différents – Brejnev et Kossyguine. Brejnev était pétillant, joyeux, aimait «vivre», en bonne compagnie et chasser. Grand-père a toujours été une personne réservée, sérieuse, parfois même, je dirais, sombre et en même temps modeste dans sa vie personnelle. Lorsqu’ils ont commencé à travailler en 1964 en tant que deux hauts fonctionnaires de l’État, Leonid Ilitch était, me semble-t-il, un excellent dirigeant: charmant, actif, inspirant – les gens l’aimaient. Brejnev n’a pas interféré avec le travail de mon grand-père, contrairement à Khrouchtchev.

Mais à la fin de sa carrière, Brejnev était devenu trop prudent, fatigué, malade. Lui et Kossyguine ont commencé à se rencontrer rarement. Probablement, un élément de rivalité et de jalousie est apparu de la part du secrétaire général, mais je ne pense pas que ce soit le principal. Tous – Brejnev, Kossyguine et bien d’autres – auraient dû prendre leur retraite cinq ans plus tôt, c’était déjà difficile pour eux de travailler. Kossyguine est décédé à l’âge de 76 ans, Brejnev à 75 ans. À cette époque, il n’y avait pas de chirurgie cardiaque, pas de pontage, de stents, il n’y avait pas de médicaments modernes efficaces. Selon les normes médicales modernes, ils avaient tous les deux 85 ans au moment de leur décès, et à cet âge, il est difficile de diriger un pays.

VZGLYAD: On dit que l’erreur de Kossyguine est qu’à la fin des années 1970, l’URSS est devenue totalement “accro au pétrole”. En tant que chef du gouvernement, il est aussi parfois blâmé pour la pénurie croissante de nourriture et de nombreux produits manufacturés. Le pays a alors commencé à importer du blé pour la première fois de son histoire.

A. G.: Ce que vous appelez «être accro au pétrole et au gaz», est pour moi un transfert raisonnable d’activité. Lorsque la réforme économique s’est arrêtée pour les raisons que j’ai mentionnées ci-dessus, Kossyguine s’est concentré sur le complexe pétrolier et gazier. Avec ses assistants (Tchernomyrdine était alors sous-ministre de l’industrie du gaz), mon grand-père a beaucoup fait pour créer la base: exploration de nouveaux champs, construction de gazoducs. Cette base nous aide toujours.

Kossyguine a également été à l’origine de la création de l’usine de tracteurs KamAZ, il a été l’initiateur de la construction de nombreuses centrales électriques, du système énergétique unifié du pays, grâce auquel nous n’avons toujours pas de déficit énergétique.

Si la réforme de Kossyguine n’avait pas été arrêtée, je pense qu’aucune pénurie de denrées alimentaires et de produits manufacturés ne se serait produite et les importations de céréales dans les années 70 n’auraient pas non plus été nécessaires.

C’était terrible pour lui: mon grand-père était très inquiet, il essayait de proposer quelque chose tout le temps, mais il ne pouvait pas prendre de décisions seul, et les autres anciens du Politburo ne l’écoutaient pratiquement pas. Même couché à l’hôpital après une crise cardiaque peu de temps avant sa mort, grand-père demandait les projets pour le prochain plan quinquennal et était très contrarié qu’«ils faisaient n’importe quoi».

Kossyguine n’a jamais été un révolutionnaire et croyait que les améliorations devaient être réalisées de manière évolutive. C’était un homme du système, un communiste, et il n’a jamais contesté, n’a pas essayé de changer le système, de revenir au capitalisme, il était simplement confiant dans la possibilité d’améliorer l’économie planifiée.

VZGLYAD: Et quel genre de relation avez-vous eu avec votre grand-père?

A.G .: C’était un très bon grand-père, un chef de famille strict mais gentil – nous avons vécu avec lui et, pourrait-on dire, étions amis pendant de nombreuses années. Nous venions souvent lui rendre visite avec mes parents. Il a joué avec moi quand j’étais petit, nous faisions des promenades et il m’a beaucoup parlé de ses rencontres historiques au fur et à mesure que je grandissais. Il aimait beaucoup les sports: badminton, kayak, skis, patins. Lui et moi avons fait une randonnée dans les montagnes du Caucase avec le président de la Finlande Urho Kekkonen, avec qui mon grand-père était ami depuis de nombreuses années.

Je crois que mon grand-père a travaillé toute sa vie avec dignité et altruisme pour le pays, il a essayé d’améliorer la vie de ses compatriotes et même de créer un «coussin de sécurité» économique pour l’avenir. En même temps, il ne pensait pas du tout à ce que ses descendants diraient de lui. Sa «trace dans l’histoire» est venue naturellement : la postérité a associé son nom aux bonnes actions qu’il a faites.

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