Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

LA MONTÉE DE L’EXTRÊME DROITE AU JAPON : ICI AUSSI ÉCLAIREUR ET REPOUSSOIR AU SERVICE DE L’IMPÉRIALISME US, par Danielle Bleitrach

La montée électorale du parti populiste de droite Sanseito avec son leader Sōhei Kamiya, secoue le Japon, et le premier ministre conservateur Shigeru Ishiba proclame qu’il démissionnera en août dès qu’il aura négocié avec Trump les tarifs, ce qui s’est réalisé hier mardi 22 juillet (15% de droits ce qui n’améliora pas la situation réellement mais peut passer pour un tarif préférentiel). Le Sanseito est un parti anti-mondialiste, qui incite les électeurs à retrouver la fierté de leur appartenance ethnique et de leur culture. Ce parti, si l’on en croit les sondages, est particulièrement populaire parmi les jeunes hommes. Sanseitō s’est montré le plus offensif dans son opposition verbale à la fois au parti conservateur, usé par la corruption, la hausse des prix, et face à une gauche « centriste » sans véritable alternative, réussissant à faire de l’immigration un enjeu central de la campagne électorale, avec le slogan provocateur « Les Japonais d’abord ». Le parti a remporté 14 sièges sur les 248 de la chambre. C’est un bond substantiel par rapport au seul siège qu’il avait remporté lors des dernières élections en 2022 dont il accroit l’instabilité par désaveu des partis et de la classe politique. L’ascension de Sanseitō, le parti d’extrême droite a déjà une influence cruciale sur le paysage politique japonais. La coalition au pouvoir a maintenant perdu le contrôle des deux chambres. Ishiba ou son successeur devra peut-être chercher le soutien d’autres partis pour faire face à des défis de leadership. Nous sommes apparemment devant un cas de figure bien connu en Europe et singulièrement en France.


Mais cette instabilité a des conséquences dans le débat sur les perspectives asiatiques qui sont « autochtones ». L’Asie, tout entière, en particulier les classes capitalistes dominantes sont à la recherche d’une issue qui assurerait un minimum d’adhésion de la population par conviction ou par répression. Cette recherche marquée par le leadership de la Chine a des références qui nous sont partiellement inconnues, une histoire avec ses temporalités et qu’il nous paraît utile d’esquisser ici.

L’USURE DES PARTIS TRADITIONNELS CONSERVATEURS ET DE CENTRE GAUCHE FACE A LA CORRUPTION, LA HAUSSE DES PRIX, LES MENACES TARIFAIRES

Le Japon a tenu des élections pour sa chambre haute, la Chambre des conseillers, le 20 juillet. Comme prévu, le vote s’est avéré un défi pour le parti conservateur au pouvoir, le Parti libéral-démocrate (PLD), qui a été ébranlé par des scandales de corruption, la hausse des prix et les droits de douane américains sur les exportations japonaises. La coalition au pouvoir, composée du PLD et de son partenaire junior, Kōmeitō, est entrée dans un « en terrain inconnu, avec un gouvernement en minorité dans les deux chambres du Parlement, situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. L’opposition n’est pas plus majoritaire, le Parti démocrate constitutionnel de centre-gauche a maintenu sa position de plus grand groupe d’opposition, mais le véritable changement a été le succès de l’élection de Sanseitō, un parti populiste ultranationaliste qui officiellement n’est l’allié de personne. Sanseitō a réussi à faire de l’immigration un enjeu central de la campagne électorale, avec le slogan provocateur « Les Japonais d’abord ». Le parti a remporté 14 sièges sur les 248 de la chambre, un bond substantiel par rapport au seul siège qu’il avait remporté lors des dernières élections en 2022. Sanseitō se définit lui-même comme un parti de « citoyens japonais ordinaires avec le même état d’esprit qui se sont rassemblés pour sauver le pays». Il a été créé en 2020 par Sōhei Kamiya, un politicien conservateur qui a été conseiller municipal à Suita, une ville de la préfecture d’Osaka, avant d’être élu à la Chambre des conseillers.

Le parti Sanseitō s’est d’abord fait connaitre pour sa position contre le vaccin Covid-19, mais il a rapidement dérivé vers une position anti étrangers et anti immigration. Le parti, qui détient également trois sièges à la puissante chambre basse, a rapidement gagné des sièges lors des élections régionales et nationales. Il a récemment remporté trois sièges lors des élections préfectorales de Tokyo en juin 2025. Sanseitō est « anti-mondialiste », exhortant les électeurs à se sentir fiers de leur appartenance ethnique et de leur culture. Les sondages suggèrent que le parti est populaire parmi les jeunes hommes âgés de 18 à 30 ans.

Tout au long de la dernière campagne électorale, Kamiya a diffusé à plusieurs reprises des théories du complot et de la désinformation d’extrême droite. Il s’agissait notamment d’affirmer que les multinationales étaient à l’origine de la pandémie, et que les étrangers commettent des crimes en masse et peuvent éviter de payer les droits de succession. Les réseaux sociaux mais aussi les médias ont amplifié les messages xénophobes de Sanseitō. Il a incontestablement bénéficié d’une promotion médiatique et d’une omniprésence dans les enjeux des réseaux sociaux sur fond de perte de repaire de classe.

La ressemblance avec ce qui se passe aux Etats-Unis et en Europe, en particulier en France avec le parti de Marine Le Pen est d’autant plus flagrante que le Japon a un parti communiste « eurocommuniste » antimarxiste léniniste, totalement réformiste, quasiment antichinois et antisoviétique. Le Parti communiste japonais demande l’abolition du capitalisme et de l’exploitation et l’établissement d’une société basée sur le socialisme, la démocratie et la paix, en opposition au militarisme. Il veut arriver à ses buts en travaillant à l’intérieur du cadre fixé par la démocratie parlementaire. Il a été jadis d’inspiration léniniste, mais comme tous les partis eurocommunistes, il ne soutient plus l’idée d’une révolution socialiste mais une démarche « graduelle » pour le moment limitée à la lutte contre la vie chère, le respect de la constitution en se référant à celle de 1947. Il est le seul à inscrire dans son programme l’abrogation du traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon, et s’oppose farouchement à l’acquisition d’armes nucléaires par le Japon et à la révision de l’article 9 de la Constitution. Ce pacifisme mais aussi son féminisme historique est ce qui l’oppose au parti d’extrême droite Sanseito, qui l’a désormais dépassé, et dont la seule originalité était la lutte pour la paix contre l’arme nucléaire et les bases américaines. En dehors de ce parti, qui n’a pas conservé une formation des adhérents et une ligne marxiste léniniste, la gauche est logiquement de centre gauche et comme en Europe laissée en jachère idéologique comme dans tous les pays où l’eurocommunisme l’a emporté s’est déplacée vers le centre gauche puis vers une alternative sans enjeux autres que de personnes. Dans un tel contexte, le parti d’extrême-droite est apparu comme celui de la rupture et dévoyé vers le chauvinisme. L’opération a bénéficié de l’unanimité des médias.

Là encore, nous sommes bien dans une tendance qui est celle des pays impérialistes. Kamiya comme Marine Le pen nie être xénophobe. Mais il a exprimé son soutien au Parti républicain aux États-Unis, à Reform au Royaume-Uni, à Alternativ für Deutschland en Allemagne et au Rassemblement National en France. Faisant écho à d’autres dirigeants populistes de droite, Kamiya a promis des réductions d’impôts, de créer des industries locales, une réglementation des étrangers et une éducation patriotique.

Il est trop tôt pour dire si Sanseitō peut maintenir son élan. De nombreux leaders populistes au Japon avant Kamiya ont réussi à transformer la méfiance à l’égard de la classe politique en votes dans les urnes. Cependant, peu d’entre eux ont été en mesure de le traduire en un changement politique significatif au cours de plusieurs cycles électoraux. Incontestablement la question ne dépend pas des seules faveurs du public mais des forces capitalistes qui assurent sa promotion.

Les forces conservatrices et la gauche elle-même sont sur le terrain de Sanseitō. Ce parti joue un rôle d’éclaireur comme de repoussoir. Les décideurs politiques du PLD peuvent éviter de s’attaquer aux entreprises, aux capitalistes, dénoncer le surarmement et limiter leurs réponses inquiétudes du public concernant la migration, le tourisme excessif et l’intégration culturelle. Cherchant à coopter certaines des propositions de Sanseitō, le gouvernement a déjà interdit aux touristes de conduire et mis en place une nouvelle agence gouvernementale pour répondre aux préoccupations concernant les ressortissants non japonais. Il s’est également engagé à réduire l’immigration illégale à zéro. Mais même sur ce terrain, le gouvernement est confronté à des défis économiques et démographiques de taille, tels que les droits de douane américains, le vieillissement et le déclin rapides de la population, et un taux de natalité historiquement bas. Il ne peut donc pas se permettre de réduire considérablement l’immigration. Les décideurs politiques devront trouver un équilibre entre les besoins économiques et la nécessité de flatter le durcissement anti-étranger. Nous sommes là encore dans des constantes que l’on rencontre au plan international. Et là aussi ce n’est pas seulement l’immigration qui sera en jeu. Ishiba devra naviguer dans des questions clivantes qui pourraient diviser la base de soutien conservateur du PLD. Il s’agit notamment du mariage homosexuel, de l’utilisation de noms de famille distincts par les couples mariés et de la succession féminine au trône.

LES RACINES JAPONAISES, LES CONTEXTES HISTORIQUES EN ASIE

A ce titre, si Sanseitō surfe sur la vague mondiale du populisme de droite, il a aussi des racines profondément japonaises et celles-ci sont à analyser dans l’histoire japonaise mais aussi dans le continent asiatique où cette montée de l’extrême droite japonaise provoque des réactions qui touchent au devenir du continent dans une situation de mondialisation économique sur laquelle personne ne veut, ni peut revenir.

Concernant le devenir de l’Asie, le leadership chinois est incontournable, mais la montée de l’extrême-droite encouragée par le capitalisme, les forces conservatrices, flattent la volonté d’autonomie et paradoxalement aident à une tentative de retour en force d’un courant pro-Etats-Unis, un système plus qu’un pays vanté comme le seul susceptible d’enrayer le fascisme japonais et le communisme chinois. Le nationalisme chauvin et le militarisme comme gage d’autonomie du « Japon d’abord » joue un rôle de repoussoir en fédérant tous ceux qui estiment avoir quelque chose à perdre dans le « changement » .

Mais il a aussi un rôle d’éclaireur vers le maintien au pouvoir d’une classe dominante liée à l’impérialisme en avançant vers la répression de toutes les luttes. Après la défaite du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, un courant puissant de pensée de droite s’est développé et n’a jamais été éradiqué, y compris dans les partis au pouvoir et acceptant une totale vassalisation aux Etats-Unis. Il défend les « valeurs traditionnelles » et glorifie le passé impérial du Japon. Des tensions en particulier avec la Chine mais aussi les communistes japonais, ont éclaté périodiquement sur des questions telles que l’enseignement de l’histoire et les visites officielles au sanctuaire Yasukuni, où sont commémorés ceux qui sont morts au service du Japon – y compris les chefs militaires condamnés pour crimes de guerre. Il y a également eu des différends autour de la commémoration de soi-disant « femmes de réconfort » qui auraient été forcées à l’esclavage sexuel par les forces japonaises avant et pendant la guerre. En s’appuyant sur ces courants, Sanseitō représente de ce fait une nouvelle génération de conservatisme japonais, et pas seulement une émulation de dirigeants populistes étrangers.

Le leadership chinois, ses propositions gagnant-gagnant de paix rencontrent un large écho, notre site et notre livre vous en parlent. Mais ce n’est pas le parti communiste japonais qui les porte, au contraire. C’est plutôt un courant occidental qui s’intéresse à la spécificité de l’histoire asiatique : il existe désormais un relais intellectuel, anthopologique et plus ou moins héritier du marxisme, un courant universitaire important, dans le monde anglo-saxon. L’économiste Jeffrey Sachs de l’Université Columbia soutient que la Chine n’avait jamais envahi le Japon de toute son histoire – à l’exception de deux tentatives ratées – et a qualifié les incursions du Japon en Chine d’anomalies. Citant le sociologue de Harvard Ezra Vogel, il a affirmé que les deux civilisations confucéennes ont connu près de 2 000 ans de paix relative – un contraste frappant, a-t-il noté, avec les guerres quasi constantes entre la Grande-Bretagne et la France. Jeffrey Robertson, professeur à l’Université Yonsei, a ajouté que, alors que « l’attention des États-Unis s’éloigne de l’Asie de l’Est, l’impensable devient pensable » – une région où l’Europe, la Russie, l’Inde et la Chine s’équilibrent imparfaitement, mais où aucune ne domine. Le politologue John Mearsheimer a également abondé en ce sens : « Si j’étais le conseiller à la sécurité nationale de Deng Xiaoping – ou de Xi Jinping – et qu’on me demandait ce que je pensais de la présence militaire américaine en Asie de l’Est, je répondrais : « Je veux que les Américains partent. Je ne veux pas d’eux dans notre jardin ».


Ces prises de position qui sont celles du multilatéralisme sont celles d’économistes mais aussi d’historiens des civilisations qui s’appuient sur la référence dans la longue période depuis Confucius et à d’autres penseurs politiques asiatiques sur une longue durée qui correspond à la Chine suzeraine et générant la paix, les échanges commerciaux et culturels.

Mais il y a justement le cas du Japon qui a toujours manifesté une « originalité » dont l’extrême droite s’est fait une gloire, l’art et la manière de reprendre l’agressivité de la modernité occidentale pour mieux dans le même temps se présenter comme l’irréductible Asie et revendiquant à ce titre le droit à l’hégémonie sur tous les autres pays asiatiques, en particulier la très confucéenne Corée qui n’a jamais cessé d’être en guerre.

LE DANGER QUE REPRÉSENTERAIT UN JAPON FASCISANT FACE A UNE CHINE COMMUNISTE EST AU CŒUR DE LA PROPAGANDE DU COURANT PRO-ÉTATS-UNIS

Cet article devrait être lu avec ceux du courant pro-atlantiste qui prend acte de la crise profonde de l’impérialisme US en espérant des « portes de sortie ». cet article pourrait utilement être lu avec celui que nous publions par ailleurs sur : L’Amérique est-elle en train de briser l’économie mondiale ? ou le désarroi de ceux qui y croient encore… – Histoire et société

Il existe un courant qui est celui des « élites » asiatiques, les décideurs, le monde des affaires, et la quasi totalité des médias, qui ne veut pas rompre avec les USA, malgré le traitement qui est infligé par les exigences tarifaires qui ont fait plonger d’un quart les ventes automobiles japonaises vers les États-Unis, un secteur surtaxé par Washington à 25% et qui représente 8% des emplois dans l’archipel.

La menace de surtaxes généralisées de 25% au 1er août fragilise le tissu économique nippon, très dépendant des exportations mais également les exigences militaires et les interdits commerciaux, lever ou limiter cette menace est la seule mission que se donne le gouvernement japonais totalement minoritaire et sorti « sonné » des urnes.Le Japon, bien qu’allié-clé des Etats-Unis, est actuellement soumis aux mêmes droits de douane de base de 10% que la plupart des nations, ainsi qu’à des surtaxes de 25% sur les voitures et de 50% sur l’acier et l’aluminium. Cet accord avec Tokyo va entraîner la création de « centaines de milliers d’emplois », a ajouté M. Trump, mentionnant des investissements japonais à hauteur de « 550 milliards de dollars » sur le sol américain, sans détail si ce n’est que « 90% des bénéfices seraient perçus par les Etats-Unis ». Même s’il faut pondérer l’enthousiasme des annonces de Trump (même quand celles-ci ne sont pas signées comme dans le cas d l’Indonésie), il est clair que l’acte d’Ishiba a été de reddition avant son retrait devant l’ingouvernabilité.Le 22 et 23 juillet, avant la rencontre avec la Chine un sommet a lieu, la présidente Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen António Costa se rendent au Japon pour le 30e sommet UE-Japon, rejoints par la haute représentante/vice-présidente Kaja Kallas. Avec le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba, ils réaffirmeront la force et l’importance stratégique des relations entre l’UE et le Japon, dans un monde où les relations commerciales évoluent rapidement et où la volatilité s’accroît., Ces « représentants » sans assise réelle insisteront sur les besoins de présivibilité mais ces forces conservatrices sur sièce ejectable ont peu de chance d’ouvrir la moindre perspective.

Au niveau des médias qui sont acquis à ce conservatisme se parant de la « démocratie », le discours en proie à « un conflit à la Faust » entre sa vassalisation et ses intérêts réels, se réfugie dans « une objectivité » qui entretient la confusion et la rupture de l’opinion avec les partis traditionnels. Il n’y a pas de lutte idéologique en face si ce n’est la revendication à la paix mais qui est désormais confrontée à l’ascension d’un chauvinisme qui nourrit le militarisme en le présentant comme une garantie d’indépendance très anticommuniste.

L’insistance du discours « antifasciste », libéral, anti-autoritaire table sur le fait qu’il faudrait défendre « la démocratie » face à la Chine communiste et au retour du Japon et d’autres pays asiatiques vers le fascisme. Il faudrait se résigner, l’Asie dans le fond n’existe que dans la soumission aux Etats-Unis, rien ne serait pire que la rupture avec le monde démocratique symbolisé par les USA et l’Europe, la pacification de l’Asie dépend de la présence des Etats-Unis.

Comme « les démocrates » libéraux, à peu près partout dans le monde, ils entretiennent l’idéologie de la pax americana mais en s’appuyant sur un fait qui n’est pas inexact : malgré les discours de Trump, il serait faux de penser que les États-Unis « s’éloignent » de l’Asie de l’Est . Washington ne se retire pas, il redouble d’efforts. L’objectif est clair : contenir la Chine. C’est la politique officielle des États-Unis depuis l’article d’Hillary Clinton de 2011 « America’s Pacific Century », qui décrivait un pivot stratégique vers l’Asie comme la pierre angulaire de la politique étrangère américaine. Même si sa mise en route est la grande œuvre d’Obama, alors que celle de Biden qui poursuit en ce sens s’est perdu inutilement dans la guerre ukrainienne en Europe et d’autres affrontements « mineurs ». Les États-Unis sont peut-être distraits par l’Ukraine et Gaza, mais leur priorité stratégique absolue reste inchangée – et est, en fait, de plus en plus ciblée. Washington a renforcé sa posture indo-pacifique par des exercices multinationaux à grande échelle, tels que le Talisman Sabre en Australie, fort de 40 000 hommes, et des déploiements militaires étendus dans le cadre de l’AUKUS, des rotations à Guam et un meilleur accès aux bases aux Philippines grâce à l’accord de coopération renforcée en matière de défense.

Et là, il y a plusieurs écoles, face auxquelles la montée de l’extrême droite au Japon, l’instabilité et la révolte possible du peuple, le chauvinisme nationaliste joue un rôle autant que l’espoir d’obtenir des arrangements économiques avec les deux puissances. Il y a les idéologues qui vont à l’affrontement, à la provocation mais dans le monde des affaires, la conscience de la fragilité du dollar et même de la force militaire plaide l’idée d’un retour au réalisme de Kissinger. Une période de statu quo, de fait une entente entre la Chine et les USA.

Ils se réfèrent avec espoir à ce moment où la vision de la Chine elle-même a évolué. Après la seconde guerre mondiale, sous l’influence de l’URSS, la Chine a vu les traités que signait les USA avec le Japon, la Corée du sud, et Taiwan comme dirigés contre elle, et la guerre de Corée a été le point culminant. Même dans la rencontre avec Kissinger en 1971, le Premier ministre chinois Zhou Enlai a accusé Washington d’utiliser Taïwan et la Corée comme « deux ailes de l’expansion vers l’extérieur des politiques expansionnistes japonaises ». Et il faut mesurer que ces lignes forces existent toujours, le rapprochement actuel de la Chine avec Moscou et les relations optimales de la Russie avec la Corée du nord, les BRICS, les relations sud-sud tout cela va plus que jamais en ce sens. Mais peut être on peut dénouer les liens de la Chine avec la Russie et suivre les traces de Kissinger. Si visiblement Trump n’a pas obtenu de la Russie ce qu’il cherchait, peut être obtiendra-t-on de la Chine un partenariat.

Car, il existe des forces économiques qui espèrent toujours un retour au « réalisme » de Kissinger. celui-ci avait fait valoir à la Chine que non seulement la présence américaine pouvait la protéger de l’URSS mais également du militarisme japonais. Il avait expliqué le caractère instable japonais « les Japonais sont capables de changements soudains et explosifs. Ils sont passés du féodalisme au culte de l’empereur en deux ou trois ans, et du culte de l’empereur à la démocratie en trois mois. Une telle volatilité, selon Kissinger, a fait d’un Japon auto-armé une menace latente – non pas en raison de l’intention, mais en raison du potentiel. « Un Japon qui se défend avec ses propres ressources sera un danger objectif pour la région. L’alliance américaine le restreint en fait. Il a reconnu l’alternative cynique : « Nous pourrions lâcher le Japon et le laisser se débrouiller seul. Cela déclencherait des tensions avec la Chine et nous permettrait de jouer les intermédiaires. Mais il a rejeté cette option comme étant dangereusement à courte vue : « Soit vous, soit nous finirions par être la victime. » Kissinger a mis en garde contre le retrait américain. « Nous n’avons pas combattu pendant la Seconde Guerre mondiale pour arrêter la domination du Japon sur l’Asie, pour la rendre possible 25 ans plus tard. Si le Japon veut vraiment que nous partions, nous partirons – mais je ne pense pas que vous devriez vous réjouir quand ce jour arrivera, car un jour vous pourriez le regretter », a-t-il déclaré. Zhou a commencé à se demander si les États-Unis pouvaient vraiment contenir ce qu’il appelait le « cheval sauvage » du Japon.

Comme nnous l’avons souligné dans notre livre, en particulier dans la partie écrite par Jean Jullien, il y a une continuité stratégique de Mao à Xi en passant par Deng, la Chine ne veut ni la guerre, ni humilier l’adversaire avec qui géographiquement et culturellement elle est condamnée à vivre. Le président Mao a même encouragé Kissinger à maintenir de bonnes relations avec le Japon. « Lorsque vous traversez le Japon, vous devriez peut-être parler un peu plus avec eux. » Lors de la dernière visite de Kissinger, Mao a fait remarquer : « Vous n’avez parlé avec eux qu’une journée, et ce n’est pas très bon pour qu’ils ne perdent pas la face. » La conversation a eu lieu en 1971, sept ans après que la Chine soit devenue une puissance nucléaire et alors que le Japon restait non nucléaire. Pourtant, Pékin était toujours profondément inquiet de ce qu’un Japon remilitarisé pourrait faire et peut être se résignait à la surveillance des États-Unis, comme à la nécessité d’apprendre de la première puissance du monde.

Cette peur persiste-t-elle encore aujourd’hu? Non seulement en Chine, mais dans tous les pays qui se sont affrontés avec le Japon dans la première moitié du XXe siècle. En quoi sert-elle les intérêts américains. D’où la publicité accordée à cette montée de l’extrême droite, qui n’est pourtant pas en état de prendre le pouvoir mais en fait sert d’éclaireur à tout le conservatisme japonais et même à une partie du centre gauche. Le fait que cette extrême-droite partage les valeurs des Républicains au pouvoir avec Trump, n’empêche pas au contraire une part grandissante des grands investisseurs d’avoir d’autres fers au feu. Il y a la conscience de l’état de crise des USA, de l’effondrement de fait du dollar, d’où la montée d’un courant réaliste qui envisage même sur le plan militaire, une entente entre la Chine et les Etats-Unis concernant le partage du monde en commençant par la zone Pacifique.

La montée de l’extrême-droite au Japon est typiquement le genre de fait à la fois provoqué par les « élites » atlantistes et servant de prétexte à des stratégies politiques à géométrie variable. Dans ce domaine, la propagande et l’enfumage peuvent aller très loin dans le brouillage des cartes qu’ils ont eux-mêmes distribuées par leurs canaux médiatiques habituels. On en arrive à jouer sur une histoire asiatique conçue selon leur fantaisie. En 2022, Mike Pompeo, qui avait été secrétaire d’État américain lors du premier mandat présidentiel de Donald Trump, a révélé : « Au fur et à mesure que nous développions davantage notre relation, ce qui est devenu très clair, c’est qu’il [Kim Jong Un] considère les États-Unis d’Amérique dans la péninsule coréenne comme un rempart contre sa véritable menace, qui venait de Xi Jinping. » Kim Jong Un règne sur ce qui était autrefois le cœur de Goguryeo – et il sait qui est le véritable ennemi. Il aurait dit à ses assistants dans le passé : « Le Japon est l’ennemi de 100 ans, mais la Chine est l’ennemi de 1 000 ans. »

Jouer sur les hégémonies régionales a été le Grand jeu de l’hégémonie britannique, les Etats-Unis et ceux qui cherchent à défendre l’atlantisme à n’importe quel prix (la lecture du journal l’Humanité frise parfois le chef d’œuvre en matière de faux savoir sur ces questions en Asie mais aussi dans le monde, et Boulet du secteur international n’est pas en reste, il s’agit d’éviter la relation du PCF avec le Parti communiste chinois, le coréen du nord et le KPRF, mais favoriser la rencontre avec le parti communiste japonais). Sur le fond, il s’agit à la fois de tenter un compromis nécessaire avec la Chine tout en entretenant l’idée qu’elle demeure le danger principal en présentant cet enfumage comme le comble de l’objectivité en matière de presse et de défense de l’autonomie « nationale » en matière de force politique et de « déformation » des adhérents et sympathisants.

Et là nous avons également la reprise de la Chine venant défier la ligne rouge historique de Washington. Si la Chine n’a plus d’ennemi régional, ni la Russie, ni la Corée, ni le Vietnam lui-même et surtout ni le Japon, elle peut se déplacer dans la chasse gardée par la doctrine Monroe l’Amérique latine, du canal de Panama aux missiles de Cuba et aux BRICS. D’où l’intérêt pour les forces politiques comme Lula qui à l’inverse de Cuba et du Venezuela se présentent comme une alternative démocratique sans projet réellement socialiste. Mais le fait est que comme le Brésil, ou même l’Indonésie la politique des USA incite toujours plus à une politisation des résistances nationales.

Dans une sorte de contre-tendance, la vision d’une troisième force et toutes ces références historiques accumulées depuis la suzeraineté chinoise font ressurgir dans la fertile imagination des stratèges tous les fantômes de l’histoire du militarisme japonais à la guerre froide avec ses massacres coréens et vietnamiens… pour inviter les peuples asiatiques comme ils le font déjà pour le peuple français à une lutte pour la démocratie et pour la paix qui sur le fond ne saurait se passer des Etats-Unis et de la pax americana.

La confusion entretenue autour de l’histoire et de ce que représente réellement le fascisme est le terreau fertile sur lequel la seule opposition crédible devient effectivement la montée de l’extrême droite repoussoir mais surtout éclaireur. Le refus d’éclairer la confusion du mouvement du monde, et le rôle de la Chine est la stratégie de l’atlantisme dans l’illusion de la régression vers le temps de la social démocratie qui pourrait s’opposer à l’extrême-droite. Un des dangers de cette nécessaire référence à l’expérience historique et ses impasses meurtrières est l’analogie pure et simple. Il faut que chaque référence à l’expérience, ses leçons soit contextualisée et bien mesurer que le monde multipolaire avec le leadership de la Chine communiste n’est pas identique ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement et encore moins dans la dynamique de ses contradictions avec les épisodes précédents de la survie de l’impérialisme par le fascisme et la mondialisation. (1)

Danielle Bleitrach

(1) deux lectures sur le retour à la dynamique historique et le choix ou non d’un anti-impérialisme vers le socialisme :

Propositions de lectures et méditations estivales : aujourd’hui Byung-Chul Han, la crise dans le récit, par Danielle Bleitrach – Histoire et société

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