Ne cherchez pas le N3rdistan sur une carte, car il n’existe que dans l’imaginaire d’un jeune quartet avide de liberté, un pays sans frontières où il n’y aurait plus besoin de visa ou de carte de séjour.
Conduit par Walid Benselim (chant) et Widad Brocos (chant/machines), tous deux exilés marocains, accompagnés par Benjamin Cucchiara (kora/flûte) et Cyril Canerie (batterie/percussions), N3rdistan mêle textes classiques aux sons du rap et de électro.
C’est à la fin des années 90 que Walid et Widad ont commencé à chanter leurs premiers textes engagés. Pour la petite anecdote, Widad Brocos a été la première femme au Maroc à faire du rap. Mais rapidement, il s’est avéré que les paroles de leurs chansons n’étaient pas au goût du régime. Ils se sont alors exilés en France pour continuer à s’exprimer librement.
En 2014 naît le projet international N3rdistan. Les membres du groupe viennent du monde entier : Benjamin est français avec des origines italiennes et anglaises, Cyril est moitié catalan, moitié portoricain. Widad et Walid sont marocains. Leur premier album « N3rdistan » sort en 2019 sous le label « Le Rocher ».
Sur ce premier album, chanté en arabe à l’exception de « 12 pensées de Verlaine » en français, les textes mystiques côtoient des textes contemporains engagés qui parlent d’espoir et de liberté. Les sonorités électroniques se mêlent habilement aux instruments traditionnels créant un univers puissant, envoûtant et poétique.
Considéré comme « l’avenir de la musique alternative marocaine », N3rdistan se caractérise par la mise en musique des textes signés de grands poètes des siècles des lumières arabes tels que Al Maari, Ibn Zeydoun et d’autres plus contemporains comme Nizar Kabbani ou Gibran Khalil. N3rdistan est connu pour ses revendications et ses aspirations à la liberté et l’égalité sociale.
Entre tradition et modernité
Comme c’est le cas pour de nombreux autres groupes actuels en langue arabe ou dialectale, N3rdistan revisite à sa manière les traditions d’une culture pour les faire revivre dans la modernité, confrontant des textes anciens et classique au monde et aux sonorités actuelles.
Souvent perçu comme immuable et encadré par le poids des traditions (religieuses, sociales…), le monde arabe, par l’expression de ces nouveaux artistes qui réinventent et revisitent ces traditions, se transforme, se renouvelle, se ressource, tout en apportant une nouvelle puissance et une dimension à cette culture encore méconnue en occident.
Bien sûr, des résistances existent comme partout dans le monde, comme la censure exercée par certains états sur ces artistes, ou celle de la religion. Parmi les auteurs revisités par N3rdistan, il y a ainsi le grand poète Syrien, Abou Ala al-Maari, une figure de la littérature arabe du Xe siècle, dont les statues ont été décapitées par Daesh, au nom d’un Islam radical, ne pouvant tolérer des textes considérés comme hérétiques.
Ces artistes et groupes que je souhaite présenter sur ce blog, réinventent, revisitent ces cultures et ces traditions, pour leur redonner un sens présent, une nouvelle vie, dans ce monde contemporain où nous sommes aujourd’hui.
Loin à mon avis de détruire ces cultures, ces réinventions par ces artistes en langue arabe sur la scène internationale permettent au contraire de leur donner une nouvelle force, en refusant la normalisation d’un monde dont le seul modèle serait l’occident. Une utopie comme celle de N3rdistan, cela peut être aussi affirmer une identité et une singularité dans un monde de plus en plus uniforme.
Ya Oumma / Abou Ala al-Maari (Xe siècle)
Sur les 16 titres que compte le premier album de N3rdistan, le poème « Ya Oumma » de Abou Ala al-Maari. Grand poète syrien de langue arabe, connu pour sa virtuosité, pour l’originalité et le pessimisme de sa vision du monde, ses poèmes philosophiques sont construits sur la base d’une tristesse existentielle profonde, faisant du pessimisme une ligne de conduite et le départ de toute réflexion.
Critique virulent de sa génération et de l’humanité, il était au Xe siècle déjà un végétalien convaincu et l’avocat de la justice sociale. En novembre 2007, son œuvre était interdite d’exposition au Salon international du livre d’Alger sur ordonnance du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs algérien.
Pour vous présenter ce titre « Ya Oumma », j’ai eu la chance de trouver ce clip sous-titré en français. Ici aussi, le pessimisme et l’absurdité du Xe siècle font écho à notre présent, accentués par des images de notre société bruyante, grouillante, qui ne s’arrête jamais, au nom de la consommation et du profit.
Epilogue
En juillet 1999, avec la mort de Hassan II, les Marocains assistent à l’arrivée au pouvoir d’un jeune roi. Mohammed VI va contribuer au début de son règne à relâcher la censure et à laisser plus de liberté à la scène culturelle. Walid et Widad participent alors à la Nayda, un mouvement culturel alternatif qui défend des valeurs libertaires et contestataires. Nayda en arabe veut dire : debout ! levez-vous ! ou encore : « est-ce que ça bouge ? ».
En novembre 2014, le groupe part au Maroc pour la première édition du salon Visa For Music. Il obtient un grand succès au Théâtre national Mohammed-V à Rabat. Ce passage est décisif dans la jeune carrière de N3rdistan qui sera invité en 2015 au Printemps de Bourges, avant de sillonner la scène internationale.
Avis de recherche
Passionné de musique du monde et de chansons engagées, je ne parle, ni ne comprends l’arabe. Aussi, pour continuer cette exploration de la scène musicale actuelle d’expression arabe classique ou dialectale, je suis à la recherche d’un ou d’une complice pouvant m’aider dans la traduction des chansons et pourquoi pas participer à l’écriture des textes.
Franck Pohu
Sources
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