Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La première révolte du Japon contre les États-Unis a eu lieu. Attendons la deuxième.

La dernière censure qui m’a été infligée par Roubaud Qashie et la “presse communiste” concerne un article que j’avais écrit sur le cinéma des Conseils Hongrois initiés par Bela Kun, un mouvement comparable à ce qui se passait en Russie avec la révolution d’octobre et dans lequel les prisonniers libérés par les soviets ont joué un grand rôle. Cet article publié par le Monde diplomatique dans sa version hongroise se terminait par une réflexion de Lukacs, celui-ci qui pourtant avait choisi de dénoncer “le stalinisme” comme un “dogmatisme” à la fin de sa vie expliquait que l’URSS de Staline avait sauvé doublement l’humanité, la première fois par sa victoire sur le nazisme payée au prix fort et la seconde fois en ayant la bombe atomique et donc en empêchant les Etats-Unis de renouveler leur crime d’Hiroshima. Qu’en France, un Roubaud Qashie puisse imposer une telle censure dit assez à quel point le consensus atlantiste a pu faire des dégâts, et comme le note justement Annie Lacroix-Riz, le trafic de l’histoire a atteint des sommets inqualifiables. En revanche l’attribution du prix Nobel de la paix à des témoins, la résistance de toute la société japonaise à la militarisation qui lui est imposée est un facteur fondamental que l’on retrouve comme ici jusque dans les déclarations du premier ministre… Aujourd’hui la France, l’UE en sont arrivés à un degré de négationnisme historique proprement stupéfiant qui correspond d’ailleurs à la marginalisation du PCF et de la gauche qui véhiculent de telles censures et fables. (note de Danielle Bleitrach traduction de Marianne Dunlop)

https://ria.ru/20241014/yaponiya-1977854314.html

Texte : Dmitri Bavyrine

Alors que le risque de guerre nucléaire est évoqué simultanément en Europe, en Asie (notamment en Corée) et au Moyen-Orient, un souvenir d’enfance du nouveau Premier ministre japonais, Shigeru Ishiba, est venu à point nommé.
« Je n’oublierai jamais le choc que j’ai ressenti lorsque j’étais en sixième année de collège et que j’ai vu les images de la bombe atomique larguée sur Hiroshima révélées par les États-Unis », a-t-il déclaré en direct à la télévision japonaise. Et il a provoqué la stupéfaction d’un grand nombre de personnes.

Comment s’étonner d’une chose que non seulement tous les Japonais, mais aussi tous les écoliers, connaissent ? Les bombes atomiques larguées par les Américains sur Hiroshima et Nagasaki ont été la première et, jusqu’à présent, la dernière utilisation au combat d’armes nucléaires dans l’histoire. Une telle chose ne s’oublie pas.

Ce qui est surprenant, c’est qu’Ishiba ait évoqué les États-Unis. Les élites et les fonctionnaires japonais ne font jamais cela : ils ne mentionnent pas les Américains dans le contexte des bombardements atomiques de leurs villes. Même avec autant de précaution que le nouveau premier ministre. En effet, il a dit que les Américains avaient montré des images, et non pas largué la bombe. Mais pour les Japonais, un tel discours n’est pas anodin.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, comme nous, n’ont pas eu de chance avec le peuple du pays qui était leur principal adversaire. Les Japonais étaient disciplinés, motivés, toujours prêts à se sacrifier et à résoudre les problèmes par une violence inhumaine. Washington, en revanche, a eu de la chance avec les vaincus. La même mentalité nationale qui a rendu les Japonais si dangereux et impitoyables pendant la guerre, a formé après celle-ci ceux qui se sont honnêtement rendus à la merci du vainqueur et n’ont pas gardé rancune.

Mais le fait que le principal allié et l’auteur de la principale tragédie de l’histoire du pays soit un seul et même État ne cadre pas bien avec la mentalité japonaise. C’est pourquoi l’issue de cette guerre se résume à la formule « nous l’avons bien cherché, nous l’avons eu, et maintenant il ne nous reste qu’à pleurer ».

Les Américains, par droit des vainqueurs, ont écrit une constitution au Japon, défini sa place dans le monde comme leur avant-poste et fait descendre l’empereur du ciel sur la terre – littéralement : le « maître céleste », ou tenno, a été contraint de reconnaître qu’il n’était pas un descendant de la déesse du soleil. Mais ils ont aussi fait quelques concessions de leur côté. Par exemple, ils n’ont pas transformé le Japon en république (bien qu’ils l’aient voulu).

Le même Tenno qui régnait lors de l’attaque de Pearl Harbor a été invité à Disneyland par la suite, mais il n’y a pas lieu de s’en étonner. C’est Shigeru Ishiba, en revanche, qui nous étonne.

Le veto tacite qu’il a brisé ne l’a pas été même par les premiers ministres qui ont été capables de construire une politique indépendante de Washington, qui ont eu une bonne attitude envers la Russie et qui ont été considérés comme des nationalistes pour qui les soldats japonais de la Seconde Guerre mondiale n’étaient pas seulement des criminels, mais aussi des héros pour certains (cela n’est jamais déclaré directement, mais est sous-entendu par une visite personnelle au temple shintoïste de Yakusuni). Shinzo Abe a été l’un de premiers.

Ishiba a été l’adversaire de longue date d’Abe, le défiant même lorsque la popularité de ce dernier était immense et son autorité au sein du parti incontestée. Le fait qu’Ishiba ait pris la tête du gouvernement après des années de vaines tentatives ressemble à la mort définitive de la longue et fructueuse « ère Abe », mais celle-ci s’est éteinte plus tôt. Non pas quand Abe lui-même a été assassiné, mais quand le précédent premier ministre japonais, Fumio Kishida, a abandonné ses tentatives de construire une relation équilibrée avec la Russie pour plaire aux États-Unis. C’était sa méthode, son principe, son « modus operandi ». Aujourd’hui, les relations entre Moscou et Tokyo sont au plus bas.

Le nouveau premier ministre ne ressemble pas à un homme politique dont on peut attendre qu’il reconstruise sur les ruines. Cela contredit la plupart des données, à commencer par le fait que, selon les critères de son parti, Ishiba est un libéral extrême, et les libéraux en Russie généralement on n’en attend rien de bon. Il n’a jamais rien dit qui puisse le faire passer pour un champion anti-américain : le fait qu’il considère Washington comme son principal allié est ce qui unit les libéraux japonais et les nationalistes japonais, parce qu’ils ont tous la même peur de la Chine.

Mais il sait vraiment comment surprendre. Et il surprendra encore, aussi bien nous que les Américains. Et les Américains de manière plutôt désagréable. C’est un homme comme ça.

La déclaration sur les bombardements nucléaires a été faite lors des débats préélectoraux, où chaque déclaration est faite dans l’attente d’un effet politique. Les élections japonaises sont imminentes – le dernier week-end d’octobre – et le parti d’Ishiba, de Kishida, d’Abe, etc. les remportera. – Il gagne presque toujours et ne cherche jamais le conflit avec les États-Unis. Seule l’opposition de gauche se permet parfois de le faire.

Cependant, après avoir reçu du peuple le mandat tant attendu de diriger le pays, Ishiba, 67 ans, essaiera de le changer, ainsi que sa politique étrangère. C’est un perfectionniste, extrêmement têtu, attaché aux principes et méticuleux, et surtout, il ne reconnaît pas beaucoup de tabous à l’instar de certains jeunes révolutionnaires.

Pendant des années, il a été une libellule dans une fourmilière – un rêveur, un individualiste et même un rebelle dans un parti et un pays où se démarquer n’est pas la norme et où l’obéissance et la loyauté sont honorées. Inutile d’imaginer Donald Trump ou Vladimir Jirinovski à sa place : le premier ministre japonais est un homme intelligent et poli qui assemble des maquettes d’avions à ses heures perdues. Mais il a critiqué publiquement les agissements de ses supérieurs, alors que c’est tout à fait inacceptable dans son pays. Et au niveau mondial, les supérieurs du Japon sont précisément les États-Unis.

Ishiba envisage les relations futures avec l’Amérique comme une alliance sur un pied d’égalité. Il n’a pas précisé de quoi il retournait, mais ce n’est certainement pas ce qu’elles sont aujourd’hui, et ce n’est certainement pas ce que Washington souhaiterait. Les Américains apprécient les alliances inégales, dans lesquelles les taureaux ne peuvent même pas imaginer ce que Jupiter est autorisé à faire, alors qu’Ishiba semble vouloir mettre en place un nouveau cadre juridique dans le cadre de l’alliance avec les États-Unis, qui mettrait le Japon sur un pied d’égalité avec l’Amérique. Le vaincu avec le vainqueur.

Il semblerait à la Russie qu’il importe peu que l’alliance du Japon avec l’Amérique soit égale ou inégale, tant qu’elle existe. Il y a toutefois une différence : une alliance égale peut au moins théoriquement être annulée, contrairement à la situation où la politique est dictée par le droit du vainqueur de la guerre.

Bien entendu, la question se pose de savoir si le Japon sera un jour en mesure de se débarrasser du leadership de Washington DC, mais s’il y parvient, ce ne sera qu’au stade de l’égalité formelle, lorsque l’amitié est volontaire et non forcée. En même temps, c’est Washington qui empoisonne les relations russo-japonaises en premier lieu. Sans les États-Unis, même les Kouriles auraient fait l’objet d’un accord sous Brejnev.

Aujourd’hui, les États-Unis doivent s’habituer à ce que le Japon se souvienne d’eux dans un contexte différent de celui qu’ils souhaiteraient. Ishiba, en raison de ses traits nationaux plutôt individuels et souvent contradictoires, est quelqu’un qui n’est « pas faible ». Sa méticulosité et sa persévérance sont japonaises, mais sa volonté de sacrifier les traditions nationales est purement occidentale. Aujourd’hui, on vous rappelle Hiroshima, demain on vous demandera Okinawa.

La surprise ne sera probablement pas comparable avec un Pearl Harbor futur. Mais l’avenir nous en dira plus.

Vues : 151

Suite de l'article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

La modération des commentaires est activée. Votre commentaire peut prendre un certain temps avant d’apparaître.