Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Festival de Cannes, genèse et première édition annulée (1939) Jean Zay et création du festival à la Libération, le rôle de la CGT et du PCF

Ce qui a fait du festival de Cannes un événement particulier, un lieu de résistance comme d’ailleurs le cinéma lui-même… Un jour je vous parlerai peut-être de cinéma et de communisme à travers un autre grand cinéaste que fut Jean Grémillon. Pour vous démontrer qu’il n’y a pas de “cinéaste maudit” mais bien censure et interdiction de produire une œuvre. Il y eut un temps où les communistes mais aussi des gens simplement progressistes dans les domaines les plus divers de la création se battaient pour élargir le banquet de l’art et du savoir, pour dénoncer censure et répression comme ils combattaient pour les travailleurs dans l’entreprise. Ils ne se contentaient pas d’être de simples échos de ce qui était dominant (note de Danielle Bleitrach).

04MAI1-La tentative avortée d’un festival indépendant face à la Mostra de Venise

En 1939 le Gouvernement français décide de ne plus participer à la Mostra de Venise, mais d’organiser son propre festival à Biarritz, Cannes ou Nice. Tout part de l’initiative de Philippe Erlanger, mais il est ardemment soutenu par Jean Zay le ministre du Front populaire. Le Front populaire avait voulu en 1937 envisager lors de l’exposition universelle une initiative de prestige, mais Jean Zay va plus loin, il est juif et mène sa propre ligne au sein d’un gouvernement de plus en plus enclin à céder aux nazis.

D’un côté, il y a donc le ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay, responsable du domaine artistique, qui soutient ce projet important pour le cinéma français. Il a déjà mis en place, au niveau national, un concours cinématographique qui prime les cinq meilleures œuvres de l’année. De l’autre, le ministre des Affaires étrangères, Georges Bonnet, responsable des manifestations à caractère international, qui reste hésitant sur la question pour de pas envenimer les relations franco-italiennes. Alors de septembre 1938 à mai 1939, la création du Festival français ne concerne plus directement le cinéma ; elle devient une véritable affaire d’État.

A la mostra de Venise dans laquelle l’ingérence des gouvernements fascistes allemand et italien dans la sélection des films — inaugurée en août par le docteur Joseph Goebbels —, Philippe Erlanger (directeur de l’Association française d’action artistique) soumet à Jean Zay, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, l’idée d’un festival international de cinéma, politiquement indépendant, en France. Jean Zay, intéressé par la proposition, donne une réponse favorable le 26 décembre 1938 et est encouragé par les Américains et les Britanniques qui ont boycotté la Mostra de Venise : Harold Smith, représentant à Paris de la Motion Picture Association of America et Neville Kearney, délégué officiel du cinéma britannique en France, s’engagent à soutenir ce « festival du monde libre » et à y amener des vedettes notoires. Le festival se veut un partenariat franco-américain qui crée le plus grand marché du film mondial.

Philippe Erlanger est le premier délégué général du Festival. Haut fonctionnaire, écrivain de biographies historiques licencieuses. S’il est surtout connu pour son rôle dans la création du festival de Cannes contre la fascisation de la Mostra, il est aussi le premier délégué général du festival jusqu’en 1951, Philippe Erlanger est également membre du jury en 1953 et 1954. En 1956 il fait retirer Nuit et Brouillard d’Alain Resnais de la sélection du festival de Cannes pour ne pas froisser l’Allemagne fédérale.

Jean Zay qui joue de plus en plus cavalier seul au sein de ce gouvernement est résolument opposé aux accords de Munich et c’est encore un élément qui justifie à ses yeux le festival français. Et pour bien marquer l’originalité du festival, il en fait dès le départ une manifestation indépendante des pouvoirs politiques y compris français.

En juin 1939, Louis Lumière accepte d’être le président de la première édition du Festival qui doit se dérouler du 1er au 20 septembre. Il avait alors déclaré vouloir « encourager le développement de l’art cinématographique sous toutes ses formes et créer entre les pays producteurs de films un esprit de collaboration ». La sélection française est arrêtée et comprend L’Enfer des anges de Christian-Jaque, La Charrette fantôme de Julien Duvivier, La Piste du nord de Jacques Feyder et L’Homme du Niger de Jacques de Baroncelli. Ce dernier film est une ode au colonialisme et à ses vertus progressistes. Là encore nous avons les ambiguïtés de l’époque. La France comme les autres pays occidentaux qui souhaitent ainsi se démarquer du nazisme et du fascisme  souhaitent également marquer leur puissance impériale y compris Jean Zay qui demeure sur ce plan là un socialiste des plus classiques.

« L’Homme du Niger », de Jacques de Baroncelli.
« L’Homme du Niger », de Jacques de Baroncelli. Courtesy éditions Armand Colin

En marge de la ligne théorique du Festival, les grandes nations y défendent aussi un territoire politique avec une forte représentation du « film impérial » – alors un genre en soi –, tant pour les Anglais et les Belges que pour les Français. Si le ministre Zay inscrit lui-même au programme un documentaire militant déjà distribué en salles (La France est un empire), L’Homme du Niger, de Jacques de Baroncelli, illustre une présence coloniale porteuse de bienfaits et de fraternité.

Parmi les films étrangers, on retrouve Le Magicien d’Oz de Victor Fleming, Pacific Express (Union Pacific) de Cecil B. DeMille, Au revoir Mr. Chips (Goodbye Mr Chips) de Sam Wood et Les Quatre Plumes blanches (The Four Feathers) de Zoltan Korda.

Donc on voit que si le festival dès son projet tient à marquer l’indépendance du cinéma par rapport aux choix politiques, la sélection est loin de récuser toute ambiguïté.
Chaque pays choisit ses films, le jury représente l’ensemble des participants et toutes les nations présentes reçoivent un Grand Prix dans un esprit d’objectivité artistique et d’impartialité absolue.

La France ne s’autorise aucune récompense particulière en tant que pays organisateur. Question de prestige, la présidence d’honneur de la première édition est proposée à Louis Lumière, père du cinématographe. Ce nouvel ambassadeur du Festival cannois veut convaincre les réalisateurs étrangers de soutenir l’initiative française. Alors, les invitations sont envoyées à tous les pays producteurs de films ; l’Allemagne et l’Italie ne sont pas oubliées. Mais elles se récusent, comme d’autres pays dont la production cinématographique est encore insuffisante. Dans d’autres au contraire l’accueil est très positif. En gros ne nous cachons pas derrière les nations, il se passe dans le contexte du cinéma ce qui se passe dans le gouvernement français. Munich a montré vers où inclinaient les puissances occidentales et sous couvert de paix, il s’agissait de nouer un pacte avec les Allemands pour qu’ils aillent envahir l’est. Ce choix de soutien qui ne repoussait que pour un temps bref la guerre et évitait d’avoir à la préparer a surtout indigné dans le cinéma les milieux juifs et ceux qui, bien que ne l’étant pas , comme Charlie Chaplin ne supportaient pas ce qui se mettait en place dans les dictatures fascistes.

Dès le mois d’août, les vedettes affluent et la Metro-Goldwyn-Mayer affrète un paquebot transatlantique pour amener les stars d’Hollywood : Tyrone Power, Gary Cooper, Annabella, Norma Shearer et George Raft. On prévoit des fêtes ; inspirés par le film Quasimodo, les Américains projettent de construire une réplique de Notre-Dame de Paris sur la plage de Cannes.

Les Britanniques sont nettement moins enthousiastes et envoient une délégation à la mostra de Venise.
Jean Zay qui est socialiste a espéré la coopération militaire de l’URSS contre l’offensive allemande qui se prépare et qui malgré l’interdiction du PCF à la suite de la signature du pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS ne remet pas en cause la participation soviétique. Les Soviétiques maintiennent néanmoins leur adhésion au Festival français et envoient justement un film qui dans le contexte est très étrange ou révélateur du futur au -delà d’un pacte de non agression réponse aux accords de Munich : si demain la guerre. Je n’ai pas vu ce film mais j’en rêve au vu de ce que j’en connais.  D’abord l’auteur qui au vu de son nom est probablement juif mais qui est d’abord soviétique sera jusqu’à la fin de sa vie un tenant du réalisme socialiste. (1)

Si demain la guerre

Durée 1h 02minDe Efim DziganLazar Antsi-PolovskiyplusAvec acteurs inconnusGenres DocumentaireGuerreNationalité Soviétique

SÉANCES (1)

Efim Lvovitch Dzigan (Ефим Дзиган) né le 14 décembre 1898 dans l’Empire russe à Moscou et décédé le 31 décembre 1981 en URSS (maintenant Russie) est un réalisateur soviétique travaillant principalement dans le genre du réalisme socialiste soviétique.

En 1924, il a commencé à travailler comme assistant réalisateur puis a terminé ses études à l’école de cinéma Tchaïkovski, en 1926. Il a réalisé pour le 25e anniversaire de l’Armée rouge, en 1936, Les Marins de Kronstadt et a travaillé dans différents studios de l’URSS, comme en 1952 à Alma Ata, où il réalise le premier film kazakh en couleurs Djamboul. En 1938, son film Si demain c’est la guerre est présenté à Cannes. En 1932—1941 et à partir de 1954, il travaille à Mosfilm. À partir de 1958, il a enseigné à l’Institut national de la cinématographie où il a eu entre autres élèves Elem Klimov, Vladimir Grammatikov, Edmond Keossaian. En 1966, il y a obtenu une chaire de professeur. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, de scénarios et d’une biographie2.
1936 : Ordre de Lénine pour le film Les Marins de Kronstadt
1937 : Grand prix à l’Exposition universelle de 1937 pour le film Les Marins de Kronstadt4
1941 : Prix Staline
1967 : Ordre du Drapeau rouge du Travail
1968 : Premier prix du film historico-révolutionnaire au festival du cinéma soviétique
1969 : Artiste du peuple de l’URSS Si demain c’est la guerre est un film soviétique réalisé sous la direction d’Efim Dzigan metteur en scène des marins de Cronstadt pour le 25ème anniversaire de la Révolution. Il s’agit d’un film prémonitoire conçu à la gloire de l’Armée Rouge. Les scénaristes ont imaginé l’URSS attaquée à l’improviste par un ennemi utilisant les armes les plus meurtrières. L’Armée Rouge surprise, se reprend et met en déroute l’envahisseur. S’il ne fait aucun doute que la décision de mettre en scène une invasion venue d’un pays frontalier et dont les chars portent une inscription quasiment identique à la croix gammée, on reste perplexe quant à la signification politique si on la confronte au Traité de non-agression signé le 23 août 1939 entre l’URSS et l’Allemagne. Personnellement j’y vois la confirmation de ce qu’on lit dans les mémoires de Kaganovitch, c’est-à-dire le fait que Staline n’a jamais cru à la permanence de ce pacte. Quand on connait la passion de Staline pour le cinéma, la manière dont il s’occupait personnellement de tout ce qui avait trait à cet art on imagine mal l’envoi d’un tel film au festival comme autre chose qu’un message sur les choix réels de l’union soviétique. Encore une recherche que je n’aurai pas le temps d’accomplir et qui pourtant me parait révélatrice.

Le 1er septembre, jour de l’ouverture, les troupes allemandes pénètrent en Pologne, et le Festival est annulé.

2-Les débuts du Festival après la guerre et les accords Blum-Byrnes 

La première édition du Festival se déroule après la guerre, du 20 septembre au 5 octobre 1946, dans l’ancien casino de Cannes, sur les volontés de Philippe Erlanger, chef du service des Échanges artistiques au ministère des Affaires étrangères, et de la confédération générale du travail (CGT) dont le réalisateur Louis Daquin est membre comme il est membre du PCF. Le Ministère des Affaires étrangères et la ville de Cannes prennent en charge le financement.

Il est un temps question que le Festival de Cannes et la Mostra de Venise aient lieu chaque année en alternance. La France et les professionnels du cinéma ignorent cet accord. En 1946, le Festival est un succès et les cinéastes attendent une nouvelle édition en 1947. Lorsque l’accord est dévoilé, il est vivement critiqué : certains parlent d’une « capitulation de la France »14, d’après le magazine La Technique française.

Le gouvernement refuse de financer un Festival annuel et le Palais des Festivals est construit dans la précipitation par le syndicat CGT pour accueillir l’édition de 1947. Encore aujourd’hui, la Fédération CGT des syndicats du spectacle siège au conseil d’administration du Festival. Toujours en 1947, les organisateurs du Festival décident que le jury se compose d’un représentant par pays.

Le festival de Cannes est donc dans toute son histoire lié aux luttes anti-nazies puis à celles de la CGT et du PCF pour l’indépendance de l’art et de la culture. On ne saurait le dissocier la création de ce festival par de fait le syndicat CGT et le combat mené par lui et par le PCF contre les accords Blum-Byrnes.

L’accord Blum-Byrnes est un accord franco-américain, signé le 28 mai 1946 par le secrétaire d’État des États-Unis James F. Byrnes et les représentants du gouvernement français, Léon Blum et Jean Monnet, après de longues négociations. Il liquide une partie de la dette française envers les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale (deux milliards de dollars).

L’administration Truman offre même un nouveau prêt à la France à des conditions de remboursement considérées comme exceptionnelles. Les États-Unis accordent ainsi une aide de 300 millions de dollars américain (3,5 milliards de dollars valeur 2012) remboursables en 35 ans ainsi qu’un prêt bancaire de 650 millions de dollars (7,6 milliards de dollars valeurs 2012).

Une des contreparties de l’accord est la fin du régime des quotas, imposé aux films américains en 1936 et resté en place après la Libération. Byrnes voudrait un retour aux accords de 1933, qui prévoyaient un quota fixe de films américains par an projetés dans les salles françaises. De son côté, le secteur du cinéma français demande que sept semaines sur treize soient réservées uniquement à la diffusion de films français. Le compromis final est d’une part un abandon du quota de films américains et d’autre part une exclusivité accordée aux films français quatre semaines sur treize, ce qui correspond à une diminution de moitié de la diffusion de films français par rapport aux années 1941-1942.

Pour le Parti communiste et les syndicats du secteur cinématographique français, il s’agit d’un moyen pour les États-Unis de diffuser l’American way of life (le mode de vie américain)1 à une population pouvant être tentée par le socialisme et de favoriser l’industrie cinématographique hollywoodienne. En réaction, les autorités françaises créent le 25 octobre 1946 le CNC (Centre national de la cinématographie) avec pour mission de protéger la création cinématographique française.

Il s’agit d’une application particulière du plan Marshall, dont on sait à quel point loin d’être un don généreux, il a été un calcul cynique de marchands et une vassalisation de l’Europe.

Cette concession faite aux Américains, dont la portée réelle reste discutée, eut un retentissement immédiat. Les réalisateurs Marcel Carné, André Blanchard, Jacques Becker ou le scénariste Pierre Laroche dénoncent un « bradage du cinéma français », suivis par le Syndicat français des producteurs de films ainsi que la Fédération nationale du spectacle CGT et les revues spécialisées L’Écran français et Arts.

Rétrospectivement, la production française est loin de s’être effondrée : 86 films en 1946, 92 en 1947, 94 en 1948, 103 en 194918 à comparer à 140 films américains. Les semaines où les films américains étaient autorisés, les films français étaient présents dans la moitié des salles, et en 1948 les films français représentaient 45,36 % de l’audience contre 43,63 % pour les films américains.

La contestation des accords Blum-Byrnes doit se lire également à la lumière de l’éviction des communistes du gouvernement, qui précède de peu la fondation, à l’automne 1947, du Comité de défense du cinéma français par Claude Autant-Lara épaulé par le Parti communiste et la CGT.

Cette contestation culmine avec une grande manifestation le 4 janvier 1948, rassemblant bien au-delà du milieu syndical les vedettes du moment, comme Jean Marais ou Simone Signoret. La pression est alors telle que le gouvernement français obtient du gouvernement américain pour quatre ans quatre semaines supplémentaires d’exclusivité par an ainsi qu’un contingent d’au maximum 121 films américains par an (révision des accords Blum-Byrnes à Paris le 16 septembre 1948). Surtout, ce mouvement entraîne la création d’une taxe de 10,9 % sur tous les billets (loi d’Aide du 23 septembre 1948), à laquelle étaient farouchement opposés distributeurs et exploitants. Cette taxe alimente un Fonds d’aide à l’industrie cinématographique, mettant en place un système d’aides automatiques calculées sur la base des recettes des films précédents des réalisateurs éligibles, jetant les bases du système organisé par le CNC. Il est à peu près admis que ce système eut un rôle considérable dans le maintien et le développement du cinéma français d’après-guerre.

sur cette question des accords Blum Byrnes, il faut lire Annie Lacroix-Riz, « Négociation et signature des accords Blum-Byrnes (octobre 1945 – mai 1946) d’après les Archives du Ministère des Affaires étrangères », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 31,‎ 1984, p. 417-448).

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1 Commentaire

  • pam
    pam

    c’est bien ce film qu’on trouve sur youtube …. https://www.youtube.com/watch?v=eF7FSq-2FzQ
    J’ai vu un extrait dans une émission télé sur cannes, et il semble qu’en gros le film, en 39, évoque la victoire de l’armée rouge sur les nazis ? incroyable et important évidemment…

    Mais il faudrait faire un sous-titrage…

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