Il ne suffit pas de cacher Staline parce qu’il effraye le petit bourgeois et dans la foulée en finir avec le léninisme puis rendre Marx totalement idéaliste… à la fin ne plus avoir aucune perspective socialiste… pour emporter l’adhésion des peuples… C’est même semble-t-il le contraire…
Paradoxalement, je n’ai pas toujours pas d’opinion établie sur Staline. Cela ne date pas d’aujourd’hui, mais bien de mon histoire de communiste française. D’un côté, il m’a été impossible de renier celui qui dirigeait l’URSS alors qu’elle accomplissait l’exploit d’en finir avec Hitler, un événement dont je n’ai cessé de dire à quel point il a conditionné tous mes choix politiques. D’un un autre côté, mon entrée dans la vie politique avait coïncidé avec la dénonciation de Staline, de ses crimes. Le tout aboutissant durant la majeure partie de mon existence à une sorte de désir d’en parler le moins possible qui était assez proche de l’attitude des soviétiques eux-mêmes, sans parler des communistes français.
Bref! j’ai accepté de cacher Staline parce qu’il effrayait le petit bourgeois, mais un jour j’ai découvert à quel point « ce cadavre dans le placard » devenait un obstacle à penser le présent et l’avenir. Aujourd’hui, il s’avère que, comme beaucoup de ceux qui ont résisté à cette occultation nous en prévenaient, l’attaque contre Staline est devenue de plus en plus ouvertement une attaque contre Lénine, contre le socialisme, une manière d’ignorer Engels et d’inventer un Marx qui n’a plus rien à voir avec ce grand théoricien.
Ceux qui étaient à l’époque pro-chinois – ce n’était pas non plus une carte de visite recommandable – avaient alors décrit les deux phases de ce reniement de Staline. Ils expliquaient qu’en fait des partis, comme le parti communiste français, avaient commencé depuis pas mal de temps leur « révisionnisme ». Ils avaient créé un Staline momifié, aussi couvert de médailles qu’un général soviétique; ils l’avaient caricaturé dans le culte qu’ils lui portaient pour mieux abattre ce qu’il représentait, à savoir la « violence révolutionnaire », l’exercice de la dictature du prolétariat ou la démocratie populaire au choix, cela signifiait l’art et la manière de rompre avec la violence du capital, sa dictature et sa démocratie toujours grosse du fascisme.
Être pro-chinois n’était vraiment pas non plus une carte de visite pour deux raisons: la première, je ne la renie pas le moins du monde, était le gauchisme de certains maoïstes. Il s’agissait le plus souvent des petits bourgeois se prétendant des révolutionnaires par rapport à des ouvriers réformistes, qui pourtant représentaient le caractère original du mai 68 français. Ces gens-là sont pour la plupart passés du col Mao au rotary club, mais pas tous. Il est bon de tenir compte aujourd’hui des analyses de hier de certains d’entre eux, par exemple Robert Linhardt. L’autre suspicion que nous inspirait la Chine avait là encore des bases bien réelles puisque la querelle sino-soviétique a été une des circonstances de l’effondrement de l’URSS. Dans le refus de considérer aujourd’hui la Chine du temps de Xi Jinping autrement qu’un impérialisme, il reste beaucoup de vestiges de ce qui était alors un suivisme total des positions de l’Union soviétique.
Pour beaucoup de communistes français, mais pas seulement, la thèse des deux impérialismes, celui des USA et celui de la Chine, s’inscrit dans la logique paradoxale de l’adhésion sans condition à l’URSS. D’autres aspects peuvent également intervenir du fait que la Chine a adopté une stratégie internationale à partir de Deng Xiaoping qui est plus « commerciale » qu’internationaliste, l’acceptation des institutions et des régimes tels qu’ils sont n’est pas non plus propice aux grands élans de fraternisation. Cela m’est au contraire peu à peu apparu comme faisant partie de l’analyse de ce qui avait conduit l’URSS à l’effondrement: la course aux armements, la tenue d’un front international que la Chine en pleine lutte pour le développement ne pouvait se permettre. Enfin, je dois dire que l’ingratitude de la plupart des partis qui avaient largement bénéficié de subventions et d’accueil royaux en URSS, au lendemain de la chute, me parait inciter n’importe quelle force consciente à ne plus se fier à ces gens-là : qu’ils fassent d’abord la preuve de leur capacité révolutionnaire chez eux.
De toute manière, nous sommes avec la contre-révolution qui a déferlé sur le monde entré dans un temps de confusion idéologique et de négationnisme historique auquel personne n’échappe tout à fait.
J’ai vu récemment une analyse d’un chinois affilié à la fondation Rosa Luxembourg qui laissait planer un pieux silence sur la manière dont était intervenue la rupture entre la Chine et l’URSS. Il laissait entendre que celle-ci aurait été quasiment dès les débuts de l’influence de Mao opposée aux envoyés du Komintern. Ce n’est pas totalement inexact, mais le paradoxe c’est qu’une ligne spécifique d’un parti ne provoque pas chez Staline les mêmes réflexes que chez Khrouchtchev. La rupture est intervenue avec ce dernier non seulement parce qu’il exigeait avec brutalité une allégeance mais parce qu’il ne représentait plus la garantie de protection, avec sa coexistence pacifique, que représentait l’URSS du temps de Staline.
Mao au contraire a insisté sur le lien entre Staline et Lénine en particulier dans « Léninisme et social impérialisme »: « A mon avis il y a deux « épées »: l’une est Lénine et l’autre Staline. Cette épée qu’est Staline, les Russes l’ont maintenant rejetée. Cette épée qu’est Lénine, n’a-t-elle pas aussi été rejetée quelque peu par certains dirigeants soviétiques? Je pense qu’elle l’a été dans une large mesure ».
Ce qui est sûr c’est que plus j’analyse cette dénonciation du stalinisme plus la démonstration me parait erronée: l’idée d’un pouvoir personnel ne signifie rien. Tous les historiens s’accordent pour dire que si Staline l’emporte sur Trotski c’est qu’il a avec lui le parti, l’organisation léniniste à laquelle il a contribué, à la fois très disciplinée, ennemi des fractions, mais aussi plongeant ses racines dans la masse ouvrière et prolétarienne, ce qui est la conception que Lénine diffuse dans toute l’internationale communiste. Ensuite, Staline a toujours eu une équipe extraordinairement active et compétente au bord de l’explosion dans un état de fatigue extrême, face à laquelle il est souvent l’élément modérateur. La meilleur preuve est qu’à sa mort alors que chacun imagine l’effondrement, l’URSS continue. Cet élément de l’équipe de Staline est désormais accepté et défendu par des historiens anti-communistes, loin d’exercer simplement un pouvoir personnel, Staline ne cesse dans un esprit léniniste de construire partout des collectifs qui sont autant des points de résistance que d’accélération dans la transformation. Il se vit lui-même comme totalement désincarné, il n’est rien d’autre que le pouvoir des soviets.
Autre chose est le fait que cette équipe va être déchirée par des rivalités et accomplit avec Khrouchtchev un virage à droite et une dérive qui se traduit par des problèmes grandissant qui vont grandement favoriser la fin de l’URSS.
Et que la plupart des partis qui restent dans cette orbite n’ont plus aucune stratégie pour le socialisme. Mieux ou pire leur manière de dénoncer la violence révolutionnaire les a conduit à ne plus avoir de réponse face à la violence du capital qui ne cesse de grandir si ce n’est une soumission toujours plus grande aux partis bourgeois dans laquelle ils voient la seule manière de se débarrasser du dernier avatar de cette violence bourgeoise. Celle-ci serait limitée à l’Europe. L’idée très aragonienne d’opposer la nation à la race sous l’occupation est devenue l’ultime rempart mais quelle que soit effectivement la nature de l’UE et la nécessité de combattre cet Etat major du capital, la question du socialisme est là encore hors perspective.
Et là comme je le signalais, nous sommes bien partout devant les trois dangers de dégénérescence envisagés par Staline:
a) perte de la perspective socialiste
b) perte de la perspective révolutionnaire internationale et, partant, apparition du nationalisme
c) disparition de la direction du parti et, partant, possibilité de transformation du parti en appendice de l’appareil Étatique.
A des degrés divers… En effet, après avoir été quasiment anéantis bien des partis communistes se sont mis à élaborer une réflexion. La Chine, mais aussi Cuba et les communistes russes… chacun tirant une expérience de l’exercice du pouvoir dans la transition socialiste alors que domine le mode de production capitaliste…
Il faut sans doute retrouver des méthodes de pensée mais surtout considérer qu’il faut un dialogue sans anathème, sans centre, mais à partir d’un retour aux buts qui s’avère plus que jamais indispensable dans la chute impérialiste qui en accroît partout la violence, les aspects fascistes à l’intérieur de la démocratie bourgeoise dont en reniant Staline, nous avons voulu faire l’alpha et l’oméga de notre identité.
La manière dont Staline a été en quelque sorte le nom sous lequel ont été masquées toutes les dégénérescences, sous son drapeau puis au contraire dans un reniement diabolisé devrait nous aider au moins à comprendre ce qu’il ne faut pas faire.
Danielle Bleitrach
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Lemercier
Cette question de la dégénérécence du PCF et de ses origines me hante depuis de nombreuses années (j’ai adhéré à la JC en 61 et fut membre du PCF de 72 à 2000) et particulièrement depuis que je ne suis plus membre du Parti. Je ferai grâce des détours de ma réflexion pour pointer deux éléments de celle-ci: d’une part, la célèbre interview de Thorez au Times avec les deux points suivants qui posent question : les rapports avec la pratique révolutionnaire des camarades soviétiques et l’idée de reconstituer un grand parti ouvrier (c’est-à-dire la négation du congrès de Tours) et d’autre part le contenu de la première réunion du Kominform en 47 où le PCF et le PCI furent mis sur la sellette, non sans raisons.
Danielle Bleitrach
si tu lis mes mémoires, je propose une hypothèse sur cette question de l’eurocommunisme et c’est à partir de cette hypothèse que j’ai été conduite à ‘intéresser à la destalinisation. Je dois dire que la lecture de l’histoire duPCUS et des relations internationales sous la conduite de Ponomarev dont le raconte le moment clé que fut ma rencontre, n’a fait que me conforter dans mes interrogations. La lecture de ces deux ouvrages est très intéressante, mais Staline n’y apparaît que quand il est impossible de faire autrement. Cet effacement, il n’y a pas d’autre mot m’a posé problème. Pour moi tout est dans la clé d’une absence de stratégie ou plutôt d’une stratégie inadaptée… Par parenthèse, l’eurocommunisme n’a pas eu des effets désastreux seulement en Europe, un parti comme le parti mexicain qui y adhère a connu la même débandade que le PCI et le pCE, il est désormais inexistant.
Lemercier
J’ai lu tes mémoires dès leur parution. Je vais les reprendre mais je ne me souviens pas que tu aient abordé les deux points que j’évoque et qui sont bien antérieurs à l’euro-communisme.
Danielle Bleitrach
il est vrai que la présentation en kaleidoscope,au fil des images,peut désorienter, pourtant ne serait-ce que quand à propos de l’eurocommunisme je fais état à la fois de mon séjour à Rome, puis de mes dicussions avec René andrieux sur les relations en maurice thorez et Togliatti c’est assez clair…
Lemercier
Je vais regarder cela de plus près. Mais il est vrai, comme tu le dis, et je l’ai particulièrement éprouvé ce matin en reprenant ton bouquin, que la « présentation en kaléidoscope » désoriente un peu…Merci en tout cas.
Danielle Bleitrach
c’est parce qe j’ai couru deux lièvres à la fois… le premier était le roman dans ce qu’il suscite la mémoire à partir du visuel… je voulais que les communistes s’approprient « le temps retrouvé » en se disant tiens moi aussi mais aussi qu’ils soient un peu emportés dans une aventure… d’où le kaléidoscope dont certains thèmes reviennent par exemple ce que je découvre en Hongrie, une sorte de mode d’emploi de la fin du communisme que l’on retrouve à l’identique en Italie, en Pologne… s’il a y a schéma identique c’est qu’il y a volonté… ou encore la manière dont la fin de l’uRSS crée une situation dans le tiers monde, le néolibéralisme s’attaque d’abord à eux, le Bénin, le Mexique, l’effondrement que je dis psychotique des sociétés… Pour le reste, la thèse concernant l’absence de stratégie, l’eurocommunisme c’est toute la trame et le moment où tout devient plus clair ou devrait devenir plus clair c’est la rencontre avec Ponomarev mais la véritable conscience a lieu à Cuba…
François KALDOR
Le prix du journal l’Humanite Dimanche était de 20 francs soit à peu près un demi euros de maintenant.
François KALDOR.
Jean Roussie
https://blog.dimensionfractale.fr/2020/04/13/amalgame-odieux/
D’autre part les ouvrages de chercheurs comme Domenico Losurdo, disparu l’an dernier, Grevor Furr ou Annie Lacroix-Riz démontent le paradigme Anti-Staline accepté par la plupart des PC à partir du Rapport Khrouchtchev (qui semble-t-il fut lui-même un artisan zélé des purges dites staliniennes) et les allégations de propagande nazie (holodomor, katyn…) qui sont devenue vérités officielles bien qu’étayées d’aucune preuve à partir de la fin des années 80 dans le sillage de la recomposition libérale mondiale qui s’accélérait à la suite de la destruction de l’URSS.
Danielle Bleitrach
je connais tous ces auteurs et j’ajouterai le plus intéressant de tous Ludo Martens… je les lis,je les travaille, Grevor Furr ne me convainc pas, son travail relève trop de l’étude de texte et pas assez de la contextualisation historique mais il a eu le mérite d’introduire plus que des doutes sur le rapport khrouchtchev… ce sur quoi j’aimerais mettre la main ce sont les études lancées par les Chinois sur les raisons de la chute de l’uRSS. Certains texte ont été traduits en Russe…
Jean Roussie
Effectivement, le livre de Ludo Martens « Un autre regard sur Staline » est passionnant. Je l’ai d’ailleurs digitalisé en ePub et mis à disposition sur mon blog.
Pedrito
Daniel Arias
Pour moi Staline c’est avant tout le seul dirigeant qui envoie du matériel et des soldats en Espagne Républicaine, pays où des instituteurs d’un village dans ma famille furent exécutés par les franquistes, leur crime être instituteur de la République.
Tout cela devant le silence criminel des pères de la social démocratie européenne.
Staline et le PCUS sont à l’origine de l’écrasement de la puissance nazie européenne, n’oublions pas que tous les futurs pays de l’UE ont participé à l’agression de l’URSS. Victoire au prix d’un sacrifice de 10 millions de soldats dont la moitié étaient communistes et au sacrifice des troupes du NKVD volontaires dans certaines missions suicide.
Victoire aussi au prix de 27 millions de morts soviétique et de la destruction d’une grande partie de l’industrie.
Mais déjà avant la Grande Guerre Patriotique, l’URSS avait du faire face à l’agression de la bourgeoisie internationale et impérialiste.
Juger Staline sans le contexte n’a aucun sens, mais lui n’a pas failli, comme la direction du PCUS de l’époque.
Ils savaient l’importance du rôle central du PCUS, rôle central qui sera détruit par Gorbatchev.
Staline reste aimé dans les territoires ex soviétique.
Les attaques violentes et unanimes de la classe politique bourgeoise contre lui révèle bien l’importance de son rôle.
etoilerouge6
je suis tout à fait d’accord et j’ajoute que les nazis d’aujourd’hui sont ceux de l’axe USA UE et tous ceux qui les soutiennent ou les banalisent. Remettons sur nos cheminées les portraits et de Robespierre et de STALINE.
Daniel Arias
Une autre vision de Staline dans cette série de 5 épisodes sur la libération de l’URSS.
Série débutée en 1968:
https://youtu.be/GZlzMhfx2hQ
On y voit un Staline prenant les avis avant de décider.
Son rôle est encore très positif, central, sans prendre la place du peuple qui combat héroïquement.
Recherche à faire sur youtube « Освобождение »Les sous titres sont disponibles en anglais.
Danielle Bleitrach
cela correspond tout à fait à ce que l’on sait de sa manière d’organiser la discussion et de n’intervenir que le dernier… après avoir entendu tot le monde.. les deux qui ont refusé jusqu’au bout la moindre condamnation à savoir kaganovitch et molotov ont refusé toute défintion khroutchevienne… mais même en mai 1968, jamais on aurait osé dire sur stalie ce qu’on dit maitenant? c’était tout au plus quelqu’un dont on avait exagéré les mérites et qui était assez despotique dans ses manières mais il n’était pâs question de le comparer à Hitler… je me demande comment on en est arrivé à cette équation invraisemblable…
Pedrito
Parce que tout est bon, absolument tout, même les mensonges les plus abjects, pour démolir tout ce qui pourrait inspirer une quelconque sympathie pour l’idée, la pensée, l’espoir COMMUNISTE
AEV
Un autre regard sur Staline, par Ludo Martens – Avant-propos et Introduction
https://reconstructioncommuniste.wordpress.com/2015/05/25/un-autre-regard-sur-staline-par-ludo-martens-avant-propos-et-introduction/